OGM, limites de la recherche-développement

A un scientifique versé dans les biotechnologies végétales, on peut objecter cette remarque préalable : devenir un spécialiste dans un domaine empêche trop souvent d’élargir son point de vue. Se présenter du haut de sa chaire, « écoutez-moi je suis un grand scientifique et j’ai fait plein de choses pour les OGM », cela peut irriter dès le départ et entraîner un blocage inter-relationnel. Sans compter l’accusation de « conflits d’intérêt » ! Il suffit de se rappeler le refus total de Jacques Testart (et d’autres) de participer à un débat contradictoire avec l’AFBV (association française de bio-technologie végétale). Le blocage est bien installé car les pro-OGM sont considérés comme dogmatiques, enfermés dans leurs certitudes de chercheurs es techno-science. Cf les archives biosphèrique :

à qui profitent les OGM ? Débat entre Deshayes et Testart (2013)

Tout savoir sur la perversité des pro-OGM (2020)

Sur le fond de la question technologique, le blocage résulte de la difficulté de fixer des limites à l’application dans la vie courante de découvertes scientifiques. A l’extrême règne pour certains le principe d’innovation, une croyance aux bienfaits du progrès technique totalement opposée au principe de précaution : tout ce qui a été inventé doit avoir son application (même la bombe atomique). A l’autre bord extrême, d‘autres vont dire qu’il fallait s’arrêter à l’épée pour en rester au contact direct pour faire la guerre et au cheval de labour pour garder le lien avec la nature. Choisir un moyen terme entre le retour à la bougie et la conquête de Mars reste une interrogation qui reste sans réponse si ce n’est par le débat démocratique. L’introduction d’une nouveauté parmi les Amish, soumise entre eux à controverse « en présentiel », montre que si on dialogue vraiment, on en reste à des techniques très simples. Par contre les lobbyistes de l’appareil techno-industriel veulent nous faire gober la dernière nouveauté à la mode (qu’ils fabriquent eux-mêmes par la publicité et la médiatisation) ; dans ce cas il n’y a plus de frein au « progrès » technique, c’est le « sans limites » qui mène la société thermo-industrielle à sa perte. Technophiles contre technophobes, impossible de concilier les points de vue alors qu’il y a bien un entre-deux, le monde n’est pas en blanc et noir. Des tentatives de trouver le seuil à partir duquel une technique devient contre-productive ont été faites ;, les appellations diffèrent, mais il y a la même idée directrice, Mumford distingue technique démocratique et technique autoritaire (1962). Ivan Illich parle d’outil convivial ou non. Teddy Goldsmith utilise les termes, techniques « enchâssées » contre techniques « branchées ». Ted Kaczynski parle de technologie cloisonnée et de technologie systémique. En termes plus simples, on peut parler de techniques douces et de techniques dures.

Voici par exemple la position de Theodore J. Kaczynski : « Nous faisons une distinction entre deux types de technologies : la technologie cloisonnée et la technologie systémique. La première, qui se développe au niveau de petites cellules circonscrites, jouit d’une grande autonomie et ne nécessite pas d’aide extérieure. La seconde s’appuie sur une organisation sociale complexe, faite de réseaux interconnectés. En ce qui concerne la technologie cloisonnée, aucun exemple de régression n’a été observé. Mais la technologie systémique peut régresser si l’organisation sociale dont elle dépend s’effondre. »

En termes contemporains, on peut parler de low tech :

Bihouix, Low tech contre High tech (2019)

Résilience, un passage nécessaire par les low tech (2014)

Venons-en au débat spécifique sur les OGM. Ce blog biosphere a présenté plusieurs fois cette controverse, entre autres :

équivalence en substance des OGM, manipulation du réel (2017)

dialogue avec un partisan des OGM, membre de l’AFBV (2011)

Conclusion : La seule ambition d’une recherche éthique en matière technique, c’est de se contenter de développer la connaissance, et non d’asservir les autres humains ou la Nature. L’objectif de la recherche sans développement, c’est de rendre le monde plus intelligible, pas de le transformer. En janvier 2005, tout début de ce blog biosphere, Il n’y avait que trois articles dont celui-ci, « Quelle recherche ? ». Cet article ne semble pas avoir vieilli :

