la Grèce, un exemple à suivre

Les promesses électorales n’ont plus cours en Grèce. Une nouvelle cure d’austérité prévoit des réductions sévères des revenus et une baisse importante du niveau de vie. Un demi-siècle après leur création, le Parti socialiste (PASOK) a aboli les salaires de Noël et de Pâques [13e et 14e mois] et les congés payés des fonctionnaires et retraités. Papandréou a aussi annoncé une réduction supplémentaire de 8 % des salaires des fonctionnaires. Après ces mesures, chaque fonctionnaire va perdre entre 15 et 30 % de son revenu annuel. Le PIB du pays va donc baisser de 4 % dès cette année. Il faut dire que la dette publique grecque est de 400 milliards d’euros alors que le gouvernement grec avait toujours affirmé qu’elle n’était « que » de 300 milliards d’euros ; la Grèce avait trafiqué ses chiffres d’endettement ! Le patron du FMI, DSK, est donc « admiratif de l’extrême rigueur choisie à Athènes ».Pour Strauss-Kahn, Il n’y a pas d’alternative, « C’était ça, ou les salaires des fonctionnaires et les retraités n’étaient plus payés le mois prochain. »

La leçon à tirer, c’est que la Grèce vivait au-dessus de ses moyens. On ne peut pas vivre indéfiniment au prix d’un endettement croissant. Un jour ou l’autre, il faut rembourser et plus on attend, plus la note est douloureuse. Mais La Grèce n’est pas un cas isolé. A la date du 16 novembre 2009, la dette publique des Etats-Unis atteignait 12 000 milliards de dollars. Elle avait dépassé le seuil symbolique des 10 000 milliards de dollars en septembre 2008. Il faut ajouter un endettement des ménages américains de 5 500 milliards $. Il est absolument anormal qu’un pays riche vive à crédit. Paradoxalement, l’ensemble de la dette du Tiers monde n’était que de 3360 milliards $ en 2007. La planète tourne à l’envers, qui peut financer l’économie quand tout le monde est emprunteur ? La patience du créancier chinois a ses limites !

Ce qui attend les pays riches est donc nécessairement une cure d’austérité généralisée dont la Grèce n’est qu’un signe précurseur. Comme il faut ajouter à la dette financière la dette écologique, qui amenuise encore plus la possibilité de ressources futures, la purge n’en sera que plus difficile à avaler. Mais la biosphère s’en trouvera soulagée…

les leçons d’une marée noire

En tant que défenseur de la biosphère, nous ne pouvons qu’être opposés aux forages en mer. Mais la marée noire provoquée par la plate-forme Deepwater Horizon n’est qu’un signe ponctuel des dérives d’une société minière ; les humains polluent les océans quand ils y cherchent ce qu’ils ne trouvent plus sur la terre ferme.  L’exploitation minière est une métaphore, inspirée de la thèse de Lewis Mumford, de la civilisation thermo-industrielle : « L’exploitation minière est avant tout destructrice : son produit est un amas sans forme et sans vie, ce qui est extrait ne peut être remplacé. La mine passe d’une phase de richesse à l’épuisement, avant d’être définitivement abandonnée – souvent en quelques générations seulement. La mine est à l’image de tout ce qu’il peut y avoir de précaire dans la présence humaine, rendue fiévreuse par l’appas du gain, le lendemain épuisée et sans forces. » Les humains pulvérisent des montagnes pour obtenir du granit, de l’uranium et des minerais jusqu’à ce que le globe terrestre se réduise à l’état de plate-forme nivelée ! Mais l’apparition des pratiques minières au XVIIIe et XIXe siècles va s’achever au XXIe siècle après épuisement de toutes les richesses souterraine.

L’allégorie de Mumford met parfaitement en lumière l’opposition radicale qui sépare deux formes de rapport à la nature. Il y a d’un côté l’agriculture traditionnelle qui favorise l’établissement d’un équilibre entre les éléments naturels et les besoins de la communauté humaine ; ce que l’homme prélève  à la terre lui est délibérément restitué (une capacité largement compromise par les stratégies d’exploitation minière en agriculture et en élevage). Il y a de l’autre le pillage du capital naturel par des multinationales qui creusent toujours plus profond, sur terre ou dans les mers, pour extraire les derniers morceaux de charbon, les dernières gouttes de pétrole, les dernières paillettes d’or. Rappelons quelques données sur les limites temporelles de cette exploitation minière :

terbium, 2012 ; argent, 2022 ; or, 2025 ; étain, 2028 ; plomb, 2030 ; cuivre, 2039 ; uranium, 2040 ; nickel, 2048 ; pétrole, 2050 ; Gaz naturel, 2087 ; fer, 2120 ; charbon, 2158…

La fin prochaine des facilités offertes par la nature à l’expansion de notre niveau de vie va entraîner un désastre global dans lequel Deepwater Horizon n’aura été qu’un signe avant-coureur.

Pour connaître  Lewis Mumford : Les transformations de l’homme (1956)

Pour connaître les détails de la marée noire au large des côtes de la Louisiane : LeMonde du 2-3 mai 2010.

Avec ou sans George Soros

200 économistes contre les dogmes du marché : la biosphère est encore ignorée !

Réunis à Cambridge, des chercheurs hétérodoxes réunis par George Soros plaident pour une révolution théorique, seule capable d’engendrer une vraie réforme. Sauf que George lui-même avoue ne pas avoir d’opinion tranchée sur ce que serait une « bonne réforme » et que les avis des spécialistes ne brillent pas par leur clarté !

Pourtant la base du raisonnement est amplement partagée, les équilibres « naturels » du marché n’existent pas ; c’est au contraire l’instabilité qui caractérise le jeu de l’offre et de la demande. Le processus de fixation des prix par le marché est par essence irrationnel et le comportement des acteurs intrinsèquement contingent. Il n’y a pas de juste prix, mais un prix conventionnel fixé par le cadre institutionnel et le rapport de force entre acteurs. C’est d’ailleurs à cause de cette domination légale des uns sur les autres que jaillit le profit, c’est-à-dire le gain des uns aux détriments des autres. C’est pourquoi dans ce système de « liberté » économique, les inégalités sont en hausse. La rigueur et l’austérité économique sont imposées à la périphérie, les bulles spéculatives bénéficient à ceux qui sont bien placés. Les bonus versés par Goldman Sachs équivalent aux revenus des 224 millions de Terriens les plus pauvres. Lorsqu’il s’agit de combattre la pauvreté, tout le monde est d’accord. Mais si l’on parle de réduire les inégalités, c’est la peur d’avoir à partager qui l’emporte.

