L’instinct maternel n’existe pas, avoir des enfants n’est pas un droit sans limites. En quoi par exemple la lutte contre la stérilité améliore-t-elle les relations de l’humanité avec notre Terre-Mère ? La page Planète* consacre pourtant une page entière au britannique Robert Edwards, nouveau prix Nobel de médecine pour le développement de la fécondation in vitro. Que disent les scientifiques ?
René Frydman, « père » d’Amandine, premier bébé-éprouvette français en 1982, conçoit bien que la procréation médicalement assistée soulève une série de problèmes de nature éthique. Mais comme René Frydman est un scientifique au service de la technique, il n’a plus de repères si ce n’est les moyens de son financement ou l’ambition de sa notoriété. Tout devient alors possible dans le monde des riches : « Avec une dizaine d’embryons humains conçus in vitro, nous savons maintenant obtenir une lignée stable et immortelle de cellules souches. Imaginons que nous soyons capables de les faire se transformer in vitro en ovocytes ou en spermatozoïdes, pour un seul individu le nombre de descendants conçus in vitro n’aurait plus de limite. Il s’agit ainsi d’obtenir une forme d’immortalisation de la fertilité. » René Frydman n’envisage qu’une seule contrainte : il trouve impossible de remplacer la présence d’une mère pendant la durée de gestation et rejette ainsi le projet de créer un utérus artificiel ! Les présupposés des technolâtres se nichent dans les détails.
Jacques Testart a été le co-auteur avec René Frydman du bébé expérimental Amandine. Dans son livre de 2006, « Le vélo, le mur et le citoyen », Jacques Testart poussait un cri de colère : une recherche finalisée crée immédiatement le maquignon derrière tout chercheur qui trouve. Après avoir initié la stratégie des mères porteuses qui permet à une femelle remarquable de faire naître plusieurs veaux chaque année en transplantant dans les matrices de vaches ordinaires des embryons sélectionnés, il avait compris l’inanité de sa tâche : en 1972, les excédents laitiers sont généralisés en Europe ! Il avait alors aidé à résoudre l’infécondité des couples humains. Avait-il enfin compris qu’on ne pouvait penser la recherche-développement en faisant l’impasse sur ses conséquences sociale-écologiques ? Non. Il a combattu les plantes génétiquement modifiées, pas les humains artificiellement créés. Quand Jacques Testart parle des couples séduits par la fivète (FIV, fécondation in vitro), il fait preuve d’une conception très limitée de la démocratie : « Toutes les considérations du genre « Faut-il forcer la nature ? », « Il y a l’adoption ! », ne méritent d’être réfléchies que par les couples stériles eux-mêmes. L’important est de reconnaître la légitimité de la demande d’enfant formulée par un couple ». Jacques Testart fait du désir d’enfant une nécessité historique : « Il n’y a ni caprice ni perversion, seulement l’expression ancestrale d’un désir obscur et partagé. On peut convenir que la fivète est une expérience, mais il n’y a aucune raison de la refuser aux demandeurs inféconds ».
Ces raisonnements non scientifiques révèlent des présupposés éthiques reposant sur la croyance que la stérilité, c’est le mal absolu. Mais le traitement de la stérilité n’est pas fait pour le bénéfice d’un enfant qui naîtra dans un monde déjà surpeuplé, mais pour le seul bénéfice de parents qui se refusent à assumer leur stérilité. Du point de vue écologique, il n’y a rien à gagner dans la manipulation du vivant quand cela touche les mécanismes de l’évolution (stérilité d’un couple, cohésion génétique des espèces…). Il faut savoir refuser de faire une partie de ce que la technique nous permet de faire, il faut retrouver le sens des limites.
* LeMonde du 6 octobre 2010, Le père de la fécondation in vitro Nobel de médecine