Nicolas Hulot et la PAYSANNERIE

Voici quelques extraits de la pensée de Nicolas Hulot  

Le grand désarroi tragique de l’homme moderne, c’est de ne plus être relié à rien. On ne sait plus comment pousse une betterave ! L’agriculture est un des domaines où nous avons opéré la plus grande transgression. L’homme a voulu se substituer à la nature. En l’espace de quelques décennies, il a détruit des milliards d’hectares de terres agricoles et les a transformés en une espèce de support mécanique inerte. Il est entré dans une spirale tragique consistant à injecter dans les sols toutes sortes de substances toxiques qui donnent un temps l’illusion d’une certaine productivité, mais qui sont très rapidement rattrapées par de multiples effets secondaires sanitaires et environnementaux. Les paysans ont aussi été dépossédés d’un droit ancestral : être propriétaires de leurs propres récoltes, et notamment de pouvoir en consacrer une partie au cycle de la reproduction de leurs propres graines. Les industries chimiques et pétrolières se sont organisées pour diviser ce monde en de grandes zones d’agriculture spécialisées qui ont atomisé le milieu agricole et ont conduit à un système totalement schizophrène de circuits longs, dans une débauche énergétique insensées qui occasionnent des externalités négatives considérables, émissions de CO2 notamment. Il a également détruit progressivement toues les cultures vivrières qui avaient mis deux millénaires à s’organiser. Il est temps que l’on cesse de créer des distorsions sur les marchés où, pour finir, l’agriculture vivrière locale est moins avantageuse que les produits d’importation…

Dans l’avant-propos du livre « L’impasse alimentaire ? », écrit par différents membres du Comité de veille écologique de la fondation NH, j’exposais les terme du débat : « On a abordé l’agriculture de manière dogmatique. Soit on rendu les agriculteurs responsables de tous les maux, oubliant qu’ils ne sont pour la plupart que des victimes d’un système pervers et aujourd’hui caduque. Soit on hésite à évoquer la problématique écologique, de peur de blesser une profession courageuse. Les deux attitudes sont aujourd’hui stériles et irresponsables. Il n’est pas davantage acceptables que, chez nous, l’agriculture soit une des principales sources de gaz à effet de serre quand on sait à quel point est grand le périls lié au changement climatique. On peut ajouter à cela le rôle joué par ce secteur dans l’érosion de la biodiversité. Les changements ou les adaptations qui s’imposent ne pourront être délégués aux seuls paysans, mais devront être pris en charge par les collectivité nationales et européennes. » L’urgence du changement est contenu par cette statistique évoquée par le livre : en juillet 1994, la revue Scientific American comparait les polycultures traditionnelles et les agricultures industrielles. Les premières produisent 100 unités de nourriture pour 5 unités d’intrant (de consommation) énergétique, les secondes ont besoin de 300 unités pour produire les mêmes 100 unités de nourriture. Je pense à une phrase d’Albert Einstein, « Le monde est dangereux à vivre. Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. » Comment puis-je agir ? Difficilement quand on n’est pas ministre de l’agriculture.

Le programme du présidentiable Macron donnait de grandes lignes : « Nous réunirons tous les acteurs de la filière alimentaire, producteurs, distributeurs et consommateurs, dans le cadre d’un “Grenelle de l’alimentation”. Nous y définirons un calendrier prévoyant l’élimination progressive des pesticides. Nous soutiendrons l’adoption d’exigences similaires au niveau européen, dans le but d’accélérer la mutation de la filière agroalimentaire. » L’agriculture intensive est destructrice et épuisante alors que l’agroécologie est beaucoup plus sophistiquée. Il s’agit d’une combinaison de l’intelligence humaine et de l’intelligence de la nature, la première s’inspirant de la seconde. Mais la préparation de ces États généraux de l’alimentation (EGA) lors de l’été 2017 m’échappe face à la volonté du ministre de l’agriculture de prendre la main sur cet événement. J’ai très mal vécu ce moment, la façon dont Stéphane Travert a pris les commandes de ce chantier m’a profondément énervé. J’ai une telle dissension avec Travert que je n’arrive plus à communiquer avec lui. Les propos de ce ministre, renvoyant dos à dos tous les modèles (intensifs, bio…) ne peuvent en fait servir d’orientation. Les producteur(rice)s bio de la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique (FNAB) dénoncent fin juillet 2017 un renoncement politique historique. Par décision du ministre de l’Agriculture, aucun budget pour les aides à l’agriculture biologique ne sera engagé dans les 3 prochaines années. Aucune nouvelle conversion biologique ne sera donc possible.

