Loisirs, particulariste ou universaliste ?

Michel Sourrouille, auteur en 2017 du livre « On ne naît pas écolo, on le devient », a décidé avant de mourir de partager sa pensée avec tous les Internautes qui fréquentent ce blog biosphere. La parution se fera chaque jour pendant les mois de juillet-août. Il dédie ce livre aux enfants de ses enfants, sans oublier tous les autres enfants… car nous partageons tous la même maison, la Terre, si belle, si fragile…

Loisirs, plutôt les échecs que le match de foot à la télé

Mon grand-père maternel m’a laissé peu de souvenir, il est mort trop tôt mais c’est avec lui que j’ai appris à jouer aux échecs. Quand mon premier fils par alliance est rentré à l’école primaire en 1977, j’ai participé en tant que parent d’élève à l’animation. Cette école pratiquait la méthode Freinet, et le jeu d’échecs était enseigné à tous les enfants, du CP au CM2. Je ne savais pas qu’on pouvait écrire une partie, qu’on pouvait utiliser une pendule, qu’il y avait des méthodes pour mener un début de partie, conduire le milieu de partie, et conclure. J’avais l’habitude de sortir ma dame dès les premiers coups, erreur funeste, on risque fort de la perdre. J’ai appris qu’il y avait l’ouverture espagnole, anglaise, française, sicilienne…, et qu’un joueur d’échecs conséquent avait une grosse bibliothèque de parties de maîtres dans sa tête qu’il lui fallait si possible imiter. Il y avait les carnets de partie, les exercices polycopiés de mat en un ou plusieurs coups, la pratique de la fourchette ou de l’enfilade, etc. Devant toute une classe, un échiquier mural permettait les échanges avec les élèves. Le jeu d’échecs est pédagogiquement parlant un excellent outil : apprentissage de l’observation, mémorisation des positions, intériorisation cérébrale d’une situation, préparation à la prévision, maîtrise du temps (jeu à la pendule) et de l’espace, pratique du silence et de la concentration, etc.

Le jeu d’échecs élimine complètement l’existence du hasard, le gain ou la perte découle toujours d’une décision humaine, nous sommes les seuls responsables de l’issue de la partie. Le jeu d’échecs est aussi foncièrement égalitaire, même si les Blancs ont l’avantage du trait. Avec les Noirs, il suffit de suivre les pas des Blancs pour danser harmonieusement avec son partenaire. Sans erreur de part ou d’autre la partie se termine par la nulle, l’égalité. C’est très souvent le cas dans les parties de haut niveau. Le jeu d’échecs implique l’art d’éviter les bêtises, même infinitésimales (on dit aussi positionnelles), nul besoin de privilégier l’esprit de compétition. Parcourir mentalement l’échiquier, c’est surtout accompagner une méditation sur 64 cases.

De plus le jeu d’échecs a son petit côté écolo. Cette activité prend peu d’espace pour y jouer, on peut réunir des centaines de joueurs sur l’équivalent d’un terrain de foot. Je le sais, je l’ai vu, j’ai aussi arbitré des championnats de France, adultes ou jeunes. L’échiquier utilise peu de ressources naturelles, les pièces nécessitent très peu de bois et peuvent durer plus qu’une vie humaine. Aucun déchet non recyclable pour une occupation qui peut nous motiver pendant des heures et des journées… Pendant vingt années j’ai été animateur d’échecs, mais aussi formateur d’animateur, arbitre et formateur d’arbitres… jusqu’à devenir vice-président de la FFE. Je ne regrette pas mon activité échiquéenne même si notre espèce homo sapiens pendant ce temps-là a mis la planète en coupe réglée et multiplié les destructions massives.

Je savais qu’un jour il n’y aurait plus assez de poissons dans les mers pour nourrir l’humanité, ou de pétrole pour nos machines, ou de pluies pour alimenter les sources. Mais j’étais plongé, par amour des enfants et de l’éducation, dans le monde virtuel des échecs… jusqu’au jour où j’ai estimé que la planète avait vraiment besoin de moi, vers 1997. Nous devons savoir choisir ce qui est le plus urgent de faire. L’écologie va être l’enjeu principal du XXIe siècle… j’ai démissionné de mon poste de vice-président de la FFE, je n’ai plus pratiqué le jeu d’échecs au niveau associatif. On ne naît pas écolo, et il y a tant de centres d’intérêt possibles !