« Il faudrait considérer la recherche non comme un tout dont l’objectif serait d’accaparer au moins 3 % du PIB, mais comme des études spécifiques dont les domaines d’application seraient réellement utiles et sans danger pour la société humaine et pour le reste de la planète. Par exemple, faut-il financer principalement la biologie moléculaire et les OGM ou faut-il favoriser la recherche des naturalistes sur les avantages de la biodiversité dont on nous a rappelé lors de la dernière conférence internationale à Paris qu’elle était en péril extrême. Faut-il consacrer plus de 80 % du financement de la France en matière d’énergie à la recherche nucléaire et laisser seulement quelques miettes pour les énergies renouvelables. Faut-il toujours plus de recherche en tous genres sans s’interroger sur les risques pour la santé humaine de nos applications techno-scientifiques alors que nous accumulons déjà des tas de produits chimiques dans notre corps et que les cas de cancers et d’allergie se multiplient. Finalement notre polarisation sur d’éventuels sauts technologiques dans la recherche à la mode (une mode déterminée par les industriels) nous empêche de consacrer toutes nos forces et notre attention à l’endiguement des dégâts que nous infligeons aujourd’hui à notre planète, donc à nous-mêmes. Le débat politique ne peut plus porter sur une enveloppe financière globale qui va sauver quelques emplois de chercheurs, mais sur notre manière de penser et de vivre qui pèse beaucoup trop sur la Biosphère et pénalise le sort des générations futures. »

4 réflexions sur “OGM, limites de la recherche-développement”

  1. Le blocage est bien installé, ça c’est sûr.
    Exactement comme sur des tas d’autres sujets. Il suffit de jeter un œil sur ce faux débat orchestré par Biosphère en mars 2013 («Débat entre Deshayes et Testart») et sur les commentaires qui suivent pour voir 2 camps qui campent sur leur position (point de vue, certitudes etc.) Là encore les PRO et les ANTi. Celui qui n’est dans le «bon» camp et qui se pointe dans le camp ennemi se fait dézinguer, torpiller, on se fout de ce qu’il raconte, il faut absolument le faire taire.
    Les pro-OGM seraient des dogmatiques. C’est possible, ces misérables sont partout. Reste à voir ce que sont alors les Anti.
    En attendant le dogmatisme c’est la merde par excellence. Bien plus que les OGM, les pesticides et le nucléaire réunis.

    1. Avec le temps les mentalités changent. Pas dans le bon sens ces temps-ci, ça c’est sûr.
      Il y a un an ON était plutôt CONTRE le Vaccin ARN, aujourd’hui ON est plutôt POUR.
      Et là encore aucun débat possible. Là encore impossible de concilier les points de vue alors qu’il y a bien un entre-deux, le monde n’est pas en blanc et noir.
      Ben si justement, faut croire que les choses sont aussi simplettes que ça. Misère misère !

  2. Didier BARTHES

    Les OGM sont emblématiques de la fuite en avant, emblématiques du monde d’Elon Musk ou de Bill Gates qui pensent que nous nous en sortirons par plus de technologie.
    Pour ma part, je pense que c’est une voie mortifère. Hélas, la quasi totalité du monde politique et une large majorité de citoyens me semblent prêts à tenter cette voie.
    Pourtant, toute l’histoire de nos sociétés marque une corrélation très forte entre technologie et destruction de l’environnement. Quel pari que de jouer sur l’inversion de cette corrélation !
    Là, en plus, nous touchons au cœur du vivant pour nous permettre d’être toujours plus et aux plantes que nous mangeons de résister aux multiples pesticides que nous leurs infligeons pour les « protéger » de celles que nous ne mangeons pas et des animaux qui eux aimeraient bien les manger. Folie à tous les niveaux.

    1. L’homme se caractérise par la technique et la technologie. Les OGM ne sont que la continuité de ce que fait l’homme depuis le néolithique. ( Ce que vous disait GATTACA le 2 FÉVRIER 2017 )
      Tant qu’elle est au service de la connaissance (science) la recherche ne peut pas être mauvaise en soi. Pour moi il en est de même de la volonté d’améliorer (avec ou sans «») tel ou tel organisme vivant. Sans parler du problème de nourrir autant de monde, le développement de plantes plus résistantes, moins gourmandes en eau, plus productives, n’est pas forcément une mauvaise chose. Pour moi les connaissances en biologie moléculaires valent plus que celles de la Voie Lactée. Ces dernières ne sont évidemment pas néfastes, mais quelle utilité ? Là encore c’est une question de choix.
      Comme tant de choses, le problème des OGM c’est la perte de la juste mesure. En toile de fond nous retrouvons toujours Le Système. Avec ses valeurs, la domination et le pognon.

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