L’impuissance actuelle du journalisme environnemental

L’association JNE* avait organisé un petit déjeuner de presse à Paris le 18 mars. Le thème était essentiel : « Les journalistes d’environnement face à l’expertise scientifique : qui croire ? » Les deux intervenants étaient de poids. D’un côté Stéphane Foucart, journaliste scientifique au MONDE, qui publie ce mois-ci « La fabrique du mensonge »**. De l’autre côté Guillaume Malaurie, journaliste au Nouvel Observateur, qui a couvert dans ce cadre l’affaire Séralini. Beaucoup de temps a été passé à discuter des méfaits de l’industrie du tabac, de problème des conflits d’intérêt, de la fabrique du doute par les uns et par les autres. Mais presque pas de la question initiale. Vers la fin du débat, la question suivante a été posée à Stéphane et Guillaume : « Quand on compare les surfaces médiatiques des médias, il apparaît que les intérêts commerciaux, soutenus par l’expertise « scientifique », domine le journalisme d’investigation et les préoccupations environnementales. Quelle est la place qu’on vous donne dans vos journaux respectifs, est-ce satisfaisant ? »

Stéphane Foucart a été sincère dans ses différentes approches de la question. D’abord, il ne s’occupe que de la rubrique sciences au MONDE, il ne peut pas faire des articles sur le lobbying à Bruxelles. Quant à ses investigations, il se trouve confronté aux intérêts industriels qui suggèrent par exemple contre l’évidence que les effets des néocotinoïdes sont discutables. Surtout LE MONDE est un quotidien : par définition le long terme ne vaut rien par rapport au court terme. Stéphane Foucart estime que son groupe de presse lui donne toute liberté ; mais non seulement le temps lui manque pour approfondir les débats, mais la couverture médiatique est  faussée. Il prend le cas du déclin mondial des pollinisateurs sauvages. Son article sur la question ne faisait qu’une fraction de page, il aurait du être l’élément essentiel de l’actualité ce jour-là dans LE MONDE. Cependant il pense que si on obligeait tous les intervenants médiatiques à une déclaration de conflits d’intérêt, nous pourrions progresser dans la recherche de la vérité. De son côté, Guillaume Malaurie est resté absolument muet sur l’enjeu de ce petit-déjeuner de presse, à savoir les rapports de pouvoir entre la sphère médiatique et les intérêts financiers. Il s’était contenté tout au cours des débats de commenter l’affaire Séralini et de relativiser la question écologique.

Il est vrai que le Nouvel Observateur n’est plus celui que nous avons connu, qui faisait en juin-juillet 1972 un spécial écologie « La dernière chance de la Terre » ! Nous avons perdu plus de quarante ans, le journalisme environnemental est encore moins influent que dans les années 1970, les menaces deviennent irréversibles aujourd’hui.

* JNE, regroupe des journalistes-écrivains pour la nature et l’écologie

** La fabrique du mensonge (Comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger ( aux éditions Denoël, 17 euros)

*** LE MONDE du 1er mars 2013, Le déclin des insectes pollinisateurs menace les rendements agricoles

2 réflexions sur “L’impuissance actuelle du journalisme environnemental”

  1. « « Les journalistes d’environnement face à l’expertise scientifique : qui croire ? »
    Je vais vous faire gagner du temps: croyez les scientifiques. Sinon vous faite *exactement* la meme chose que les strateges du parti republicain qui s’obstinent ici aux US a decredibiliser non seulement la science, mais aussi et surtout les scientifiques, parceque les scientifiques empechent le creationnisme d’etre enseigne.
    Les ecolos, et les journalistes scientifique du Monde, aiment bien la science quand le consensus ou la majorite des scientifiques vont dans leur sens (rechaufement par exemple), mais critiquent ces meme scientifique dans les autres cas. Quelle hypocrisie!
    Creationnisme aux US, hard ecologie en France, meme combat et memes ennemis: les scientifiques.

    1. Coq au vin,
      Il nous semble qu’il y a scientifiques et scientifiques. Leurs analyses et discours peuvent être différents selon leur objet de recherche, leurs motivations (altruistes ou intéressées), leur façon de valoriser la partie et de ne plus voir le tout. Tous n’ont pas la même rigueur et les journalistes ne peuvent qu’être méfiants par rapport à certains discours « scientifiques ». L’exemple du lobby du tabac qui a manipulé le discours de la science est un exemple, la fabrique du doute qui ternit l’image de la science climatique et de la science en général, un autre.

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