autisme des jeunes économistes

LeMonde économie du 26 mai célèbre la dixième édition du Prix du meilleur jeune économiste. Eric Fottorino vante l’économie qui « structure l’existence et le devenir de nos sociétés », mais constate aussi que « la crise majeure (des bulles financières) témoigne du grave décalage survenu entre les acteurs de l’économie et les réalités concrètes ». Ce n’est pas d’un décalage qu’il devrait parler, mais d’un gouffre, car l’impérialisme de l’économie nous fait penser et agir comme des aveugles. Il est stupéfiant de constater que les économistes plus ou moins jeunes ignorent complètement les véritables réalités concrètes, à savoir les processus qui gouvernent la biosphère, les matières et l’énergie que nous extrayons du sous-sol, les déchets que nous rejetons dans les milieux, et l’environnement dans son ensemble. La fable de l’économie telle que l’exposent les théoriciens de la crise financière en fait un système circulaire d’échanges de valeurs entre la sphère des entreprises, la sphère des ménages et le système des prix. Comme l’exprime Yves Cochet, c’est un système conceptuellement clos. Une plus juste représentation des réalités humaines est celle de trois cercles concentriques : le petit cercle économique au milieu, inclus dans le moyen cercle du social, lui-même contenu dans le grand cercle de l’environnement naturel.

Pour nous aider à comprendre ce qui se passe, et dépasse les économistes, il faut sortir des ornières d’une discipline qui se considère comme espace autonome. Thomas Philippon, l’un des deux lauréats cette année, approche la vérité : « La plupart des économistes n’ont pas vu venir la crise par manque de vision d’ensemble ». Mais il se cantonne au manque de liaison entre les experts de la consommation, du marché immobilier et du prix des actifs financiers, sans s’intéresser le moins du monde aux tendances biophysiques qui poussent nos sociétés vers des catastrophes écologiques à répétition !
Il nous faudrait une analyse d’ensemble qui mette en relation autant les jeunes économistes que les spécialistes de la biodiversité, du réchauffement climatique, de l’épuisement des ressources halieutiques, de la baisse des rendements agricoles, du malaise social, etc., etc. Sans cette approche systèmique, nous courons de plus en plus vite vers la crise ultime.

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école des parents

Ecole des parents ou cirque médiatique ? La téléréalité s’empare de vrais bébés en Allemagne (supplément télévisons du Monde, 25 au 31 mai). Des adolescents de 16 à 19 ans se voient confier un vrai bébé pendant quatre jours. Il est vrai que de plus en plus de couples mettent au monde des enfants sans avoir la maturité requise. Mais ce n’est pas un show télé qu’il faut mettre en place, tout au contraire une vraie école des parents, systématique et  généralisée. L’idée est ancienne.

En 1971 dans La Bombe P, Paul Ehrlich réclame une loi qui rende obligatoire l’éducation sexuelle. Quand il parle d’éducation sexuelle, il ne pense pas à des cours d’hygiène ou bien des histoires du genre « fleurs et papillons ». Il s’agit de présenter la fonction reproductrice comme une composante parmi d’autres de l’activité sexuelle, qui demande à être maîtrisée selon les besoins de l’individu et de la société. Selon lui, l’humanité devrait trouver le moyen de réduire l’importance conférée au rôle reproductif du sexe. Il s’agira en particulier de découvrir des valeurs nouvelles pour remplacer ce sentiment de plénitude que la femme retire du don de la vie, et cette satisfaction de l’ego engendrée chez le père par le spectacle d’une nombreuse progéniture. Il s’agit en fait de politique démographique destinée à décourager la natalité. Un bureau de la Population et de l’Environnement devrait être créé pour apprécier le niveau de peuplement optimal, et préconiser les mesures permettant d’y arriver. Ce BPE devrait coordonner politique démographique, protection de l’environnement et gestion des ressources.

Il ne s’agit pas de mesurer médiatiquement la  capacité des adolescents à pouponner, il s’agit de leur faire prendre conscience des enjeux globaux dans un contexte de surpopulation humaine.

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échapper au marché

La gestation pour autrui est en débat, LeMonde du 23 mai y consacre plus de deux pages. Comme d’habitude, il y a le pour et le contre, le Conseil d’Etat donne son avis, experts et associations s’étripent, rien n’est résolu. Reconnaissons que c’est là la caractéristique de notre démocratie, un lieu a priori vide dans lequel le dernier consensus social va faire force de loi…temporairement. La légitimité, toujours en mouvement, devient légalité, puis une nouvelle légitimité apparaît qui transforme les textes de loi et ainsi de suite. Normal. Mais il y a certains principes qui ne devraient pas bouger, des catégories servant de fondement aux décisions judiciaires, des référents universels, des valeurs qui nous permettent en soi de classer le bien et le mal.

Pour les partisans de la GPA (des multiples formes de procréations médicalement assistées), il s’agit de combler le désir d’enfant d’un couple stérile. Dans ce cas, les valeurs sur lesquelles reposent sur la primauté du choix individuel et l’importance de l’enfant. Mais le sens ultime du droit devrait être le primat de la responsabilité collective sur la liberté des personnes ; nos choix individuels ne peuvent oublier les nécessités sociales. Il n’y a pas de solidarité sociale à avoir en matière de couples stériles. En effet, puisque notre planète est surpeuplée, le toujours plus en matière de nombre d’enfants n’est pas une sage décision. Si une femme  comprend que son destin de femme n’est pas de faire des enfants, elle accepte sa stérilité en se consacrant aux enfants des autres ou à toutes les autres activités qui s’offrent à elle. Si une femme est suffisamment intoxiquée par la « nécessité » d’être mère, elle peut toujours adopter un enfant. Notre solidarité doit s’exercer pour supporter au mieux la détérioration de nos écosystèmes et les pressions socio-économiques que la société thermo-industrielle multiplient contre nous. Pas pour satisfaire des egocentrismes.  

Notre société libérale actuelle raisonne comme si tout devait se comporter comme un marché. Il y a une demande d’enfant, il suffit donc de fabriquer une offre. Peu importe le prix financier, socio-psychologique et écologique à payer. Accepter sa stérilité, c’est tout au contraire échapper au marché, c’est valoriser le sens de sa responsabilité collective dans ses choix individuels. Construire un avenir durable, telle est la valeur fondamentale qui devrait guider notre appareillage législatif.

