Mainmise de l’industrie sur nos repas : trop de sucre

Pour lutter contre les caries mais aussi l’obésité ou le diabète, l’Organisation mondiale de la santé avait recommandé début mars 2014 la limitation à moins de 10 % de la ration énergétique journalière la part des sucres ajoutés dans l’alimentation, soit 50 grammes de sucre ( 12 cuillères à café). Si tu prends un bol de céréales le matin, une cannette de boisson sucrée et un yaourt sucré, tu as déjà dépassé cette limite ! Mais ce n’est pas la protection de la santé qui fait les lois, c’est le lobbying des industriels. Voici quelques éléments de réflexion :

1/5) Les « sugar papers »
Après les « tobacco papers », les documents qui montrent comment les cigarettiers avaient dissimulé les méfaits du tabac, les « sugar papers ». Alors que les industriels du sucre connaissaient dès les années 1950 les effets délétères du sucre sur la santé buccale des enfants, les industriels ont promu et soutenu, dans les années 1960 et 1970, des programmes scientifiques « alternatifs », destinés à éviter toute réduction de la consommation. Mieux : ils ont orienté la politique publique de lutte contre les caries. Une action couronnée de succès. En 1966 le directeur du National Institute of Dental Research (NIDR), l’organe spécialisé des célèbres NIH (National Institutes of Health), propose « un programme accéléré afin d’éradiquer en dix ans les caries dentaires ». Il dispose de sérieuses bases scientifiques. La bactérie Streptococcus mutans perfore l’émail et le saccharose lui facilite la tâche. En octobre 1967, le NIDR veut donc modifier les habitudes alimentaires des enfants : moins de sucres. Alors les industriels américains lancent le « projet 269 », une série de « recherches », autant de pistes retenues en 1971 par le Programme national sur les caries, autant de voies qui s’avéreront sans issue au cours de la décennie suivante. Le programme national écarte en revanche toute idée de restreindre la consommation en sucre. Le NIDR a jugé dès 1969 cette éventualité « irréaliste ».
(LE MONDE du 12 mars 2015, Les industriels américains du sucre en accusation)

2/5) Interdisons les sodas, place à l’écologie responsable
L’industrie agroalimentaire remplace l’eau par des sodas et le régime alimentaire traditionnel par des produits trop riches en graisses, en hydrates de carbone et en sucre. Les multinationales provoquent une « transition nutritionnelle », la perte des modèles culturels à base de nourriture locale et de produits naturels. Que faire ? Boycotter Coca-Cola ? Un impôt sur les aliments trop riches en calories ? Une taxe sur les boissons sucrées ? Des ateliers de formation à une bonne alimentation ? Une interdiction de la publicité à destination des enfants ? Tout cela est et sera détourné par le poids des lobbies sur les politiques. Quand on est un écologiste responsable, il faut donc programmer l’interdiction des sodas dans un premier temps et à plus longue échéance de la nourriture industrielle. Place aux circuits de proximité et aux produits naturels…
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2014/01/08/interdisons-les-sodas-place-a-lecologie-responsable/

3/5) l’industrie invente le bliss point, le point de l’extase
8 avril 1999 : Devant une assistance de patrons (Nabisco, Kraft, General Mills, Mars, Coca-Cola, Procter & Gamble et Nestlé), James Behnke, docteur en sciences de l’alimentation, expose la situation : augmentation du pourcentage d’obèses dans la population, notamment chez les enfants, victimes de diabète, d’hypertension et de problèmes. L’orateur va jusqu’à comparer les méfaits de la malbouffe à ceux du tabac et exhorte les participants à diminuer l’usage du sel, du sucre et des graisses – les trois agents provocateurs de l’obésité. Stephen Sanger, le patron de General Mills, contre-attaque : « Ne me parlez pas de nutrition. Parlez-moi de goût et, si un produit a meilleur goût, n’essayez pas de me faire vendre autre chose qui a moins bon goût. » La messe était dite. C’est devenu un métier aux Etats-Unis : « optimiseur » de produit. Son objectif : trouver le bliss point, le point de l’extase, qui plonge l’usager dans la béatitude et lui en fait redemander. Ni trop ni pas assez de sucre, de sel ou de graisse.
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2013/05/13/un-tres-bon-article-du-monde-dans-un-magazine-pourri/