Mais il ne suffit pas de parler des inégalités. Ces économistes hétérodoxes passent à côté de l’essentiel. Ce qui importe aujourd’hui, c’est que l’économie conventionnelle a complètement détérioré depuis deux siècles les équilibres de la nature. Que faire ? Constater d’abord que les inégalités de salaire, l’existence de dividendes ou de profit basé sur le patrimoine de rapport ne fait qu’exacerber le poids de l’activité humaine sur les ressources naturelles. Comprendre ensuite qu’une société durable ne peut fonctionner sur un registre trop grand de complexité car cela favorisera toujours les profiteurs et les abus. Envisager enfin notre avenir en termes de communautés restreintes vivant de façon autonome, dans le respect des autres communautés humaines et non humaines.

Source de documentation : LeMonde économie (27 avril 2010)

des parlementaires complices de Monsanto

Rapprochons deux informations, le « plaidoyer parlementaire en faveur des pesticides » et la « journée mondiale pour sauver les grenouilles de la disparition » (LeMonde du 30 avril). Selon l’UICN, 30 % des amphibiens connus sur Terre courent actuellement un risque d’extinction. Les pauvres batraciens ne peuvent aimer l’eau polluée des ruisseaux par les engrais et pesticides, leur peau perméable absorbe trop facilement les produits chimiques toxiques. Mais les parlementaires auteur du rapport « pesticides et santé » se foutent complètement de la santé des grenouilles et des agriculteurs. Pour les maladies, comme il y a « une multiplicité des facteurs pouvant induire des symptômes identiques », pas besoin de creuser plus loin,  une surveillance épidémiologique de la population suffira.

Ce qui apparaît avec ce rapport, rendu public à la veille de l’examen du projet de loi Grenelle 2, c’est que le duo Claude Gatignol et Jean-Claude Etienne se veulent des soutiens directs en faveur des intérêts économiques. Voici leurs arguments :

– risque que ferait courir à un pan entier de notre économie une division par deux de l’utilisation de pesticides d’ici 2050 (un des engagements du Grenelle de l’environnement).

– probable diminution des rendements.

– signe négatif pour la recherche.

– nécessaire accroissement des capacités de production.

Le lobby agro-industriel a encore frappé ! Gatignol et Etienne ne méritent pas d’être des représentants des humains et des non-humains.

voile intégral et principe de précaution

Les « libéraux » qui contestent le principe de précaution nous font passer des frissons dans le dos. Ils ne se sont pas encore rendus compte que la société thermo-industrielle est devenue extrêmement dangereuse, que ce soit pour des raisons écologiques, économiques ou sociales. Analysons l’actualité relatée par LeMonde du 29 avril.

Au niveau écologique, la marée noire dans le golfe du Mexique montre que la poursuite de l’exploitation off-shore du pétrole n’est pas une mince affaire. Obama avait élargi les autorisations de forages pétroliers en haute mer (LeMonde du 2 avril), la réalité des risques lui inflige un démenti cinglant. En Inde, la filière du recyclage échappe à tout contrôle, des déchets nucléaires se retrouvent même dans les villes. Que ce soit en Inde ou ailleurs, personne ne sait vraiment quoi faire des déchets radioactifs sauf à reporter le risque sur les générations futures qui ne profiteront même pas du nucléaire civil faute d’uranium !

Au niveau économique, le risque de contagion de la crise grecque fait paniquer les marchés financiers. Les économistes libéraux se sont accommodés pendant des décennies de l’ampleur croissante des déficits publics, négligeant le risque systémique et déjà « surpris » par le tsunami financier de 2008 causé par l’endettement des ménages américains. Le spectre d’un nouveau choc bancaire est encore accentué par la formation d’empires comme Goldman Sachs. La garantie de refinancement public donnée aux établissements « too big to fail » accroît les possibilités de défaillance du système. Le capitalisme vit à crédit, c’est un risque majeur.

Au niveau social, François Fillon confirme le calendrier du projet de loi contre le voile intégral ; le texte sera (aussi) « basé sur les motifs de sécurité ». Ainsi raisonnent les politiques, soutien du libéralisme économique : polariser l’attention du public sur les choses inessentielles, financer les dettes et permettre le pillage des ressources naturelles.

Une société minière qui dilapide le capital naturel (pétrole, uranium, etc.) est une société qui court à la catastrophe. Une société minière qui s’accompagne d’une spéculation financière effrénée accroît encore le risque de catastrophe. Une société minière spéculative qui endort les masses par de faux débat accroît le risque de totalitarisme pour gérer les catastrophes économiques et écologiques. Le principe de précaution devrait être au cœur de nos prises de décision individuelles et collectives.

divertir pour dominer

Voici une introduction pour un livre qui montre que la télévision, la publicité, le sport et le tourisme participe de la fabrication du consentement dans un système voué à sa disparition prochaine. Télévision, publicité, sport et tourisme n’ont pas d’avenir dans une société social-écologiste.

Selon Peter Reichel, les nazis auraient été les premiers à comprendre l’importance de la culture de masse. Avec tous les moyens à leur disposition, ils ont créé un monde d’illusions qui a entraîné un peuple entier au désastre avec sa complicité active. En fait, ce résultat n’est que la continuation logique de la Révolution industrielle. C’est en Angleterre, le berceau de l’industrialisation, que sont nés le sport et le tourisme avant que les Etats-Unis ne deviennent le cœur de la culture de masse. La naissance de la production de masse au début du XXe siècle correspondait l’émergence d’une consommation de masse. En coupant les travailleurs de leur base rurale et domestique, qui constituait leur principal moyen de subsistance et leurs réseaux de sociabilité, le capitalisme industriel a obtenu leur soumission. Cette domestication des travailleurs s’est accompagnée du développement d’une culture de masse. Elle se définit comme un ensemble d’œuvres, d’objets et d’attitudes, conçus et fabriqués selon les lois de l’industrie, et imposés aux humains comme n’importe quelle autre marchandise. L’impuissance et la malléabilité des masses s’accroissent en même temps que les quantités de biens qui leur sont assignées. A partir du moment où le salariat s’étend à une majorité de la population, les dominants ne peuvent plus se contenter uniquement des rapports de force bruts. A ceux-ci, toujours nécessaire en dernier recours, s’ajouter la fabrication du consentement.