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puissance de la Nature

LeMonde des livres du 22 mai consacre deux pages à la puissance de la nature. Cette préoccupation écolo est si rare que je m’empresse de te présenter quelques citations :

– Même lorsque la nature n’est pas représentée explicitement dans une histoire ou dans un poème, elle reste la toile sur laquelle travaille l’artiste, car elle est, avant toute chose, le sol sur lequel l’artiste se tient.

– Je crois que si la nature devient tristement plus visible, c’est aussi parce que nombre de ses trésors éclatants disparaissent suite à notre manque de respect.

– Des vacanciers arrivent de l’autre bout du monde par  avion, et se ruinent en s’offrant des nuitées dans des hôtels hors de prix juste pour pouvoir jouir de l’environnement naturel luxuriant qui règne dans les endroits exotiques.

– L’homme se situe depuis la nuit des temps dans un rapport de prédation vis-à-vis de la nature.

– Nous avons arraisonné la Nature, comme un navire ; on s’en empare, on s’en croit propriétaire.

– Nous sommes des animaux dénaturés et nous appartenons à cette Nature. Nous devons apprendre à vivre autrement avec tout ce qui est sur la terre, sous le ciel.

– Certains d’entre nous peuvent bien être séparés ou en train de se détacher de la nature, mais nous faisons malgré tout partie d’elle.

– Me retrouver encerclé d’arbres, de collines et de rochers déclenchait en moi une certaine nervosité, et ma respiration désormais saccadée ne se fluidifiait de nouveau qu’une fois de retour dans mon habitat urbain naturel.

– Implicitement ou explicitement, la nature est toujours le personnage le plus important de l’histoire, tout comme elle est aussi le personnage qui est en nous.

– Pour les Chinois, il est difficile d’isoler un concept de nature car tout est nature, que ce soit la polarité du ciel et de la terre ou encore le Yin et le Yang, à la fois opposés et complémentaires.

– La pluie ne lave pas les hommes de leurs péchés, elle s’abat sur eux de toute sa diluvienne magnificence, elle les étreint de sa poigne humide.

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lobby des aveugles

Nouveaux pouvoirs du parlement, nouvelles opportunités de lobbying pour les entreprises ! Nous allons passer d’un lobbying « clandestin » à un lobbying réglementé.(LeMonde du 20 mai 2009). En France le lobbying parlementaire est omniprésent, officiellement il n’existe pas. Pourtant nous savons qu’on glisse souvent à l’oreille de certains parlementaires des amendements pré rédigés. Il n’y a aucune garantie d’objectivité puisque les entreprises cherchent avant tout à être avantagées par la loi. Soyons clair, le lobbying se résume à un  trafic d’influence qui empêche toute transparence dans l’élaboration de la loi.

Notre futur législatif est encore plus sombre. Les études d’impact, obligatoires à l’automne, imposeront de joindre à tout projet de loi un exposée de ses incidences économiques, sociales et financières. Tu as déjà compris que les conséquences écologiques, on s’en fout complètement. Deux exemples historiques de la dangerosité d’un tel aveuglement. C’est un lobby pétrolier, l’American Petroleum Institute, qui a entraîné Bush à sortir du protocole de Kyoto sous le fallacieux prétexte que les sciences du climat étaient si incertaines que l’impact de l’activité humaine sur l’effet de serre serait contestable. L’ex-président français Giscard d’Estaing se lance aujourd’hui dans la lutte contre l’éolien sous prétexte de « préserver les paysages de France ». Autant dire qu’il reste toujours soumis au lobby pro-nucléaire : en mars 1974, le président Pompidou mourant, son Premier ministre P.Messmer et VGE, alors ministre de l’économie et des finances, décidaient dans les salons du pouvoir parisien de lancer la France dans la construction d’un vaste parc nucléaire.

Tant que le lobby industriel fera la loi, il n’y aura pas d’avenir durable pour nos générations futures…

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éternels perdants

Les pauvres sont traditionnellement les victimes privilégiées des catastrophes d’origine naturelles, ils vont rester les principales victimes des catastrophes d’origine anthropique. Par la faute de l’homme, 60 % des services rendus par les écosystèmes sont en déclin. Or les paysans dépendent directement de ces écosystèmes. De plus les riches provoquent le réchauffement climatique, et ce sont les plus démunis qui vont en subir les conséquences. Ainsi s’exprime le rapport de l’ONU dans le cadre de la Stratégie internationale de réduction des risques (LeMonde du 19 mai).

Vous êtes un politique dans le monde occidental, vous savez que les catastrophes pénalisent surtout les pauvres des pays pauvres. Que faites-vous ? Rien. Pourquoi agir quand ce ne sont pas vos électeurs qui sont touchés par les risques émergents ! Il y a les invisibles de la représentation. Bien sûr les habitants du tiers-monde, les pauvres, les chômeurs, les exclus, les immigrés sans papier. Mais pour une considération bio-politique, il s’agit aussi des tiers-absents, à savoir les générations futures et les non-humains. Toutes ces catégories n’ont aucun droit de vote réel, ils ne peuvent qu’être ignorés dans les choix dits démocratiques qui sont pourtant trop souvent opérés à leur détriment.

Il faudrait donc que nos élus s’expriment non seulement pour les pauvres de tous les pays, mais aussi à la place des tiers-absents, comme un avocat s’exprime au nom de la victime. En résumé, nos politiques devraient penser et agir en privilégiant les équilibres à long terme, que ce soit dans la société humaine ou dans nos relations avec les écosystèmes. Mais quand on voit l’indigence des campagnes électorales en France en vue des élections européennes du 7 juin, nous savons déjà que les pauvres présents et futurs seront les éternels perdants.

Votez écolos, ce sera un moindre mal…

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racisme, sexisme, anthropocentrisme

Le racisme utilise le prétexte du naturel pour formater un culturel.  Dès lors qu’on attribue aux gènes des traits qui relèvent de  l’éducation, tout changement se trouve exclu. Enfermer l’humain dans une « race », c’est l’assigner éternellement à une place déterminée, l’enclore dans un destin immuable parce que naturel. Le racisme supprime l’histoire. (pour plus de détails, Race sans histoire de Maurice Olender).

