L’obscure clarté d’un humanisme anthropocentrique

Certaines méchantes langues traitent certains écologistes d’anti-humanistes. L’analyse ci-dessous montrent que c’est plutôt un humanisme étroit qui empêche d’être vraiment écologiste. L’humanisme qui consiste à tout ramener à l’homme – surtout occidental – instaure un anthropocentrisme aussi dévastateur pour le reste de la création qu’il est hégémonique. Relisons Claude Levi-Strauss pour qui notre  humanisme est « dévergondé » :

Claude Lévi-Strauss dans un entretien télévisé : « Lorsque les hommes commencent à se sentir à l’étroit dans leurs espaces géographiques, une solution simple risque de les séduire, celle qui consiste à refuser la qualité humaine à une partie de l’espèce . »

Claude Lévi-Strauss en 1955 : « Tout abus commis aux dépens d’une espèce se traduit nécessairement, dans la philosophie indigène, par une diminution de l’espérance de vie des hommes eux-mêmes. Ce sont là des témoignages peut-être naïfs, mais combien efficaces d’un humanisme sagement conçu qui ne commence pas par soi-même mais fait à l’homme une place raisonnable dans la nature au lieu qu’il s’en institue le maître et la saccage sans même avoir égard aux besoins et aux intérêts les plus évidents de ceux qui viendront après lui (…) Un humanisme bien ordonné ne commence pas par soi-même, mais place le monde avant la vie, la vie avant l’homme, le respect des autres avant l’amour-propre  (Tristes tropiques »)

Dans son allocution à l’UNESCO en 1971, Claude Lévi-Strauss concluait : « Le respect que nous souhaitons obtenir de l’homme envers ses pareils n’est qu’un cas particulier du respect qu’il devrait ressentir pour toute forme de vie. En isolant l’homme du reste de la création, en définissant trop étroitement les limites qui l’en séparent, l’humanisme occidental, hérité de l’Antiquité et de la Renaissance l’a privé d’un glacis protecteur. Il a permis que soient rejetées, hors des frontières arbitrairement tracées, des fractions d’une humanité à laquelle on pouvait d’autant plus facilement refuser la même dignité qu’au reste, qu’on avait oublié que si l’homme est respectable, c’est d’abord comme être vivant plutôt que comme seigneur et maître de la création. »

Claude Lévi-Strauss en 1983 : « …Que règne, enfin, l’idée que les hommes, les animaux et les plantes disposent d’un capital commun de vie, de sorte que tout abus commis aux dépens d’une espèce se traduit nécessairement, dans la philosophie indigène, par une diminution de l’espérance de vie des hommes eux-mêmes, ce sont là autant de témoignages peut-être naïfs, mais combien efficaces d’un humanisme sagement conçu qui ne commence pas par soi-même mais fait à l’homme une place raisonnable dans la nature au lieu qu’il s’en institue le maître et la saccage sans même avoir égard aux besoins et aux intérêts les plus évidents de ceux qui viendront après lui. » (« Le regard éloigné » Plon)

Discours de Claude Lévi-Strauss en 2005 à l’occasion de la remise du XVIIe Premi Internacional Catalunya : « Si l’homme possède d’abord des droits au titre d’être vivant, il en résulte que ces droits, reconnus à l’humanité en tant qu’espèce, rencontrent leurs limites naturelles dans les droits des autres espèces. Les droits de l’humanité cessent au moment où leur exercice met en péril l’existence d’autres espèces. Le droit à la vie et au libre développement des espèces vivantes encore représentées sur la terre peut seul être dit imprescriptible, pour la raison très simple que la disparition d’une espèce quelconque creuse un vide, irréparable, à notre échelle, dans le système de la création. Seule cette façon de considérer l’homme pourrait recueillir l’assentiment de toutes les civilisations. La nôtre d’abord, car la conception que je viens d’esquisser fut celle des jurisconsultes romains, pénétrés d’influences stoïciennes, qui définissaient la loi naturelle comme l’ensemble des rapports généraux établis par la nature entre tous les êtres animés pour leur commune conservation ; celle aussi des grandes civilisations de l’Orient et de l’Extrême-Orient, inspirées par l’hindouisme et le bouddhisme; celle, enfin, des peuples dits sous-développés, et même des plus humbles d’entre eux, les sociétés sans écriture qu’étudient les ethnologues. Par de sages coutumes que nous aurions tort de reléguer au rang de superstitions, elles limitent la consommation par l’homme des autres espèces vivantes et lui en imposent le respect moral, associé à des règles très strictes pour assurer leur conservation. Si différentes que ces dernières sociétés soient les unes des autres, elles concordent pour faire de l’homme une partie prenante, et non un maître de la création. Telle est la leçon que l’ethnologie a apprise auprès d’elles, en souhaitant qu’au moment de rejoindre le concert des nations ces sociétés la conservent intacte et que, par leur exemple, nous sachions nous en inspirer. »

Pierre Jouventin, un digne successeur de Lévi-Strauss, en 2016 : « Victor Hugo, ce généreux humaniste, écrivait : « Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons. » C’est de moins en moins évident aujourd’hui. « L’homme est la mesure de toute chose », répète-t-on, mais on oublie qu’aux disciples de Protagoras, Socrate demanda pourquoi le cochon ou le babouin ne serait pas la mesure de toutes choses. A quoi sert une homme aujourd’hui ? A rétablir une harmonie du monde, celle que l’humanisme a détruite pour avoir élevé l’humain à une fin en soi en le plaçant au-dessus de tout. Comme Dominique Lestel l’écrit, il faut donc remettre l’humanisme en question et lui faire avouer que sous des dehors bienfaiteurs et malgré quelques victoires non négligeables, il a été une catastrophe pour le monde. Le propre de l’homme n’est plus vraiment un problème de science, et, comme le roi nu, il apparaît pour ce qu’il est en réalité, un jugement de valeur, un simple point de vue, sans doute respectable, mais pas indiscutable. Il faut élargir l’humanisme à l’ensemble du monde vivant comme les autres civilisations moins nombrilistes, moins anthropocentrées que la nôtre l’ont fait, afin de rétablir les liens rompus depuis trop de temps avec notre famille animale. L’antispécisme, qui n’établit pas de hiérarchie entre les espèces, se veut la continuation logique de l’antiracisme. De même le bio-centrisme, qui s’oppose à anthropocentrisme faisant de l’homme le seul être pensant, se considère comme le prolongement de l’humanisme. » (L’homme, cet animal raté (Histoire naturelle de notre espèce) » aux éditions Libre & Solidaire

pour approfondir : l’humaniste est-il écolo ?

2 réflexions sur “L’obscure clarté d’un humanisme anthropocentrique”

  1. CLS a laissé une forme de testament vidéo où il dit à peu près ne pas regretter de quitter bientôt ce monde qui sécrète son propre poison, ceci malgré tous les symptômes que la nature nous envoie avec une fréquence croissante. Nos enfants deviennent déjà coutumiers de la canicule estivale à un rythme annuel, je l’ai constaté aujourd’hui avec mon fils qui en tant que cuisinier ressent de manière aiguë les effets des hausses de température en ces périodes. 48°C m’a-t-il dit avant-hier en cuisine, et il a évoqué des 54°C dans des cuisines moins bien éguipées.

  2. Oui oui et oui, Claude Lévi-Strauss et Pierre Jouventin ont évidemment raison, Quand seront-ils lus et enfin compris par le monde écolo qui trop souvent se vautre dans un humanisme mal compris ?

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