L’usage d’Internet, une arme de distraction massive

Les amphithéâtres à l’université sont devenus de vulgaires cybercafés. L’appareil connecté constitue une « arme de distraction massive » à l’égal des grandes messes sportives… qui sont d’ailleurs retransmises sur écran ! LE MONDE* récapitule les inconvénients du portable : « La perte d’attention en cours est plus rapide… La plupart des messages sur Internet constituent des distractions : visionnage de vidéos, jeux, discussion en ligne, consultation de sites Web amusants ou d’information, etc… Les étudiants qui prennent des notes avec un stylo et du papier ont de meilleurs résultats que ceux qui retranscrivent le cours sur ordinateur car cela se fait « sans discernement et de manière stupide »… Pour devenir un bon professionnel, il faut deux qualités, écouter et communiquer. C’est impossible avec un ordinateur… (Mais) face à ces objets trop séduisants, le combat n’est-il pas perdu d’avance pour l’enseignant ? »

Cette dérive de la connexion à tout va et en tout lieux ne sévit pas que dans les amphis. Que dire de ces réunions, même entre intimes, où l’on garde toujours un œil sur le smartphone, que dire de tous ces gens qui tapotent fébrilement pour ignorer la personne qui est à côté d’eux. Les écouteurs ferment la bulle, bientôt les lunettes connectées compléteront cet enfermement numérisé. Les écologistes depuis longtemps condamnent notre soumission à la technique. Ainsi ce livre de Jacques Ellul en 1988, Le bluff technologique, avant même l’intrusion du numérique  : « Pourquoi, alors que la technique présente tant d’effets négatifs, n’en prend-on pas conscience ? Le premier facteur qui joue dans le sens de l’oblitération est très simple : les résultats positifs d’une entreprise technique sont ressentis aussitôt alors que les effets négatifs se font toujours sentir à la longue. Il faut en second lieu tenir compte du paradoxe de Harvey Brooks : « Les coûts ou les risques d’une technique nouvelle ne sont souvent supportés que par une fraction limitée de la population totale alors que ses avantages sont largement diffusés. Le public ne sent rien (la pollution de l’air), ou ne sait rien (la pollution des nappes phréatiques). Les dangers sont très diffus et il ne paraît pas de lien de cause à effet évident entre telle technique et tels effets. Enfin un dernier facteur est à retenir : les avantages sont concrets, les inconvénients presque toujours abstraits. Bien souvent même le danger n’est accessible qu’à la suite de longs raisonnement, ainsi des effets psychosociologiques de la télévision. Il faudrait accepter d’avance le principe de faire une balance effective entre les avantages et tous les inconvénients, tant sur le plan de la structure des groupes sociaux que des effets psychologiques ! Impensable !

S’il y a une chance que l’homme puisse sortir de cet étau idéologico-matériel, il faut avant tout se garder d’une erreur qui consisterait à croire que l’individu est libre. Si nous avons la certitude que l’homme est bien libre en dernière instance de choisir son destin, de choisir entre le bien et le mal, de  choisir entre les multiples possibles qu’offrent les milliers de gadgets techniques, si nous croyons qu’il est libre d’aller coloniser l’espace pour tout recommencer, si… si… si…, alors nous sommes réellement perdus car la seule voie qui laisse un étroit passage, c’est que l’homme ait encore un niveau de conscience suffisant pour reconnaître qu’il descend, depuis un siècle, de marche en marche l’escalier de l’absolue nécessité. Oui nous sommes déterminés, mais non, en fait. Nous l’avons souvent dit, c’est lorsqu’il reconnaît sa non-liberté qu’alors il atteste par là sa liberté ! Ce système techno-industriel ne cesse de grandir et il n’y a pas d’exemple jusqu’ici de croissance qui n’atteigne son point de déséquilibre et de rupture. Nous devons donc nous attendre, même sans guerre atomique ou sans crise exceptionnelle, à un énorme désordre mondial qui se traduira par toutes les contradictions et tous les désarrois. Il faudrait que  ce soit le moins coûteux possible. Pour cela deux conditions : y être préparé en décelant les lignes de fracture, et découvrir que tout se jouera au niveau des qualités de l’individu. »

* LE MONDE du 19 septembre 2018, En amphi, l’ordinateur « arme de distraction massive »

3 réflexions sur “L’usage d’Internet, une arme de distraction massive”

  1. Les écrans hypnotisent, j’ai pu le constater plusieurs fois chez moi en discutant avec des gens, on discute et si la télé est allumée, ils ne vous écoutent pas vraiment ils sont hypnotisés par la télé même quand ce sont des pubs ou même des sujets qui ne les intéressent pas en temps normal, ben même ce qui ne les intéressent pas à la télé ils seront tout de même hypnotisés par l’écran. On est même pas 5% de la population a résister à l’appel de l’écran, ça a vraiment un effet hypnotique de zombification des masses….

  2. A force de s’appuyer sur des pouvoirs extérieurs à lui-même, il me semble qu’effectivement l’homme affaiblit ceux qui lui sont propres.
    Notre espèce est probablement bien moins résistante qu’elle ne l’était avant la généralisation de la médecine, nos yeux sont moins efficaces qu’avant la généralisation des lunettes, la protection qu’offre à nos corps tous les avantages de la vie moderne génère, au niveau de l’espèce, bien des inconvénients. Il semble en être de même au niveau des capacités cognitives, l’intelligence artificielle va effacer l’intelligence naturelle (même s’il y a des limites bien sûr).
    Tout à fait d’accord avec l’analyse de Jacques Ellul (sur la distinction entre les avantages visibles de court terme et les inconvénients plus cachés de long terme), j’ajouterais aussi la distinction entre l’individuel et le collectif. L’avantage global pour la société est loin d’être la somme des intérêts individuels, là aussi la médecine est un bon exemple.
    Je ne vois pas aujourd’hui de force capable de lutter contre cette dérive qui, à longue échéance, condamnera homo sapiens (qui, entre temps, aura lui-même condamné presque tous ses cousins animaux).

  3. Remarquable passage de Jacques Ellul. Merci Biosphère.
    Voilà déjà de quoi réfléchir sur notre liberté. Non pas celle de pouvoir choisir entre 50 marques de lessives ou 50 modèles de smartphones, mais celle qui fait de nous de véritables hommes (ou femmes).
    De quoi réfléchir également sur ces qualités de l’individu qui permettraient de limiter la casse. Non pas celles qui se couchent sur un CV ou qui s’exhibent par une quelconque médaille, mais celles qui font de nous de véritables hommes (ou femmes).

    Mais voilà, réfléchir ça fait trop mal à la tête. C’est justement pour nous libérer de cette contrainte qu’on nous offre TF1, Gala, Voici, Google etc. Et c’est également pour ça que nous avons inventé l’ intelligence artificielle et toutes ces misérables prothèses qui nous transforment toujours plus en zombies.

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