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Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

Quelques idées générales : Le terme « décroissance » a été popularisé par la revue Casseurs de pub quand elle devient le bimestriel « La décroissance, journal de la joie de vivre » en mars 2004. En titre, CROISSANCE = SUICIDE : «  La décroissance est le journal du XXIe siècle, car la question n’est pas de savoir si décroissance il y aura, car décroissance il y aura, mais de savoir si celle-ci se déroulera dans le totalitarisme et la barbarie, ou si celle-ci sera voulue et maîtrisée, dans un cadre humaniste et démocratique. A l’heure actuelle, 20 % de l’humanité consomment 80 % des ressources naturelles. Nous consommons deux planètes… Il est temps de remettre les pieds sur terre. Première étape, arracher ce clou de la croissance, enfoncé dans les têtes. La croissance est un suicide écologique et humain, alors vive la décroissance ! »

Je me suis bien sûr abonné à cette revue dès l’origine. Ma disposition d’esprit et de pratique, tournée vers la simplicité volontaire, était déjà une objection de croissance.

Je suis objecteur de conscience, réfractaire à toutes les armées car le massacre de masse est une absurdité. Je suis objecteur de croissance car la volonté d’augmenter le PIB dans un monde fini est une absurdité. Mon parcours d’objecteur de conscience, donc de réfractaire à l’ordre existant, m’avait préparé à être réfractaire à l’ordre économique dominant, le croissancisme. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Alors que la thématique émergente des limites de la croissance était déjà connue depuis 1972 (rapport au club de Rome), j’ai animé en septembre 2002 un débat montrant que seule la décroissance du niveau de vie de la classe globale (tous ceux qui font usage d’une automobile personnelle) pouvait sauver la planète. Devant la surprise et l’incompréhension de mon assistance (tous des encartés chez les Verts), j’ai compris que l’écologie ne pouvait pas encore passer par l’abandon raisonné et volontaire de la voiture individuelle, même quand on est politiquement très Vert, c’est-à-dire très jeune en matière environnementale. 

Le mot « décroissance », à l’inverse de l’oxymore « développement durable », est irrécupérable par l’écologie superficielle, type « croissance verte ». Ce mot résonne comme un avertissement ultime avant le redoutable choc pétrolier structurel qui nous attend, la crise ultime, la longue catastrophe. Mais il faut attendre la motion ponctuelle 17 des Verts en 2004 pour voir enfin défini politiquement le concept de décroissance. On prend des précautions, il s’agit de « décroissance sélective ». Mais le parti Vert devient tout autre chose qu’une composante « bobo » de la nébuleuse « gauche ». Les Verts semblent désormais porteurs d’une critique anti-productiviste qui préconise une décroissance ciblée sur des objectifs concrets, à savoir la décroissance :

  • des hauts revenus

  • de l’exploitation des ressources non renouvelables

  • de la production et de la vente de pesticides

  • des transports aériens et routiers. Etc.

Malheureusement ce n’était là qu’une toute petite motion dont personne chez les Verts, à part Yves Cochet et son livre de 2005 sur la « Pétrole-apocalypse » (Fayard), n’a prolongé les prémices. De mon côté l’idée de décroissance me parlait. J’étais devenu directement visible (et lisible) sur mon site biosphere.ouvaton.org à partir du 28 avril 2005. La page d’accueil telle que je vivais les choses à l’époque : « Biosphère nous dit : décroissance humaine ». J’étais tellement conscient de la lutte sans issue entre les humains et la planète que je m’exprimais ouvertement « au nom de la biosphère ». Le titre prévu pour le bouquin dans lequel je voulais récapituler mes article quasi-quotidien de mon site, « Journal de la Biosphère 2005 ». Mes préoccupations englobent la décroissance démographique, mais aussi l’anthropisation, la biodiversité, le « développement durable », l’effet de serre, le problème énergétique, l’épuisement des ressources, les religions, les sciences et techniques, et même les sports et loisirs. Tout est dangereux et contestable, la biosphère est en péril. Peu importe que je ne trouve pas de maison d’édition, Internet me permet de trouver quelques lecteurs. Peu importe le nombre quand on ne se soucie pas du résultat, mais de l’intention.

Le 8 juin 2005, je titre sur Internet « Marche pour la décroissance » : « Partis de Lyon le 7 juin pour aller vers le circuit de Magny-cours, les militants de la décroissance veulent lutter contre les grands prix de formule 1, ce loisir anachronique réservé à une vingtaine de gosses de riches alors que le déclin de l’extraction pétrolière commence aujourd’hui et que le climat sera complètement déréglé demain. Plus généralement les décroissants désirent plus de liens et moins de biens car il n’y a pas de libre choix possible entre un changement des mentalités pour une adaptation maîtrisée ou une crise brutale et incontrôlée suite à la pétrole-apocalypse. La Biosphère pense que la décroissance n’est pas l’idéalisation du passé, mais un simple constat de réalité : la croissance dans un monde fini constituait l’impossible rêve de la classe globale, celle qui possède personnellement une automobile. »

J’écrivais le 14 juillet 2005 : « Le bimestriel La décroissance est le nouveau périodique de Casseurs de pub, il résume tout ce que la Biosphère voudrait que les humains pensent. Dans son numéro de juin-juillet 2005, le grand titre nous engage à « Vivre après le pétrole », avec dessin de la bagnole transformée en poulailler. Il nous montre tout ce qu’il faut savoir sur la marche des décroissants pour supprimer le Grand prix de France de F1, il fait une biographie du père de la décroissance, le mahatma Gandhi et indique qu’il faut aussi décroître l’armée. Une page entière sur le pic du pétrole (nous y sommes presque), c’est-à-dire le commencement de la fin, et un encadré sur la saloperie que nous n’achèterons pas, ce mois-ci la tondeuse à gazon. A chaque fois un petit reportage sur les éco-citoyens qui pratiquent la simplicité volontaire : on y voit Elke et Pascal vivre sans voiture et sans télé, ce qui donne le temps de s’occuper d’un jardin, mais qui vivent aussi dans le péché parce qu’ils ont un ordinateur… et pratiquent la sexualité libre ! Les humains sont faits pour penser et pour vivre ce qu’ils pensent, mais la porte d’un avenir durable est très étroite quand on pille la Biosphère ; ses ressources se referment aujourd’hui de plus en plus rapidement avec l’expansion de la société thermo-industrielle. Seule la généralisation de la décroissance ouvre à nouveau la porte de l’avenir. »

