Notre cerveau veut ignorer le réchauffement climatique

Le public doit se rappeler que les professionnels travaillant sur les questions climatiques sont certes intelligents mais qu’ils sont des humains comme les autres, guidés par des degrés variés d’ambition, de curiosité, d’entêtement et d’altruisme.

L’Anglais Kevin Anderson, ancien directeur du Tyndall Centre, sort du lot par sa réticence à prendre l’avion quel qu’en soit le motif. Son public lors d’une récente conférence en Chine fut stupéfait d’apprendre qu’il était venu (et repartirait) en train. Il est persuadé que cette information a renforcé la légitimé de ce qu’il avance. Anderson juge « extrêmement perturbant » le fait que les personnes qui façonnent les lois contre le changement climatique prennent autant l’avion. Il me rapporta une conversation qu’il avait eue avec le directeur de l’un des plus gros fournisseurs d’énergie britannique qui lui annonçait nonchalamment qu’il partait le week-end suivant en Chine avec son cheval pour faire de l’équitation. Anderson ne parvint pas à retenir son indignation : « Nous étions sur le point de présenter nos conclusions au gouvernement lors d’une audience sur le changement climatique et il me parlait d’emmener son foutu cheval en Chine !… Et lorsque je lui ai pointé ce fait, il m’a regardé comme si j’étais un gauchiste radical ! » D’après Anderson, les experts semblent penser que la sagesse qu’ils répandent sur la Terre depuis leur siège en première classe à 10 000 mètres d’altitude est si importante qu’elle pèse plus lourd dans la balance que leurs propres émissions de gaz à effet de serre. Ils ne comprennent pas que le problème est causé par des gens comme eux.

Ou comme moi, me faut-il ajouter. Moi aussi je prends souvent l’avion. J’essaie de voyager le moins possible et de justifier chacun de ces vols. Mais comme le révèle le verbe justifier, je suis aussi enclin à bâtir une histoire susceptible de résoudre le conflit intérieur qui sourd en moi chaque fois que je prends place dans un avion. Les entretiens avec de grands voyageurs révèlent qu’ils emploient les mêmes termes que les toxicomanes. Ils parlent d’extase, de désinhibition, de sens nouveau qu’ils trouvent à la vie, et de la déprime au moment de la descente. Les justifications de nos voyages personnels sont aussi semblables à celles que les toxicomanes inventent au sujet de leur dépendance : j’en ai besoin, je ne fais de mal à personne, tous les autres le font, je peux m’arrêter à tout moment, d’autres font bien pire. Mais les experts du changement climatique ne sont pas des êtres humains comme les autres en ce qui concerne un aspect essentiel : ils sont les principaux communicants sur cette question, et leurs actions seront toujours passées à la loupe comme preuve de leur fiabilité. Est-il vraiment surprenant que l’aviation internationale n’ait été intégrée ni dans les calculs des émissions nationales, ni dans le protocole de Kyoto ?

Extraits p.330-331 de « Le syndrome de l’autruche (pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique) » de George Marshall (410 pages, 24 euros)

commentaire de ce blog : les experts et beaucoup d’autres personnes aujourd’hui sont victimes de dissonance cognitive

4 réflexions sur “Notre cerveau veut ignorer le réchauffement climatique”

  1. Bonjour Michel C,

    Bien sûr, ma formule « nous rêverons du temps béni des climats doux » n’était pas à prendre au pied de la lettre, la perspective temporelle (plus de 10 000 ans) fait que ces regrets n’auraient pas de sens pour nos éventuels lointains descendants. C’était juste une façon d’insister sur le fait que notre climat actuel (celui dans lequel s’est épanoui la civilisation sous nos latitudes) n’est pas garanti par la planète ad vitam aeternam. Des périodes beaucoup plus froides (et excluant nos civilisations) et aussi à plus long terme, plus chaudes, sont inscrites dans les rythmes de la nature. C’était une façon aussi de critiquer l’omnipotence de la question du réchauffement climatique qui occulte les autres qui à mon avis sont encore plus graves.
    Oui bien sûr aussi, « Le jour d’après » c’est du cinéma (et même très irréaliste sur l’aspect physique et très gnangnan sur le plan psychologique) les choses ne se passeront pas ainsi, mais il y aura certainement du chaos. Le « siècle d’après » et même la fin de celui-ci risquent d’être particulièrement terribles.

  2. Bonjour Didier Barthès
    Notre déni de réalité ne porte pas que sur le réchauffement climatique mais aussi sur tout le reste. Développement (« Progrès », croissance), démographie, consommation, réchauffement, destructions… tout est lié !
    Bien entendu le monde dans lequel nous vivons n’a jamais été aussi complexe, et avec un tel nombre d’habitants la résolution des divers problèmes (enchevêtrés) relève maintenant de l’impossible. On peut en effet se sentir frustré… et j’en ai déjà dit ce que j’en pensais.

    Ce n’est pas parce que je ne crois pas à une future période glaciaire, mais je ne pense pas que dans 10 ou 15 000 ans, nos descendants (s’il y en a) rêveront « du temps béni des climats doux ». Ils auront eu largement le temps d’aller se mettre au vert, comme ils l’ont toujours fait.
    Dans le film « Le Jour d’après » c’est subitement que cette ère glaciaire s’abat sur l’hémisphère Nord. A la fin du film on voit des hordes de « nordistes » prendre la direction du Sud. On imagine que les « sudistes » les accueilleront les bras ouverts… D’autant plus que le président américain, au nom de tous les cons-ommateurs responsables de la méga catastrophe, se con-fesse, et il demande pardon… et dans les salles on en pleure, de tant de compassion… et en effet ça fait pitié. Mais bien sûr, tout ça c’est du cinéma.

