Noël sans cadeau

Le titre est alléchant, la problématique osée. Le Monde du 24 décembre s’interroge gravement : « Les enfants sont-ils trop gâtés à Noël ? » Malheureusement l’article ne nous fournit aucune réponse. Tout ce qui importe pour la journaliste, c’est « de conserver la magie de Noël ». Pourtant c’est évident, les enfants sont  trop gâtés à Noël ; ils ont complètement oublié avec leurs parents que le Christ est né dans la plus pauvre des conditions. Le véritable message de Noël est celui du partage, certainement pas cette outrance des marchands du Temple qui nous proposent leurs gadgets plus ou moins soldés. Tout aussi grave est cette illusion constante quant à l’autonomie souveraine de l’enfant : «  Faire plaisir à leurs enfants (…) Attention portée aux attentes de l’enfant (…) Il faut respecter les désirs de l’enfant (…) Faire émerger ses vrais désirs » (…) Faire confiance aux bambins ». C’est seulement en une fraction de seconde que l’article de Martine Laronche révèle que les enfants sont en fait les petites victimes du marketing qui transforme le père Noël en fournisseur d’un bon de commande validé par l’industrie du jouet. Les fondements psychologiques de notre comportement reposent sur des enfants à l’image de leurs parents. Cette continuité est la marque d’une socialisation réussie. Sinon parents et enfants sont à la merci du système marchand. Crise ou pas, l’infantilisation des masses jeunes et adultes se poursuit donc à chaque Noël.

Comme d’habitude, il faut que je retrouve mes anciennes lectures pour savoir que les enfants sont trop gâtés à Noël. Dans le numéro 3 de janvier 1973 du mensuel la Gueule ouverte, je peux lire ces mots devenus iconoclastes aujourd’hui : « Le Père Noël est un des pires flics de la terre et de l’au-delà, le Père Noël est le camelot immonde des marchands les plus fétides de ce monde. Les marchands de rêve et d’illusion, véritables pirates des aspirations enfantines, colporteurs mercantiles de l’idéologie du flic, du fric, du flingue… Face à la grisaille géométrique des cités-clapiers, bidonvilles de la croissance, face aux arbres rachitiques, aux peuples lessivés, essorés, contraints, s’étale la merde plaquée or-synthétique, la chimie vicieuse des monceaux de jouets, un dégueulis de panoplies criardes, avec, derrière la porte capitonnée le ricanement malin des marchands. Noël est une chiotte ignoble, et on va plonger nos gosses là-dedans ? Mais faut bien faire plaisir au gamin ! Par ailleurs ces jeux sollicitent de plus en plus de consommation électrique. Allez, tenez, on va fantasmer un peu : bientôt pour construire des centrales nucléaires, l’EDF s’adressera à nos gosses et leur proclamera la nécessité de l’atome pour fournir de l’électricité à leurs jouets !  

Mais quelles sont les tendances d’enfants élevés dans un milieu naturel et n’ayant pas à souffrir du poids des divers modes d’intoxication ? Ils courent, ils jouent dans les flaques, se roulent dans la boue, ou tentent de percer les mystères de « papa-maman ». Ils vivent, pensent, créent. Refouler ces pulsions naturelles est donc le but criminel de notre société. Sauter à la corde ou jouer au ballon devient un exploit quasi contestataire sur des abords d’immeubles transformés en parking. Le système des marchands au pouvoir a dit : J’achète le Père Noël.  Les marchands tuent l’enfant, tuent les parents, tuent le jouet ». Devant la clarté du propos, je n’ai rien à ajouter. Si ! Quand un jour quelconque de l’année, car il n’y a pas de journée spécifique pour faire plaisir en éduquant, j’ai offert un puzzle à ma petite-fille de 2 ans et quelques mois, ce qui l’a le plus intéressé n’était pas les cubes du puzzle, mais la ficelle autour du paquet. Alors nous avons joué ensemble avec la ficelle, car l’essentiel n’est pas dans la valeur du jouet, mais dans le fait de jouer avec les enfants, adultes-jeunes réunis autour de la manipulation d’un objet qui n’a de valeur que celle qu’on lui accorde plus ou moins librement.

techniques douces contre techniques dures

Obama parie sur l’économie verte et remet la science (de l’environnement) au sommet de l’agenda (Le Monde du 23 décembre). Je trouve d’une totale ambiguïté le concept de technologies vertes adopté par l’éditorial. Car qu’est-ce qui est « vert » et que peut-on dire de la technoscience ? Le débat dans les années 1970 sur l’opposition entre techniques dures et  techniques douces, nous offre des pistes de réflexion.

Dans le numéro 9 du mensuel la Gueule ouverte (juillet 1973), Ivan Illich, de passage à Paris pour son dernier livre La convivialité, avait développé ses thèmes de prédilection, dont le rôle de l’outil, convivial ou non : « Je distingue deux sortes d’outils : ceux qui permettent à tout homme, plus ou moins quand il veut, de satisfaire les besoins qu’il éprouve, et ceux qui créent des besoins qu’eux seuls peuvent satisfaire. Le livre appartient à la première catégorie : qui veut lire le peut, n’importe où, quand il veut. L’automobile, par contre, crée un besoin (se déplacer rapidement) qu’elle seule peut satisfaire : elle appartient à la deuxième catégorie. De plus, pour l’utiliser, il faut une route, de l’essence, de l’argent, il faut une conquête de centaines de mètres d’espaces. Le besoin initial multiplie à l’infini les besoins secondaires. N’importe quel outil (y compris la médecine et l’école institutionnalisées) peut croître en efficacité jusqu’à franchir certains seuils au-delà desquels il détruit inévitablement toute possibilité de survie. Un outil peut croître jusqu’à priver les hommes d’une capacité naturelle. Dans ce cas il exerce un monopole naturel ; Los Angeles est construit autour de la voiture, ce qui rend impraticable la marche à pied ».

 Dans le hors série spécial écologie du Nouvel Observateur (juin-juillet 1972), « La dernière chance de la Terre », on trouve explicitement une différenciation entre techniques dures et techniques douces :  

Société à technologies dures Communautés à technologies douces
Grands apports d’énergie

Matériaux et énergie non recyclés

production industrielle

priorité à la ville

séparé de la nature

limites techniques imposées par l’argent…

Petits apports d’énergie

matériaux recyclés et énergie renouvelable

production artisanale

priorité au village

intégrée à la nature

limites techniques imposées par la nature…

 La technologie utilisée doit être douce, douce à l’usage, douce à la reproduction du savoir-faire, douce à la Nature. Sinon on  se retrouve devant des remèdes controversés, comme l’ingénierie du climat destiné à refroidir la Terre (cf. http://abonnes.lemonde.fr/archives/article/2008/12/22/l-ingenierie-du-climat-un-remede-controverse_1134027_0.html). Pour refroidir la Terre, nous n’avons pas besoin d’injection de soufre, nous avons besoin de négawatts, c’est à dire d’appuyer sur la pédale du vélo (techniques douces) et non sur l’accélérateur de la voiture (technique dure).

quelle religion pour le XXIe siècle ?