Le 15 octobre 2005, je signale l’apparition d’un Parti pour la décroissance ? : « Suite aux Etats-généraux de la décroissance équitable qui vient de se dérouler à Lyon en rassemblant plus de 300 personnes, le « Parti pour la décroissance » annonce sa naissance. Le mouvement pour la décroissance prend de l’ampleur dans la société et il se concentre maintenant sur son indispensable articulation politique. Au moment où nous atteignons le pic d’extraction du pétrole, le choix ne se pose pas entre croissance et décroissance mais entre récession ou décroissance, c’est-à-dire entre le chaos ou une décroissance soutenable et équitable préservant et renforçant la démocratie et l’humanisme. Le Parti pour la décroissance s’attelle dès aujourd’hui à présenter des candidats dans toutes les circonscriptions françaises en 2007 pour présenter la décroissance à l’ensemble de nos concitoyens. » Alors que le Parti pour la décroissance  appelle toutes celles et tous ceux qui souhaitent que la décroissance soit portée dans le champ politique à le rejoindre, j’ai une autre démarche, l’entrisme. Je veux modifier la ligne politique du parti socialiste ! J’ai en particulier réussi à faire passer « par consensus » une motion sur la simplicité volontaire lors d’une réunion à Paris le 29 mai 2010 : « Le Pôle écologique du PS invite ses membres et l’ensemble des citoyens à faire preuve le plus possible dans leur vie de sobriété énergétique et d’autolimitation pour construire ensemble une société plus conviviale et plus égalitaire. » Le PS de François Hollande restera pourtant croissanciste en 2012, ignorant de la question écologique qu’il sous-traite aux écolos pour ne pas avoir à en parler.

Je reproduisais sur mon site cette comparaison frappante : « Imaginons une France où il n’y aurait plus que 200 000 chômeurs, où la criminalité serait réduite des quatre cinquièmes, les hospitalisations pour troubles psychiatriques des deux tiers, les suicides de jeunes divisés par deux et où il y aurait une absence quasi totale de cannabis, de cocaïne et d’héroïne : ce serait un merveilleux progrès s’il ne s’était déjà accompli dans le passé. Les chiffres ci-dessus sont en effet propres à la France des années 1960. Aujourd’hui tous les indices convergent pour montrer que, plus les Français courent après la croissance économique, plus le bien-être de la population diminue ! Il y a un os quelques part… On croirait que les humains se sont réunis en société non pour assurer leur bonheur, mais pour produire à meilleur marché des voitures de métal, des tissus artificiels et du chômage. »

Je fais la chasse aux croissancistes dès que je peux, et souvent c’est pas triste. Ainsi cette passe d’arme avec Eric Le Boucher, à l’époque chroniqueur au MONDE, devenu depuis directeur de la rédaction du magazine économique Enjeux-Les Echos.

– Au chroniqueur au journal LE MONDE  (2 janvier 2008) : « Bonjour Monsieur Le Boucher. Ce n’est pas parce que je suis un ayatollah vert que je ne sais pas reconnaître de vrais arguments. Dans votre chronique dite « du beurre », vous dites qu’ « il n’y a pas de problème de pouvoir d’achat, car en fait il y a trop de pouvoir d’achat ». Vous avez parfaitement raison. Par contre  l’autre aspect de votre raisonnement, qui repose sur une hausse de la production, me paraît non fondé. Vous restez un fervent adepte de la croissance économique dans un monde fini, croissance relancée par une politique libérale plutôt que par une pratique keynésienne. Il ne me semble pas que le résultat va différer, cela entraînera de la même façon une détérioration accentuée de notre planète. La situation est d’autant plus critique que, comme vous le soulignez, beaucoup de travailleurs souffrent. J’ajoute que ce n’est pas seulement en France que des personnes souffrent, et que ceux qui vont le plus souffrir sont ceux dont on est en train de détériorer le milieu environnant avec notre croissance quantitative. Cordialement,… »

– Réponse d’Eric Le Boucher : « Je ne partage pas votre avis. La croissance est la seule façon de résoudre le problème social et elle peut être propre. Mais merci de me lire. »

– La seule réponse possible, envoyée en retour : « Monsieur Le Boucher, vous avez tout à fait raison. D’ailleurs la Terre est plate comme vous l’avez déjà remarqué. Merci de m’avoir répondu, amicalement. »

Le supplément Développement durable (LE MONDE du 3 avril 2008) me permet de comparer l’argumentaire d’Eric Le Boucher et d’Hervé Kempf. Je leur envoie mon analyse par courrier électronique :

« Eric pense en page II que « l’écologie n’est pas une contrainte négative qui force à ralentir la croissance et à consommer moins, mais une chance positive de trouver des innovations qui dynamisent la croissance ». Hervé dit en page III que « la croissance a beau être invoquée tous les jours comme le reflet de la santé économique du pays, elle n’en est pas moins contestée par nombre d’économistes et de politiques ». Qui raisonne juste ?