                Au cours du XXe siècle, les modes de vie se sont uniformisés et l’imaginaire de la société de consommation s’est répandu sur toute la planète. Dans un même mouvement, le capitalisme désenchante le monde, détruit toute forme d’autonomie et d’authenticité tout en favorisant les intérêts d’une minorité. La culture de masse est un élément essentiel de la reproduction de la société dominante. Le divertissement a pris de telles proportions qu’il menace les racines anthropologiques d’une civilisation. La lutte contre le divertissement n’est pas marginale ou périphérique. Lutte de classe et contestation culturelle doivent donc aller de pair.

Source : Divertir pour dominer (la culture des masse contre les peuples)

Offensive, éditions de l’échappée 2010

burqa et polygynie, intoxication médiatique

Nous avons horreur des sondages, les sondages doivent être supprimés. Le contenu des questions est superficiel et l’opinion d’une majorité peut varier d’un jour à l’autre. Analysons le sondage du monde.fr ce jour qui nous demande notre avis : « A propos de la femme verbalisée pour conduite avec un voile intégral et de son mari soupçonné de polygamie, diriez-vous qu’il s’agit…
… d’une affaire grave de violation des lois de la République
… ou d’un fait divers monté en épingle par le gouvernement
D’abord ce questionnaire mélange deux événements distincts, celui d’une conductrice avec un voile intégral et celui de son mari soupçonné de polygamie. On peut admettre l’un et condamner l’autre ou réciproquement. Il met aussi sur le même plan un fait établi et un soupçon. Le sérieux du Monde devient déjà improbable ! Ensuite on n’offre que deux réponses possibles, totalement opposés, violence grave ou fait divers ; la nuance est impossible. Enfin une citoyenneté éclairée ne peut que stigmatiser l’indigence mentale de ce gouvernement qui, fait divers après fait divers, nous fait vivre dans l’événementiel et non dans le réalisme politique. Comme l’exprime un de nos commentateurs du précédent post, « Les gens qui alimentent la campagne anti-burqa sont des démagogues pousse-au-crime qui n’ont pas d’autre objectif que de rafler des voix aux élections en titillant les instincts les plus bas de l’électorat. » Encore plus grave, l’obsession du court terme nous fait passer à côté de l’essentiel. C’est pourquoi nous préférons de loin aux sondages les statistiques qui permettent une véritable réflexion, ainsi ces chiffres sur la durée maximum d’exploitation de certains minerais (au rythme actuel de consommation et pour des coûts supportables) :
terbium, 2012 ; argent, 2022 ; or,2025 ; étain,2028 ; plomb, 2030 ; cuivre, 2039 ; uranium, 2040 ; nickel,2048 ; pétrole, 2050 ; Gaz naturel, 2087 ; fer, 2120 ; charbon, 2158…
Source : Humanisme n° 285 de juin 2009
Bien entendu, il ne s’agit pas d’en déduire que nous avons encore pour 150 ans de charbon à un prix abordable, mais que la burqa nous semblera bientôt un faux problème. A moins que le gouvernement ne continue sur sa lancée et ne désigne des boucs émissaires à la crise écologique qui se profile, du type « pourchassons tous les individus qui ne pensent pas comme nous ».

porter la burqa ou conduire, il faut choisir

Le gouvernement français fait fort. Il veut interdire la burqa mais il protège la liberté de rouler en bagnole. Quelle contradiction ! La France est théoriquement le pays de la liberté de faire ce que l’on veut, quand on veut, où l’on veut. Jusqu’à présent le port de la burqa est autorisé et la minijupe n’est pas interdite. C’est bien ! Jusqu’à présent les courses automobiles sont autorisées et le 4×4 n’est pas interdit. C’est mal ! La liberté n’est jamais un droit absolu, tout droit s’oppose à un autre droit, tout droit entraîne des devoirs, toute liberté doit s’accompagner du sens des limites, toute liberté d’action présuppose le sens des responsabilités. Nous nous rappelons encore cette exclamation de la journaliste Nathalie Brafman : « Même si elle dort pratiquement tout le temps au parking, la voiture, c’est la liberté. Et la liberté, ça un prix ! » Oui, la liberté a un prix et nous n’en avons plus conscience.

Il y a des arbitrages à faire entre les différentes urgences, entre la liberté et la sécurité par exemple. Mais le tout sécuritaire empiète forcément sur nos libertés. Et le libéralisme économique propose la liberté, mais pour les patrons d’entreprise et ceux qui sont solvables. Comment trancher entre des principes contradictoires ? Il nous semble qu’un principe premier pourrait nous guider : « Avoir une souveraineté sur moi-même est la clé de la liberté, éviter tout dommage à autrui en est la contre-partie nécessaire. » Porter la burqa est une liberté, d’ailleurs reconnu par le principe de laïcité ou séparation entre les affaires publiques et les idées religieuses. Porter la burqa porte-t-il atteinte à autrui ? Dans les cas déjà définis par la loi où nous avons besoin de contrôler l’identité d’une personne. Conduire une voiture porte-t-il atteinte à autrui ? Oui parce que la généralisation de la voiture individuelle n’est pas possible. Oui parce que le réchauffement climatique perturbe tous les écosystèmes et les conditions de vie qui en découlent. Oui parce que les générations futures ne pourront plus disposer du pétrole, ressource non renouvelable. Nous ne devrions pas avoir la liberté de prendre le volant.

Qu’une personne porte la burqa ne gêne qu’elle-même, dans ses mouvements et dans sa vision du monde. Qu’une génération entière veuille rouler en automobile, et cela nous précipite vers une crise écologique majeure.

un avenir sans François Fillon

L’Homme de l’Année, ce n’est certainement pas François Fillon. Son engagement pour sauvegarder la filière automobile française (prime à la casse etc.), mais aussi sa passion affichée pour les sports mécaniques, le disqualifient durablement. Qu’il découvre la course des 24 heures du Mans sur les épaules de son grand-père n’en fait pas un bon analyste politique, mais simplement un intoxiqué des courses de vitesse. Que Fillon adolescent participe, en tant que figurant, au tournage du film « Le Mans », au côté de Steve McQueen ne devrait pas empêcher Fillon adulte et 1er Ministre de réfléchir sur la déplétion pétrolière. Il devrait savoir qu’un de ses prédécesseurs, Pierre Messmer avait décrété le 30 novembre 1973 l’interdiction du sport automobile sur le sol national. Mais Fillon n’y connaît rien en écologie, il n’espère qu’une chose, parvenir à ressusciter le Grand prix de France de F1 (« C’est un échec pour lequel je n’ai pas encore dit mon dernier mot »). Fillon voit derrière « ce débat qui fait rage autour de l’automobile deux conceptions de l’avenir qui s’affrontent : ceux qui sont favorables à une forme de décroissance, de retour en arrière et puis il y a ceux qui misent tout sur le progrès de la science, sur le progrès de la technologie qui nous permettra de relever les défis qui sont devant nous ».

