Ligue nationale contre la force de frappe

Une  » Ligue nationale contre la force de frappe  » vient d’être créée à l’initiative de soixante personnalités, qui ont signé un appel, dont on lira ci-dessous les principaux passages. La réunion constitutive se tiendra au palais d’Orsay le 19 mars 1963.
in archives du MONDE

 » La politique de la force de frappe, poursuivie par le gouvernement français, aboutit à des conséquences dramatiques, sans que le pays en soit véritablement informé et surtout l’ait explicitement approuvée.

1) Cette politique ne permet pas une défense efficace du pays.

 » L’arme atomique du type de 1945 que nous fabriquons ne représente pas une force de dissuasion réelle. Elle est démodée et sans valeur réelle.

 » Une force de frappe peut servir à attaquer, riposter ou menacer.

 » Attaquer ? Trente têtes thermonucléaires suffisent pour anéantir la France. Si nous nous en prenions à une puissance atomique de plus vaste superficie, nous serions annihilés avant de la mettre hors de combat.

 » Riposter ? Si nous étions attaqués, le délai entre la détection des engins ennemis et leur explosion, de l’ordre de deux à cinq minutes, interdirait tout envol de nos bombardiers et toute riposte efficace.

 » Menacer ? La menace de représailles par notre force de frappe ne pouvant être mise à exécution, ne constituerait pas une arme diplomatique : autant agiter un sabre de bois.

2) Cette politique risque de ruiner le pays.

 » a) Inutile, l’arme nucléaire est incroyablement onéreuse. Son coût dépasse nos moyens.

 » Les 6 milliards de francs 1963 déjà engagés sont une simple amorce n’ayant permis ni de miniaturiser les bombes, ni de passer de l’engin atomique au thermonucléaire, ni de produire des fusées modernes et des avions non démodés.

 » Pour tenter – sans espoir – de rattraper une fraction de notre retard sur les deux Grands, il nous faudrait accepter des charges intolérables. La seule usine de séparation de l’uranium de Pierrelatte, d’un coût prévu de 2 milliards, revient actuellement à plus de 4, et sa partie  » très haute « , indispensable pour la production militaire, n’est pas encore définie…

 » b) La pression financière provoquée par un tel effort est en effet particulièrement dangereuse au moment où le relèvement nécessaire du niveau de vie en France et la compétition économique entre puissances industrialisées devraient nous inciter à des investissements productifs accrus…

 » c) Les crédits affectés à la force de frappe sont en outre détournés des recherches atomiques et spatiales pacifiques, qui sont nécessaires à la grandeur d’un État moderne.

3) Cette politique nous isole sur le plan international…

4) Cette politique est redoutable pour la paix du monde.

 » L’attitude du gouvernement français constitue un précédent grave et contribue, en fait, à la dissémination de l’arme atomique, danger majeur pour l’humanité.  » La force atomique multilatérale comporte également le danger de dissémination de l’arme et, en particulier, la possibilité pour l’Allemagne d’en disposer, alors que la production lui en est interdite par les traités de 1954…

 » Contre une politique de force de frappe nationale, périlleuse pour notre pays et l’humanité entière, sachons associer nos efforts, sans distinction d’idéologie ou de philosophie… « 

Ont signé Jusqu’à présent : Mme Simone de Beauvoir, MM. Pierre Bertaux, André Blumel, Jean Cassou, Georges Casalès, Jacques Chatagner, Claude Chevalley, Gustave Choquet, Pierre Cot, Daniel Curie, J.-T. Desanti, Guy Desson, Dixmier, Jean Dresch, Pierre Ducros, René Dumont, Charles Fert, Paul Fraisse, Pierre Gautier, Dominique Halévy, docteur Georges Harel, André Hauriou, René Heller, Marc Jacquier, Jankélévitch, Charles-André Julien, Alfred Kastler, docteur Klotz, Maurice Kriegel- Valrimont.

MM. Georges Lasserre, Jean Las-serre, Bernard Lavergne, Henri Laugier, Henri Lévy-Bruhl, Philippe l’Héritier, docteur Marcovitch, Daniel Mayer, Jean-Jacques Mayoux, Pierre Meunier, Jules Moch, Gustave Monod, Georges Montaron, Daniel Parker, Marcel Paul, Jean-Claude Pecker, R. Portai, Marcel Prenant, Jean Pronteau, Henri Roser, Jean-Paul Sartre, Camille Soula, Tanguy-Prigent, Mlle Lucienne Taurel, MM. Charles Tillon, René-William Thorp, Vercors, Jean-Pierre Vernant, Jean-Pierre Vigier, Philippe Vigier, Maurice Voge, René Zazzo.

Les adhésions doivent être adressées au professeur Alfred Kastler, 1, rue du Val-de-Grâce, Paris (5e).

2 réflexions sur “Ligue nationale contre la force de frappe”

  1. Didier BARTHES

    Notons quand même que les arguments techniques de 1963, ne sont plus valables aujourd’hui, on peut parfaitement répliquer c’est même l’élément de dissuasion
    Sur les dépenses je ne sais pas, ça coûte cher, mais quelle seraient les dépenses sans armes nucléaires ? Bien malin qui pourrait le dire.
    Bien malin aussi qui pourrait jurer qu’il n’y aurait pas eu de confrontation mondiale est-ouest sans arme nucléaires de part et d’autres
    Maintenant oui, c’est une menace terrible d’apocalypse que l’on ne peut pas prendre à la légère, notamment s’il y a encore plus de pays qui acquièrent cette arme, ce qu’il faut éviter à tout prix.
    S’il y a chaque année une chance sur 100 que cette arme soit employée, alors en moyenne au bout de 70 ans il y a une chance sur deux pour pour que cela arrive, c’est effrayant, je l’admets

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