Napoléon justifie la « fureur populaire »

Pour la réflexion de nos amis décroissants qui croient que la rupture écologique s’accomplira par la seule vertu des manifestations dans la rue et s’accompagnera nécessairement de non-violence absolue, cette pensée de Napoléon Bonaparte sur la nécessité de la terreur :

Mardi 3 septembre 1816. Après dîner, quelqu’un ayant mentionné la date du jour, l’empereur a dit : « c’est l’anniversaire d’exécutions bien épouvantables, bien hideuses [massacres de septembre 1792, lorsque les révolutionnaires exécutent dans les prisons les suspects de royalisme]. Cet événement, continua l’empereur, était dans la force des choses et dans l’esprit des hommes. Point de bouleversement politique sans fureur populaire. Comment dire à tous ceux qui remplissent toutes les administrations, possèdent toutes les charges, jouissent de toutes les fortunes : allez-vous-en ! Il est clair qu’ils se défendraient : il faut donc les frapper de terreur, les mettre en fuite, et c’est ce qu’ont fait la lanterne et les exécutions populaires. La terreur en France a commencé le 4 août. Lorsqu’on a aboli la noblesse, les dîmes, les féodalités, et qu’on a jeté tous ces débris au peuple, il se les est partagés, n’a plus voulu les perdre, et a tué. Alors seulement il a compris la Révolution, et s’y est vraiment intéressé. Jusque-là, il existait assez de morale et de dépendance religieuse parmi eux, pour qu’un grand nombre doutât que, sans le roi et les églises, la récolte pût venir comme de coutume. Règle générale : jamais de révolution sérieuse sans terreur.« 

Toutefois, concluait l’empereur, une révolution est un des plus grands maux dont le Ciel puisse affliger la Terre. C’est le fléau de la génération qui l’exécute ; tous les avantages qu’elle procure ne sauraient égaler le trouble dont elle remplit la vie. Elle enrichit les pauvres, qui ne sont point satisfaits, elle appauvrit les riches, qui ne sauraient l’oublier. Elle bouleverse tout, fait le malheur de tous, le bonheur de personne. Dans les temps réguliers et tranquilles, chacun a son bonheur. Le cordonnier est aussi heureux dans sa boutique que moi sur le trône ; le colonel jouit autant que le général. Les révolutions détruisent tout à l’instant même, et ne remplacent rien. Toute révolution de cette nature n’est et ne peut être, dans le principe, qu’une révolte. Le temps et le succès parviennent seuls à l’ennoblir, à la rendre légitime. La durée de l’autorité, nos victoires, nos traités, le rétablissement de nos mœurs avaient fait de nous un gouvernement régulier ; nous ne pouvions nous charger des mêmes fureurs ni du même odieux que la multitude. Mais on n’a pu y parvenir que par la terreur. 

5 réflexions sur “Napoléon justifie la « fureur populaire »”

  1. Esprit critique

    Tellement qu’il sent mauvais, ce texte de Napoléon nécessiterait des pages de commentaires.
    – « Dans les temps réguliers et tranquilles, chacun a son bonheur. Le cordonnier est aussi heureux dans sa boutique que moi sur le trône ; le colonel jouit autant que le général. »
    Bien entendu Napoléon n’a jamais lu le Meilleur des mondes, par contre l’auteur de la célèbre dystopie connaissait l’histoire du petit corse complexé.
    – « Pour son chien, tout homme est Napoléon. D’où la grande popularité des chiens.» (Aldous Huxley)

  2. Peut-être faut-il déjà ne pas confondre «fureur populaire» et terreur. Le mot terreur entendu ici dans le sens de terrorisme, qui désigne l’usage de la violence par certaines organisations politiques pour atteindre leurs objectifs. Le mot terrorisme (=> terroriste) apparait lors de la Révolution française avec le régime de la Terreur. L’usage de la terreur (épouvante) à des fins politiques est évidemment bien plus ancien.
    Napoléon était un dictateur, du moins dans le sens des dictateurs romains. Selon lui la Terreur est dans «la force des choses et dans l’esprit des hommes». De plus «Point de bouleversement politique sans fureur populaire […] Règle générale : jamais de révolution sérieuse sans terreur.» Heureusement l’Histoire nous montre qu’il peut en être autrement.

    1. Je ne sais plus qui a dit « Napoléon c’est Hitler sans la Shoah ». Bien sûr une telle affirmation met les fans du petit corse dans une fureur sans nom. En attendant, comme bien d’autres et encore aujourd’hui, Napoléon avait une sombre idée de la «nature humaine». Or de cette chose nous n’en savons finalement pas grand chose. Si ce n’est que l’homme est un animal social. La psychologie des foules reste une théorie, qui se perd dans une multitude de directions. Elle est issue de la psychologie sociale, la psychologie du «gros animal»… certes intéressante, mais.

  3. Didier BARTHES

    L’Histoire est un drame…. toujours, l’espèce est violente, le groupe est toujours source de menaces et de négations des droits.

    1. « L’histoire est un drame, chaque génération a son drame. Il y a des drames qui se terminent bien, d’autres qui se terminent très mal. Nous en savons quelque chose en ce siècle. » (Marc Fumaroli)

      Bonjour Didier Barthès. Un drame, une comédie… ça dépend du point de vue et du tempérament de celui qui juge, ici l’Histoire. On peut toujours penser que la foule (le «gros animal» de Platon) est plutôt bête. Mais heureusement pas toujours.
      La marche du sel en 1930, la marche sur Washington en 1963, ne sont là que deux exemples d’évènements ayant changé le monde (révolutions) sans pour autant avoir recours à la violence. Pensons également à tous ces évènements joyeux rassemblant des milliers de personnes. Même si personnellement je n’aime pas, je préfère de loin voir des milliers de gens faire la fête parce que les Bleus ou les Verts ont gagné, plutôt que les voir se battre et se déchaîner sur les uns ou les autres.

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