Le sexisme utilise le prétexte du naturel pour formater un culturel.  Dès lors qu’on attribue à la différenciation génétique et à l’apparence physique ce qui relève de  l’éducation, tout changement se trouve exclu. Enfermer la femme dans un « sexe », c’est l’assigner éternellement à une place déterminée, l’enclore dans un destin immuable parce que naturel. C’est ce que fait une féministe de la différence dans LeMonde du 17-18 mai 2009 : « Si l’on est convaincu, ce que je ne suis pas, que l’instinct maternel n’existe pas, pourquoi n’interroge-t-on jamais l’instinct qui pousse les hommes à faire la guerre ? Les théoriciennes de l’indifférence des sexes refusent de voir ce qui crève les yeux de tout  le monde, à savoir que les hommes et les femmes, ce n’est pas pareil. Pourquoi les femmes n’auraient-elles pas acquis, grâce à leur pratique maternelle, une sagesse utile ? »

L’anthropocentrisme utilise aussi le prétexte du naturel pour formater un culturel. Racisme, sexisme et anthropocentrisme ont la même base culturelle, cette capacité trop humaine de concevoir des êtres comme étrangers parce que différents, cette tendance à en tirer prétexte que ces êtres sont des subalternes : une ethnie l’emporte sur une autre ethnie, un sexe est plus fort que l’autre, l’être humain domine l’ensemble des formes vivantes. Il n’est pas encore venu le moment où nous aurons posé comme principe culturel qu’il y a égalité entre les hommes, qu’il y a égalité entre les hommes et les femmes, qu’il y a égalité entre l’espèce homo sapiens et les autres formes membres de notre biosphère. Nous partageons tous le même royaume, et nous devons apprendre à vivre ensemble…

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l’affreux Malthus

Critique d’un vieux livre, dix ans déjà, de Jean Ziegler, la faim dans le monde expliqué à mon fils. Il est vraiment  dommage que notre société ne se rende pas compte à quel point les thèses malthusiennes ont aujourd’hui toute leur validité. 

Le dialogue commence fort mal :

« – Je n’arrive pas à comprendre comment, à l’approche de l’an 2000 et sur une planète si riche, tant de gens continuent à mourir de faim.

« – Tu as raison, Karim. » 

Jean Ziegler suppose que son fils Karim sait de source sûre que notre planète est riche. Mais la richesse est-elle d’argent ? On peut déjà douter : notre planète regorge de monnaie, mais cela ne veut pas dire grand chose quand on a connu le tsunami financier de 2008. La richesse est-elle celle de la productivité des sols ? Notre biosphère connaît un déséquilibre croissant des écosystèmes, la détérioration de la biomasse, l’épuisement des ressources fossiles qui comptent tant dans le rendement agricole actuel, la pénurie croissante d’eau dont l’agriculture a pourtant tant besoin. Notre planète n’est pas riche, elle est percluse de dettes monétaires et écologiques : les pauvres survivent dans l’économie informelle, les riches vivent à crédit, l’empreinte écologique de l’humanité dépasse déjà les possibilités de la planète. D’ailleurs Ziegler termine son ouvrage sur les réfugiés écologiques suite à la désertification, la déforestation et le déséquilibre climatique.  

Jean Ziegler se situe a priori du côté de Marx contre Malthus : « Les capacités de production – y compris agricoles – de l’humanité sont développées d’une façon extraordinaire. Il n’y plus aujourd’hui un manque objectif de biens, comme le disait Marx, il y a surabondance ». Son attaque contre Malthus est proche de la diffamation : – Ziegler : Une théorie fait des ravages en Occident : celle de la sélection naturelle. C’est une théorie perverse ! Le nombre des hommes sur Terre augmentant sans cesse, les famines assureraient une sorte de fonction régulatrice. 

– son fils : Qui a inventé une théorie aussi affreuse ?

– Ziegler : C’est un pasteur anglican du nom de Thomas Malthus qui a vécu en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle.

– Comment a-t-on pu croire à la théorie de ce Malthus ?

– La réponse est simple, Karim. Cette théorie est archi-fausse, mais pour calmer leur mauvaise conscience, certains se raccrochent à la pseudo-science de Malthus qui permet de refouler l’horreur. »

Avec cette présentation, Jean Ziegler montre une méconnaissance totale de Malthus. Il suffit d’ouvrir le petit Larousse illustré de 2000 pour s’apercevoir que le terme malthusianisme veut dire simplement « Toute doctrine préconisant une restriction de la procréation ». Malthus veut éviter les « obstacles destructifs » ou mode naturel de régulation comme la famine, les guerres et les épidémies. En termes modernes, Malthus préfère la prévention et serait un chaud partisan du planning familial ! De plus la sélection naturelle dont parle Ziegler n’est pas de Malthus, c’est l’idée centrale de Darwin*. Paradoxalement, Ziegler lui-même trouve qu’une sélection est parfois inévitable, par exemple en Ethiopie pour faire le tri entre ceux qui avaient une chance de survivre et ceux qui allaient mourir à brève échéance :

– Comment ose-ton refuser de la nourriture à un enfant qui meurt de faim ?

– La sélection, Karim ! Ce petit ruban de plastique qui se referme autour du maigre poignet du petit squelette. Et l’infirmière qui doit dire à une mère : « Ton enfant est trop atteint, nos rations sont en nombre limité, et je ne peux lui donner le bracelet ». Ce que j’ai vu, il y a quinze ans, en Ethiopie, se reproduit actuellement tous les jours, du Tchad au Soudan, de la Sierra Leone à la Somalie. 

Quant à l’idée de Ziegler de « calmer la mauvaise conscience », elle est extraite quasi-directement d’un commentaire de Karl Marx en 1848 : « La théorie malthusienne, appelée volontiers loi naturelle, à savoir que la population croit plus vite que les moyens de subsistance, a été accueillie par le bourgeois avec d’autant plus de faveur qu’elle tranquillise sa conscience, qu’elle fait de la dureté de son cœur un devoir moral, transforme des conséquences sociales en conséquences naturelles, et qu’elle lui fournit enfin l’occasion de regarder sans remuer le petit doigt la ruine du prolétariat du fait de la famine avec la même tranquillité que d’autres événements naturels. Elle lui permet de considérer la misère du prolétariat comme étant de sa propre faute ; le prolétariat n’a qu’à mettre un frein, n’est-ce pas, par sa raison, à l’instinct de nature et empêcher par son contrôle moral la loi naturelle de prendre un développement pernicieux. »

Marx croyait qu’il suffisait de faire la révolution en supprimant le capitalisme pour que chacun puisse obtenir selon ses besoins. Nul besoin de se préoccuper de savoir si les rendements agricoles seront durablement suffisants pour nourrir une population croissante. Nul besoin pour Ziegler de mesurer le potentiel agricole de la planète. Or nous ne pouvons parler de la faim dans le monde que si nous analysons en même temps l’évolution des ressources alimentaires et l’évolution de la démographie humaine. Et je ne dirai rien de plus sur le fait que l’anthropisation des sols nécessaire à l’activité humaine réduit dangereusement la biodiversité. L’ouvrage de Ziegler est seulement centré sur le constat de famine ici et là dans le monde pour affirmer que la faim n’est pas une fatalité « si la distribution des aliments sur la Terre était juste ».