Eric est transparent, il se retranche derrière les milieux économiques pour qui l’écologie peut être une source fabuleuse de profits. Il défend le libéralisme et la croissance parce qu’il défend le capitalisme et ses privilégiés. Les biens autrefois libres car offerts gratuitement, l’air, l’eau, la température, les bienfaits de la planète devront être dorénavant payés puisque telle est la loi du marché qui a provoqué la rareté actuelle. De son côté Hervé démontre que la mesure de la croissance par le PIB est un leurre. Le produit intérieur brut n’enregistre pas le coût de la dégradation de l’environnement, il n’entraîne pas automatiquement une diminution du chômage, il ne se traduit pas par une élévation du bonheur. Dans un autre article du même supplément, Hervé nous indique que la meilleure mesure écologique consiste à réduire les inégalités.

Nous pouvons déduire de cette comparaison qu’Eric est un conservateur au service du capital, Hervé un progressiste au service d’une humanité réconciliée avec la Biosphère. Le long terme donnera raison à Hervé, il est préférable pour l’avenir des générations futures qu’Eric change d’avis le plus rapidement possible. »

Commentaire électronique d’Hervé Kempf : « On ne saurait mieux lire. Merci de votre attention. Hervé K.

Commentaire électronique d’Eric Le Boucher : « Vive la pensée simple, les noirs et les blancs ! Ah ha ha !!! »

Bien entendu, je n’ai pas d’analyse manichéenne, toutes les nuances de gris imprègnent la réalité. Mais il est vrai que trop d’analystes dans les médias s’expriment au nom du court terme et des intérêts immédiats, pas au nom des acteurs absents lors de nos délibérations : les générations futures, les habitants des autres territoires, les non-humains. Pour construire un avenir meilleur, il nous faut changer à la fois notre vision du progrès économique et du progrès technique. (à suivre, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

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Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

Quelques recettes de décroissance

Achim Steiner, directeur du Programme des Nations unies pour l’environnement depuis 2006, estime en 2009 que la crise offre l’occasion de décarboner l’économie : « Des études ont montré qu’un climatiseur standard en Floride émettait autant de CO2 qu’un Cambodgien pendant toute sa vie. Cette consommation-là, je ne peux la soutenir ». Il ajoute : « Notre objectif doit être de réduire notre empreinte écologique » Il prend comme exemple  les Japonais qui envisagent une économie des 3R dans laquelle les matières premières sont utilisées en quantité « Réduite, Réutilisées ou Recyclées » (LE MONDE du 17 février 2009).

Mais les R peuvent être innombrables. Dans Petit traité de la décroissance sereine (2007), Serge Latouche présentait déjà un programme en 5R pour les pays du Sud (Rompre, Renouer, Retrouver, Réintroduire, Récupérer) comme remède à la destruction de l’identité, des savoirs et des savoir-faire des sociétés vernaculaires. Pour le Nord, il en arrivait à un changement de cap basé sur les 8R : Réévaluer, Reconceptualiser, Restructurer, Redistribuer, Relocaliser, Réduire, Réutiliser, Recycler. Ces huit objectifs interdépendants sont susceptibles d’enclencher un vertueux de décroissance sereine, conviviale et soutenable. Mais on pourrait allonger la liste des R avec radicaliser, reconvertir, redéfinir, redimensionner, remodeler, repenser, etc. Tous ces R participent tout autant de la révolution que du retour en arrière, du changement radicale de direction que de la répétition.

En fait tous ces R sont une saine réaction face à la démesure de la société thermo-industrielle, basée sur les « SUR » : suractivité, surdéveloppement, surproduction, surabondance, surpêche, surpâturage, surconsommation, suremballage, surcommunication, surmédicalisation, surendettement, suréquipement… (cf. Jean Paul Besset, Comment ne plus être progressiste…sans devenir réactionnaire, Fayard 2005). Vive les « R »… Dans un contexte de pénurie globale des ressources naturelles, l’avenir n’est plus dans l’expansion, mais dans son inverse. On peut aller encore plus loin dans le Renoncement.

A la croissance économique sans avenir doit succéder la croissance conviviale, à l’effet rebond l’effet bond, à la militarisation la militarisation, à la mondialisation la mondialisation, à la pollution des sols et des esprits la pollution, au populationnisme la population, à l’urbanisation la surbanisation, à la voiture pour tous le voiturage. C’est l’avènement des « – » dont je suis devenu un adepte convaincu sur mon blog biosphere.

Le discours de la classe politique est comme à son habitude en complet décalage avec ce qu’il faudrait vraiment. Pourtant, qu’on le veuille ou non, il faudra bien un jour sortir du culte de la croissance, toujours plus de bagnoles, toujours plus d’avions, toujours plus de yachts, travailler toujours plus pour gagner toujours plus (parfois !). L’utopie socialiste d’une promesse de prospérité partagée est derrière nous car il existe une contradiction fondamentale entre la réalité des limites de la biosphère et le goût du « progrès » sans limites des croissancistes, secte à laquelle appartient la gauche en général et le PS en particulier. Un programme politique pour la présidentielle 2012 devrait combattre âprement les inégalités intra- et internationales tout en prêchant ardemment la sobriété et le rationnement, particulièrement dans les sociétés riches. Il n’en est rien. J’ai écrit cette chronique d’abonné sur lemonde.fr :

La candidate de l’écologie Eva Joly a présenté samedi 11 février son projet pour l’élection présidentielle. Si elle reprend l’idée d’une transition écologique, on ne peut pas dire que les remèdes préconisés sont à la mesure de l’urgence : « 160 000 logements sociaux, moratoire sur les augmentations de loyer, économie verte créatrice d’un million d’emplois, retraite à 60 ans sans décote, augmentation de 50 % de tous les minima sociaux… » Eva Joly fait surtout du social, pas tellement de l’écologie.

Quel devrait être son programme ?