Une religion lie et rassemble autour de valeurs fondamentales. Nous ne pouvons donc vivre en harmonie sociale sans référence à une religion qui apporte une cohérence au monde et le maintien de cet ordre. Mais la mondialisation libérale a fait éclater toutes les valeurs communautaires, y compris les religions qui se détachent maintenant de leurs territoires et de leur culture d’origine. Les religions qui recrutent prennent de nouvelles formes, le salafisme issu de l’islam, ou l’évangélisme, composé de variantes des christianismes. Les fondamentalismes, partisans d’un retour aux origines et d’une lecture littérale des textes sacrés, sont virulents. Ils dénoncent les faux dieux, l’argent, le matérialisme, l’individualisme. Ils sont contre l’avortement ou les mécréants parce que « c’est la loi de Dieu » (LeMonde du 21-22 décembre, Les religions à l’épreuve de la mondialisation).

Mais la mondialisation poursuit son chemin et diffuse ses marchandises standardisées même dans les endroits les plus reculés. S’arrêter dans le désert, c’est souvent boire du coca cola. La Nature est oubliée, profanée, recouverte par les villes et le goudron. Aujourd’hui l’homme est toujours, plus que jamais, l’ennemi de l’homme, non seulement parce qu’il continue à se livrer au massacre de ses semblables, mais aussi parce qu’il scie la branche sur laquelle il est assis : l’environnement naturel. Dès 1936, Bernard Charbonneau rédigeait un manifeste de 53 pages Le sentiment de la nature, force révolutionnaire. Il affirmait l’urgence de mettre la question de la nature et de sa protection au cœur de la politique. Il concluait à la nécessité d’inventer un rapport non industriel à la terre, indispensable pour assurer la reproduction des ressources naturelles, le maintien des sociétés locales et l’épanouissement des individus. Les religions classiques ne nous sont d’aucun secours : « En définitive, quand nous adorons Dieu, là-haut dans les cieux, nous faisons le malheur des humains. »

James Lovelock dans La revanche de Gaïa constate que les religions du livre ne nous ont pas donnés de règles et de conseils pour vivre en harmonie avec Gaïa (la Terre). En vérité la foi en dieu (ou la confiance dans notre technique) passe à côté d’une réalité : notre dépendance. Maintenant que nous sommes plus de six milliards d’individus affamés ou avides, aspirant au style de vie des pays développés, c’est-à-dire à la vie urbaine, nous empiétons de plus en plus sur le domaine de la Terre vivante. Si nous ne prenons pas soin de la Terre, elle nous rendra indésirables. Les croyants feraient bien de porter un regard neuf sur notre demeure terrestre et y voir un lieu saint, partie intégrante de la Création, mais que nous avons désacralisé. James Lovelock ajoute que nous pourrions, si nous le voulions, faire de Gaïa une croyance instinctive, en familiarisant nos enfants avec la nature, en leur expliquant son fonctionnement et en leur montrant qu’ils font partie d’elle.

Les évangélistes et les salafistes ont absolument besoin d’un nouveau sermon sur la Montagne qui édicte de nouvelles règles pour tenter de vivre en bonne entente avec la Terre. Les futurs croyants assimileront la Biosphère à la Création divine, et sa profanation sera condamnée. Certains parlent déjà sérieusement de crimes contre l’environnement. La bible et le coran nous paraîtront désuets, inadaptés, mensongers ; nous préférerons lire dans le livre de la Nature. Car nos dieux, c’est  le lever du soleil qui apporte l’énergie de la vie aux plantes, l’eau qui ruisselle et étanche la soif de toutes les espèces, l’équilibre des écosystèmes…

la fabrique des politiques

Sarko a fabriqué Rama Yade, Julien Dray a fabriqué les jeunes socialistes à la pointe du combat. Selon l’UMP Ch. Estrosi, « Rama Yade existe parce que Nicolas Sarkozy l’a fabriquée ! On fait un placement, on le fait fructifier… ».   Une ancienne présidente de la FIDL déclare que « c’est Julien Dray qui, tous les deux ans, nomme les personnes de l’organisation ». (cf. Le Monde du 20 décembre). La gauche comme la droite construisent leurs leaders politiques en puisant dans la minorité visible ou dans les jeunes lycéens. A droite comme à gauche, il faut rechercher les nouveaux talents qui vont donner une image positive de son parti. Mais qui a fabriqué Sarko-Dray? Qui a fabriqué les fabricants ?

Selon Serge Latouche (la mégamachine), la plus puissante machine inventée par le génie humain n’est autre que l’organisation sociale. Quand elle se complexifie pour devenir des organisations de masse, combinant la force militaire, l’efficience économique, la performance technique et le pouvoir politique, l’individu devient alors le rouage d’une mécanique complexe atteignant une puissance quasi-absolue : la méga-machine. Aujourd’hui la méga-machine prend des dimensions planétaires qui transforme tous les humains en rouages à fabriquer des rouages. Les leaders politiques choisissent leurs valets, mais on ne devient leader politique que si on a complètement assimilé les objectifs du système thermo-industriel, consommer à outrance. Sarkozy s’habille d’une montre Rolex Daytona d’une valeur de 10 000 à 15 000 euros, Julien Dray est lui aussi friand de montre, on lui en connaît une qui avait coûté en 1999 la bagatelle de 38 000 euros. Il n’y a  plus de différence entre les dévots du libéralisme économique ou du socialisme, il faut travailler plus pour gagner plus pour que quelques-uns uns se payent des montres hors de prix et puissent nommer des politiques qui vont à leur tour prôner la croissance économique. Que ce soit Obama, Sarkozy ou Martine Aubry, ils sont tous entièrement d’accord, il faut financer l’industrie automobile, il faut relancer l’économie, il faut augmenter le pouvoir d’achat, il faut dépasser toujours plus vite les limites de la planète.

