Les lynx, sauvagement concurrencés par les humains

Mes ancêtres lynx ont été sauvagement exterminés au cours des derniers siècles. Pourtant nous, lynx boréal, ne sommes pas plus gros qu’un berger allemand, nous ne vivons qu’une quinzaine d’année et nous pesons seulement 20 à 30 kilos. Au XVème siècle, nous existions encore partout en France, en plaine comme en montagne. Pourtant au milieu du XVIIe siècle, nous n’avions plus aucun représentant dans le massif vosgien et étions frappé d’extinction un peu partout ailleurs. Relégués dans les Carpates, nous ne pouvions que cultiver le souvenir de ce dernier lynx tué dans les Alpes en 1928. Miracle, au début des années 1970, notre espèce fait son retour sur le versant français du Jura depuis la Suisse toute proche où une vingtaine de lynx avait été relâchée. Notre réintroduction dans les Vosges débute en 1983, mais en 2014, plus aucun lynx n’avait été détecté. Aujourd’hui en 2017 ils font une nouvelle tentative à partir de l’Allemagne. Mais méfiance, des chasseurs nous attendent déjà avec impatience pour nous éliminer encore et toujours. Nous sommes persona non grata, considérés comme un perturbateur dans une nature jardinée. Il n’y a plus de nature sauvage, il n’y a que des humains et des routes à perte de vue, même dans leurs forêts d’exception modelées et remodelées, parfois détruites pour en faire du charbon de bois.

La plupart des chasseurs sont des monstres, ne regardant que leur nombril. Pour eux la nature doit rester figé telle qu’on l’a organisée par la main de l’homme, un espace domestiqué. Comme si les chevreuils étaient des animaux domestiques ! Ils croient qu’avec nous les lynx il n’y aura plus de chevreuils alors que nous n’en consommons chacun qu’une cinquantaine par an. Le taux de prédation d’un seul chasseur (à superficie comparable) est 4 ou 5 fois plus ! Le nombre de chevreuils abattus en France frise les 550 000 et pourtant ce prélèvement reste inférieur à l’augmentation naturelle de cette population. Les chasseurs se considèrent comme seuls propriétaires du « stock » de chevreuil. Ils ne comprennent pas ce que nous pouvons apporter, une régulation naturelle au lieu d’une biodiversité-fardeau. Le chasseur se croit tout puissant, il veut produire la totalité de son environnement à lui tout seul, incapable de comprendre que la raréfaction de la nature sauvage qu’il provoque fait disparaître une composante essentielle de son humanité. Juste un peu de statistiques pour mieux comprendre le problème. Chacun de nous, lynx, a besoin individuellement de 100 km² pour vivre et se nourrir. En France il y a plus de 100 habitants au km² , 117 exactement, une surpopulation qui étouffe toutes les autres espèces animales en prenant leur espace vital. Le nombre de chasseurs dépassent le million, nous les lynx sommes moins de 200 individus et nous perdons encore beaucoup d’entre nous, braconnés ou écrasés sur des routes. Les chiens en France sont plus de 7 millions ! Les Français comptent 67 millions de personnes qui s’entassent dans des maisons verticales au lieu de parcourir librement les forêts comme nous. Quand les humains seront seuls sur Terre avec leurs commensaux, pourront-ils survivre si ce n’est au milieu de leurs immondices ?

Heureusement commence à émerger une minorité de chasseurs plus clairvoyante, qui estime la prédation normale, donc ouverte à tous, les lynx compris. Ils sont conscients de la dynamique des écosystèmes, loin d’une vision figée de l’environnement, prenant les lynx comme des partenaires à part entière. A quand un « parlement du lynx » qui rassemblera toutes les parties prenantes ? Il semble que cela soit mis en place, avec des humains qui se font les avocats des acteurs absents, ceux qui ne peuvent participer directement aux négociations dites démocratiques comme nous les lynx, privés de parole, mais si heureux de notre liberté quand on nous laisse vivre. Notre ami Jean-Claude Génot estime que la révolution du XXIe siècle consisterait à abandonner l’anthropocentrisme dominant chez les humains au profit d’un écocentrisme, seul moyen de fixer des limites à l’expansion insoutenable de leur nombre et de leur activisme. C’est bien là l’expression d’une sagesse de lynx.

article de Michel Sourrouille, initialement paru sur le liste JNE

Sources : congrès JNE des 9 au 11 janvier 2017 dans les Vosges

conférence de Jean-Claude Génot, membre JNE et Christelle Scheid, chargée côté français de la communication sur le projet de réintroduction du lynx

annales scientifiques de la réserve de biosphère transfrontalière Vosges du nord

http://www.ferus.fr/lynx/le-lynx-conservation-et-presence-en-france

3 réflexions sur “Les lynx, sauvagement concurrencés par les humains”

  1. Le retournement de perspective que vous suggérez Séverine est évidemment la bonne façon de présenter les choses, on pourrait d’ailleurs l’étendre à pas mal de domaine en matière d’écologie.

  2. En lisant cette fable on a l’impression que humain et chasseur sont synonymes.Que les lynx soient « sauvagement concurrencés par les humains » soit, mais pas que par les chasseurs tout de même.
    Ne serait-ce déjà que les chauffeurs de bagnoles et de trains… combien en tuent-ils ? Et les éleveurs, comment le voient-ils le lynx ? Un peu comme le loup ? Un peu, beaucoup… pas du tout ?
    Quant aux super prédateurs :  » La plupart des chasseurs sont des monstres, ne regardant que leur nombril. » Ah bon ? A t-on des études fiables, des chiffres qui le confirment ?
    Ceci dit, personnellement les lynx ne me gênent pas ! Ni les loups ni les ours (je ne suis ni chasseur, ni berger). Pour moi on peut donc en réintroduire autant qu’on voudra. D’autant plus qu’on dit que les lynx seraient plein de sagesse… S’ils pouvaient nous en refiler un peu, ce serait déjà ça. Quant à les laisser entrer au Parlement, pourquoi pas ?

  3. Séverine Fontan

    Superbe article, bravo Michel !
    Combien se rendent compte d’ailleurs que ce n’est pas tant l’animal chassé traversant la route qui peut être une nuisance, mais plutôt la route et la voiture qui traversent la forêt dans laquelle son espèce a toujours vécu.

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