Ce programme serait conforme à ce qu’on peut attendre d’un état de guerre. Il y a un exemple historique. Après Pearl Harbour, le président Roosevelt annonce le 6 janvier 1942 un arrêt de la production de voitures qui durera jusqu’à la fin 1944. La vente de véhicules à usage privé a été interdite, ainsi que la conduite de loisir. La construction de maisons et d’autoroutes a été stoppée. Les gens se sont rapidement mis à recycler tout ce qui pouvait l’être, avant de se lancer dans l’autoproduction alimentaire dans les « jardins de la victoire ». Aujourd’hui ce n’est pas la guerre entre humains, mais entre les humains et la planète. Voici une version moderne du plan Roosevelt que nous avons adapté à l’état d’urgence écologique actuel en 2012:

1) sur l’alimentation : inutile de parler de souveraineté alimentaire tant que la nourriture sera issue de l’agroalimentaire mondialisé. Au-delà des objectifs nationaux d’une agriculture bio, le gouvernement soutiendra toutes les tentatives décentralisées d’autonomie agricole, circuits courts, AMAP (association pour le maintien d’une agriculture paysanne), jardins partagés, reconstitution des ceintures maraîchères… Le régime excessivement carné sera modifié. Le lundi végétarien sera imposé dans la restauration collective. La taxe carbone, une des principales mesures mises en place dans le premier budget de notre quinquennat, portera aussi sur les émissions de gaz à effet de serre de l’élevage.

Nous allons promouvoir dans chaque commune et dans chaque territoire la constitution de communautés de résilience. Il s’agit de constituer au niveau local un plan de descente énergétique qui permette de résister aux chocs provoqués par les jumeaux de l’hydrocarbure, le pic pétrolier et le réchauffement climatique. Il s’agit de promouvoir la transition entre une époque d’énergie non renouvelable gaspillée en moins de deux siècles seulement et une période durable où les seules énergies utilisées seront renouvelables.

2) sur les déplacements : inutile de parler de transports en commun tant que la voiture individuelle est généralisée. Notre objectif est d’éradiquer la voiture dans les dix ans qui viennent. Nous promulguerons des mesures progressives qui incitera homo mobilis à changer rapidement de comportement. Dans un premier temps, obligation de ne fabriquer et vendre que des voitures de petite cylindrée. La vitesse de circulation baissera de 10 km/h fin 2012, puis par tranche similaire les années suivantes. La circulation « seul au volant » sera interdite, le covoiturage devenant une pratique généralisée.

Il est bien évident que les quads, bateaux de plaisance à moteurs et autres gadgets motorisés seront interdits de circulation avant 2015. Le moyen idéal de déplacements est la marche et le vélo, la rame et la voile.

3) sur l’habitat : inutile de parler de logements sociaux tant que l’emploi n’est pas fourni en même temps. La population doit apprendre à partager l’espace et l’emploi. Dès le débat du quinquennat, aucun étalement urbain ne sera toléré. Nous devrons nous habituer à des logements moins grands et plus faciles à chauffer. Les grands appartements seront divisés, les résidences secondaires réquisitionnées.

Notre crise économique est structurelle, cachée à l’heure actuelle par le surendettement qui a permis une surconsommation. Une politique de vérité doit dire qu’une grande partie des emplois sont inutiles, parasitaires, voués à disparaître dès l’apparition d’une récession durable. Le nombre d’heures de travail sera revu à la baisse entreprise par entreprise. Il faudra accepter de gagner moins, le niveau de vie moyen en France est largement au-dessus des possibilités de la planète. Les métiers de proximité, la paysannerie et l’artisanat seront les piliers de la société de demain. Etc., etc.

Les Khmers verts au pouvoir ? Non, notre programme est conforme à l’état d’urgence que les écolosceptiques en général et les climatosceptiques en particulier ont préparé par leurs agissements, niant la réalité de la crise écologique. Notre programme explicite clairement une réalité incontournable : nous avons dépassé les limites de la planète et nous avons formaté la population à oublier le sens des limites. La taxe carbone généralisée sera un moyen de retrouver la vérité des prix. La suppression immédiate de toute publicité permettra de redéfinir la réalité de nos besoins.

Un programme politique écologiquement cohérent devrait annoncer la suppression de la publicité. Très tôt, il y a longtemps, je me suis aperçu du matraquage marchand que nous commencions à subir. C’est en juin 1970 que je découvre avec Paul Ehrlich l’influence pernicieuse de la publicité : « On exagère à peine en disant que la publicité vise en premier lieu à créer des besoins irrationnels. Son but secondaire est de supprimer la compétition qualitative en créant des différences illusoires entre produits identiques. Sous l’influence de l’industrie, la publicité a convaincu les Etats-Unis que l’automobile n’était pas un engin de transport mais une espèce de totem sexuel, que le pain blanc est enrichi alors que presque tous les éléments nutritifs ont été enlevés… Le travail aux USA est à 60 % inutile. »

Selon Bilderbach, 18 % du travail américain entre 1960 et 1970 a été consacré à payer les intérêts des achats à crédit, ce qui met l’absurdité à son comble. En effet ce surcroît de travail aboutit à un surplus de production qu’il faudra ensuite éponger et pour cela solliciter le public à acheter encore plus et à s’endetter davantage ! Le marché est livré au seul déterminisme de ses lois propres, la qualité de la vie baisse à mesure que le PNB augmente. Pourtant, pendant mes quatre années en face de sciences économiques de 1967 à 1971, jamais cette problématique n’a été abordée.

Nous sommes en 2023 et les mass media fonctionnent encore et toujours avec l’argent de la publicité, obligés de créer de toutes pièces un univers illusoire peuplé de mythes aussi dispendieux que nuisibles : encore plus de voitures, encore plus de parfums, encore plus de fringues, encore plus de marques, encore plus de vitesse, encore plus de tourisme, toujours plus de superficiel. La croissance est une absurdité. Je refuse cette absurdité. (la suite, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

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Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

L’océan n’existe que par ses gouttes d’eau

Selon l’anthropologue Margaret Mead, nous sommes passés d’une société post-figurative où l’idéal est de suivre l’exemple des ancêtres à une société co-figurative où les modèles culturels sont pris parmi les contemporains : la vedette, le héros. Cependant l’adulte y est encore considéré comme un modèle. Nous assistons à la fin de cette époque. Nous entrons dans une troisième période, qui est pré-figurative. Les adultes ne gouvernent plus rien parce que le monde où ils vivent leur est inconnu. Il s’établit un dialogue continu jeunes-adultes pour aller en direction d’un futur indéfinissable.