    Par contre ce qui n’est pas du cinéma, c’est bien cette réalité que nos cerveaux ont du mal à accepter. Et donc qu’ils s’appliquent à arranger, à déformer, dans un sens ou dans un autre … de manière à ce que l’équilibre vital de leur propriétaire se maintienne. C’est tout simple en fait .

  3. En fait je pense que l’inadaptation est double, notre cerveau a subi une pression de sélection naturelle pour être apte à traiter les choses de court terme (essentiel quand on vit au milieu de la nature, notamment avec des prédateurs) et aussi pour régler des problèmes à petite échelle : individu, voire petit groupe.

    A partir du moment où les problèmes se posent sur une autre échelle géographique, temporelle et numérique, nous n’avons plus d’outils et d’ailleurs les choses sont plus difficiles à percevoir.

    Petit désaccord peut-être sur le réchauffement climatique. Bien que je ne sois pas du tout climato-sceptique, (je suis persuadé de la réalité du réchauffement et de son origine anthropique) je crois qu’on lui accorde trop d’importance par rapport aux autres problèmes, le réchauffement se résoudra tout seul avec la fin des émissions de gaz à effet de serre (la durée de vie du CO2 est de 15 à 100 ans dans l’atmosphère et l’inertie du réchauffement ne devrait pas dépasser un ou deux millier d’années, ce qui n’est pas grand chose à l’échelle de la vie.
    D’autre part, les conditions astronomiques nous ramèneront dans 10 ou 15 000 ans à une période glaciaire, où au contraire nous rêverons du temps béni des climats doux.
    Le vrai problème est la destruction de la biosphère, la disparition des animaux et des plantes, l’appauvrissement de la diversité biologique, cela mettra des millions d’années à se reconstituer. Nous aurons bientôt un monde où les forêts seront des bosquets et où le plus grand animal sauvage aura la taille d’un lapin, un monde entièrement bétonné, cela est beaucoup plus grave à mes yeux.
    La Terre a déjà connu des périodes beaucoup plus chaudes qu’aujourd’hui et la nature s’en est très bien sortie, la sélection naturelles favorisait alors les plantes et les animaux adaptés, aujourd’hui nous avons mis à bas le libre déroulement de ce mécanisme. Encore une fois une conséquence de notre nombre, c’est à dire de notre omniprésence.

  4. Article très intéressant.
    Comme Anderson, moi aussi je juge « extrêmement perturbant » les attitudes de ces gens qui, d’une manière ou d’une autre, nous expliquent ce qu’il est bien ou bon de faire et de ne pas faire.
    On ne peut pas honnêtement, d’un côté déplorer que « la maison brûle », condamner le fait qu’ «on regarde ailleurs » … et en même temps … prendre l’avion (ou l’hélicoptère) pour juste une partie de plaisir.
    En effet, «les experts du changement climatique … sont les principaux communicants sur cette question». Mais pas que ces experts bien sûr, mais tous ceux qui mettent l’écologie au cœur de leur discours. A la moindre incohérence de leur part, ceux-là ne doivent pas pleurnicher quand d’autres s’autorisent à les qualificatif d’ «éco-tartufe».

    Ceci dit c’est vrai, et ceci vaut pour nous tous, à divers degrés certes, nous ne sommes que de pauvres « humains comme les autres ». D’autres diront que nous ne sommes que de pauvres pécheurs.

    Pour mieux comprendre cette dissonance cognitive, ce syndrome de l’autruche, il faut savoir que notre plus grave « péché » est le mensonge, principalement celui que nous nous racontons à nous-même, cette fameuse « histoire susceptible de résoudre le conflit intérieur qui sourd en moi ».
    Je n’ai pas lu ce bouquin de George Marshall, mais je pense que lire le célèbre biologiste Henri Laborit peut également aider à comprendre ce problème. (La nouvelle grille – Éloge de la fuite …)

    Comprendre, être conscient d’un problème, c’est déjà une bonne chose. Mais hélas les prises de conscience ne suffisent pas à changer le cours des choses. Si tel était le cas, le Monde serait bien différent !
    Tout simplement parce que l’intelligence est une chose, et que la sagesse en est une autre. L’écrivain américain Gary Gygax résumait la nuance ainsi :  » Une personne intelligente sait que fumer est mauvais pour la santé, mais elle n’a pas nécessairement la sagesse de s’arrêter.  »
    La connerie n’est pas le contraire de l’intelligence, mais le contraire de la sagesse !

    – « Notre cerveau veut ignorer le réchauffement climatique »… tel est le titre de cet article. Et en effet c’est une façon de le dire.
    Une autre façon serait : «Notre cerveau s’arrange à ce que nous ignorions le réchauffement climatique.»
    Autrement dit, il ne PEUT pas croire ce qu’il sait. Croire et savoir… vieux débat.
    Mais de plus, et là encore … vouloir et pouvoir sont deux choses différentes.

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