4/5) le consommateur n’est pas le roi
Comme les grandes firmes investissent, des années à l’avance, d’immenses capitaux, elles doivent s’assurer que la production de masse sera vendue. Le marché cède alors le pas à la filière inversée (JK Gabraith) : c’est l’offre qui régule la demande. Avec le système publicitaire, la main invisible (Adam Smith) s’est transformée en matraque omniprésente. Il s’agit dorénavant d’une société bureaucratique de consommation dirigée. Pour correspondre aux impératifs d’une production standardisée, les publicitaires ont homogénéisé et standardisé les populations. Il s’agit de faire travailler les masses une seconde fois à l’accumulation du capital, en les incitant à consommer à la maison ce qu’elles produisent à l’usine.
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2013/09/05/la-pub-nee-de-lindustrialisation-mourra-avec-elle/

5/5) Mieux valait vivre aux temps des chasseurs-cueilleurs
Un Bochiman, chasseur-cueilleur du Kalahari, a une espérance de vie en bonne santé meilleure que la nôtre. Les caries dentaires, presque inconnues chez les populations de chasseurs-cueilleurs du paléolithique supérieur, commencent à apparaître au début de l’holocène, il y a quelque 11 000 ans, avec la révolution néolithique. Marqué par la sédentarisation, l’augmentation de la démographie et l’apparition des strates sociales, la transition nutritionnelle du néolithique a également des effets sanitaires. Marquée par la maîtrise de l’élevage et de l’agriculture, cette « révolution » a vu l’augmentation rapide et inédite de la quantité de sucres dits « lents » dans l’alimentation, offerts par les céréales nouvellement domestiquées. Jamais en tout cas, depuis l’émergence de notre espèce, il y a 200 000 ans environ, Homo sapiens n’avait globalement été soumis à un régime alimentaire aussi riche en glucides. Outre l’apparition des caries, il y a un déclin général de la stature et de la taille de la dentition. Le tout associé à un déclin général de l’état de santé des individus, comme cela est suggéré par les restes humains.
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2012/02/04/mieux-vaudrait-vivre-au-paleolithique/

5 réflexions sur “Mainmise de l’industrie sur nos repas : trop de sucre”

  1. C’est vrai qu’il devient urgent de revoir notre alimentation ! Nous devons privilégier les produits bruts et bio mais aussi cuisiner nous-même. Les restaurants de collectivités ne proposent pas de produits sains alors qu’ils nourrissent nos enfants et nos ainés. Quant aux produits industriels, il faut les bannir !

  2. Bonjour José,

    En ce qui concerne la pression de sélection naturelle je crois qu’il faut faire une distinction entre la pression qui adapte l’évolution globale de l’espèce à des changements de conditions et celle qui continue de s’exercer sur chaque individu dés sa naissance (l’empêchant éventuellement d’atteindre l’âge de la reproduction) même dans les périodes calmes sans évolution climatique ou environnementale déterminantes

    Sur le premier plan, oui, les conditions changeant peu (pour l’instant) on peut admettre que la pression sur l’espèce est faible et qu’on retrouve là un phénomène qu’ont connu d’autres espèces, nous sommes en phase de pause après des phases plus dures et avant d’autres qui les seront de nouveau. La théorie des équilibres ponctués me semble séduisante.

    Sur le second plan toutefois, notre espèces se trouve dans une situation très différente, car aujourd’hui les individus mêmes porteurs de faiblesses physiques notables (n’y voyez pas un jugement moral ou dévalorisant) ne sont plus soumis à cette sélection et donc, du point de vue génétique peuvent transmettre ces faiblesses à leurs descendants (quand elles sont d’ordre génétique bien sûr).

    Ainsi aujourd’hui, l’augmentation du nombre de myopes est liée, certes au mode de vie – on regarde de près plus souvent que de loin désormais dans la vie quotidienne – , mais aussi au fait qu’une forte myopie n’est plus un handicap rédhibitoire comme elle le fut auparavant.