J’écrivais le 6 janvier 1971 : « Les adultes doivent savoir qu’ils ne se sentiront plus tout à fait chez eux dans un monde qui sera de plus en plus soumis aux valeurs et aux opinions de la jeunesse. »

Nous avons connu par la suite le dérapage qui a transformé les enfants en prescripteurs de dépenses… enfants victimes en réalité du système marchand ! Alors pourquoi pratiquer la simplicité volontaire quand le monde entier se jette dans une frénésie productiviste et une boulimie d’achats ? Je prends portant personnellement plus d’assurance dans mes convictions, guidé par ma tendance à être à contre-courant. Je fais mienne la devise, quand la majorité a tort, c’est une minorité qui montre le chemin de l’avenir. Plus tard tout le monde suivra le même chemin si les conditions s’y prêtent. Peu importe dorénavant pour moi le résultat puisque le chemin que je trace est celui que je le pense juste. Je suis bien conscient de n’être qu’une goutte d’eau au milieu de plus de six milliards d’humains(ndlr : 8 milliards en 2022) ; mais un océan n’existe que par ses gouttes d’eau.

La simplicité volontaire que je pratique se voit déjà à des signes extérieurs. J’ai gardé la barbe très tôt. Je trouvais cela naturel, ça pousse, c’est bien. J’avais aussi des motivations familiales : ma barbe et mes cheveux longs ne plaisaient pas à mes parents. Plus tard, j’ai appris les raisons profondes de ne pas se raser. Pour les garçons la transformation du duvet en barbe révèle la fin de l’adolescence et l’identité masculine, un véritable ancrage dans une spécificité corporelle. Mais les garçons sont victimes d’une instrumentalisation : l’absence de poils est devenu le cœur d’une nouvelle cible, à des fins mercantiles. On a inventé les rasoirs mécaniques ou électriques, bravo les ingénieurs au service du profit ! Comme l’exprimera Georgescu-Roegen, « Il faut nous guérir du circumdrome du rasoir électrique, qui consiste à se raser plus vite afin d’avoir plus de temps pour travailler à un appareil qui rase plus vite encore, et ainsi de suite à l’infini… Il est important que les consommateurs se rééduquent eux-mêmes dans le mépris de la mode. » La femme de son côté se veut moderne, elle enlève tous ses poils. D’abord elles ôtèrent les poils du mollet, c’était dans les années 1920 avec les robes plus courtes et les premiers bains de mer. Et puis les maillots couvrant de moins en moins de chair, ce fut l’épilation de la jambe entière et même des poils du pubis qui ne pouvaient dépasser. Aujourd’hui les jeunes filles deviennent adeptes de l’épilation intégrale. Mais pourquoi se raser ? Celles qui se dénudaient à Woodstock étaient à l’aise dans tous leurs poils.

Dès que j’ai eu mon propre logement, j’ai fabriqué mon lit avec un châlit de bois brut ; une caisse en carton servait de table de nuit. J’utilise depuis 1975 la bibliothèque que j’ai confectionnée en clouant quelques planches. Elle me sert toujours aujourd’hui (en 2023), contenant uniquement des livres centrés sur l’écologie, lectures qui se sont substituées aux manuels d’économique, de sociologie, de politique. Je monte et descend les escaliers au lieu d’emprunter escalators et ascenseurs, j’allume une seule lampe à la fois pour l’éteindre dès que possible, je minimise l’usage des appareils électriques, j’ai toujours choisi de me domicilier près de mon lieu de travail pour y aller à pied, j’ai arrêté de lire romans et fariboles, je suis sur le chemin du renoncement. Je mange moins de viande et je mange moins, je diminue une consommation de vin qui ne sert à rien, je refuse le portable et la carte bancaire, je ne pars plus en avion et limite mes excursions, je commence à écrire au crayon à papier pour peser le moins possible sur la planète, etc. Le chemin du renoncement est un parcours difficile car il n’a comme limites que les limites de ma force intérieure.

Il n’y a pas de modèle d’existence en soi, je pourrais vivre comme Diogène, dans son tonneau. Ce « Socrate en délire », comme le surnommait Platon, marchait pieds nus en toute saison, dormait sous les portiques des temples et avait pour habituelle demeure un tonneau. Il dit un jour en abandonnant son écuelle : « Cet enfant qui boit dans le creux de sa main, m’apprend que je conserve encore du superflu ». Ce philosophe pratiquant (ce qui est une extrême rareté) voulait renverser les valeurs dominantes pour transformer la prétention humaine en humilité. Il justifiait sa conduite en affirmant que les hommes s’imposent des efforts démesurés en oubliant de vivre simplement et sainement selon la nature. Ayant vu un jour une souris qui courait sans se soucier de trouver un gîte, sans crainte de l’obscurité, et sans aucun désir de tout ce qui rend la vie agréable, il la prit pour référence. Selon sa conception de l’existence, l’animal qui ne se crée pas de besoins serait supérieur à l’homme prisonnier de ses désirs et de ses angoisses. Le bonheur résiderait dans la simplicité totale et l’autarcie, se suffire à soi-même.