Mon voyage dans ce milieu échiquéen m’a amplement montré ce qu’il y a de desséchant quand on vit et pense, pratiquement nuit et jour pour certains, à une activité ludique. Les joueurs sur leurs consoles électroniques en sont un autre exemple. De même les amateurs de foot ou de tennis affalés devant leur poste de télé.

La plupart des loisirs aujourd’hui sont le témoignage parfait d’un individualisme particulariste. L’engagement de type universaliste est négligé. En France, les associations de défense des intérêts collectifs, des grandes causes de solidarité internationale ou d’aide aux personnes défavorisées ont vu leur effectif régresser tandis que prospéraient les associations sportives, culturelles ou de loisirs : le militantisme a fait place à la recherche de « l’épanouissement » personnel, c’est-à-dire à la société de consommation. La société actuelle se sépare entre libéralisme triomphant et altruisme minoritaire. Or ce n’est pas la compétition et l’individualisme qui nous permettront de faire face aux grandes crises écologiques émergentes. A mon avis, toute personne engagée dans le tissu associatif ne peut se contenter d’être un simple consommateur, ou alors il lui manque quelque chose. Le moteur de notre action individuelle devrait être la propagation de la confiance en autrui. Il nous faut toujours penser à accroître le capital social de notre société, il nous faut participer à ces réseaux qui facilitent la coopération, le travail en équipe, le partage des savoirs. Le capital social est une construction collective qui peut s’accumuler, mais qui a malheureusement fortement régressé avec l’expansion du libéralisme.

A chacun d’entre nous d’évaluer l’utilité des activités de loisirs qu’il ou elle pratique. Personnellement je me suis engagé dans le militantisme écolo quasiment à plein temps, c’est là où on a le plus besoin de nous.

(à suivre… demain sur ce blog biosphere)

Déjà paru :

On ne naît pas écolo, on le devient, introduction

Abécédaire, la façon la plus simple pour s’y retrouver

Abeille, qui ne pique que si on l’embête

Abondance, s’éloigne dès qu’on lui court après

Absolu, un mot à relativiser, un mot indispensable

Acteurs absents, dont on a eu tort d’ignorer l’existence

Adolescence, moment de révolte ou de soumission ?

Alcool, dur pour un écolo de refuser de trinquer !

Amour, une construction sociale trop orientée

Animal, une facette de notre humanité trop ignorée

Austérité, mot qui fait peur et pourtant source de bonheur

Barbe, un attribut des hommes qu’on voulait faire disparaître

Cannabis, une dépénalisation qui créerait l’usage

Chasse, activité dénaturée par des chasseurs motorisés

Compétition, système inhumain au service d’une société inhumaine

Croissance, l’objectif économique le plus débile que je connaisse

Démographie, le problème central qui est systématiquement ignoré

Devoir, la contre-partie nécessaire de nos droits

Doryphore, symbole d’une agriculture post-moderne

École obligatoire et gratuite, une entreprise de déculturation

Écologiste en devenir, notre avenir commun

Électricité, les inconvénients d’un avantage

Ethnologie, la leçon primordiale des aborigènes

Eugénisme, engendrer de bonne façon est-il condamnable ?

Euthanasie, mourir de belle manière comme heureuse conclusion

Féminisme, on ne naît pas femme, on le devient

Futur, il sera à l’image de notre passé !

Génériques, l’achat au meilleur rapport qualité/prix

Homoparentalité, la stérilité n’est pas une damnation

Interaction spéculaire, je fais ainsi parce que tu fais de même

IVG, une mauvaise expérience par manque d’expérience

Logement, une maison à la mesure de nos besoins réels

9 réflexions sur “Loisirs, particulariste ou universaliste ?”

  1. Esprit critique

    – « A chacun d’entre nous d’évaluer l’utilité des activités de loisirs qu’il ou elle pratique. Personnellement je me suis engagé dans le militantisme écolo quasiment à plein temps, c’est là où on a le plus besoin de nous.»

    Les loisirs on sait ce que c’est. Pour faire simple on dira que c’est le temps libre. Jouer aux échecs, ou à la pétanque, au foot etc. si ce n’est lire, écouter ou jouer de la musique, ou alors blablater, refaire le monde avec des amis, les voisins, militer etc. etc. etc. Après tout et comme je dis, à chacun sa came.
    Quant à dire si les loisirs devraient être de type universaliste plutôt que de type individualisme particulariste, encore faudrait-il d’abord s’entendre sur ce qu’est l’individualisme.
    Combien y a t-il de formes d’individualismes ? Qu’est ce que l’individualisme particulariste ? L’individualisme universaliste, l’individualisme aristocratique, l’universalisme égoïste, etc. etc.