Selon Ziegler, s’il n’y avait plus de seigneurs de la guerre, s’il y avait des gouvernements dignes de ce nom, s’il n’y avait pas une oligarchie avide… les forces de production agricole pourraient nourrir sans problème plus de 12 milliards d’êtres humains. Il n’y a aucun démonstration d’une telle générosité de la Nature car pour Ziegler, ex-rapporteur de l’ONU pour le droit à l’alimentation, le Programme alimentaire mondial de la FAO pourrait assurer une distribution équitable de la nourriture sur terre. Mais il ajoute qu’en 1998, le PAM a dû interrompre son aide dans certains lieux faute de moyens. Il précise qu’un quart de la récolte céréalière mondiale est chaque année utilisé pour nourrir les bœufs des pays riches et que les spéculateurs de la Bourse de Chicago manipulent les prix des céréales à leur guise. Mais Ziegler ne fait aucun publicité pour les végétariens et se garde bien de condamner le système capitaliste libéral.

Il pense même que les combattants de la faim prolongent les guerres et nourrissent les assassins. La nourriture n’arrive pas toujours aux plus démunis, elle est détournée. Mais « la vie d’un enfant n’a pas de prix. Et tant pis si les assassins prélèvent leur part sur le chargement d’un  cargo ». Le problème avec ce type de raisonnement, c’est qu’on panse quelques plaies à court terme, mais qu’on laisse les causes de la famine amplifier leurs effets. Notons aussi avec Ziegler que l’arme alimentaire est utilisée autant dans les pays pauvres que par les pays riches ou des sociétés multinationales. C’est tout l’ensemble des rapports géopolitiques qu’il faudrait revoir. Distribuer quelques sacs de farine ne sert à rien ou presque. 

L’ouvrage de Ziegler est incantatoire, comme le fut le rapport de la FAO en 1974 qui se terminait par cette promesse : « Dans dix ans, sur cette terre, aucun homme, aucune femme, aucun enfant n’ira au lit le ventre vide ». La famine est devenue structurelle, les solutions ne peuvent que passer par la mise en œuvre de tous les moyens d’y remédier. L’héritage de Malthus et de Marx n’est pas contradictoire, il est complémentaire : lutte contre les inégalités, lutte contre les gouvernements corrompus, lutte contre l’appropriation privée des biens communs, mise en place du planning familial, de la liberté de contraception et de l’interruption volontaire de grossesse, éducation des citoyens qui doivent connaître l’état désastreux de la planète que la surconsommation des pays riches arrive si bien  à cacher. Et le message essentiel à défendre doit être fortement exprimé :

Il ne sert à rien de donner aux affamés du poisson quand on fait en sorte de leur interdire de pêcher. 

* Pour être plus précis,  Darwin écrit dans Life and letters que l’idée de la sélection naturelle lui est venue en lisant L’Essai sur le principe de population de Malthus. En effet, on peut retrouver dans les thèses malthusiennes les prémices du concept de « struggle for life ». Le révérend Malthus applique l’idée de lutte pour la vie à la lutte des populations pour l’espace : c’est un penseur de la rareté et la rareté fait pression, elle sélectionne. De son côté, Darwin fait de la lutte pour la vie, la lutte des populations pour l’espèce : la lutte pour l’existence chez les animaux et plantes amène une sélection naturelle ou encore la survivance des espèces les plus adaptées. En fait, Malthus avait mis l’accent sur l’aspect quantitatif de la population.

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enfin la décroissance !

Enfin la décroissance ! Avec deux trimestres de « croissance négative », la France entre officiellement en récession. La ministre de l’économie estime même que la « croissance » du PIB devrait s’établir autour de – 3 % en moyenne pour l’année 2009 (LeMonde du 16 mai). Nous battrons largement les records de 1974-75 (- 1 %) et de 1993 (- 0,9 %). Tout le monde s’étonne. Mais nos économistes et nos politiciens ont oublié la leçon principale de Schumpeter, l’activité économique est cyclique : à une expansion doit succéder obligatoirement une baisse du PIB. Jusqu’à présent cette baisse n’était que relative, un simple ralentissement de la croissance, car le soutien des pouvoirs publics, le forcing publicitaire et la mondialisation des échanges ont tout fait pour maintenir une surchauffe de notre système (avec une inflation limitée à cause principalement de la mondialisation). Mais plus on force artificiellement l’activité économique, plus les lendemains sont douloureux. Les plans actuels de relance ne font que retarder la grande dépression qui s’annonce.

Une réalité biophysique fait que l’avenir de la civilisation thermo-industrielle est encore plus sombre. Schumpeter analysait les vagues d’innovation qui font repartir la croissance. Grâce au moteur à combustion, aux biens durables et au libre-échange généralisé, nous avons pu connaître les Trente Glorieuses. Mais ces innovations sont gourmandes en énergie, et c’est le blocage énergétique qui va prochainement faire basculer notre société, de gré ou de force. Vers 2025 au niveau mondial, nous connaîtrons un pic énergétique général toutes ressources confondues : la baisse sera inéluctable. De plus notre civilisation a atteint des sommets de complexité, la division du travail, nationale et internationale, est poussée à l’extrême. Ce qui fait que quand un morceau de notre société va commencer à s’effondrer vraiment, par un effet en chaîne toute la structure des interdépendances socioprofessionnelles va s’écrouler.

« Un seuil a été dépassé, un seuil de liaison entre le capitalisme fondé sur le crédit et les ressources naturelles qui sont la base de toute richesse réelle. L’espoir d’une nouvelle phase A (le moment de la reprise économique analysé par Schumpeter) du Kondratieff, cet espoir est vain. Nous ne sommes pas à l’aube d’une nouvelle croissance matérielle, nous sommes dans la phase terminale du capitalisme» (Yves Cochet).