Si tout le monde voulait imiter Diogène, même un tout petit peu, la Biosphère s’en porterait bien mieux. Il faut sortir de la surconsommation non seulement pour des raisons philosophiques, mais aussi pour faire face à la pénurie croissante de ressources naturelles. Aujourd’hui la simplification du mode de vie commence à se répandre, ce n’est plus une attitude réservée à des marginaux. Le mensuel « La décroissance », auquel je suis fidèle depuis son origine, présente à chaque fois un témoignage d’expérience vécue dans la simplicité volontaire. Dans un numéro, il s’agit de Laetitia et Alessandro qui cultivent leur potager. Alors qu’avant ils mangeaient de la viande à tous les repas, ils n’en achètent plus. Ils n’ont pas de voiture et mangent bio le plus souvent possible. Mais comme personne n’est parfait, ils vont souvent au cinéma. Ils se définissent comme des déserteurs du travail qui se contentent du RMI.

Même LE MONDE consacre parfois une rubrique à ces sentinelles de l’avenir. Toute une page le 17 décembre 2008 pour Joan Pick, dont l’objectif depuis 1973 est « zéro carbone » : pas de voiture bien sûr, mais aussi pas de réfrigérateur, pas de chauffage, pas de télévision, ni même de douche. Noix et germes de blé forment l’essentiel de son alimentation. Joan va beaucoup plus loin que moi dans la voie du renoncement ! (la suite, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

Fragments de vie, fragment de Terre (suite) Lire la suite »

Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

Ma pratique de la simplicité volontaire

Quelques idées générales : La manière dont personnellement je vis et consomme a des répercussions tant sur la vie des autres personnes que sur celle des non-humains et des générations futures. Selon la doctrine keynésienne (dans son livre de 1936), il fallait consommer toujours plus pour échapper à une grande crise comme celle de 1929 : ainsi on lutterait contre l’équilibre de sous-emploi (le chômage structurel). Ford avait déjà mis en pratique la consommation de masse avec la Ford T. Aujourd’hui la croissance de la consommation est devenue une fin en soi, sans souci de l’avenir ni du respect de la biodiversité.

La simplicité volontaire est une tentative d’enrayer ce mécanisme keynésien (et fordiste). Cela consiste à choisir un autre mode de vie que celui de la société de consommation et du spectacle. Contre le gaspillage des ressources fossiles, il s’agit de cultiver la sobriété énergétique, contre la dictature des objets, il s’agit de privilégier les relations directes avec les autres humains tout autant qu’avec la Nature. Le bonheur n’est pas dans le système marchand.

Je suis né en 1947. En ce temps-là du début des Trente Glorieuses, les casseroles s’achetaient encore avec des tickets de rationnement et on prenait la vie comme elle venait. Il n’y avait pas de préoccupation écologique, juste le souci de reconstruire après-guerre une société encore traditionnelle. Je suis donc personnellement préparé à vivre de peu. Depuis qu’il m’en souvient j’ai toujours vécu le plus simplement possible. Je suis un enfant d’après-guerre, élevé dans un contexte de pénurie, avec un père artisan–tailleur qui avait des mortes saisons, sans beaucoup de client. Il fallait faire attention à tout, je faisais au minimum. Je voulais faire du piano dès le plus jeune âge, j’ai attendu mes 17 ans pour en avoir un. Je n’ai jamais souffert du manque, nous étions élevés à ne recevoir de l’argent de poche qu’en échange de notre travail… manuel. Il n’y avait pas de télévision, pas de téléphone accessible aux enfants du foyer, bien sûr ni ordinateur ni téléphone portable. C’était le bon temps, je ne me suis jamais ennuyé.

Aujourd’hui, dans une société de surconsommation, nous devons nous entraîner à vivre de peu, à vivre comme un Amish, la religion en moins. Arne Naess écrivait dans Ecologie, communauté et style de vie :

« En définitive, toutes nos actions et toutes nos pensées, même les plus privées, ont une importance politique. Si j’utilise une feuille de thé, un peu de sucre et de l’eau bouillante, puis que j’en bois le produit, je soutiens le prix du thé et du sucre et, plus indirectement, j’interfère dans les conditions de travail au sein des plantations de sucre et de thé dans les pays en voie de développement. Pour chauffer l’eau, j’ai probablement utilisé du bois ou de l’électricité ou un autre type d’énergie, et ce faisant, je prends part à la grande controverse concernant l’utilisation de l’énergie. J’utilise de l’eau et prends aussi part à une myriade de problèmes politiquement brûlants qui concernent les réserves d’eau. J’ai donc une influence politique quotidienne. Je peux par exemple penser que les pays en voie de développement ne doivent pas exporter le thé, mais plutôt produire plus de nourriture… »

Dans les années 1970, j’adhère à la philosophie de la non-violence puisque je deviens objecteur de conscience. Je suis interpellé par le raisonnement de Gandhi: « La civilisation au vrai sens du mot, ne consiste pas à multiplier les besoins mais à les réduire volontairement, délibérément. Même à l’ashram, nous possédons beaucoup de choses dont on ne saurait prouver la nécessité et ainsi nous soumettons notre prochain à la tentation de voler. Il faut nous rappeler que la non-possession est un principe applicable aussi bien aux pensées qu’aux choses. Celui qui emplit son cerveau de connaissances inutiles viole ce principe inestimable. »

Mais je prends en même temps mes distances (écrit le 27 décembre 1970) car l’humilité ne peut être une règle en soi, elle ne se prête guère à ce qu’on la pratique volontairement dans une société d’abondance. D’où l’impasse dans laquelle s’engage notre société consumériste, la pression du confort dont nous aurons tant de mal à sortir. (à suivre, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

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Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

la difficulté de la résilience locale

Comment créer une communauté de résilience ? Il s’agit de réunir tous les acteurs locaux, aussi bien individuels que collectifs, associatifs et politiques. C’est dans le cadre de la commission énergie de Charente Nature que nous avons constitué début 2011 un groupe de pilotage. J’ai proposé cette  plate-forme d’action qui a été acceptée :

1) notre objectif : instaurer un territoire de résilience

– une démarche logique : Les jumeaux hydrocarbures (pic pétrolier et réchauffement climatique) nous imposent une descente énergétique. Il ne s’agit pas de catastrophisme, mais d’une réalité. Le meilleur moyen est de tendre localement à l’autonomie alimentaire et énergétique. Seule l’énergie renouvelable est durable.