Dans une société riche, chacun est plus ou moins consommateur-usager ; de quelque manière, chacun joue son rôle dans la destruction du milieu. Tout leader politique n’est que le jouet des mécanismes économiques, ceux qui militent pour une véritable écologie politique demeurent à l’état de trace.

sépulture écolo

Nous ne nous rendons vraiment pas compte que les problèmes écologiques traversent tous les aspects de notre existence. Cette transversalité rend la recherche de modes de vie acceptables pour la planète des humains et de ses associés vraiment très difficile. Même la crémation est polluante. Les rejets de poussières et de gaz toxiques dans l’atmosphère ne sont pas négligeables. L’émission de mercure contenu dans les amalgames dentaires frise les 280 kg/an en Suisse, soit près d’un tiers du total des émissions de mercure de ce pays (LeMonde du 19 décembre). N’y aurait-il pas de mode funéraire écologique ?

            Depuis 1948 au Japon, la crémation est obligatoire en zone urbaine pour ne pas laisser l’espace de plus en plus rare envahi par les cimetières. De son côté le pouvoir chinois s’emploie depuis longtemps à empêcher les sépultures en pleine terre dans les campagnes : dans un pays habité par le cinquième de la population mondiale, mais où 7 % seulement des terres sont arables, l’éparpillement des tombes pose en effet un problème d’occupation des sols. Les Chinois proposent même des cercueils en papier pour épargner les forêts. Mais le mode de sépulture qui a gagné ma confiance car il va dans le sens du recyclage programmé par la Nature, c’est l’initiative parisienne : la commune fournit une sépulture gratuite pour cinq ans aux personnes décédées sans ressources ni famille. Pour ce faire, des caissons en béton étanche sont équipés d’un système d’introduction de l’air afin que les espèces qui aident au recyclage de l’organisme puissent accéder au festin, que l’oxygène accélère le dessèchement du corps et qu’il y ait une évacuation des gaz de décomposition. Il n’y a aucune pollution et le caveau peut être récupéré à l’infini.

            En général, nous ne nous appuyons pas assez sur les compétences de la nature qui possède depuis des temps immémoriaux un sens pratique très développé en ce qui concerne l’équilibre dynamique et le recyclage performant.

une simplicité contagieuse

La simplicité du mode de vie a commencé il y a fort longtemps, Diogène avant Jésus Christ en est la figure titulaire. Ayant vu un jour une souris qui courait sans se soucier de trouver un gîte, sans crainte de l’obscurité, et sans aucun désir de tout ce qui rend la vie agréable, il la prit pour modèle. Ce « Socrate en délire », comme le surnommait Platon, marchait pieds nus en toute saison, dormait sous les portiques des temples et avait pour habituelle demeure un tonneau.  

Aujourd’hui la simplification du mode de vie commence à se répandre, ce n’est plus une attitude réservée à une élite. Le mensuel La décroissance présente à chaque fois un témoignage d’expérience vécue dans la simplicité volontaire. Dans le dernier numéro, il s’agit de Laetitia et Alessandro qui cultivent leur potager. Alors qu’avant ils mangeaient de la viande à tous les repas, ils n’en achètent plus. Ils n’ont pas de voiture et mangent bio le plus souvent possible. Mais comme personne n’est parfait, ils vont souvent au cinéma. Ils se définissent comme des déserteurs du travail qui se contentent du RMI. Même Le Monde consacre parfois une rubrique à ces sentinelles de l’avenir. Toute une page le 17 décembre pour Joan Pick, dont l’objectif depuis 1973 est « zéro carbone » : pas de voiture bien sûr, mais aussi pas de réfrigérateur, pas de chauffage, pas de télévision, ni même de douche. Noix et germes de blé forment l’essentiel de son alimentation.

Joan avait rédigé en 1972 un rapport sur la planète, il n’a jamais été publié. Pourtant elle a raison. Bien que je n’aime pas les termes des industriels, la Terre est comme une entreprise dont nous sommes tous actionnaires et dont l’énergie est la principale devise. Laetitia et Alessandro ne se contentent pas de cultiver leur jardin, ils organisent conférences et rencontres et barbouillent aussi avec le collectif des déboulonneurs des affiches publicitaires. Récemment ils se sont même dénoncés à la police qui ne voulait pas les arrêter. Ils ont raison. Si tout le monde faisait comme eux, plus aucune publicité nulle part, et la Terre serait plus vivable. Il n’y aurait plus de RMI faute d’exclus : chacun cultiverait son jardin, dans la joie et la bonne humeur bien entendu.

J’aimerais tant une société conviviale nourrie de simplicité volontaire… Elle se prépare ici et là. Quand le volume des objecteurs de croissance sera assez grand, le mimétisme « je ne consomme pas parce que tu ne consommes pas parce que nous ne consommons plus » fera aboutir la dernière et plus pacifique des révolutions. Il est permis de rêver.

obligation de loyauté

Prenant la parole au nom de la Confédération syndicale internationale (CSI) lors de la session plénière de clôture de la Conférence annuelle de l’ONU sur le changement climatique (Poznan, en Pologne, décembre 2008), Bheki Ntshalinsthali a déclaré aux délégués des Nations unies : « Nous les syndicats sommes convaincus de pouvoir réparer et reconstruire  les économies nationales en nous basant sur un « New Deal vert », qui générera de la richesse et de l’emploi, et protègera l’environnement. Les travailleuses, les travailleurs et leurs organisations doivent participer à la prise de décision. Le dialogue social est une nécessité pour apporter des solutions effectives au changement climatique et au développement social. »

Dans LeMonde du 16 décembre, une brève nous informe qu’un salarié de l’usine Michelin a été licencié pour avoir critiqué ses conditions de travail sur un site Internet. Michelin évoque une « obligation de loyauté » envers l’entreprise.  Nous avons là une illustration parfaite de la liberté d’expression et du dialogue social : le patron veut toujours avoir raison ! Mais avec le réchauffement climatique, c’est bien plus grave : il ne s’agit plus seulement d’un cas individuel, il s’agit du devenir de nos sociétés. Les syndicats et le patronat vont être obligés de remettre en question toutes leurs certitudes. Il faudra trier entre les productions nécessaires et utiles et le travail social consacré à la vie collective au moindre coût en termes d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre.

Ni le patronat, ni les syndicats ne sont préparés à envisager ensemble une réduction concertée de l’appareil productif. Pourtant personne ne peut nier la déplétion des ressources fossiles, ni la montée en puissance du réchauffement climatique. La fête est finie, l’énergie ne sera plus ce qu’elle a été, gratuite. Le New Deal vert est encore un doux rêve pour endormir les masses, le réveil sera brutal.