Si nous étions prévoyants, nous utiliserions cette perspective pour changer notre mode de pensée et notre façon de vivre…

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déjà la 20 000ème

Les médias sont à l’image du monde, les médias suivent la course vaine d’une humanité sans autres buts que la gestion de nos erreurs. Pour son 20 000ème numéro ce15 mai 2009, LeMonde égrène notre histoire évènementielle avec les « unes » témoins de la folie humaine : 1945, Hitler est mort, une guerre mondiale de trop ; 1948 l’Etat d’Israël proclamé cette nuit et aussitôt reconnu à Washington, l’ouverture d’une plaie non refermée 61 ans plus tard ; 1957 les « Six » signent dans Rome en fête, aujourd’hui nous continuons à voter NON à l’Europe ; 1963 l’assassinat de Kennedy, cela ne change pas grand  chose ; 1969, deux hommes ont foulé le sol de la lune, image spectaculaire de la démesure technologique de l’homme ; 1999 les bourses saluent la naissance de l’Euro et s’effondrent en 2008 ; 2001 l’Amérique frappée, le monde n’est pas saisi d’effroi ; 2007 Dieu domine le débat présidentiel américain, la bêtise reste une des constantes de l’histoire humaine.

Au chaos du monde présenté par LeMonde, comment redonner du sens ? Comment aller au-delà de l’écume des jours ?  LeMonde a le courage de constater qu’il décrit le monde tel qu’il va et non pas tel qu’on voudrait qu’il soit. Mon blog essaye de présenter quelques pistes de recherche : Si tous les citoyens étaient ou devenaient objecteurs de conscience comme je l’ai été, il n’y aurait plus de guerres ; Si nous étions un peu plus antisionistes, il y aurait sans doute un seul Etat en Palestine  rassemblant toutes les confessions ; Si l’UE unifiait tous les peuples du pacifique à l’Oural, il n’y aurait plus de frontières ; Si c’était les méchants dictateurs qui étaient assassinés et non par Gandhi ou Luther King, il n’y aurait plus de dictatures ; Si nous ressentions la finitude du monde au lieu de rêver de l’espace intergalactique, nous pourrions mieux cultiver notre jardin ; Si l’argent ne menait pas le monde, nous aurions moins de crises économiques ; Si l’Amérique faisait preuve d’humilité, la paix pourrait plus facilement s’installer entre les peuples ; Si nous laissions les croyances là où est leur juste place, dans le domaine du privé, nous serions plus intelligents.

Mais la « une » qui m’inquiète le plus, c’est celle d’avril 2005 : « Planète épuisée, progrès menacé : l’alerte de l’ONU ». Si nous connaissions un peu mieux la vie et la fragilité de nos écosystèmes, nous pourrions peut-être avoir un avenir durable. Encore faudrait-il tous ensemble devenir objecteur de croissance…

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sauvons les confettis

L’éditorial du Monde du 14 mai se termine par ces mots « La nature ne peut être que gagnante. » Quel optimisme bat ! Chaque année, 60 000 hectares d’espaces naturels sont grignotés par l’anthropisation humaine (villes, routes, entrepôts…), soit l’équivalent d’un département en moyenne tous les dix ans. La loi de 1976 sur la protection de la nature stipulait que tout projet d’aménagement doit « supprimer, réduire et si possible compenser » les dommages à l’environnement. Vu son flou artistique, on comprend tout de suite pourquoi cette loi n’a jamais été appliquée. Aujourd’hui LeMonde fait des gorges chaudes du fait que 357 hectares de vergers laissés à l’abandon vont être transformés en coussoul, milieu pierreux ouvert adapté à certaines espèces. Un  confetti de 357 hectares contre 60 00 hectares qui disparaissent chaque année… Déjà les ingénieurs et les machines arrachent pêchers et peupliers. Comment des techniques humaines peuvent-elles nous permettre de retrouver la nature ? Impossible !

Dans le livre de Jean-Claude Génot La nature malade de la gestion, les choses sont claires :  « Ma définition de la nature est celle universellement admise, à savoir ce qui échappe à la volonté humaine, ce qui est indépendant des usages humains. Destruction et gestion sont deux facettes d’une même attitude de notre société, caractérisée par l’illusion de la domination. Faut-il acheter un bulldozer sur des crédits destinés à la protection de l’environnement ? Les institutions en charge de l’environnement, n’ayant ni la volonté, ni la capacité de remettre en cause ce qui conduit à la destruction, assument la pénurie de nature et entérinent la gestion de la biodiversité dans les confettis non aménagés par le rouleau compresseur économique. La seule restauration à la hauteur de nos enjeux écologiques d’aujourd’hui passe par la destruction de routes, de bâtiments et de barrages pour redonner de l’espace à la nature. Chercher un compromis et ne pas vouloir apparaître trop extrémiste ou radical peuvent vous rendre malléable et inefficace. »

La nature est en train de perdre, mais comme les humains vivent de la nature…

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énergie volée

Pour EDF, tout est simple, il nous suffit de « découvrir les histoires de ceux qui changent l’énergie dès aujourd’hui » (pub en dernière page du Monde du 13 mai 2009). Le problème pour EDF, c’est que l’homme n’a jamais produit de l’énergie, il l’a toujours emprunté à la nature ! Quelques précisions :

Il faut environ 100 millions d’années pour « produire » du pétrole ; si la nature était une marchande capitaliste, à combien nous offrirait-elle le litre de super ? L’énergie ne se fabrique pas, l’humanité la vole à la nature. L’énergie n’a donc pas de prix, pour le voleur, c’est gratuit, pour le receleur-revendeur, c’est tout bénéfice. Mais comme dans tout acte de malveillance, il y a une victime. Nous avons volé une partie du vent, nous tuons quelques oiseaux. Nous avons volé l’énergie des courants, nous perturbons les poissons. Nous avons volé le bois de chauffe, nous détruisons les forêts. Nous avons volé l’uranium, nous ferons des anomalies génétiques. Nous avons volé les ressources fossiles, nous faisons une grande victime, le climat.

Pourtant nous donnons un prix à l’énergie. Mais il ne s’agit pas de rétribuer les services rendus par la nature, il ne s’agit que de rétribuer des intermédiaires, les humains. Il y a d’abord la rémunération des propriétaires des centrales hydroélectrique et des éoliennes, les royalties versées aux émirs d’Arabie Saoudite et d’ailleurs, la rente des propriétaires du sol ou du sous-sol. Il faut aussi payer toutes les heures de travail nécessaires pour nous amener l’énergie à domicile. Pour le pétrole, ceux qui ont forés les puits, construits les pipelines, les pompistes ou les livreurs du fuel, etc. Cette façon de concevoir le prix montre à quel point nous sommes friands d’anthropocentrisme : la nature n’existe plus que par les mains de l’homme, nous voulons être comme maîtres et  possesseurs de la nature. Avec notre sentiment de toute puissance, nous ne nous rendons même pas compte de l’épuisement des sources d’énergie. En France, il n’y a plus de lieux où installer des barrage, il n’y a plus d’uranium, il n’y a presque plus de charbon, de gaz et de pétrole. Alors les Français pillent le reste de la planète en imitant les Américains. Avec l’impression d’être dans son bon droit.

