l’origine de la crise écologique

La conception de la nature développée par nos sociétés occidentales est à l’origine de la crise écologique. C’est ce qu’affirme un ouvrage collectif (Crise écologique, crise des valeurs) cité par LeMonde du 21-22 février. Cette analyse nous paraît justifiée ; elle est déjà ancienne, mais les élites françaises sont assez réactionnaire en matière d’écologie. Quelques points de vue prémonitoires:

1946, Almanach d’un comté des sables d’Aldo LEOPOLD : « Il n’existe pas à ce jour d’éthique chargée de définir les relations de l’homme à la terre, ni aux animaux, ni aux plantes qui vivent dessus. Une éthique (écologiquement parlant) est une limite imposée à la liberté d’agir dans la lutte pour l’existence. Il faut valoriser une éthique de la terre et montrer sa conviction quant à la responsabilité individuelle face à la santé de la terre, c’est-à-dire sa capacité à se renouveler elle-même. L’écologie, c’est cet effort pour comprendre et respecter cette capacité. La relation à la terre est actuellement une relation de propriété comportant des droits, mais pas de devoirs. D’ailleurs pour l’homme des villes, il n’y a plus de relation vitale à la terre. Lâchez-le une journée dans la nature, si l’endroit n’est pas un terrain de golfe ou un « site pittoresque », il s’ennuiera profondément. »

1948, La planète au pillage Fairfield OSBORN : « La terre aujourd’hui appartient à l’homme et par là se trouve posé le problème de savoir quelles obligations peuvent accompagner cette possession sans limites. La propriété privée des ressources naturelles d’un pays ne se justifie sur le plan moral que si ces ressources sont exploitées par leur propriétaire de façon conforme à l’intérêt général de la nation. Il n’y a rien de révolutionnaire dans l’idée que les ressources renouvelables appartiennent en réalité à toute la nation et que l’usage fait de la terre doit être partie intégrante d’un plan d’ensemble bien coordonné. les cours d’économie politique, travaux publics, sociologie, etc. prendraient une vie nouvelle si l’on y faisait figurer des considérations bien comprises sur les relations de l’homme avec le milieu physique dans lequel il est appelé à vivre. Une seule solution est possible : l’homme doit  reconnaître la nécessité où il se trouve de collaborer avec la nature. »

1955, Tristes tropiques de Claude LEVI-STRAUSS: « Comme l’autorité de l’homme sur la nature restait (jusqu’à présent) très réduite, il se trouvait protégé – et dans une certaine mesure affranchi – par le coussin amortisseur de ses rêves. Au fur et à mesure que ceux-ci se transformaient en connaissance, la puissance de l’homme s’est accrue Mais cette puissance dont nous tirons tant d’orgueil, qu’est-elle en vérité ? Rousseau avait sans doute raison de croire qu’il eût mieux valu que l’humanité tint « un juste milieu entre l’indolence de l’état primitif et la pétulante activité de notre amour-propre » ; que cet état était « le meilleur à l’homme » et que, pour l’en sortir, il a fallu « quelque funeste hasard » où l’on peut reconnaître l’avènement de la civilisation mécanique. A mieux connaître les autres sociétés, nous gagnons un moyen de nous détacher de la nôtre, non point que celle-ci soit absolument ou seule mauvaise, mais parce que c’est la seule dont nous devrions nous affranchir. »

10 réflexions sur “l’origine de la crise écologique”

  1. En 2004, la convention de Stockholm classait le DDT (polluant organique persistant) parmi les polluants pouvant être encore utilisés avec des « buts acceptables ». En 2006, pour lutter contre le paludisme, l’OMS recommandait la pulvérisation à l’intérieur des habitations.
    En 2010, L’OMS est sur le point de faire volte-face : des études épidémiologiques concordantes permettent d’établir un line entre exposition au DDT et cancers. De plus le DDT ne reste pas sur les seules surfaces traitées, mais pollue durablement le sol, l’air, l’eau et les aliments. Enfin certaines espèces de moustiques résistent au DDT dans un nombre croissant.
    (LeMonde du 1er décembre 2010)

  2. Francois Lambert

    J’ai commandé le bouquin (que je dois recevoir dans qques jours…grande impatience donc) et je suis tombé sur ce blog.
    L’éradication du paludisme est un fantasme des années 50-60 qui était voué à l’échec du fait du développement inévitable de la résistance des anophèles (moustiques) aux insecticides (et notamment au DDT) et du plasmodium (parasite) aux anti-malariques. Mettre plusieurs millions de morts sur le dos d’une seule personne me semble également plutôt simpliste…
    La plupart des experts pensent que le contrôle du paludisme a connu l’échec justement parce qu’on a pensé avoir la suprématie technique pour l’éradiquer. Ce fantasme d’hier pourrait recommencer aujourd’hui avec un espoir démesuré dans un possible vaccin. La malaria est beaucoup plus complexe que la variole, avec une multiplicité de réservoirs animaux et du fait des cycles hôtes/vecteurs. On peut espérer contrôler la maladie par un ensemble de mesures peu spectaculaires sur le plan technique (moustiquaires, éradication des eaux stagnantes en ville, hygiène, aproches biologiques, à côté d’une utilisation raisonnée des pesticides) mais peu évidentes à mettre en pratique, aujourd’hui comme hier (et peut-être encore plus difficile aujourd’hui étant donné la situation économique de l’Afrique). Rien de nouveau: dans notre monde occidental, la mesure la plus efficace pour contrôler les infections hospitalières reste le lavage des mains…
    François Lambert, Dr Sc