Kaczynski sans portable

Certains frémiront peut-être à l’idée que le portable comble les interstices de la vie sur un mode obsessionnel. Exit les ultimes espaces de solitude d’où peuvent émerger une rencontre avec soi-même, la construction d’une réflexion ou simplement d’une attente (cf. chronique du 14-15 décembre sur le portable). Mais ce n’est pas « peut-être », c’est certain ! Il faut frémir de la généralisation mondiale du portable. En France, 79 % des personnes de plus de 12 ans sont déjà équipés, la quasi-totalité des jeunes générations. Dans les transports collectifs, on subit les conversations lointaines au plus près de nos oreilles. Il n’y a pas une réunion qui ne soit interrompue par la sonnerie stridente d’un portable. Même les randonneurs ne peuvent plus se passer du coup de fil qui n’a aucune importance. Et quand un élève dans une classe a les mains sous la table, ce n’est pas pour se tripoter, c’est pour jouer électroniquement avec lui-même ou passer un sms. Obsession rime avec addiction, un jeune sans portable se trouve démuni à ne plus savoir quoi faire de ses dix doigts ; il faut d’ailleurs remarquer que l’usage du portable est un bon entraînement pour le pouce qui relègue tout le reste du corps à un simple poids mort.

Abandonnons le portable et lisons de toute urgence le livre que tout le monde attendait, L’effondrement du système technologique de Theodore Kaczynski, alias Unabomber : « Je m’étais fixé comme objectif de parvenir à une autonomie complète (…) En vivant au contact de la nature, on découvre que le bonheur ne consiste pas à chercher toujours plus de plaisir. Il réside dans le calme. Une fois que vous avez apprécié le calme suffisamment longtemps, vous développez vraiment à la seule évocation de plaisirs excessifs un sentiment de rejet (…) L’ennui est quasiment inexistant dès lors que vous êtes adaptés à la vie dans les bois. Vous pouvez parfois rester assis pendant des heures à ne rien faire, à écouter  les oiseaux,  le vent ou le silence, à observer les ombres qui se déplacent avec la course du soleil. Et vous ne connaissez pas l’ennui. Vous êtes seulement en paix (…) Je reste debout pendant quelques minutes à admirer la neige d’une blancheur immaculée et les rayons de soleil filtrant au travers des pins. Je laisse entrer en moi le silence et la solitude (…) Mes plus beaux souvenirs ? Les ragoûts d’automne faits de viande de cerf avec des pommes de terre et des légumes de mon jardin. Ces moments où je restais assis ou allongé à ne rien faire, sans même réfléchir, baignant seulement dans la sérénité (…) La chose la plus pénible de ma vie ? La pire  chose que j’ai connue au cours de ma vie dans les bois fut l’envahissement progressif de la nature par la civilisation moderne ».

 NB : les droits d’auteur de ce livre seront offerts à la Croix-rouge, l’auteur est le prisonnier le plus célèbre des Etats-Unis.

développement ou rupture ?

L’UE s’engage péniblement  vers un accord sur le paquet énergie-climat. De toute façon la facture sera jugée toujours trop lourde par les industriels. Et le consommateur européen ne s’est pas encore rendu compte qu’il va lui falloir changer toutes ses habitudes. Il n’y a que le WWF chinois qui commence à réfléchir : « Les pays riches ont pu se développer dans le passé, émettant ainsi beaucoup de gaz à effet de serre. Mais pouvons-nous consommer autant d’énergie que vous l’avez fait ? Non, parce qu’il n’y a plus assez de place pour davantage de carbone. » Le gouvernement chinois en tire la conclusion que « les pays développés doivent soutenir les pays en développement par des ressources financières et du transfert de technologie » (Le Monde du 13 décembre). La Chine n’a pas encore compris que le développement est un concept nocif et que la technologie est le problème, pas la solution.

Ce qui se commet au nom du développement n’a rien de libérateur. Ce n’est qu’une forme larvée, encore plus perverse que l’ancienne, de colonialisme. Les premiers combattants anticolonialistes brandissaient comme un étendard de libération la bannière du développement pour justifier tous les dispositifs créés par le colonialisme en vue de la déculturation en profondeur des peuples dominés. Pour eux, il était clair qu’un bon développement devait continuer d’étendre ces infrastructures héritées de l’époque coloniale afin de permettre à leur pays de « rattraper », le plus vite possible, leur « retard économique ». Il est important de dire aux Européens  comme le fait un professeur à l’université de Dakar: « Arrêtez de nous développer parce que vous ne pouvez nous développer qu’en pensant que nous sommes sous-développés. Or, nous, nous pensons que vous êtes en voie de sous-développement, avec vos pollutions, vos grandes villes, vos personnes âgées dont personne ne s’occupe, etc. » La chine imite le modèle de développement occidental, il n’a fait qu’importer les maux de la société thermo-industrielle, urbanisation non contrôlée, travail forcé, épuisement des ressources non renouvelables, empoisonnements, effet de serre… (cf. Majid Rahnema, la puissance des pauvres)

La variable déterminante du développement humain après 1800 fut la libération de la vitesse technologique. La révolution industrielle constitue, selon Davis Gregory Clark, la première rupture de l’économie humaine avec l’économie naturelle. Stanley Jevons a analysé la dépendance de l’économie britannique à l’égard d’un charbon bon marché, mais épuisable dans The Coal Question (1865). Il trouve ailleurs que dans la  terre un facteur limitatif de la production. Toutefois ce facteur n’est plus un fonds renouvelable, mais un stock (les ressources minières) dont la perspective de l’épuisement annonce un avenir autrement plus sombre que l’état stationnaire : le déclin ! Jevons formule aussi un paradoxe qui a gardé son nom : l’accroissement de l’efficacité technologique dans l’utilisation d’une ressource naturelle comme le charbon ne réduit pas la demande pour cette ressource, mais l’accroît au contraire. La consommation est déchaînée par l’accélération technologique du fait de la baisse des coûts que celle-ci entraîne : « Le système économique accroît indéfiniment notre richesse et nos moyens de subsistance, et conduit à une extension de notre population, de nos productions, de nos échanges, qui est appréciable dans le présent, mais nous mène nécessairement vers une fin prématurée ». La croyance dans la technologie comme solution ultime à tous nos problèmes peut détourner notre attention du problème réellement fondamental – celui de la croissance dans le cadre d’un système fini – et même nous empêcher de prendre les mesures adéquates pour y porter remède. La loi d’entropie nous rappelle qu’il existe une flèche du temps et que nous laisserons aux générations futures un patrimoine naturel moindre et sans doute moins adapté à leurs besoins que celui que nous avons trouvé à notre naissance (cf. Jean-Paul Fitoussi, la nouvelle écologie politique).

violences lycéennes

Les titres du Monde du 12 décembre sont éloquents : « Après cinq jours d’émeutes, genèse d’une révolte de la jeunesse grecque », « La violence des lycéens inquiète le gouvernement français ». La jeunesse occidentale se retrouve  déclassée même quand elle est diplômée. Elle trouve des emplois parfois, de plus en plus précaires, souvent. Il n’ y a plus d’espoir en des lendemains qui chantent, no future disent aussi leurs tee-shirts. On ne va plus en cours, mais à quoi servent les cours ?