Non monsieur Fillon, le « retour en arrière », c’est votre croyance qu’un mode de vie qui dilapide le capital naturel peut perdurer encore longtemps. Non monsieur Fillon, l’automobile n’est pas victime d’un « acharnement » au nom de la défense de l’environnement, mais une innovation technique obsolète dès que le prix du baril dépassera 200 euros. Non monsieur Fillon, il n’y a pas ceux qui, « au prétexte des dangers réels qui menacent l’individu nient sa liberté », il y a ceux pour qui la liberté, c’est la liberté de moins polluer, c’est la liberté de ne pas être coincé dans les bouchons. Non monsieur Fillon, l’automobile ce n’est pas «  le plaisir et la liberté », mais l’aliénation des individus et la dépendance envers le Moyen Orient.

Monsieur Fillon, l’automobile individuelle n’est pas la solution, elle est le problème. Monsieur Fillon, vous n’avez pas la capacité d’être président d’un pays qui connaîtra bientôt une profonde crise écologique.

infection virale et climatoscepticisme

Un rapport examine les moments clés de la campagne, orchestrée par l’industrie des combustibles fossiles, de déni du dérèglement climatique. Aux États-Unis, les campagnes de désinformation conduites par les industriels du tabac avaient atteint leur apogée alors que la législation sur le tabagisme était sur le point d’être adoptée.

De la même façon, les attaques portées à la science du climat ont amorcé leur essor quand la possibilité de mesures pour lutter contre les changements climatiques s’est dessinée à l’horizon. La différence, c’est qu’aujourd’hui, la propagande est devenue « virale », rendant ainsi ce mouvement diffus, décentralisé et totalement insensible à toute réponse raisonnée.

L’hystérie qui a accompagné la diffusion des courriels piratés des scientifiques de l’université britannique d’East Anglia, à la veille du Sommet de Copenhague, est révélatrice de l’ampleur de ce mouvement et de la volonté des médias à s’en faire l’écho, et ce malgré le manque de preuves scientifiques apportées à l’encontre du Groupe inter. La campagne de déni climatique avait atteint son premier pic en 1997, avec la publication du deuxième Rapport d’évaluation du Groupe intergouvernemental d’études sur le  climat. Mais à l’époque, le mouvement n’était pas encore empoisonné par le venin populiste, Internet n’en étant encore qu’à ses balbutiements.

Le rapport Greenpeace sur les climatosceptiques – et les références – est librement consultable sur :

http://www.rac-f.org/IMG/pdf/climat-de-doute.pdf

 

journalisme complice du climatoscepticisme

Le plan de communication établi par des responsables des géants des énergies fossiles connaît aujourd’hui sa concrétisation : « La victoire sera complète quand les citoyens moyens comprendront les incertitudes de la science climatique et quand la couverture des médias admettra la validité des points de vue qui vont à l’encontre de l’actuelle sagesse conventionnelle en climatologie. » LeMonde fait donc à juste titre une contre-enquête sur le financement du climato-scepticisme (20 avril). Ajoutons à ce dossier ce Résumé d’une Lettre ouverte aux journalistes qui ouvrent leurs colonnes – ou leur antenne – à n’importe qui et n’importe quoi en matière de climat pourvu que ça mousse (Jean-Marc Jancovici, mars 2010)

 

Chers journalistes pas amis,

Certains d’entre vous donnent régulièrement de l’espace à des individus qui expliquent combien la science raisonne de travers en matière de « climatologie », et combien il est urgent de surtout ne rien faire pour limiter les émissions humaines de gaz à effet de serre. Une variante consiste à mettre leurs arguments sur un « pied d’égalité » avec le point de vue « orthodoxe », ce qui laisse penser que chaque éventualité est possible et qu’il appartient au lecteur de juger comme bon lui semble. Celui qui tient les propos les plus ahurissants (Allègre) est aussi celui qui est le plus invité, parce qu’il a la plus grande gueule. Il pourrait affirmer que la Terre est plate, que vous continueriez à l’inviter si il a toujours le même don pour couper la parole à tout le monde et monter sur la table !

Je considère qu’en agissant de la sorte, vous êtes au mieux des inconscients, au pire des irresponsables, et dans tous les cas de figure des menteurs à l’égal des gens à qui vous donnez de l’importance. Lorsque vous invoquez le droit au débat ou à l’information pour relayer sans vous poser plus de questions que cela des Allègre et consorts, vous vous trompez : ce que vous réclamez, c’est le droit à l’imposture. Votre comportement n’est pas plus légitime que si vous demandiez à ce que, après chaque cours dispensé au collège, les élèves aient, au nom de ce droit (au débat), un cours leur exposant exactement l’inverse de ce qu’ils viennent d’entendre. Un prof A indique que la Terre tourne autour du Soleil ? Vite, ouvrons la possibilité pour que les élèves puissent écouter un prof B qui leur dira l’inverse ! Evidemment, le résultat de cette affaire ne sera pas de créer des citoyens plus éclairé, mais un monde plus confus et moins apte à s’organiser.

Si cette polémique conduit à rendre peu crédibles des conclusions scientifiques pourtant robustes sur un problème susceptible de mettre en péril la paix et la démocratie (et la pénurie d’énergie à bon marché ou le changement climatique ont tous les deux cette capacité), alors elle est non seulement illégitime, mais dangereuse pour la société. Un tel comportement contribuera directement à ralentir l’action qui permettrait de faire face aux problèmes identifiés par les experts techniques du sujet, et il est évident que vous porterez une partie non nulle de la responsabilité dans ce qui arrivera. Les bons spécialistes dans votre profession (car il y en a, bien sûr), ceux qui ont honnêtement travaillé leurs dossiers depuis longtemps, ceux qui se sont renseignés, ceux qui ont modestement cherché à comprendre avant de conclure, n’invitent pas d’imposteurs. En face d’un imposteur, ils font leur métier, qui consiste à expliquer pourquoi nous avons affaire à un imposteur. Se comporter de la sorte n’est pas « refuser le débat », c’est faire son travail normalement !