– une démarche non idéologique : il y a un intérêt commun à adopter une telle voie, quelle que soit l’appartenance politique des habitants d’un territoire. Agir ensemble sur son territoire implique décentralisation en acte, mais aussi soutien de l’Etat à ce mouvement.

– une démarche pragmatique : le territoire doit élaborer un plan d’action de descente énergétique (Pade), ce qui peut rejoindre des pratiques locales existantes (plan climat local, AMAP, SEL, MAB, Velocity, point info-énergie, jardins partagés…). Il s’agit d’instaurer une dynamique collective.

2) un changement technique : usage de techniques douces

– doux à la nature : application du principe du berceau au berceau, c’est-à-dire un nouveau modèle économique où la notion même de déchets est bannie au profit de cycles fermés. Il faut suivre l’exemple de la nature qui opère selon un métabolisme au sein duquel le déchet n’existe pas.

– doux à la société : utilisation d’une spécialisation limitée et d’appareillages simplifié ; renouveau de la paysannerie et de l’artisanat ; principe de coopération et non de concurrence.

– doux politiquement : il s’agit d’instaurer une démocratie locale, sachant que seul le local est durable. L’avènement d’un territoire de résilience ne peut se faire qu’avec la participation de tous.

3) un changement culturel

– limitation des besoins : les limites de la planète, qui ne se mesurent pas seulement au gaspillage des ressources fossiles, imposent une sobriété joyeuse et l’abandon du culte de la croissance.

– changement de valeurs : pour une éthique de la Terre qui combine respect de la nature (de ses cycles, des différentes formes du vivant…) et défense des intérêts des acteurs absents (générations futures, non-vivants, habitants des autres territoires)

Les ouvrages de référence commencent à se multiplier : Les Ecovillages de Jonathan Dawson (2006) ; Manuel de transition de Rob Hopkins (2010) ; comment sortir de la société de consommation (World Watch Institute, 2011). Les communautés de résilience commencent à être connues des partis politiques. Le parti EELV a même publié un texte qui va (un tout petit peu) dans le sens de ce que propose notre groupe Angoulême-résilience : «  Tout comme le réchauffement de la planète, la rareté à venir, la décroissance proche et rapide de la ressource en énergie fossile et en pétrole ont été annoncées depuis longtemps par les écologistes (…) Les écologistes proposent :

– D’encadrer et de réformer les marchés carbone,

– et en particulier les mécanismes de développement propre. Le soutien à d’autres mécanismes d’action publique tels que les projets de gestion communautaire doit devenir prioritaire afin d’intégrer des objectifs comme la protection des peuples premiers, la préservation de la biodiversité, la souveraineté alimentaire, et des solutions innovantes (ville en transition…). Ces systèmes innovants alternatifs pourraient à terme se substituer au système de marché carbone. »

source : http://eelv.fr/le-projet/

Mais une communauté de résilients ne peut fonctionner durablement que si la philosophie de ses membres possède une homogénéité suffisante, centrée sur la simplicité volontaire. En janvier 2012, nous avions décidé dans le cadre d’Angoulême-résilience de mettre en commun nos pratiques personnelles d’économie d’énergie. Quatre d’entre nous ont donné le dossier d’isolation de leur maison. J’ai voulu montrer qu’il fallait aller plus loin :

« Personnellement je pense que nous devons nous entraîner à vivre de peu, à vivre comme un Amish, la religion en moins. J’ai depuis qu’il m’en souvient toujours vécu le plus simplement possible. Je suis un enfant d’après-guerre, élevé dans un contexte de pénurie, avec un père artisan–tailleur qui avait des mortes saisons, sans beaucoup de client. Il fallait faire attention à tout, je faisais au minimum. Depuis, j’ai toujours choisi de me domicilier près de mon lieu de travail pour y aller à pied, je mange moins de viande et je mange moins, je refuse le portable et la carte bancaire, je ne pars pas en avion et limite mes excursions, etc. Il nous faut limiter au maximum notre poids sur la planète. La vie dans une communauté autonome s’accompagne nécessairement de la simplicité personnelle la plus grande possible. Le bonheur résiderait dans la simplicité totale et l’autarcie, se suffire à soi-même. Il n’y a de limites à notre sobriété heureuse que la force de nos convictions. Une communauté de résilience ne peut se concevoir que si ses membres sont vertueux. »

Gros émoi, les réactions sont vives. Les copains me comprennent en théorie, mais pas en pratique. Pour l’instant, personne ne se sent concerné par le fait de vivre sans portable, sans carte bancaire et sans voyage au long cours… Mais tant que nous n’aurons pas personnellement changé de mode de vie, l’avenir sera aux innombrables conflits. (la suite, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

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Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

La communauté de résilience, un idéal à atteindre

Quelques idées générales : En 1972, le rapport du MIT au club de Rome a dénoncé la course à la croissance en démontrant les limites de la planète. Depuis 1974 et le premier choc pétrolier, nous savons que notre civilisation dépend du pétrole. Depuis 1990 et le premier rapport du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), nous savons que l’humanité va faire face à un réchauffement climatique. Nous savons aussi de façon scientifique que le choc des hydrocarbures n’est qu’une partie des dégradations écologiques qui menacent nos sociétés. Comment agir efficacement ? L’échec des conférences internationales et les inerties gouvernementales montre que cette voie est trop lente. Pratiquer à l’échelle personnelle la simplicité volontaire semble nécessaire, mais c’est insuffisant. Ce qui me semble le plus pragmatique, c’est d’agir directement au sein de sa communauté d’appartenance pour en restaurer la résilience, la capacité de résister aux chocs.