Le 11 octobre 2017, le chef de l’État concluait la première phase des EGA, limitée à la négociation des prix. Il a évoqué la nécessité de se doter d’un modèle agricole qui réponde aux objectifs de santé et d’environnement, l’agroécologie, le bien-être animal ou encore les choix absurdes faits sur les modes de production. J’espérais que ce discours fixerait une orientation, avec la perspective d’une loi sur ces questions, je croyais encore qu’il y aurait l’atterrissage politique que j’attendais. Mais je n’ai pas participé à la séance de clôture des EGA le 21 décembre 2017. J’étais furieux quand j’ai lu les conclusions que je n’ai découvert que dans le dossier de presse transmis seulement le 21 au matin. Il me fallait manifester clairement ma différence. Je ne vais pas aller faire le beau ou aller dire dans un micro que le compte n’y est pas. Cette phase 2 ne se traduisait pas en actions concrètes, avec des objectifs et des moyens précis. Stéphane Travert et Edouard Philippe ont tout fait dans leur coin. Ils n’ont pas tenu compte de ce que j’avais demandé. Ce n’était pas suffisamment conclusif et ce n’était donc pas pour moi le temps de conclure ; elles n’étaient pas raccord avec les déclarations du président de la République le 11 octobre. Rien n’a été retenu des propositions des ateliers. Le mot climat n’a même pas été prononcé. Ma volonté de faire de ce grand rendez-vous un tremplin pour modifier en profondeur le modèle agricole français s’est heurté au ministre de la FNSEA et au poids des lobbies de l’agro-industrie intensive.

En janvier 2018, lors de mes vœux à la presse, j’avoue : « Oui, ça frotte un peu avec mon collègue de l’Agriculture, Stéphane Travert. Mais nous reviendrons ensemble à l’ouvrage d’ici le Salon de l’agriculture», le 24 février. La très agro-industrielle FNSEA y présentera des alternatives au glyphosate lors du Salon. Attendons. » On ne peut avancer en se faisant des ennemis. Le 31 janvier 2018 en conseil des ministres, on présente en commun le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans la filière agro-alimentaire. En clair il s’agit de faire pencher la balance en faveur du revenu des agriculteurs. La future loi agriculture et alimentation, c’est une toute autre affaire, ce n’est pas la mienne ! Même si j’ai contre moi l’inertie des habitudes et des grosses structures, j’ai aussi pour moi l’opinion qui commence a comprendre la gravité des enjeux. Mon recul aujourd’hui, c’est pour mieux avancer demain. Du moins je l’espère.

NB : ces extraits ont été publiés dans le livre de Michel Sourrouille paru en octobre 2018, « Nicolas Hulot, la brûlure du pouvoir ». Mieux vaut rendre la pensée de Nicolas Hulot publique, la libre circulation des idées écolos contribue à la formation de notre intelligence collective… Chaque jour vous aurez un nouvel extrait sur ce blog biosphere jusqu’à parution intégrale d’un livre qui a été écrit en prévision de la démission de Nicolas de son poste de ministre de l’écologie. On ne pouvait avoir durablement un ministre voué à l’urgence écologique dans un gouvernement qui en restait au business as usual…