Le seul rôle légitime que vous puissiez tenir en matière de science est celui de vulgarisateur, pas de juge, et cette conclusion est valable pour tout observateur externe à la communauté scientifique concernée (je suis donc dans le même bain, c’est même écrit sur mon site depuis 2003). Dès que vous décidez de vous-mêmes d’aller au-delà de ce que publient les revues scientifiques à comité de lecture (voir plus bas), vous cessez d’être légitimes.

Mais, allez vous me dire, si les scientifiques « pas d’accord » ne peuvent pas s’exprimer dans la presse, c’est du totalitarisme ! C’est le retour de Lyssenko ! Ce réflexe, courant parmi vous, présuppose que seule la presse est habilitée à conduire des débats, c’est une erreur. La science a tellement l’habitude de gérer des débats où les gens ne sont pas d’accord entre eux, qu’elle s’est organisée pour que ces débats soient menés là où il faut et comme il faut. Le scepticisme, au sens du doute et du « je demande à être convaincu », est une des bases de la recherche, puisque c’est lui qui incite à aller creuser des choses non encore explorées auparavant. Prévoir de places de débat entre experts « pas d’accord » est donc consubstanciel à l’activité de recherche, et cela fait des siècles que ce débat a été organisé avec des procédures qui permettent de le rendre constructif (alors qu’une émission de Guillaume Durand est juste du cirque, à prendre comme tel).

Quand vous donnez la parole à un tenant de l’absence d’influence de l’homme sur le climat, vous ne servez pas, dans cette affaire, de zorro réhabilitant les pauvres opprimés interdits de publication pour cause de complot (ou ayant bien le droit de s’exprimer, les pôvres, nous sommes dans un pays libre, non ?), vous agissez directement pour dévoyer un processus vieux de centaines d’années et qui sert justement à éviter de juger de manière erronée sur la base d’informations partielles ou sorties de leur contexte, contraires à des observations, etc. En invitant Allègre et consorts, c’est vous qui réhabilitez la chasse aux sorcières, en donnant la parole à une accusation qui se base sur des inventions, mensonges, ragots, informations sorties de leur contexte, affabulations et autres diffamations collectives, bref des procédés dignes du Moyen Age : un message ou un powerpoint qui circule sur Internet (rien de plus facile que de créer un powerpoint expliquant que tous les journaux français sont à la solde de la CIA et de le faire tourner sur le net…), un site Internet (comme Pensée Unique, par exemple, qui tente de ressembler à un lieu de débat scientifique… sauf qu’il prend comme « témoins » des internautes tout-venant qui ne sont pas aptes à trancher, une conférence grand public (comme celle de Courtillot à Nantes, où il affirme des choses qui ne figurent nulle part dans la littérature scientifique, ou qui ont été publiées par ce canal mais immédiatement contrées par la même voie),

Si vous n’êtes pas légitimes quand vous invitez des imposteurs, pourquoi le faites-vous ? Parce que les bénéfices sont supérieurs aux inconvénients. Les bénéfices, ce sont d’abord l’audience, parce que le lecteur aime bien la polémique et les grandes gueules qui l’alimentent. Un autre bénéfice, et pas des moindres, est que ce comportement est le plus économe en temps pour vous : ne rien comprendre prend moins de temps et demande moins d’efforts que de comprendre. En face, les inconvénients sont mineurs : perte de crédibilité auprès des quelques individus comme moi – mais c’est contrebalancé par ceux que la polémique attire, aucun risque de sanction pécuniaire pour cause de diffamation (tant que personne n’est visé, on peut mentir sur à peu près tout !), bref que du bonheur ou presque. A court terme, les avantages de l’organisation d’une polémique sont supérieurs aux inconvénients. Quand un imposteur trouve de l’espace dans votre media, la quasi-totalité des lecteurs ou auditeurs oublie que cela relève d’une démarche active de votre part, et considère qu’il ne dépend que de l’intéressé(e) de figurer dans le journal. Du coup, tout le monde en oublie votre part de responsabilité évidente – vous n’avez pas un revolver sur la tempe quand vous invitez Allègre – dans la diffusion des âneries.

 

Tout ce qui précède disserte essentiellement sur l’exemple du changement climatique, mais c’est un arbre qui cache une forêt bien plus vaste, celle des journalistes qui entretiennent la confusion du grand public sur des sujets scientifiques majeurs, ce qui inclut en particulier l’approvisionnement futur en pétrole. Comme les ressources naturelles (dont un climat stable fait partie) sont indispensables à la bonne marche de l’économie, priver les électeurs de visibilité sur l’avenir de ces ressources, c’est augmenter la probabilité de ruptures économiques délétères, dont l’histoire nous a montré qu’elles n’étaient généralement pas synonymes de lendemains qui chantent. Et comme ces ruptures économiques ont souvent été suivies de ruptures politiques (dont des dictatures), j’ai une conclusion très surprenante à vous proposer : à chaque fois que vous invitez Allègre sur un plateau de télé aujourd’hui, vous n’êtes pas seulement des fainéants et des ignorants, mais vous augmentez le risque que nous connaissions la dictature dans pas si longtemps que cela (qui incidemment vous mettra au chômage, parce que la multiplicité des supports mediatiques – au surplus libres – et la dictature font rarement bon ménage). Et j’invite tous ceux qui pensent que j’ai perdu ma raison en pensant que les mensonges sur les ressources et l’environnement peuvent amener la dictature à constater que Shell, EDF, et des analystes de banque m‘accompagnent dans ma folie !

 

Etre libre (la « liberté de la presse »), ce n’est pas – en tous cas pas dans mon esprit – avoir le droit de raconter n’importe quoi au motif qu’il n’y a pas de sanction pécuniaire ou légale à court terme. Cela, ce n’est pas être libre, c’est être, au choix, paresseux, cynique, ou immoral. Une réflexion en amenant une autre, pourquoi votre profession n’est-elle pas dotée d’un code de déontologie ? Il existe certes une charte du journaliste, et qui indique qu’un journaliste digne de ce nom « tient la calomnie, les accusations sans preuves, l’altération des documents, la déformation des faits, le mensonge pour les plus graves fautes professionnelles ».