    1. D'autre part

      Dire que c’est là, plus qu’ailleurs (si ce n’est et pas ailleurs…) qu’on a le plus besoin de nous… cela n’engage que celui qui le croit. C’est donc le risque de se tromper.
      Jouer aux échecs ou à des tas d’autres jeux «gentils», écolos etc. lire, jouer de la musique, etc. etc. je ne pense pas que ça puisse nuire à quiconque. Par contre la politique, le militantisme, le prosélytisme et j’en passe, là ce n’est plus pareil. Là il y a intérêt à ne pas se tromper. Et ne rien faire… c’est déjà éviter de se tromper.

    2. « Après tout et comme je dis, à chacun sa came. »
      Après il y a aussi ceux qui prennent leur came mais ne l’assume pas derrière ! Ce sont les contribuables qui ramassent les excès de ces individus par l’assistanat ! Bref, il y a certaines cames où il faut imposer des limites !

      1. Esprit critique

        On parle ici des loisirs, je ne vois donc pas ce que les contribuables et l’assistanat viennent faire là dedans. La came dont je parle est une image, je peux dire aussi bien à chacun son truc, ou son dada. Je parle là de l’homéostasie, de cet équilibre vital que chacun doit trouver d’une manière ou d’une autre, s’il veut continuer à vivre. (Lire Henri Laborit)

  2. Si vous cherchez des jeux qui utilisent peu de ressources naturelles et qui sont à l’ère du temps, alors rien de mieux que de bonnes parties de jeux de rôle ! D’autant que les joueurs apprennent à coopérer face à de multitudes de situations. Des jeux de rôle il y en a pour tous les goûts, on peut aussi bien interpréter des personnages à l’Antiquité, le Moyen âge, la renaissance, l’ère industriel, contemporain etc. Juste quelques livres, des feuilles de papier pour les personnages et quelques dés, pour un ou plusieurs groupes de joueurs, le matériel servant plusieurs années, qui se comptent en décennies…

  3. Esprit critique

    – « Le jeu d’échecs élimine complètement l’existence du hasard, le gain ou la perte découle toujours d’une décision humaine, nous sommes les seuls responsables de l’issue de la partie.»

    Je n’ai rien contre le jeu d’échecs, si ce n’est que là encore il faut un perdant et un gagnant.
    Mais bon, je suppose qu’une grosse branlée aux échecs n’a jamais tué personne.
    Peut-on dire que le jeu d’échecs élimine complètement l’existence du hasard ?
    Si Michel Sourrouille est passionné d’échecs, comme d’autres le sont de chasse, de corrida etc. etc. ce n’est déjà que le fait du hasard. Si… son grand-père ne lui avait pas appris ce jeu là, si ceci et si cela etc. etc. alors peut-être que Michel Sourrouille serait aujourd’hui un grand passionné de chasse ou de corrida. Peut-être même un curé, ou je ne sais quoi.

    1. Une passion est directement liée à une disposition ou une capacité favorable, qui peut être physique comme intellectuelle, créatrice etc. Certes le milieu joue un rôle important dans tout ça.
      On dit que ce n’est pas par hasard si les enfants d’intellectuels sont plus doués etc.
      Certes. Seulement là derrière il y a encore le hasard, notamment celui qui nous a fait naitre ici plutôt que là, en 1947 plutôt qu’en 1977 etc. Et pour ce qui est de l’issue de la partie, d’échecs ou de n’importe quoi, eh bien c’est toujours pareil. Mais bon, en attendant, on sait qu’un percheron, aussi bien entraîné qu’il soit, ne gagnera jamais à Longchamp.

    2. Parti d'en rire

      En fait le hasard c’est comme Dieu. Je ne dis pas que le hasard c’est Dieu, ni que Dieu c’est le hasard qui se balade incognito, ça c’est Einstein qui l’a dit.
      Je dis seulement que le hasard fait partie de ces choses dont finalement on ne peut pas dire grand chose de sérieux.
      En attendant, si ce jeu là peut nous apprendre à perdre… alors vive les échecs.

      1. Ni vu ni connu

        Je me dois quand même de corriger mon énooorme boulette.
        Einstein a dit : “Le hasard, c’est Dieu qui se promène incognito“. Nuance !
        Quoique …

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