Ce mépris de la nature et cet aveuglement a une explication idéologique, les lois du marché. Ah, les miracles et les mirages de la rencontre de l’offre et de la demande. Le prix du pétrole, à part quelques poussées de fièvre passagère, ne fait que baisser en valeur réelle. Il faut dire que les puits de pétrole fonctionnent pour l’instant à plein régime, suffisamment pour nourrir une demande toujours croissante. Le marché ne fonctionne qu’à court terme, il constate l’équilibre actuel entre l’offre et la demande et le prix courant reste relativement stable. Car le marché ne peut pas mesurer la rareté croissante de l’or noir dans le temps. Mais le pic pétrolier, ce moment où la production de pétrole commencera à baisser, se rapproche de jour en jour, certainement vers la fin de notre décennie. Quand les marchés prendront conscience de la fin du pétrole, ce sera l’affolement et les cours s’envoleront. Alors les pêcheurs, les chauffeurs de taxi et de poids lourds, les conducteurs de tous les jours perdront leur emploi ou  leur passe-temps. Avec les effet d’entraînement que cela aura sur le reste de l’économie, ce sera le moment de l’effondrement de notre civilisation basée sur le feu de nos chaudières. Alors nous regretterons de ne pas avoir donné son vrai prix à l’énergie.

Mais quel est donc le vrai prix de l’énergie ? Comme l’écrivait Yves Cochet, « contrairement à l’économie écologique, une économie biophysique ne cherche pas à quantifier en euros le coût des services fournis par les écosystèmes, elle ne  cherche pas à faire entrer la nature à l’intérieur du cadre de l’économie néoclassique, elle s’efforce de créer un nouveau paradigme. Le travail de la nature possède en effet une valeur si incommensurable avec tout ce que l’on peut chiffrer en euros qu’il paraît absurde de tenter même de le faire. » En résumé l’énergie n’a pas de prix.

En conséquence, nous n’avons plus que deux pratiques possibles :

– n’utiliser que des ressources renouvelables à commencer par notre force physique

– économiser l’énergie pour économiser la nature.

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le poids de la santé

Nous ne nous préparons pas du tout à l’effondrement de notre civilisation thermo-industrielle qui va crever du poids de sa complexité. Nous voulons continuer comme avant, plus de croissance, plus de centralisation, plus d’impôts, plus de « sécurité »…sans nous rendre compte que nos recettes traditionnelles ne feront qu’amplifier le poids du désastre. Ainsi, alors que la Sécurité sociale française ploie sous la charge financière, la Chine veut couvrir le risque maladie pour 90 % de sa population d’ici à 2011 (LeMonde du 12.05.2009). Comment sortir de cette contradiction ?

Lorsqu’une société se développe au-delà d’un certain niveau de complexité, elle devient de plus en plus fragile. Une simple crise du crédit aux USA entraîne déjà des conséquences mondiales Les crises écologiques à venir (choc pétrolier, perturbation climatique, épuisement de la plupart des ressources naturelles) sont porteuses d’une déstabilisation encore plus grande. Pourtant nous accroissons constamment notre complexité, y compris dans le domaine de la santé. Comme les généralistes ne suffisent plus à satisfaire la demande de soins, nous construisons des  hôpitaux. Avec les progrès des techniques médicales, il faut installer des centres hospitaliers dans les villes et des services de plus en plus spécialisés. Comme l’hôpital coûte trop cher, il faut mettre en place un système de cotisations sociales généralisées, et la financer en ponctionnant l’épargne de la population. Si cela ne suffit pas, on soignera à crédit par l’emprunt. Comme la population se plaint des charges croissantes, il faut faire payer de plus en plus de choses par les patients eux-mêmes tout en augmentant le nombre de fonctionnaires des impôts. Tout cela s’accompagne de plus de spécialistes, de plus de ressources à gérer, de plus de coercition – et, in fine, moins de retour sur l’argent dépensé. Au bout du compte, on atteint un point où toutes les énergies et les ressources à la disposition d’une société sont nécessaires uniquement pour maintenir un niveau de complexité dont le système de soins n’est qu’un aspect. Puis, quand un tsunami financier ou un blocage énergétique survient, les institutions complexes n’ont plus les moyens de survivre et les malades se retrouvent livrés à eux-mêmes. Alors émerge une société moins complexe, organisée sur une plus petite échelle. (Ndlr : On aura reconnu dans ce paragraphe une transposition des analyses de l’archéologue Joseph Tainter, auteur de l’ouvrage L’Effondrement des Sociétés Complexes)

 En matière de santé, le seul avenir pour la France comme pour la Chine, c’est la suppression de la technicisation à outrance, la disparition des grands hôpitaux centralisés, le retour aux centres de soins locaux supprimés par Sarko et la valorisation des médecins aux pieds nus comme au temps de Mao. Nous devrons ressentir les limites de notre planète, faire confiance aux capacités d’autoréparation de notre corps et ne plus craindre la mort.

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capitalisme naturel ?

Amory Lovins fut un des premiers scientifiques à s’intéresser à l’écologie comme science globale. Dès 1982, il créa avec d’autres experts le Rocky Mountain Institute, un centre de recherches installé dans le Colorado. Amory Lovins a aussi lancé en 1989 le concept de négawatts : il faudrait réduire sa consommation d’énergie grâce à un comportement sobre et responsable. Les bâtiments dans lesquels est installée leur équipe sont par exemple totalement autosuffisants en énergie. Dans LeMonde du 10-11 mai 2009, Amory Lovins propose d’aller plus loin avec l’adoption en France du concept de capitalisme « naturel ». Le capitalisme traditionnel n’attribue de valeur qu’au capital technique et aux hommes, mais ignore la valeur de la nature. Or les hommes et le capital sont devenus surabondants alors que la nature est devenue rare. L’hypothèse d’une substitution entre facteurs économiques (moyens de production et main d’œuvre) et facteurs biologiques ne peut plus avoir cours. Ainsi, il n’existe pas de technologie ou d’investissements qui puissent se substituer à un climat stable ou à une biosphère productive.

