manifeste pour une société écologique

1/4) crise écologique, déclin social

Sous l’impact d’un système aveuglément productiviste et violemment inégalitaire, le train du progrès s’égare. Le système actuel de création et de redistribution des richesses ne fonctionne plus, provoquant tout à la fois prédations du vivant et déchirures sociales, déséquilibres et discriminations, pollutions et récessions. Nous sommes parvenus à ce moment clé où la croissance, moteur de l’histoire moderne, a atteint la frontière du possible. L’insoutenable est là, inscrit dans les réalités physiques de la planète, la dilution des solidarités et les souffrances des populations : les modes de production et les standards de vie, indexés sur l’imaginaire de la démesure et la boulimie des privilégiés, soumis à la surenchère de la marchandisation et de l’endettement massif, entraînent une consommation de ressources excédant leurs capacités de renouvellement.

Les conséquences sont sans appel : les modèles économiques et les équilibres sociaux d’hier ne résistent pas aux sols qui s’épuisent, aux fleuves et aux mers qui se dépeuplent, aux forêts qui reculent et aux déserts qui avancent, aux séquences brutales d’inondations et de sécheresses consécutives au réchauffement climatique, à la disparition des biotopes et à l’érosion de la diversité des espèces, à l’empoisonnement des airs et des eaux, à la violence d’un mode d’urbanisation massif et ségrégatif. La conjonction des crises provoque un déséquilibre majeur des fondamentaux de la vie et de la culture. Au point que le spectre d’un collapsus historique sans précédent hante l’avenir : celui d’un déclin écologique, économique et social, brutal et simultané.

2/4) l’échec du capitalisme et du socialisme

Le capitalisme renforce chaque jour une logique construite sur l’endettement, la précarité de l’emploi et l’augmentation de l’empreinte écologique. Le socialisme étatique et productiviste, de son coté, a fait tragiquement long feu, définitivement sorti de l’histoire par la confrontation au réel, ayant échoué à mettre en application ses valeurs dans l’exercice du pouvoir. La plupart des forces de gauche, issues du XIXe siècle, oscillent entre repli sectaire et accompagnement gestionnaire.

Les deux grands courants idéologiques engendrés par la révolution industrielle sont désormais à bout de souffle ; le credo productiviste, produire plus pour consommer plus et stimuler la croissance, constitue leur matrice commune. Alors, face au vertige, replis identitaires et réactionnaires s’affirment de plus en plus : peurs, violences, conflits, exclusions, nationalismes exacerbés, xénophobies, racismes, machismes… La tentation d’un retour aux âges obscurs frappe à la porte de la modernité.

3/4) l’écologie politique comme solution

Nous refusons d’assister passivement au scénario d’une nature qui s’épuise et de sociétés qui se désagrègent. Face à un monde fini, nous faisons le pari que les ressources de l’être humain, celles de l’intelligence et celles du cœur, elles, sont infinies. La métamorphose viendra du foisonnement des initiatives citoyennes, pour autant qu’elles se renforcent en faisant réseau et qu’elles s’articulent avec des politiques menées sur tous les terrains, y compris institutionnels. C’est, à ce moment de l’histoire, la responsabilité des écologistes. La nouvelle offre politique de l’écologie propose de transformer progressivement les structures collectives et les comportements individuels. Elle s’applique aussi bien aux activités qu’aux habitudes, aux modes de production qu’aux manières de vivre. Elle modifie les liens sociaux autant que les consommations. Elle remet la science et les technologies au service des besoins humains. Cette mutation n’est inscrite dans aucun catéchisme doctrinaire ni manuel de guérilla.

Pour convaincre la majorité de la société et rassembler des alliés, les écologistes privilégient la longue marche de la réforme tolérante, les compromis sur les nouvelles formes de régulation, les convergences démocratiques autour des transitions, le tissage patient des imaginations et des rêves, une passerelle entre les nécessités de la biosphère et les besoins sociaux. Nous refusons tout ce qui, comme l’envahissement publicitaire ou le fétichisme technologique, contribue à consolider l’aveuglement du sans limite dans l’imaginaire collectif. Au cours de décennies de luttes non violentes, les militants et les militantes se sont activement opposés à la guerre, au nucléaire, à l’appropriation des terres, à la destruction de la nature, aux injustices. Le projet écologiste promeut des logiques de coopération et de résolution non-violente des conflits, à l’opposé de la militarisation des relations internationales. Dans un monde contraint en ressources et de plus en plus fragile, il s’agit de parvenir à des relations les moins agressives possibles avec toutes les formes et les milieux de la vie terrestre, ce qui suppose une révision radicale des modes de production et de vie. Etant donné sa complexité et son ampleur, la mutation écologique de la société ne deviendra effective que si elle est partagée et mise en œuvre par le plus grand nombre. Si les gestes quotidiens n’accompagnent pas les réformes, si la révolution des comportements individuels ne relaie pas les bouleversements structurels, si les attitudes et les réflexes se crispent au lieu de se modifier, si les imaginaires restent colonisés, la mutation échouera.