Face au cumul de leurs difficultés, il est même étonnant que les jeunes ne se révoltent pas davantage. Et quand ils se révoltent, cela devient de plus en plus fréquemment des scènes de violence car il n’y a plus de possiblité de dialogue, il n’y a plus de slogans, il n’y a plus de revendications assumées. Ce sont des mouvements le plus souvent spontanés par l’intermédiaire des portables, des manifestations inorganisées parce qu’il suffit d’imiter l’autre lycée bloqué vu à la télé. Un seul jeune tué par la police ici ou là, et c’est déjà l’embrasement. Aucune organisation ne peut encadrer les lycéens parce que les lycéens sont dépolitisés. Ils sont dépolitisés parce ce sont les enfants de la société de consommation et de la société du spectacle, complètement vidés de leur substance par le système marchand. Ils sont enfermés dans leurs inexistantes certitudes car les adultes n’ont plus d’autorité. Les enfants désirés par des parents aimants se sont transformés en enfants livrés à eux-mêmes et à l’instant présent.

Si j’étais jeune, je me rendrais compte que les générations actuelles ont profité des années de croissance économique pour s’endetter tant et plus et faire payer les générations futures. Si j’étais jeune, je me rendrais compte que les merveilleuses ressources d’hydrocarbures ont été complètement brûlées en moins de 200 ans et qu’il faudra dorénavant marcher à pied et avoir froid. Si j’étais jeune, je me rendrais compte que le capitalisme avait promis l’abondance pour tous et qu’il est en train d’instaurer la pénurie généralisée. Si j’étais jeune, mes parents ne seraient pas d’un grand secours, coincés par le système tel qu’il est. Les partis ne seraient pas d’un grand secours, infestés par leurs querelles intestines et leurs mots d’ordre insensés : travailler plus pour gagner plus ? Les mythes révolutionnaires ne seraient pas d’un grand secours puisqu’ils se sont tous effondrés depuis la chute du mur de Berlin.

Si j’étais jeune, je serais dans la rue sans savoir pourquoi. Moi, à la fin de ma vie, je commence juste à percevoir qu’il faudrait tout changer, condamner le capitalisme et son développement-croissance, vivre dans la simplicité et retrouver le goût du voisinage,  éviter les cours scolaires pour pratiquer l’artisanat, retourner à la terre tant qu’il y a encore des terres arables. Mais moi, pour ce que j’en dis…

optimisme pétrolier !

Selon l’agence gouvernementale d’information sur l’énergie, en 2009 le baril de pétrole serait en moyenne à 51 dollars. Dans le même numéro du Monde (11 décembre), à la même page dans un autre article, la Banque mondiale mise sur un baril à 75 dollars en 2009. Mais tous ces experts n’en savent absolument rien. Le pétrole était à 150 dollars en juillet 2008, il pourrait être à 200 dollars en 2009. Mais en 2005, l’institution financière Ixis CIB notait que si le prix du pétrole avait augmenté depuis 1974 au rythme optimal d’une ressource épuisable, il vaudrait déjà 122 dollars en 2005 (alors qu’il ne cotait que 66,6 dollars au 22 septembre). Le même organisme évoquait la possibilité d’un cours du baril à 360 dollars en 2015. Seule compte aujourd’hui pour les Américains et la Banque mondiale la loi du marché et la spéculation, l’épuisement des ressources n’est pas à l’ordre du jour.

La Banque mondiale estime en effet qu’il n’y aura pas de pénurie de matières premières dans les vingt ou trente prochaines années. Mais son expertise se limite au ralentissement de la demande (baisse de la population et des revenus), pas à la contrainte géologique de l’offre : l’état des réserves. On se contente d’affirmer sans rire que « les réserves prouvées de pétrole demeure de façon incroyablement constante à environ 40 années de production ». Pourtant d’autres spécialistes se sont penchés sur le pic pétrolier et parlent de surévaluation des réserves. Le point culminant de la production mondiale de pétrole est envisagée pour 2037 par le National Intelligence Council des USA (qui défend les illusions américaines), quelque part entre 2013 et 2037 par l’Agence internationale de l’énergie (qui défend les pays riches importateurs), mais avant la fin de cette décennie par l’Aspo (Association for the study of peak oil and gas) lors  de son colloque à Lisbonne en 2005. En effet les réserves mondiales, estimées aujourd’hui à 2275 milliards de barils, seraient seulement de 1750 milliards. L’Aspo est composée de spécialistes de l’industrie pétrolière comme son fondateur l’Irlandais Colin Campbell qui a dirigé le département Géologie d’Amoco avant de terminer sa carrière comme vice-président de Fina. Ces analystes nous ont appris que les quotas de répartition entre membres de l’Opep étaient indexés sur une prétendue augmentation constante de leurs réserves. Il est vrai aussi que Shell a déjà reconnu qu’un tiers de ses réserves « prouvées » étaient imaginaires.

 Les organismes monétaires, (banque mondiale, FMI, Fred) nous leurrent depuis des années en poussant à la croissance à crédit. On voit le résultat avec le tsunami financier actuel. Il me semble probable qu’en matière de ressources en matières premières, l’optimisme forcé de certaines institutions aboutira bientôt à un résultat similaire : un krach écologique.

cultivons notre jardin

Nous avons vécu depuis des décennies dans le monde entier un exode rural massif, mais les flux commencent à s’inverser.  Ainsi dans les 14 pays africains qui sont sur la bonne voie pou réduire le problème de la faim, le secteur agricole a connu une croissance constante ; au Ghana, les gens sont deux fois plus nombreux à revenir à l’agriculture qu’à la quitter (LeMonde du 10 décembre). Mon quotidien préféré explique que les ménages ne disposant pas de terres sont les plus vulnérables à la famine, les citadins achetant des aliments issus du commerce mondial sont les plus exposées et, selon le rapport annuel de la FAO, 693 millions de personnes souffrent de la faim en 2008. Les pays riches ne sont pas à l’abri de cette évolution qui touche d’abord les pays les plus pauvres.