  3. Le problème n’est pas l’interdiction du DDT dans l’agriculture, que je ne citique pas, mais dans la démoustication.

  4. @ Avispartagé
    Printemps silencieux fut conçu le jour où Rachel Carson reçut une lettre d’une femme du Massachusetts qui lui disait que le DDT tuait les oiseaux. En 1962, lorsque le livre est paru, le mot « environnement » n’existait tout simplement pas dans le vocabulaire des politiques publiques. Bien évidemment, le livre et son auteur (biologiste) se sont heurtés à une énorme résistance de la part de ceux à qui la pollution rapporte. Comme Rachel était une femme, l’essentiel de la critique qui lui fut adressée jouait sur les stéréotypes de son sexe. « Immonde » nous paraît une nouveauté sémantique. On devait s’attendre aux attaques des puissances économiques, mais l’Association médicale américaine a pris comme vous, Avispartagé, fait et cause pour les industries chimiques.
    Depuis la publication de Printemps silencieux, l’usage des pesticides dans l’agriculture a doublé, pour atteindre 1,1 milliard de tonnes par an. En effet, en établissant les niveaux de sûreté d’un pesticide, le gouvernement prend en compte non seulement leur toxicité, mais également le bénéfice économique qu’il fournit. Le système actuel est un pari faustien, nous sommes gagnants à court terme, au prix d’une tragédie à long terme : les « nuisibles » s’adaptent en général par mutation, et les produits chimiques deviennent impuissants.
    Le DDT est donc impuissant à long terme, mais il est encore utilisé.

  5. Oui, Rachel Carson : plus grand criminel contre l’humanité, plusieurs dizaine de millions de morts du paludisme, surtout des enfants, du fait de l’interdiction du DDT qu’on lui doit.

    Levi-Strauss : un grand anthropologue qui, par empathie et mimétisme bien compréhensibles, a fini par quasiment adopter l’animisme de ses objets d’études.

    Guy Debord, un mec marrant, un poète d’une certaine façon et un grand styliste, à ne surtout pas prendre au sérieux, sous risque de faire sombrer l’humanité dans le chaos et la misère la plus complète.

    Vous voyez, à part l’immonde Rachel Carson, je ne dis pas que du mal de vos références.

  6. Biosphère se commente lui-même à tire-larigot et censure les commentateurs qui ne pensent pas comme lui. Merveilleux !

    Comme on plaisantait dans ma jeunesse : « C’est mon avis et je le partage ! »


    Remarque de la modératrice du blog biosphere :

    Sur ce blog comme pour tout autre blog sérieux, l’expression est libre quand elle est fondée. Nous avons cependant conservé le message ci-dessus qui ne fait en rien avancer le libre-débat. Nous espérons en effet que « Avispartagé » aura la prochaine fois quelque chose à dire de constructif sur Aldo Leopold ou Fairfield Osborn ou Claude Lévi-Strauss ou Rachel Carson, etc.

  7. L’opulence n’a jamais existé que dans certaines sociétés dites « primitives » dans lesquelles les besoins individuels étaient définis une fois pour toutes, la production ne visant qu’à satisfaire ces besoins limités. Notre système actuel d’enrichissement, loin de favoriser l’opulence, n’existe et ne progresse qu’en créant de la rareté. Les travailleurs acceptent alors de se soumettre à l’impératif de production et à sa conséquence : produire toujours davantage. De même le progrès technique n’a aucun sens, en lui-même ; il n’a de sens que par rapport à la société qui le réalise. Nos pans de béton indestructibles, nos satellites-espions et nos voitures de course paraîtront certainement sans le moindre intérêt pratique pour les générations futures qui vivront autrement que nous.

    François Partant (Que la crise s’aggrave, 1979)

  8. L’époque qui a tous les moyens techniques d’altérer absolument les conditions de la vie sur toute la Terre est également l’époque qui, par le même développement technique et scientifique séparé, dispose de tous les moyens de contrôle et de prévision pour mesurer exactement où mène la croissance automatique des forces productives aliénées, c’est-à-dire pour mesurer la dégradation rapide des conditions mêmes de la survie. Une société toujours plus malade, mais toujours plus puissante, a recréé partout concrètement le monde comme décor de sa maladie, en tant que planète malade.

    Guy Debord (La planète malade, 1971)

  9. Voici maintenant rompue la vieille alliance de la Genèse entre l’homme et la création et surgit, toute proche, la menace de l’Apocalypse. La crise de civilisation est désormais ouverte par la dilapidation des richesses naturelles. C’est une étape nouvelle – et sans doute la dernière – dans les relations de l’Humanité avec la Nature. Nous sommes maintenant entrés dans l’âge de la Nature, nouvelle époque où la rareté et la fragilité de l’espace naturel deviennent le problème dramatique pour l’avenir de l’homme et sa survie. C’est un tournant historique dans les relations d’affrontement entre ces deux systèmes vivants : le monde de l’homme et celui de la Nature. Il ne s’agit plus aujourd’hui de protéger l’homme contre la Nature mais la Nature contre l’homme, contre le débordement de puissance et de vitalité de l’espèce humaine, afin qu’elle n’en vienne pas, en détruisant la Nature, à se détruire elle-même.

    Philippe Saint Marc (Socialisation de la nature, 1971)

  10. Vouloir « contrôler la nature » est une arrogante prétention, née des insuffisances d’une biologie et d’une philosophie qui en sont encore à l’âge de Neandertal, où l’on pouvait encore croire la nature destinée à satisfaire le bon plaisir de l’homme. Les concepts et les pratiques de l’entomologie appliquée reflètent cet âge de pierre de la science. Le malheur est qu’une si primitive pensée dispose actuellement des moyens d’action les plus puissants, et que, en orientant ses armes contre les insectes, elle les pointe aussi contre la terre.

    Rachel Carson (Le Printemps silencieux,1962)

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