L’écologie politique n’a pas vocation à devenir la branche supplémentaire d’un arbre déjà constitué, aussi vénérable fut-il, elle est à elle seule cet arbre, autonome, alternatif, un arbre qui entend faire forêt. La société écologique pose les fondements d’une organisation économique et sociale d’un autre type : à la démesure, les écologistes opposent la conscience des limites et la modération ; aux mécanismes marchands, à la course au profit et aux gaspillages, une régulation fondée sur la durabilité des écosystèmes et les besoins sociaux ; à la pulsion dominatrice sur la nature, la sanctuarisation du vivant et des équilibres naturels garantissant la diversité biologique ; au dogme de la croissance infinie, la décroissance des excès ; à la gloutonnerie en énergie et matières premières, la réparation, le recyclage, la réutilisation ; à la gabegie productiviste et avare en emplois, la reconversion et la relocalisation industrielle et agricole ; au libre échange planétaire, la proximité et les circuits courts ; au talon de fer de la concurrence, le commerce équitable et la mutualisation ; au travailler toujours plus, la réduction et le partage du temps de travail ; à la sacralisation de la valeur travail, la gratuité des biens fondamentaux, la valorisation du temps libre et de l’autonomie ; à la fuite en avant technologique et nucléaire, la sobriété énergétique, les énergies renouvelables et des solutions maîtrisables et décentralisées ; à l’extension de l’étalement urbain et des mégalopoles concentrationnaires, une nouvelle urbanité dynamisant le lien social ; aux dérives de l’endettement aveugle, la prudence du recours au crédit ; au règne de l’argent et de l’accumulation, la redistribution et le partage ; à la standardisation, la diversité ; à la concurrence, la coopération ; à la compétitivité, l’accomplissement personnel.

4/4) les conditions d’une coopération avec la gauche

Conjuguant innovation et tradition, radicalité et précaution, nature et société, le projet écologiste concourt au dépassement des catégories progressistes et conservatrices qui, jusqu’à présent, ont monopolisé l’histoire. C’est, plus exactement, une réponse politique ajustée à l’écosystème fragile de la planète. Les écologistes ne renonceront jamais à convaincre que, si l’on ne naît pas écologiste, on peut le devenir. A droite, à gauche ou au centre, beaucoup se disent maintenant convaincus de l’importance de la question écologique. C’est un effet spectaculaire de l’impact de la crise. Les écologistes n’ont pas de raison de douter de la sincérité des évolutions individuelles. Ils s’en réjouissent même. Mais force est de constater que, dans les programmes et les décisions des formations de droite, de gauche ou du centre, l’intégration de la question écologique apparaît plus comme une posture d’opportunité, une concession à l’air du temps, une catégorie parmi d’autres, que comme un véritable tournant. L’écologie politique a donc toute raison de revendiquer son autonomie, refusant de devenir une force d’appoint assignée à la sous-traitance ou au supplément d’âme.

Mais autonomie n’est pas isolement. Il nous faut donc construire des majorités d’idées en cherchant en permanence des partenariats avec d’autres forces politiques et plus largement avec les organisations et les mouvements sociaux concernés, à travers des pactes ponctuels, sectoriels ou régionaux, démarche pouvant se prolonger jusqu’à conclure des accords de gouvernement ou de mandature. A priori personne n’est exclu. Les écologistes n’exigent aucun passeport idéologique si l’accord intervient sur l’essentiel du projet de société. Mais le poids de l’histoire et la réalité politique obligent à constater que l’attachement des partis de droite aux formes les plus sauvages du libéralisme, vecteur privilégié de l’approfondissement des crises, dogme idéologique et système économico-social rigoureusement incompatibles avec la mutation écologique, rend les rapprochements impossibles. Les écologistes ne se laisseront jamais enfermer dans des opérations de dilution de leur projet dans les méandres du capitalisme vert.

L’écologie politique est donc conduite à envisager ses alliances avec la social-démocratie et les partis qui se réclament de la gauche. Cela ne va pas de soi. Certes, des sensibilités voisines sur les questions de droits humains et de justice sociale, confortées par des complicités militantes et des proximités historiques, ont conduit les écologistes à collaborer souvent étroitement avec les forces de gauche. Des valeurs se croisent, des objectifs convergent. L’écologie politique ne sera jamais neutre vis-à-vis du clivage droite-gauche quand il s’agit de choisir entre des politiques qui favorisent les privilégiés et celles qui se préoccupent des démunis. Pour autant, les écologistes et les gauches ne sont pas des alliés naturels. Ils n’ont pas le même ancrage historique et ne s’inscrivent pas dans le même horizon. Marqués comme la droite au fer rouge du productivisme, fascinés par ses fétiches et ses addictions, la social-démocratie et les courants marxistes restent éloignés de l’essentiel du paradigme écologiste. Les écologistes souhaitent les convaincre de changer d’orientation. Mais ils n’ont pas vocation à épouser une doctrine qui n’est pas la leur en y introduisant un peu de vitamine verte.

En l’état actuel des projets respectifs, l’écologie politique n’est pas candidate à une union de la gauche où son identité se dissoudrait. Elle est néanmoins prête à des contrats de partenariats avec les gauches disposées à aller aussi loin que possible vers la transformation écologique et sociale de la société.

Pour le texte complet qui accompagne la création d’EELV en novembre 2010 :

http://www.eelv.fr/le-rassemblement/5277-manifeste-pour-une-societe-ecologique/