           Dans son livre prémonitoire, Pétrole : la fête est finie !, Richard Heinberg montre que les combustibles fossiles sont essentiels à la productivité agricole actuelle. Sans cet apport d’énergie non renouvelable, notre planète ne pourrait nourrir qu’environ 2 milliards de personnes. Il constate aussi que durant la période de croissance énergétique, la plupart des groupes traditionnels ont été atomisés, et les familles arrachées aux fermes et villages basés sur la subsistance rurale, puis aspirés dans la compétition anonyme des cités industrielles : « La sécurité, pendant la transition énergétique à venir, impliquera de trouver les moyens afin d’inverser cette tendance ». Il faudra donc « contrôler la chute ». Richard recommande par exemple de cultiver autant que possible les aliments destinés à sa propre consommation et de faire son compost.           

Je m’étonne que les politiques et les médias n’attachent aucun importance à l’imminence du pic pétrolier, le moment où les quantités disponibles de pétrole commenceront à baisser. Dans les contributions générales du Parti socialiste (juillet 2008), seule celle des fabiusiens envisage  le pic : « De nouveaux consommateurs ont un besoin massif de pétrole alors même qu’apparaît le plafond de production selon l’Agence internationale de l’énergie ». Pourtant il ne s’agissait pas d’envisager la raréfaction géologique, seulement l’intérêt des pays producteurs « qui n’ont pas à pomper davantage avec un bail de pétrole qui pourrait atteindre 200 dollars ». Nos visionnaires politiques restent dans le court terme, alors qu’il faudrait structurer notre société pour le long terme en donnant à chaque ménage la possiblité de cultiver son propre jardin.

décroissance et catastrophe

Les Verts affichent enfin leur unité lors de leur Congrès. Cécile Duflot est réélue secrétaire nationale et la motion commune est votée par 71 % des congressistes (LeMonde du 9 décembre). Quant au contenu, le texte se prononce pour une « décroissance sélective, équitable et solidaire ». Cela est un peu plus incisif que la plate-forme électorale des listes EuropeEcologie qui prône seulement la « décroissance des flux de matière et d’énergie». D’ailleurs dans Libé du 5 décembre, Daniel Cohn-Bendit est beaucoup moins affirmatif : « « Pour moi  la décroissance, c’est un gros mot que personne ne comprend. Comment parler de décroissance à des gens en crise ? » Alors on  vivra autrement, mais sans rien changer : « Cela signifie arrêter de produire des voitures non estampillés développement durable au profit de véhicules qui consomment moins et durent plus longtemps ». Il n’y a là aucune remise en question du véhicule individuel qui structure nos sociétés !

Derrière ces circonvolutions de langage se cachent un débat fondamental, celui de la profondeur de la crise à venir. Sur ce point, le manifeste du conglomérat EuropeEcolgie rassemblé autour de Daniel Cohn-Bendit est assez explicite : « Nous n’avons plus le temps. Tous les indicateurs sont au rouge. Notre modèle de développement est pulvérisé par les faits ! Aveuglé par l’idéologie de la croissance sans limites, dopé par le laisser-faire du libéralisme, le système productiviste fonce tout droit vers la catastrophe, tel un bateau ivre ». « Catastrophe » ? Le gros mot que tout le monde  comprend est lâché. Pourtant au Congrès des Verts, Yves Cochet et Denis Baupin ont été marginalisés sous prétexte qu’ils seraient « catastrophistes ».

La circulaire française de juillet 2004 qui gère l’EDD (éducation au développement durable), indique : « La prise de conscience des questions environnementales, économiques, socioculturelles doit, sans catastrophisme mais avec lucidité, aider les élèves à mieux percevoir l’interdépendance des sociétés humaines avec l’ensemble du système planétaire ». Mais ce n’est pas faire du catastrophisme (termes du texte officiel) que de montrer aux jeunes que nous éduquons une réalité catastrophique, épuisement des ressources fossiles, choc climatique, stress hydrique, perte de biodiversité… La réalité est désormais surdéterminée par les krachs écologiques qui s’annoncent et qui rétrospectivement feront du tsunami financier actuel une petite vague sans conséquence. Comme l’exprime un livre d’Yves Cochet, nous allons vers la « pétrole apocalypse ».Je suis personnellement un partisan de la pédagogie de la catastrophe, mais uniquement pour que ce ne soit pas la catastrophe qui serve de pédagogie quand il sera trop tard pour  réagir.

esclavage électrifié

Cinquante ans seulement, le jour où symboliquement le monde dit civilisé a basculé du tout mécanique au tout électrique. L’édition du 7-8 décembre de mon quotidien préféré relate ce qui se faisait il y a cinquante ans. Auparavant le fonctionnement d’une montre reposait sur une source d’énergie fournie par la détente d’un ressort qu’on était régulièrement obligé de remonter manuellement. En 1958, pour la première fois en Europe, l’entreprise Lip a commencé à  fabriquer une montre dont l’énergie était fournie par l’électricité. L’article de l’époque précisait qu’il suffisait de mettre les piles hors circuit quand on n’avait pas besoin de connaître l’heure. Aujourd’hui l’électricité fonctionne 24 heures sur 24 dans tous les secteurs de nos activités, pour donner l’heure et programmer nos existences, pour accompagner nos chaudières au gaz, pour animer les balances des commerçants, pour allumer les différents écrans qui conditionnent une grande partie de notre vie. Mais plus personne ou presque n’a conscience du gigantesque système technique à l’œuvre dans la vie quotidienne pour alimenter nos activités. La minuscule prise de courant sur laquelle brancher la télé et recharger les batteries est reliée à des transformateurs, des lignes haute tension et tout au bout en France le plus souvent une centrale atomique.

Toutes les avancées techniques facilitées par le tout électrique ont créé un monde dans lequel le destin de l’homme moyen n’est plus entre ses propres mains ou entre les mains de ses voisins et amis, mais dans celles du système techno-scientifique et de ses centrales électriques. Les politiciens, les cadres et les bureaucrates sont au service de cette mégamachine sur laquelle aucun individu ne peut plus avoir une quelconque influence. Le citoyen est dépossédé aussi bien de son savoir-faire que de son savoir-être par la machinerie électrique. Disparition de métiers, impossibilité de communiquer sans machines, vision utilitariste du monde, filature incessante des individus avec les caméras de surveillance, les puces de détection et même la biométrie ; l’avenir s’assombrit. Le jour où on a cessé de remonter manuellement les montres, ce jour-là nous sommes devenus les esclaves de la société thermo-industrielle pour le meilleur et pour le pire.

