Localité et simplicité : les clés de la résilience

« Un effondrement planétaire du monde humain se produira certainement dans une ou deux décennies. J’appelle « effondrement » un processus rapide (quelques mois) à l’issue duquel les besoins matériels de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi. Ce processus peut n’être pas une dégradation continue, mais une cascade de ruptures rapides, une fois dépassés certains seuils (« tipping points »). La crédibilité de l’effondrement à moyen terme est étayé par de nombreux rapports internationaux publiés depuis dix ans. Par exemple, la synthèse « Global Change and the Earth System« 1, ou bien le « Millenium Assessment Report 2005 » des Nations-Unies, ou bien le « Global Environment Outlook 5 » du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement en 2012, et le récent premier tome du cinquième rapport du GIEC sur le changement climatique (septembre 2013). De nombreux articles scientifiques corroborent l’idée d’un effondrement global du système-Terre à brève échéance, par exemple l’article de Antony Barnoski et alii en 20122.

La pensée de la résilience (« resilience thinking« ) invite à oublier les anciennes stratégies qui aspiraient à contrôler le changement dans des systèmes aux conditions stables, pour adopter de nouvelles stratégies qui visent l’adaptation au changement dans des systèmes devenus instables. A cette échelle d’abstraction et d’extension, le terme de « résilience » semble présenter peu d’intérêt opérationnel3. Résilience de quoi, vis-à-vis de quoi et pour qui ? Les communautés locales (« community resilience« ) intègrent les facteurs biophysiques et les questions de justice sociale, de psychologie collective et de santé. Dans « The Collapse of Complex Societies » 4, Joseph Tainter écrit : « Une société complexe qui s’effondre est soudainement plus petite, moins différentiée, moins hétérogène. La spécialisation décroît et il y a moins de contrôle central sur le comportement de ses membres. Elle devient incapable d’offrir des surplus, de proposer bénéfices et aménités à ses membres, de garantir la subsistance et la sécurité. Elle peut se décomposer en l’un des constituants à partir desquels elle fut créée (région, groupes ethniques, villages) ».

Ma réponse politique principale est : je n’ai plus l’espoir que des protocoles internationaux, des règlements européens, ou des lois nationales puissent réguler fortement et à temps le déferlement des dégradations anthropocéniques. Donc : tout le pouvoir au local ! Il n’y a que localement que les communautés humaines pourront devenir plus résilientes, notamment en matière d’énergie et d’alimentation. Mais aussi en matière de sécurité, de liberté, d’égalité et de fraternité. Il s’agit donc de construire localement, de petits états-providence, des États simples locaux5. Parmi les multiples expériences de pensée ou d’action actuelles en matière de résilience locale, je retiendrai trois d’entre elles : les villes en transition (« Transition Towns »), l’écomunicipalisme et les biorégions.

Dans son « Manuel de Transition »6, Rob Hopkins s’appuie sur la commune britannique de Totnes et sur la perspective imminente du pic pétrolier (« Peak Oil »). L’auto-organisation de cette commune tend donc vers la création d’une économie locale résiliente face à un choc identifié. Il s’agit de refaire société au moyen des trois valeurs conviviales identifiées par Ivan Illich : la survie, l’équité et l’autonomie créatrice. L’écomunicipalisme de Murray Bookchin est plus directement politique. D’une part en visant la délibération et l’adhésion de tous les habitants d’un territoire vers un projet de vivre-ensemble, notamment en affrontant les questions de confinement de la violence, d’autre part en construisant une économie locale hors-marché, caractérisée par les principes de réciprocité, d’indépendance et d’égalité. Fondé sur l’idée qu’un territoire n’est pas d’abord politique mais géographique, écosystémique, écouménique (Augustin Berque), le biorégionalisme est une forme d’écologie politique appliquée à un territoire. Ma définition préférée est celle de Serge Latouche : « Une biorégion correspond à une entité spatiale cohérente traduisant une réalité géographique, sociale et historique. Elle peut être plus ou moins rurale ou urbaine. Constituée d’un ensemble complexe de systèmes territoriaux locaux, dotée d’une forte capacité d’auto-soutenabilité écologique, elle vise à la réduction des déséconomies externes et de la consommation d’énergie »7.

Je renvoie à deux publications8 en cours pour les détails de mise en œuvre de cette résilience locale : production agricole locale communautaire et citoyenne, habitats légers et partagés, développement des transports doux (hippomobiles comprises), préservation des terres arables, microfermes périurbaines (permaculture), sobriété énergétique, Low Tech … »

Yves Cochet

1. Will Stephen and alii, Global Change and the Earth System : A Planet under Pressure, Berlin , Springer-verlag, 2004.

2. Antony Barnoski and alii, « Approaching a state shift in Earth’s biosphere », Nature, 7 June 2012.

3. Hugo Carton, Freins et leviers des politiques de résilience locale en Europe, Paris, institutmomentum.org, 2013.

4. Joseph Tainter, The Collapse of Complex Societies, Cambridge University Press, 1988, p. 38.

5. Yves Cochet, « États simples locaux », Entropia, N°13, Lyon, Parangon, 2012.

6. Rob Hopkins, Manuel de transition – De la Dépendance au Pétrole à la Résilience Locale, Lyon, Silence et Écosociété, 2010.

7. Serge Latouche, Petit traité de la décroissance sereine, Paris, Mille et une nuits, 2008.

8. Agnès Sinaï (dir), Hugo Carton, Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Résilience locale – Les collectivités à l’épreuve des crises, Paris, Éditions Charles Léopold Meyer et Institut Momentum, 2014. Benoît Thévard, Vers des territoires résilients en Europe – Énergie, transports, alimentation en 2030, Bruxelles, Rapport au Groupe Verts/ALE au Parlement européen, 2014.

Source : Intervention (résumée) d’Yves Cochet au colloque « Au-delà du risque, la résilience ? »

Maison des Sciences de l’Homme, 5 et 6 décembre 2013 à Grenoble