Malgré ses manques, cette charte incite cependant à faire exactement ce qui est l’objet de cette lettre ouverte un peu rude : réfléchir avant de faire n’importe quoi.

http://www.manicore.com/documentation/climatosceptiques.html

traiter enfin les questions qui fâchent

La recomposition institutionnelle de la gauche est déjà difficile ; à plus forte raison sa recomposition idéologique. Nous savons déjà qu’elle sera sociale ET écologiste, mais le contenu ressemble encore à ce que dit la droite, croissance verte et compétitivité. Les voix discordantes sont encore minoritaires. Des membres du pôle écologique du PS viennent de signer le 20 avril un point de vue dans lemonde.fr : « Gauche et écologie : traiter enfin les questions qui fâchent ». Bravo !

Le propos est à la limite du supportable pour le système, par exemple : « Nul ne nie plus aujourd’hui la nécessité d’une transition écologique conduisant à un modèle de développement plus sobre. Sur cette base, il faudra déterminer ce qui fait précisément débat, par exemple l’évolution de certaines activités, comme l’industrie automobile. » Déjà le pôle avait osé un communiqué de presse anti-F1 le 13 mars dernier : « Ce week-end a lieu la reprise du championnat du monde de F1. A l’heure du changement climatique et de l’épuisement des hydrocarbures, la question de l’existence de telles courses automobiles mérite d’être posée. » Bravo, bravo !!

La question écologique, société de frugalité, sobriété énergétique, fiscalité écologique généralisée, arrêt des déficits publics… deviennent de véritables enjeux. Christophe Caresche, Géraud Guibert, Philippe Plisson veulent un vaste débat démocratique aboutissant à un contrat de gouvernement réunissant socialistes, écologistes et Front de gauche. Bravo, bravo, bravo !!!

Mais l’urgence écologique, par exemple l’imminence du pic pétrolier mondial, nécessite une recomposition institutionnelle et idéologique de la gauche très très rapide. Nous n’avons plus le temps de laisser du temps au temps. Il manque encore une grande gueule écolo au sein du PS pour faire passer médiatiquement le message. La gauche a besoin d’un Jaurès de l’écologie.

frilosité du principe de précaution ?

Le principe de précaution n’est pas un principe d’anxiété (éditorial du Monde du 21 avril), il permet au contraire de lutter contre les dérives de notre société thermo-industrielle. Cet éditorial préfère assimiler mesures de précaution et société régressive, diabolisant le principe de précaution. Nous nous rappelons encore les résistances des « spécialistes » avant même les débats parlementaires de 2005 sur sa constitutionnalisation en 2005. Selon l’Académie des sciences morales, ce projet « aurait des conséquences scientifiques, industrielles et même politiques puisqu’il irait à l’encontre des principes qui fondent notre démocratie représentative » ?? Les Académies des sciences et de médecine craignaient que l’inscription de ce principe dans la Constitution n’ait des conséquences « désastreuses », et même le quotidien LeMonde traitait dans un éditorial du 26 avril 2004 le principe de précaution de principe de frilosité. De son côté, le Medef avait réaffirmé son opposition sous prétexte d’un effet dissuasif sur la recherche et l’innovation. Nous nous rappelons aussi avec quelle condescendance Jean Yves Nau traitait le principe de précaution « d’indéfinissable » alors qu’il s’interrogeait dans LeMonde du 13 août 2007 sur la problématique de l’effet à long terme des faibles doses (radiations nucléaires, ondes électromagnétiques, taurine dans le Red Bull…). Nous nous rappelons encore les propos de Baverez prônant une « bonne » écologie qui « se démarque d’une conception absolutiste du principe de précaution pour se réconcilier avec la science et le progrès. » (Les Echos du 16 octobre 2007). Nous nous rappelons particulièrement la diatribe du professeur Michel Godet contre les « Khmers verts pour qui la disparition de l’homme blanc occidental serait une bonne nouvelle » et sa conclusion : « Si on appliquait le principe de précaution, on ne ferait pas d’enfants ! » (LeMonde du 13 décembre 2007).

Nous sommes en 2010 et le principe de précaution est entré dans les mœurs. Les « spécialistes » au service de l’économie dominante se font moins virulents. Le complexe agro-chimico-industriel n’avait jamais voulu appliquer le principe de précaution, certaines personnes en ont déjà payé le prix : effets du distilbène, de l’amiante, de la maladie de Creutzfeld-Jacob… Nous avons dorénavant compris qu’avec le principe de précaution, il s’agit de « mettre les avancées scientifiques et technologiques au service des hommes et de la planète. Le mérite du principe de précaution est de permettre de faire des choix collectifs, à travers l’arbitrage des choix politiques, qui subordonnent l’acceptabilité des risques, inséparables du développement de la science, à l’utilité des innovations et à la légitimité de leur utilisation » (article 4 de la Déclaration de principes  du parti socialiste, 2008). Il ne s’agit pas seulement de s’interroger sur le degré d’innocuité sanitaire d’une technique ou d’une pratique, il s’agit de savoir si la société qui en résulte est viable ou non, raisonnable ou non. Le tourisme par avion fait-il le bonheur ? Aller marcher quinze jours en Ethiopie, est-ce raisonnable ? La liberté de déplacement vaut-elle une forte émission de gaz à effet de serre ? Tous les gens éclairés savent que la réponse ne peut être que négative.

au-dessous du volcan, réfléchissons

La planète vient d’offrir un grand coup de frein au tourisme européen. Nous mesurons qui est le plus fort entre une humanité qui se veut possesseur et maître de la nature et une Nature qui a précédé l’espèce humaine et lui trouvera des successeurs. L’éditorial du Monde du 20 avril admet : « L’homme n’est pas voué à ne rencontrer que lui-même : ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. » L’éditorial se réfère aussi au livre d’Hartmut Rosa sur l’accélération du temps : il faudrait prendre le temps de se reposer et de réfléchir.

Non seulement il y a accélération technique par la vitesse (l’avion par exemple) et compression de l’espace (pour les touristes), mais aussi accélération du rythme de vie (fast-foods, speed dating, habitude nouvelle de faire plusieurs choses à la fois). Nous changeons de métiers, de conjoints et d’orientation politique beaucoup plus souvent qu’autrefois et de façon trop souvent contrainte. Face à cette frénésie croissante, il existe des stratégies de décélération, des éloges de la lenteur ou de la décroissance. Mais Hartmut Rosa est pessimiste. Son scénario le plus noir est le plus probable : celui d’une course effrénée à l’abîme emportant avec elle un monde impuissant. Envisager un avenir sombre et une histoire sans lendemain est un effet induit par le processus d’accélération. En produisant des individus sans avenir et des gouvernants réactifs plutôt qu’actifs, le noyau de la modernisation s’est en définitive retourné contre le projet de la modernité. Les processus politiques permettant l’articulation et la synthèse démocratique des intérêts prennent trop de temps et deviennent de plus en plus difficiles. A moins que des régimes autoritaires ne parviennent à arrêter la vitesse. Catastrophe et barbarie ?