C’est pourquoi 58 % des 742 experts interrogés par l’institut américain Pew  imaginait que, d’ici à 2020, des groupes de Refuznik hostiles à la technologie apparaîtront et pourront avoir recours à des actions terroristes pour perturber le fonctionnement du tout électr(on)ique. D’autres pensent que les ruptures d’approvisionnement en électricité qu’il faut bien fabriquer (raréfaction géologique du pétrole, du charbon, de l’uranium) seront les signes de l’effondrement de nos sociétés trop complexes sans même qu’il soit besoin d’agir contre la mégamachine…

enfin! La fin de la F1…

C’est le commencement de la fin. Enfin ! La fin de la F1. Le Monde du 6 décembre nous informe que Honda se retire de la formule1 : « Cette décision a été prise à la lumière de la dégradation rapide du secteur-clé de l’automobile, due au resserrement du crédit et à la récession des économies mondiales ». Mais cette annonce vient trop tard car ce n’est pas la crise qui aurait du faire disparaître la compétition automobile, mais la simple raison raisonnante. Nous avons été manipulés et les Cassandre n’ont pas été écoutés.

Jusqu’en 1968, les championnats de F1 n’avaient pas de spectateurs fervents. C’est avec l’intrusion des marques de cigarettes que la médiatisation des grands prix a connu un essor décisif : elles versaient entre deux et trois millions de francs dans les années 1970. Par exemple en 1972, Marlboro recouvre entièrement de son sigle la voiture de Jean-Pierre Beltoise. Depuis le septennat de M.Pompidou, le culte de l’automobile est donc devenu en France la religion d’Etat, la seule d’ailleurs à laquelle croient la plupart des dirigeants. Aujourd’hui encore Sarko est le premier défenseur de l’automobile et son Premier ministre le plus grand adepte des 24 heures du Mans. Cependant, Philippe Saint-Marc (in mensuel Le Sauvage n° 6) nous indiquait dès 1973 que « cette adoration obligatoire dissimule mal la réalité : l’automobile est devenue le cancer de notre civilisation. Elle la ronge par sa prolifération effarante, anarchique et  dominatrice. Elle casse les villes et dilapide la nature. Elle gaspille une énergie sans cesse plus rare et plus coûteuse. Elle brise le cadre de vie collectif pour enfermer l’individu dans une petite carapace d’acier qui l’isole et exalte son agressivité en la cuirassant. Nous allons vers l’« auto-destruction » rapide de notre civilisation si nous ne changeons par fondamentalement notre attitude à l’égard de l’automobile, si nous ne cessons pas de la vénérer comme une idole et ne la soumettons pas aux impératifs de la défense de l’environnement. »

Le sport automobile et sa médiatisation induisent la crétinisation systématique des homos sapiens par la publicité, la libération des pulsions destructrices au volant, le culte de la vitesse. Ce conditionnement n’est pas une aberration, le sponsoring et la compétition constituent l’essence d’un système pervers qui empêche qu’un autre monde soit possible. Dans une Biosphère apaisée, on interdirait les courses automobiles, on n’attendrait pas la crise.

terrorisme nordique

Il y a un terrorisme présumé et un terrorisme réel. Selon un chercheur à l’IDDRI, « le problème essentiel est que les pays qui sont responsables du changement climatique, les pays du Nord, en subiront le moins les effets : ils seront surtout subis par les pays du Sud ». Ce n’est qu’un aspect de l’impact terroriste destructeur du modèle de croissance véhiculé par les pays riches : épuisement des ressources fossiles, détérioration des ressources renouvelables, destruction des sociétés agraires, urbanisation imposée, montée des inégalités et de l’exclusion, etc. Les krachs écologiques, provoqués par la société thermo-industrielle, deviennent le facteur géopolitique dominant.

En face il y a un terrorisme présumé, celui de ces jeunes mis en examen pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste », soupçonnés simplement d’avoir mis à mal un caténaire SNCF. Il faut dire que la généralissime Alliot-Marie parle déjà de « terrorisme idéologique ». Nos garde-chiourmes ont peur d’un processus intellectuel qui aurait été à l’origine d’Action directe ou même d’un mouvement d’aussi grande ampleur que celui qui a entraîné la révolution de 1917. Mais la ministre en  convient : « Il n’y a pas de trace d’attentats contre des personnes. » (LeMonde du 4 décembre). Tout cela me rappelle fortement le mouvement luddite, un mouvement qui respectait notre avenir et qui a été assassiné par l’Etat.

Le luddisme a connu ses débuts dans un petit village au nord de Nottingham, la nuit du 4 novembre 1811. Une troupe d’artisans pénétrèrent dans la demeure d’un maître tisserand pour y détruire une demi-douzaine de machines à tisser, convaincus qu’elles nuisaient à leur commerce et à l’emploi. Pendant trois mois, les Luddites attaquèrent les usines et cassèrent les machines jusqu’à ce que la loi fasse de la destruction des machines un délit passible de la pendaison : les machines étaient devenues plus importantes que les hommes. Aux Assises de décembre 1812, quatorze hommes furent pendus et six envoyés aux galères. Pourtant les Luddites ne se révoltaient pas contre toute technologie, mais contre celles qui laminaient leurs modes de vie et de travail, brisant irrémédiablement les liens familiaux et communautaires.  (In Les luddites (bris de machines et économie politique) de BOURDEAU et JARRIGUE)

Reste à savoir si s’attaquer aujourd’hui à des caténaires est un objectif sensé !

la fête est finie

Les journalistes sont là pour me rassurer. Ainsi Bruno Frappat aux Assises du journalisme en mai 2008 : « N’ayez pas peur ! Tant qu’il y aura des nouvelles, il faudra des gens pour faire le tri, hiérarchiser les événements, en jeter. Autrement dit pour penser l’actualité ; il faut parier sur le journalisme durable ».Moi je ne parie jamais, je me contente de constater que mon quotidien préféré ne hiérarchise pas les évènements pour un avenir durable, mais se situe dans l’instant présent. Analysons le supplément « économie » du Monde du 2 décembre. Tout un dossier sur la montée en puissance de l’automobile dans les pays émergents. Mais aucune vision d’un futur sans voitures individuelles puisque le pétrole deviendra (bientôt) hors de prix.

Comme mon quotidien préféré recense beaucoup d’informations, il y a quand même un petit article sur l’arrivée d’Henry Waxman à la tête du comité du Congrès américain pour l’énergie. « Un tournant pour la planète ? », tel est le titre. L’article de Paul Jorion précise : « L’arrivée de Waxman souligne l’antagonisme entre deux courants du parti démocrate : une aile ouvriériste, prête à toutes les compromissions en matière d’environnement à condition que soient maintenus les emplois dans l’industrie automobile ; et une aile verte qui entend faire plier le mieux industriel face aux impératifs du développement durable. »Waxman est donc en faveur d’une réduction des émissions de CO2 de 80 % en 2050. Nous voyons bien dans ces propos de Jorion le souci d’un environnement durable.