Amory Lovins critique donc implicitement l’approche promulguée par la Banque mondiale et l’OCDE de la soutenabilité dite faible : on suppose la substitution toujours possible entre capital humain, capital manufacturier et capital naturel. Ainsi, si l’une des composantes baisse, une autre pourra toujours compenser le manque. Cette conception repose sur une confiance aveugle dans un progrès technique qui pourrait toujours compenser la déperdition irréversible des ressources naturelles non renouvelables. C’est donc une croyance religieuse parmi d’autres. Mais l’idée d’un « capitalisme naturel » est aussi une croyance. La propriété privée des moyens de production a eu son heure de gloire, c’est terminé : la Nature ne supporte aucun propriétaire exclusif, mais des colocataires humains et non-humains. Il faudra pourtant attendre l’effondrement de la société thermo-industrielle pour que nous nous rendions compte collectivement de la primauté des contraintes écologiques et de l’inefficacité du capitalisme…

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fin du fordisme (suite)

le point de vue de Richard Heinberg qui me semble compléter ma chronique précédente sur la fin du fordisme :

« L’enjeu, c’est que nous risquons d’être confrontés dans les toutes prochaines années à des prix très élevés des carburants et à la raréfaction des ressources fossiles – y compris du charbon, dont les réserves ont été largement surestimées. Dès que l’économie va repartir, la demande va augmenter et se heurter aux limites des ressources fossiles, ce qui pourrait projeter l’économie dans une spirale de récession encore plus vertigineuse. A la mi-2008, nous avons vu le prix du pétrole atteindre les 147 dollars le baril. Les gens ont cessé d’acheter des voitures, ils se sont mis à moins conduire, et l’industrie aérienne a beaucoup souffert. Dans notre système économique, tout le monde table sur une croissance continue. Or la croissance implique la hausse de la consommation d’énergie. Du coup, lorsque les prix de l’énergie ont augmenté de manière si dramatique, cela a eu pour effet que les investissements drainés par des actions en bourse jusque là en hausse se sont soudain effondrés comme un château de cartes.

« Nous devrions rationner les carburants. Les citoyens devraient se voir attribuer une quantité déterminée de pétrole, qui réduirait d’année en année. Certes le mot « rationnement » est tabou et rappelle la deuxième guerre mondiale. Mais je pense que nous entrons dans une période de crise d’une échelle comparable à celle de la deuxième guerre mondiale. Donc nous devons songer à nous rationner afin de conserver l’énergie pour des besoins de base. Pour le moment, le rationnement se fait par les prix. Si les prix quintuplent aux Etats-Unis, seuls les riches pourront continuer à conduire des automobiles. Or, ce n’est pas la manière la plus juste d’allouer des ressources en voie de raréfaction. »

http://www.actu-environnement.com/ae/news/retour_croissance_economie_7181.php4 

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la fin du fordisme

L’automobile est symbolique de notre société basée sur la démesure technologique et une énergie non renouvelable fournie gratuitement par la nature. L’industrie automobile, fondée à la fois sur la production de masse (le travail à la chaîne) et sur la consommation de masse (des salaires ouvriers en progression), a cent ans à peine et s’est déjà répandue sur toute la planète. Mais il suffit de parcourir Le Monde ces quatre derniers jours pour s’apercevoir que la fin du fordisme est proche.             

Le Monde du 6 mai nous informe que Renault, fleuron de l’industrie automobile française, pourrait vendre 1 milliard d’euros d’actifs immobiliers pour faire face à ses difficultés financières.            

 Le Monde du 7 mai nous annonce que l’allemand BMW a connu une perte nette de 153 millions d’euros au premier trimestre  et prévoit une baisse globale de ses ventes en 2009. 

Le Monde du 8 mai nous dit que l’automobile est au centre de la campagne électorale en Allemagne. Ici et ailleurs se mettent en place prime à la casse et soutien financier pour assister des groupes privés. 

Le Monde du 9 mai développe sur Toyota qui affiche ses premières pertes en 72 ans d’existence. La situation du numéro un mondial va encore se dégrader l’an prochain. 

Pourtant Le Monde ne nous dit rien sur la fin programmée du fordisme : médias, syndicats, patrons et gouvernements croient encore que c’est une mauvaise passe entraînée par un tsunami financier qui a mis à mal la voiture à crédit. Mais ce ne sont que les prémisses du grand affolement qui va gagner tout le monde quand les perspectives de l’épuisement du pétrole vont enfin se faire ressentir. Au lieu de profiter de la crise actuelle pour sortir du tout-automobile, les habitudes mentales font en sorte que nos erreurs se perpétuent. Jamais nous n’aurions du accepter la mise en place d’un fordisme qui a attaché les ouvriers à une chaîne et qui a augmenté le pouvoir d’achat au lieu de promouvoir la joie de vivre… 

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consommation maigre

Quoi d’intéressant dans LeMonde du  5 mai 2009 ? Certainement pas les deux pages entières de pub pour Total, l’énergie dépend d’abord de mon corps, pas du pétrole. Et il faut nous prendre pour des idiots pour laisser croire que Total incite vraiment à économiser l’énergie. Je préfère me pencher sur la consommation maigre, article d’Yves Doz  dans le supplément économique. Depuis la crise, la demande se reporte sur des produits simples et robustes, de qualité mais de prix bas. Les petites maisons se vendent bien, les grandes sont délaissées par le marché. La vanité de la surconsommation s’enracine dans un contexte de menace écologique. Mais il est ridicule de prendre comme exemple l’ami américain bien nanti: « Faute de pouvoir m’offrir un Ferrari, je me  contenterai d’une Jaguar ». L’avenir est à l’abandon de la voiture individuelle : ni Jaguar, ni Logan.

Un autre article complémentaire du Monde indique que les clients, déstabilisés par la récession, sont en quête de nouveaux repères ; plus que jamais, ils rejettent le superflu. En effet, même les gestes les plus usuels comme acheter un shampoing sont remis en question : «  Quelle est l’utilité de ce produit, ai-je fait le bon choix ? ». C’en est fini du marketing où le client paie sa propre illusion de différenciation par la marque. En fait, sans le dire, LeMonde nous indique que nous sommes rentrés imperceptiblement dans l’ère de la décroissance, pas simplement dans le sens récession économique, mais dans le sens autolimitation, simplicité volontaire. Le consommateur commence à comprendre l’inanité du slogan «  travailler plus pour gagner plus ».