Plus vite les avions repartiront, plus vite arrivera le prochain choc qui tuera la civilisation thermo-industrielle. Nous ne prenons pas le temps de réfléchir à l’ombre des volcans.

des avions cloués au sol, la bonne affaire !

Un petit volcan qui se réveille et c’est une grande partie de l’espace aérien européen qui reste fermé plusieurs jours (LeMonde du 18-19 avril). Pour nous, cela serait une bonne nouvelle si c’était volontaire et durable : l’avion est l’ennemi de la planète et des humains. Nous trouvons démesuré le fait de partir en vacances au loin, à Tahiti, en Tunisie ou ailleurs. Nous trouvons ridicule de la part des ressortissants européens de prendre l’avion pour aller dans un autre pays européen que le sien. A plus forte raison si on utilise les lignes aériennes internes à son pays. Les avions doivent rester définitivement cloués au sol.

Ce qui rend les voyages si faciles, les rend inutiles. Parce que l’individu moderne aime la virginité, s’il y reste un lieu vierge, il s’y porte aussitôt pour le violer ; et la démocratie exige que les masses en fassent autant. L’avion fait de Papeete un autre Nice et de la dune du Pyla un désert très peuplé ; les temps sont proches où, si l’on veut fuir les machines et les foules, il vaudra mieux passer ses vacances à Manhattan ou dans la Ruhr. Aujourd’hui sites et monuments sont plus menacés par l’administration des masses que par les ravages du temps. Comme le goût de la nature se répand dans la mesure où celle-ci disparaît, des masses de plus en plus grandes s’accumulent sur des espaces de plus en plus restreints. Et il devient nécessaire de défendre la nature contre l’industrie touristique.

Il fallait des années pour connaître les détours d’un torrent, désormais manuels et guides permettront au premier venu de jouir du fruit que toute une vie de passion permettait juste de cueillir ; mais il est probable que ce jour-là ce fruit disparaîtra. La nature se transforme en industrie lourde dont l’avion est le sinistre messager. Les peuples, leurs mœurs et leurs vertus sont anéantis par le tourisme par avion plus sûrement encore que par l’implantation d’un combinat sidérurgique.

NB : Rédigé avec l’aide de Bernard Charbonneau, Le jardin de Babylone, 1967)

NAC ou science citoyennes ?

Notre époque est soi-disant à la modération, il y a tant de saloperies dont on n’a pas besoin ; ainsi des animaux de compagnie. La France est déjà envahie, avec 10,7 millions de chats et 7,8 millions de chiens. Mais cela ne suffit plus, il faut du nouveau, de l’exceptionnel, de l’excentrique. La mode est donc au NAC, les nouveaux animaux de compagnie (LeMonde du 17 avril). Le furet arrive en tête, avec plus d’1 million de spécimens. Chacun y va de son envie du moment, serpent ou araignée, iguane ou mygale, gerbille ou cafards, sans compter les innombrables hamsters, souris et autres insectes.

Tous ces passionnés de l’observation, de la génétique et de la coloration feraient mieux de laisser les animaux dans leurs milieux naturels. Car les réseaux sciences citoyennes ont besoin de leur amour pour les animaux. Un autre article du Monde nous veut en effet « tous naturalistes » ! Des scientifiques professionnels font de plus en plus appel à des citoyens passionnés qui procèdent bénévolement à des comptages pour améliorer le recensement de la faune et de la flore : observation des oiseaux, des reptiles, des papillons, des chauve-souris, fleurs… La plupart de ces études confortent le constat d’un environnement en crise. Le modèle du savoir qui sort du laboratoire peut être efficacement relayé par un modèle de co-construction avec les citoyens. Avec des naturalistes multiples, on peut mieux cerner la dynamique des populations, Internet permettant la mise en réseau des observations de chacun.  Ainsi du programme STOC, suivi temporel des oiseaux communs  Résultat ? Ces populations ont depuis 1989 décliné de 20 % en milieu agricole.

A l’heure où la biodiversité est en péril, certaines personnes se mobilisent pour faire quelque chose. D’autres préfèrent leurs animaux de compagnie. Il n’y a sans doute rien à espérer des affectifs qui préfèrent leur NAC même quand ils sentent mauvais comme le furet. Mais peut-être qu’ils achètent leur saloperie tout en œuvrant pour la planète ? Il est permis d’espérer…

le COR, voyance pour 2050

Il y aurait beaucoup trop de choses à dire sur le financement des retraites en France ; sur la pusillanimité des syndicats, sur l’égoïsme du secteur public par rapport aux salariés du privé, sur la couardise des politiques qui n’arrivent pas à convaincre de la nécessité d’équilibrer les comptes chaque année, etc. Allons à l’essentiel, expliquons le B.A-BA d’un système qui ne s’est généralisé que depuis la seconde guerre mondiale, c’est-à-dire depuis hier.

Les Français bénéficient aujourd’hui d’un régime très spécial, l’art de vivre sans travailler à partir d’un certain âge. Alors se pose le problème du financement, répartition ou capitalisation, c’est-à-dire solidarité entre les générations ou bien pari sur la bonne santé future de la bourse. La France est normalement à l’abri d’un krach boursier puisque l’argent y est redistribué chaque année des actifs vers les retraités. Le montant effectif des retraites va donc dépendre des règles du jeu : définition de l’âge légal de démarrage de la vie de rentier, rapport de force qui existe entre actifs et retraités à un moment donné, niveau de richesse créé qui peut être redistribué cette année-là, évolution de la productivité. Le Conseil d’orientation des retraites a rendu son rapport (cf. LeMonde du 14 avril), cela va devenir de plus en plus dur à financer d’ici à 2050. Mais leur scénario le plus pénible est encore trop favorable, avec un taux de chômage stabilisé à 7 %  ! Le COR n’envisage pas du tout le blocage énergétique et les autres chocs écologiques (donc financiers) qui vont endeuiller l’emploi dans les années à venir, donc les cotisations sociales, donc les allocations-retraite.