Pourtant le lecteur moyen du Monde ne retiendra que la concurrence mondiale entre firmes automobiles qui va s’amplifier, il n’envisagera pas de tournant pour la planète. Comme dit un autre article dans le cœur du journal, « Le litre de gazole à un euro est un petit cadeau de Noël qui tombe à point nommé pour les consommateurs ». Pour les consommateurs du temps présent sans doute, pas pour les générations futures qui subiront les perturbations climatiques. Le pétrole et l’industrie automobile vivent leurs dernières années, mais ni Le Monde ni la gente au pouvoir ne nous préparent à cette échéance dramatique : la fête est finie, mais on rêve encore au père Noël.

humanisme élargi

Comment situer le centre du monde ? Mon quotidien préféré présente le 1er décembre la conception du planisphère australien. Du point de vue des géographes de ce pays, on inverse la carte du monde, le pôle sud en haut, l’Australie bien au milieu. Chacun regarde le monde à sa façon, les cartes se brouillent, il n’y a plus de boussole.

C’est Lévi-Strauss qui nous montre la voie de l’unité conceptuelle, celle d’un humanisme élargi. Dans un discours de 2005,  il montre que l’humanisme change de perspective au fur et à mesure de sa confrontation à l’autre. La Renaissance trouva dans la littérature ancienne le moyen de mettre sa propre culture en perspective, au XVIIIe et au XIXe siècles, l’humanisme s’élargit donc avec le progrès de l’exploration géographique. En s’intéressant aux dernières civilisations encore dédaignées – les sociétés dites primitives – l’ethnologie fit parcourir à l’humanisme sa troisième étape. Par de sages coutumes que nous aurions tort de reléguer au rang de superstitions, les sociétés sans écriture limitent la consommation par l’homme des autres espèces vivantes et lui en imposent le respect moral, associé à des règles très strictes pour assurer leur conservation. Si différentes que ces dernières sociétés soient les unes des autres, elles concordent pour faire de l’homme une partie prenante, et non un maître de la création. Telle est la leçon que l’ethnologie a apprise auprès d’elles.

Selon Lévi-Strauss, « Les droits de l’humanité cessent au moment où leur exercice met en péril l’existence d’autres espèces. Le droit à la vie et au libre développement des espèces vivantes encore représentées sur la terre peut seul être dit imprescriptible, pour la raison très simple que la disparition d’une espèce quelconque creuse un vide, irréparable, à notre échelle, dans le système de la création. »

Lévi-Strauss nous définit ainsi un humanisme qui abandonne son anthropocentrisme pour se rapprocher d’un biocentrisme. Cela ne veut pas dire nier la centralité de l’homme qui est la seule espèce à penser la nature et l’univers, cela signifie que ni la France, ni l’Australie, ni même l’humanité ne sont le centre du monde.

mondialisation destructrice

Les humains ont tressé la corde pour se pendre en inventant le libre-échange et la mondialisation financière. Les pays d’Asie ont été la cible de la première mondialisation commerciale : les Anglais colonisèrent d’abord le sous-continent indien, puis forcèrent la Chine à se soumettre à son diktat après les guerres de l’opium (1839-1842 et 1858-1860) menées au nom du « libre-échange ». Les usines de Manchester pillaient les matières premières pour les transformer en textiles industriels, mais le produit de ces ventes ne suffisaient pas à financer leurs achats de soie, thés ou porcelaines chinoises. Pour se procurer un excédent commercial, les Anglais développèrent alors la production de pavot sur une grande échelle au Bengale afin de vendre de l’opium aux Chinois. Les flux croissants des sorties d’or et les effets catastrophiques de la consommation d’opium sur la population poussèrent l’empereur de Chine à faire détruire les cargaisons anglaises en 1838. Il déclarait : «  Ce peuple (les Anglais), n’ayant pas de quoi vivre chez lui, cherche à asservir les autres pays dont il débilite d’abord les habitants. »

Malgré le bon sens de ces propos, il a du s’incliner devant les troupes britanniques. Juste retour des choses, les pays du Nord subissent maintenant l’offensive commerciale et financière provenant des pays du Sud, par exemple l’OPA en 2006 de l’indien Mittal Steel sur Arcelor. Aujourd’hui ArcelorMittal supprime 9000 emplois (LeMonde du 29 novembre).             Dommage que toutes les régions du monde ait abandonné le précepte maoïste « compter sur ses propres forces ». Mais la fin du libre-échange est programmée puisque ce sont les plus forts qui fixent les règles, et ce sont encore les pays occidentaux. Comme disait le Premier ministre Fillon, faut faire du patriotisme économique ! En fait la mondialisation prédatrice en matières premières et destructrice des équilibres sociaux locaux perturbe la Biosphère, donc les sociétés humaines. Il n’y a de solution durable que la relocalisation des activités ; il faut apprendre à vivre en symbiose avec l’écosystème le plus proche de soi.

homo demens

Chaque fois que j’ouvre mon quotidien préféré, je peux m’attendre à apprendre un autre acte terroriste, une nouvelle bataille inter-étatique ou un désastre écologique. Le Monde du 28 novembre ne faillit pas à la règle : des groupes islamistes font plus de cent morts à Bombay, le régime chinois veut imposer un rapport de force avec la France, les glaciers fondent plus vite que jamais.

Est-ce le travail du diable ? Faut-il s’en prendre aux multinationales avides ? Une grande conspiration est-elle en marche ? Une analyse du lien entre l’homme et les ressources énergétiques suggère une explication plus prosaïque. L’agitation croissante qui se manifeste autour de nous est principalement la conséquence inexorable d’un mode de vie prédateur. La brutale augmentation de la population mondiale et de la consommation des ressources planétaires, caractéristique des sociétés industrialisées, accroît le chaos social. L’échelle des problèmes que nous devons affronter maintenant est unique dans l’histoire humaine et nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Face à l’abondance énergétique, les humains ne se distinguent pas malgré leur cerveau surdimensionné des autres organismes : leur population s’accroît et prolifère, il y a dépassement des capacités de l’environnement, puis chute brutale.

Les humains (se) détruisent, ils peuvent aussi changer. Avec la déplétion pétrolière, il est raisonnable d’espérer un monde futur dans lequel les collectivités seront plus réduites et égalitaires et au sein desquelles les individus vivront une harmonie avec leurs semblables et avec la Biosphère. Il est raisonnable d’espérer qu’homo demens pourra justifier un jour de son qualificatif d’homo sapiens. Est-il raisonnable d’espérer ?