Municipalisme, tout le pouvoir au local ?

Le municipalisme, c’est un mode d’organisation politique qui vise la réappropriation collective des institutions locales par les habitants, notamment le recours à des pratiques de démocratie radicale. Son objectif est de transformer la société par le bas. De la Grèce antique à la Commune de Paris en passant par les cités médiévales italiennes, le municipalisme s’inscrit dans l’histoire même de la démocratie. L’expression théorique la plus aboutie en est proposée par le philosophe et militant américain Murray Bookchin (1921-2006), qui introduit l’idée de « municipalisme libertaire », associée étroitement à celle d’« écologie sociale ». Le mouvement oscille entre deux grandes tendances : d’un côté, un courant réformiste qui relève d’un projet social démocrate sans remettre en question le fait que la municipalité détienne sa légitimité politique en vertu de cet Etat ». De l’autre, une option plus radicale qui s’oppose à l’idée même d’État, alors remplacé par une confédération des communes libres et auto-gérées.

La position d’Yves Cochet rejoindrait cette deuxième option : « Je n’ai plus l’espoir que des protocoles internationaux, des règlements européens, ou des lois nationales puissent réguler suffisamment à temps le déferlement des dégradations anthropocéniques. Donc : tout le pouvoir au local ! Il n’y a que localement que les communautés humaines pourront devenir plus résilientes, notamment en matière d’énergie et d’alimentation. Mais aussi en matière de sécurité, de liberté, d’égalité et de fraternité. Il s’agit donc de construire localement, de petits états-providence, des États simples locaux. Parmi les multiples expériences de pensée ou d’action actuelles en matière de résilience locale, je retiendrai trois d’entre elles : l’écomunicipalisme, les villes en transition et les biorégions. L’écomunicipalisme de Murray Bookchin est le plus directement politique. D’une part en visant la délibération et l’adhésion de tous les habitants d’un territoire vers un projet de vivre-ensemble, d’autre part en construisant une économie locale hors-marché, caractérisée par les principes de réciprocité, d’indépendance et d’égalité. » Voici ce qu’il en est des application du municipalisme :

A Saillans, ville pionnière de 1 300 habitants et laboratoire de la participation citoyenne, les habitants ont élu en 2014 leurs représentants sur l’engagement de mettre en place une gouvernance collégiale et participative, après avoir fait échouer l’implantation d’un supermarché. Les élus ont déployé une impressionnante panoplie d’outils de participation afin de faire monter les gens en compétences, donner des outils, apporter tous les éléments du débat avant de prendre une décision. Ce qui n’a pas empêché le rejet ou la lassitude d’une partie des habitants, après deux premières années euphoriques. La question de la représentation est centrale. Comment déterminer que les habitants présents aux assemblées sont bien représentatifs de la population et empêcher que le pouvoir soit capté par ceux qui ont le temps ou ceux qui sont militants ? On peut y voir un risque d’accentuer la dépossession démocratique. A Saillans, le conseil municipal est toujours resté décisionnaire. Sur les grands choix, les projets d’avenir, c’est important de demander l’avis, de consolider la transparence. Mais une commune ne peut pas marcher qu’en participatif. A un moment donné, il faut une délégation, l’efficacité du processus de prise de décision, notamment au regard de l’urgence écologique : l’élaboration du plan local d’urbanisme, pilotée pendant deux ans par un comité composé d’habitants tirés au sort et d’élus, a conduit à des compromis qui soulèvent des frustrations. Des décisions que l’équipe municipale aurait pu prendre dans le cadre d’un dispositif classique n’ont pas abouti du fait d’avoir consulté la population. S’il faut « redonner du pouvoir aux communes », abonde Dominique Bourg, celles-ci « ne pourront malheureusement faire qu’une partie du chemin. Les biens communs que sont l’atmosphère ou la diversité du vivant nécessitent une gouvernance globale, qui doit s’appuyer sur une synergie entre les différentes échelles : locale, nationale, supranationale. Et on en est encore loin »*.

Pour en savoir plus, Relocalisations pour une décroissance

* LE MONDE du 8 février 2020, Municipalisme, ou la commune au pouvoir

1 réflexion sur “Municipalisme, tout le pouvoir au local ?”

  1. L’exemple de Saillans nous montre hélas les limites de ce municipalisme ou «participalisme». Et pourtant Saillans ne compte que 12 ou 13.00 habitants. Là encore c’est tout beau au début et puis vite on déchante. Là encore, face aux difficultés on se déchire, on se divise, les «néos» d’un côté et les «natifs» de l’autre etc. Et on revient toujours à la case départ. Ou presque.
    Parce qu’une expérience, même ratée, nous apprend toujours quelque chose. Si je suis de nature pessimiste, je peux alors penser qu’il est vain de poursuivre dans ce sens. Et au contraire, si je suis optimiste je peux toujours penser que «plus ça rate et plus on de chances de réussir». Reconnaissons que ce ne sont pas les Shadocks qui manquent. De toute façon il sera toujours plus facile de tirer des leçons d’une expérience réussie que d’une ratée. En attendant, je pense qu’au lieu de désespérer il vaut mieux s’interroger sur les échecs de toutes ces tentatives, comme les phalanstères, ou encore comme Saillans.

Les commentaires sont fermés.