Comme la civilisation thermo-industrielle va s’effondrer bien avant 2050, les droits à la retraite ne seront bientôt que chiffons de papier. De toute façon, soyons vraiment « équitables » : le système d’allocation vieillesse n’est applicable qu’à une partie de la population mondiale, celle qui a pu bénéficier de la prospérité factice des Trente Glorieuses. Dans le monde, 80 % des personnes ne disposent pas d’un système de sécurité sociale, leur retraite repose sur leur travail, sur la mort prématurée ou dans les solidarités de proximité quand celles-ci n’ont pas été détruites par le système occidentalisé.

la Banque mondiale déraille

Nous ne pouvons plus construire de centrales au charbon, ni en Afrique du sud, ni en Chine, ni ailleurs. Des spécialistes du carbone comme Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean vont encore plus loin : « Pour que les émissions de CO2 ne mettent pas nos enfants dans un enfer climatique, il faut supprimer l’ensemble des centrales à charbon dans les vingt ans à venir. » James Hansen le climatologue, célèbre pour avoir le premier alerté en 1988 de la réalité des périls du réchauffement, a même demandé début 2009 à « Michelle et Barack » de bannir le charbon. Pourquoi ? Selon le GIEC, si nous consommons tout le charbon accessible, la température planétaire pourrait monter de plus de 10° C à moyen terme. Pourtant la Banque mondiale envisage de prêter à l’Afrique du Sud pour construire une énorme centrale au charbon (LeMonde du 9 avril). La banque mondiale raisonne encore selon ses vieux schémas.

Les partisans des vieux schémas vont dire que la population doit accéder à l’électricité, et quand elle a l’électricité, que c’est devenu un besoin nécessaire. Ils vont dire comme la directrice pour les projets de développement durable dans la région Afrique qu’il n’y a « pas d’alternative au charbon à court terme ». Ils vont dire que les pays émergents ont droit  à l’électricité. Ils nous mènent donc droit dans le mur. En 1800, les 10 millions de tonnes de charbon consommés par le monde le sont presque entièrement en Grande-Bretagne. Au milieu du XIXe siècle, on consommera en Amérique du Nord moins de trois millions de tonnes par an. La centrale prévue en Afrique du sud consommerait chaque année 14,6 millions de tonnes. Personne au niveau politique n’a l’air de se rendre compte que non seulement c’est l’enfer climatique assuré pour nos générations futures, mais que le charbon est une source d’énergique limitée et non reproductible dont la fin est programmée.

Une seule solution, il faudrait que les pays développés montrent l’exemple et restreignent leurs besoins en électricité à allant à l’essentiel. L’électricité ne peut servir à des jeux vidéos débiles ou à des heures de télévision à contempler le vide… Il y a tellement d’autres choses à faire.

l’écoterroriste Paul Watson

Les écoguerriers sont trop peu nombreux. LeMonde du 8 avril fait de la publicité pour Paul Watson, écoguerrier des mers. Tant mieux ! Paul Watson a commencé tôt. A 10 ans, dans son petit village de pêcheurs du Canada, il nageait avec les castors. Une année, ils ont disparu, capturé par les trappeurs. Paul a détruit tous leurs pièges. Acte violent ou non-violence ? Il ne s’attaquait pas aux personnes, mais aux moyens d’agir de ces personnes. Aujourd’hui il peut couler des navires ou être coulé, lancer des chaînes dans les hélices, entraver des activités commerciales. Est-ce de la violence ? Paul reste dans les limites de la loi, il s’attaque à la pêche illégale. Il sera bientôt en Méditerranée. En 2007, on avait officiellement autorisé 30 000 tonnes de thons rouges, on en a capturé le double. En 2010 une centaine de bateaux devront se partager un quota de 13 500 tonnes. On ne respectera ni les quotas, ni les dates de pêche et on traquera les bancs par survol aériens interdits. Paul ne fait que compenser l’incapacité volontaire des Etats à faire respecter leurs propres lois. Où est la violence, dans l’action de Paul Watson ou dans les méfaits des contrebandiers de la mer ? Trop souvent nous accusons de violence et de terrorisme ceux qui combattent la violence de notre société de prédation. Il nous faudrait beaucoup de Paul Watson, de casseurs de pub, de néo-luddites, etc.

Paul Watson a été traité de fasciste, de misanthrope, de nazi, d’extrême-droite, d’extrême-gauche, d’anarchiste, d’égocentrique et, oh oui, n’oublions pas le titre favori dont il est le plus fier – écoterroriste. Pour Paul, peu importe la façon dont les gens nous appellent. Après tout, ce sont les gens qui causent les problèmes véritables que Paul essaye de résoudre. Il n’a à répondre à aucun gouvernement, aucune société, aucun être humain. Il répond seulement à ses clients – les animaux et leurs défenseurs. Sea Shepherd Conservation society existe depuis 1977 pour sauver des vies et pour soutenir les lois de conservation internationale que les nations n’ont pas la volonté politique de soutenir elles-mêmes. Chaque baleine que Sea Shepherd Conservation society a sauvé d’un harpon est une  victoire, chaque requin libéré d’une ligne de pêche est une victoire, chaque thon rouge qui échappe aux tueurs est une victoire. Il nous faudra cesser cette guerre d’extermination contre le vivant non-humain.

Pour en savoir plus, lire le recueil de textes Ravages, adieu bel animal (éd. Descartes)

Jacques Séguéla est-il con ?

Jacques Séguéla, publicitaire, lors d’une confrontation avec Yvan Gradis, fondateur de R.A.P. (Résistance à l’agression publicitaire) et initiateur des barbouillages d’affiches (France-info du 11 mars 2010) : « Je répondrai pas à une imbécillité telle que de traiter la publicité de violence. La publicité, elle est marchande de bonheur, ça n’a rien à voir ! C’est la pub qui est le sponsor de la démocratie. On vivra pas sans pub ! Elle fait partie des mœurs. Qui crée des emplois ? C’est pas les destructeurs de pub ! On peut tout critiquer sauf le moteur de l’économie (la pub). Je dis la vérité avec de l’amour. L’antipub sème la haine. Il faut être alter, pas anti. Vous croyez qu’on n’a pas assez de haine dans ce pays de misère ? Vous croyez pas qu’il faut se tenir la main pour essayer de sortir de la crise plutôt que d’aller barbouiller des affiches ?! Vous pensez que ça fait avancer le schmilblick que de barbouiller des affiches ?! »

Ou bien Jacques Séguéla est un con, et ça m’étonnerait quand même un peu ; ou bien Jacques Séguéla n’est pas un con, et ça m’étonnerait quand même beaucoup ! (Desproges en 1982, cité par LeMonde du 7 avril 2010)