    Ce qui est vrai pour la myopie l’est pour beaucoup d’autres choses. Beaucoup de mécanismes de défense de l’organisme (ne serait ce que la force physique ou la résistance à certaines maladies) ne constituent plus des avantages et ne sont donc plus sélectionnés. Nous dépendrons de plus en plus de la médecine et de moins en moins de nos propres forces. Le jour où la société ne pourra plus assumer de lourdes charges en matière de soins, il est possible que la vie de beaucoup d’entre nous soient menacée.

    Je suis bien conscient du caractère dérangeant du point de vue que je défends et je ne fais pas un adversaire de la médecine dont je suis heureux à titre personnel de bénéficier comme chacun d’entre nous. Toutefois cela ne saurait me faire oublier que le problème se pose et que peut-être un jour l’humanité le paiera cher.

    Quant à la question que vous posez à la fin de votre commentaire, je ne saurais y répondre, je crois que de toute façon l’humanité ne fait preuve ni d’anticipation ni de volonté collective, les choses arriveront et selon moi nous avons un certain nombre de (mal)chances de faire partie de la prochaine charrette comme vous dites.

  3. @Didier
    Certes l’espèce humaine ne semble plus se soumettre à la sélection naturelle,mais cela n’est-il pas conforme à une théorie plus large, où la sélection naturelle reste le moteur majeur? Ce qu’avaient observé Gould et Eldredge, c’est justement que la pression de sélection n’est pas constante, et qu’il existe des phases pendant lesquelles elle est presque à l’arrêt, intercalées avec des périodes d’intense remaniement, dues généralement à un épuisement de la ressource sur laquelle l’espèce s’est épanouie (équilibres ponctués). Quand les conditions de ressources sont favorables, pourquoi y aurait-il évolution? Loin de nous démarquer des espèces qui nous ont précédés, nous avons trouvé des moyens nouveaux d’exploiter des ressources naturelles, et la sélection a marqué une pause à laquelle une pénurie pourrait mettre fin, dans quelques instants à l’échelle géologique. Ce ne serait ni le premier, ni le dernier de ces événements. Reste à savoir si nous préférons enfin faire usage de notre intelligence pour faire échec à la théorie, ou faire partie de la prochaine charrette.

  4. Toute société sécrète ses poisons. En ce qui concerne le chasseur-cueilleur, les études anthropologiques déstabilisent le mythe du bon sauvage. Même si ce n’est pas une généralité, la violence intraspécifique est très présente et d’une ampleur surprenante: voir l’intervention de Kim Hill
    « CARTA: Violence in Human Evolution–Kim Hill: Male Violence Among Aché and Hiwi Hunter-Gatherers  » sur youtube.
    Toutefois cette violence est beaucoup moins présente chez les nomades.

  5. L’une des cause de la dégradation à terme de l’espèce humaine est probablement liée au fait qu’elle ne se soumet plus à la sélection naturelle. Ce qui au niveau de l’individu nous a presque tous sauvé la vie et semble humainement très souhaitable est probablement au niveau de l’espèce une catastrophe. Tous les merveilleux mécanismes de défense du corps humains ne sont plus sélectionnés aujourd’hui et à terme cela pourrait amener à un effondrement. Imaginons un brusque écroulement sociétal et donc l’écroulement concomitant de toutes les structures médicales, beaucoup d’entre nous se trouveraient dans une situation catastrophique. C’est une question très difficile à aborder. Mais nous avons là très clairement joué avec les mécanismes naturels et pourrions le payer. Que faire ? La médecine pourrait être ce qui a conduit l’humanité à être globalement et à long terme plus fragile (alors même qu’à court terme on a évidemment le sentiment du contraire)
    En ce qui concerne les comparaisons avec les chasseurs cueilleurs prénéolithiques, il faut toutefois distinguer ceux qui vivent dans des conditions climatiques plus faciles (climat chaud) et ceux qui vivaient dans des territoires tels ceux où se trouve la France. L’existence de l’hiver, rendait concrètement la vie très très dure (imaginez vivre sans chauffage plusieurs jours de suite à – 10 C°)

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