Mais le chemin est encore long à parcourir vers une société insensible aux gadgets de la dernière innovation à la mode et aux sirènes de la publicité. Commence à ne plus acheter de portable et tu seras sur la voie de la rédemption…

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dogmatisme et aveuglement

Les gouvernants font preuve de dogmatisme et d’aveuglement, les hommes démontrent leur vanité, prompt à se servir du moindre prétexte pour décider n’importe quoi, les fabricants falsifient leurs produits, et de toute façon on fait preuve d’inertie tout en courant après des mythes non démontrés. De quoi s’agit-il ? On pourrait croire qu’il s’agit de l’impréparation totale dont nous faisons preuve face à l’épuisement prochain de presque toutes les ressources naturelles. On pourrait croire qu’il s’agit des atermoiements sans fin face au réchauffement climatique en marche. En fait il s’agit du risque d’embrasement nucléaire avec la présentation du livre du jour, Les armes nucléaires, mythes et  réalités (LeMonde du 2 mai).

C’est à cause de notre cerveau tout puissant qui fomente les idées les plus baroques que nous arrivons trop souvent à l’impasse la plus totale. C’est ce que nous disait déjà un autre livre, La politique de l’oxymore de Bertrand Méheust : « Je suis convaincu qu’une catastrophe est en gestation, mais je ne partage pas la conviction que les démocraties modernes possèdent les ressorts nécessaires pour la prévenir et l’affronter. Je crains que la métamorphose espérée n’intervienne trop tard pour enrayer la crise écologique, et ne manifeste ses effets que pendant et après la catastrophe, un peu comme le pacifisme n’empêche pas les guerres mais se développe dans leur sillage. En effet toute société cherche à persévérer dans son être. Mais comme nous vivons dans un monde fini, sa saturation globale est inéluctable, ou, pour dire les choses de façon plus brutale, la saturation se traduira pour l’humanité par une véritable descente aux enfers. Chaque instant qui passe nous éloigne davantage du moment où un autre avenir serait encore possible. »

Certes, la guerre nucléaire n’a servi à rayer que deux villes avant la reddition japonaise, mais avec la guerre que nous menons contre notre propre planète, notre adversaire ne déposera pas les armes, il n’a pas de cerveau.

NB : un autre exemple de notre suprême bêtise est l’irruption « imprévisible » du tsunami financier…

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le travail n’est pas à la fête

Le travail salarié n’est pas à la fête. La manifestation unitaire du 1er mai en France n’y changera rien. Du fait de l’approfondissement de la division du travail, de la mondialisation des marchés, de la concentration des entreprises, de la mobilité des capitaux…, les chaînes d’interdépendance ne cessent de s’allonger. Mon emploi dépend d’une entreprise qui dépend d’un groupe qui dépend d’un fonds de pension qui gère le capital retraite d’une multitude de salariés.

L’histoire du capitalisme est celle de la salarisation généralisée, donc de la séparation systématisée des travailleurs d’avec leurs moyens de production. Séparation aujourd’hui complètement normalisée, à tel point que l’idée de travailler à son compte apparaît comme une adhésion implicite à l’idéologie néo-libérale. Qu’il n’y ait plus de potager en ville, que presque personne ne sache faire son savon ou sa bière soi-même, que de moins en moins d’artisans produisent avec des ressources et des denrées du cru, tout cela semble dorénavant secondaire. Les travailleurs ne voient pas le danger d’une salarisation qui fragilise nécessairement notre vie quotidienne, en nous mettant à la merci de processus socio-techniques sur lesquels nous n’avons aucune prise. Du coup cette évolution accule à la croissance perpétuelle de la production pour assurer salaires, allocations, pensions… Un jour ou l’autre, la Biosphère ne pourra plus soutenir cette croissance non contrôlée, la profondeur de la crise sera à la mesure de la longueur de la chaîne des dépendances ! Descendre dans la rue ne change rien aux données structurelles.

La figure du petit producteur indépendant, maître de son outil de travail, fut l’idéal politique de la démocratie américaine au XIXe siècle et de la République française jusqu’à la seconde guerre mondiale. Avec la relocalisation, nous y reviendrons. Cultiver à nouveau son jardin deviendra même une obligation dans les pays « développés », mais aussi une quasi-impossibilité pour trop de travailleurs sans terre.

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ils préfèrent le H1N1

En 2006, le directeur de l’OMS pour l’Europe Marc Danzon, en était sûr : « Aucun expert n’a laissé espéré que la pandémie aviaire n’arrivera pas un jour. L’incertitude porte sur le degré de sévérité qu’elle revêtira. Dans les dix ans à venir, il y aura une pandémie due à un virus qui se sera échappé du règne animal. » Mais qui est responsable ? Les oiseaux sauvages ont été accusés d’être la source du H5N1 aviaire. En fait le responsable était l’élevage des volailles en batterie. Maintenant surgit un H1N1 porcin. Le risque pandémique lié au H1N1 actuel est lié comme celui du virus aviaire de la trop grande concentration des cochons en batterie. La source de l’épidémie actuelle serait en en effet les élevages de porcs aux conditions d’hygiène scandaleuses, charognes pourrissant à l’air libre, excréments polluants directement les environs (dixit LeMonde du 29 avril).

Cette vie de cochons est à l’image de la vie des poules qui est à l’image de la vie des humains comme l’exprimait si bien  Armand Farrachi dans son livre Les poules préfèrent les cages : « L’objectif à peine dissimulé de l’économie mondialisée est de soumettre le vivant aux conditions de l’industrie. En ce sens le sort des poules en cage, qui ne vivent plus nulle part à l’état sauvage, qui n’ont plus aucun milieu naturel pour les accueillir, augure ainsi du nôtre. Il est possible dans notre monde actuel de prouver que les poules préfèrent les cages, que les otaries préfèrent  les cirques, les poissons les bocaux, les Indiens les réserves, les humains les cités. Si les poules préfèrent les cages, on ne voit donc pas pourquoi les humains ne préfèreraient pas les conditions qui leur sont faites, aussi pénibles, aussi outrageantes soient-elles, à une liberté dont ils ne sauraient faire bon usage et qu’ils retourneraient contre eux-mêmes. Les instituts de sondage, les enquêtes d’opinion et les études de marché prouvent statistiquement qu’un citoyen normal préfère l’anesthésie des jeux télévisés et des parcs de loisirs pour se sentir en sécurité, ne pas éprouver de douleur, ne pas présenter de symptômes d’ennui et de frustration. Il importe peu de savoir comment la volaille humaine s’épanouirait au grand air, mais à quel prix elle préférerait une cage.  »

Concentration des poules, concentration des porcs, concentration des hommes, camps de concentration. Pourquoi avoir refusé de voir cette continuité ? Pourquoi la génération actuelle admet-elle l’inadmissible ? Les humains mettent en place tous les ingrédients d’apparition d’un virus mortel. Les humains préfèrent le H1N1 !

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