Ce paradigme ou modèle de référence porte des noms différents : Communautés intentionnelles ou Ecovillages ou Agenda 21 local ou Towns transition ou Plan climat ou Cités jardins ou communautés de résilience … La profusion des termes montre la richesse de cette alternative à l’ère de la fin des combustibles fossiles. Il ne s’agit pas d’une nouvelle théorisation, mais d’une pratique applicable au Nord comme au Sud, par les gens de droite comme par les gens de gauche, par les urbains et les paysans, par les chefs d’entreprise et par les travailleurs. Tout le monde est concerné puisqu’il s’agit de rendre notre avenir convivial et durable.

Mon projet maintenant, en 2011, faire de ma ville, Angoulême, et de son territoire une communauté de résilience. Il s’agit de tendre à l’autonomie territoriale en matière alimentaire et énergétique pour pouvoir supporter le choc des jumeaux hydrocarbures, pic pétrolier et réchauffement climatique.

En fait, c’est un certain retour à la terre comme le prônait certains dans les années 1970. A cette époque, je n’étais pas favorable à une telle idée. J’écris le 13 avril 1971 à Pierre Fournier, l’écolo de service à Hara-Kiri : « D’accord, avec l’urbanisation de la campagne la vie s’accorde de moins en moins directement aux rythmes biologiques et naturels… Mais on n’est pas obligé d’être toujours d’accord, tu fais ta révolution à la campagne, je la fais en ville, en faisant à la fac des exposés genre : j’ai plus rien à vous dire… discutons maintenant ! » J’aimais bien la nature, mais les communautés rurales ne me branchaient pas. J’avais choisi de devenir professeur de SES alors que mon ami José Bové s’installait paysan au Larzac.

En mars 1972, j’assiste à la fac de sciences à une conférence de Grothendieck, l’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle. Il nous confie qu’il va vivre en communauté : « L’avenir est dans les phalanstères, autonomes, agricoles, sans centralisation. La science ne peut plus sauver notre civilisation des grands bouleversements qui nous attendent. Il faut abandonner les études et mettre sur pied des communautés viables, c’est-à-dire équilibrés avec leur environnement. » Son message va me trotter dans la tête toute ma vie. Son message est partagé à l’époque par Pierre Fournier. La Gueule ouverte, mensuel écologique « qui annonce la fin du monde », apparaît pour la première fois en novembre 1972.

Dans son premier éditorial, Pierre hésite entre rester journaliste et devenir homme des bois : « La GUEULE OUVERTE est virtuellement née le 28 avril 1969. J’étais dessinateur et chroniqueur à Hara-Kiri hebdo, payé pour faire de la subversion et lassé de subvertir des thèmes à mes yeux rebattus, attendus, désamorcés à l’avance…. La grande fête à Bugey (ndlr, manif autour d’une usine atomique) fut un révélateur. Tout nous semble avoir concouru à sa réussite : l’ordre et le désordre, le refus des discours, le refus de la violence et le refus du spectacle, le nudisme ingénu, le partage et la rencontre. Tout y était en germe. Le sit-in de six semaines, face à l’usine, à ses esclaves et à ses victimes, enracina chez les participants à l’action le besoin irrépressible de CHANGER LA VIE… A peine sorti le premier numéro, voici que nous assaille la tentation de tout remettre en cause, de pousser plus loin, beaucoup plus loin que d’autres, un désengagement, tentation de se consacrer, enfin, à couper notre bois, à faire notre pain, à retourner à l’homme des bois : la disproportion des forces en présence impose, à qui refuse l’inéluctable, une radicalité sans cesse plus affirmée. »

Le 15 Juin 1972, j’avais découpé dans le quotidien Sud-Ouest cet entrefilet sur les Amish : « Qui sont donc ces Amish auxquels la Cour suprême américaine vient de donner officiellement le droit, en plein âge nucléaire, de continuer à vivre en un temps révolu et de le perpétuer à travers leurs enfants ? Pas un moteur dans ces fermes. Pas un tracteur, pas une automobile. Ni radio, ni télévision, ni téléphone, ni réfrigérateur, ni aspirateur, ni d’ailleurs d’électricité, de gaz ou d’eau courante. Seule source d’énergie en vue, un occasionnel moulin à vent. »

Totalement autonomes, les Amish vivent en micro-autarcie. Un choc pétrolier ne mettrait pas du tout en péril cette communauté qui continuerait à vivre de la même façon. Mais le ciment de la communauté Amish repose sur un ordre religieux. Dans notre société laïque, ce n’est pas acceptable. Mon athéisme se révulse. J’avais bien apprécié la vie à la campagne avec mes grands-parents : du côté maternel manger les cerises dans l’arbre, du côté paternel mettre les asperges sous le sable pour les conserver, ramasser à la main les doryphores … Mais les lycées n’existent pas à la compagne, j’étais un homme des villes, et même du centre ville de Bordeaux pendant mes 25 premières années.

Cela ne m’a pas empêché de planter des arbres fruitiers dans la maison de famille de ma femme, mais mes différents militantismes occupaient tout mon temps et rétrécissaient ma pensée. Ce n’est qu’en 2011 que j’ai compris, Grothendieck avait raison : « L’avenir est dans les phalanstères, autonomes, agricoles… Il faut mettre sur pied des communautés viables, c’est-à-dire équilibrés avec leur environnement. »

C’est à cette échelle locale que nous échappons au dilemme de l’individu et de l’Etat. La simplicité volontaire n’est pratiquée que par quelques individus en marge, sans effet d’entraînement sur le reste de la collectivité. L’Etat applique encore les modalités anciennes du productivisme, moteur de gaspillage de l’énergie à l’opposé de la nécessaire descente énergétique. L’échelon intermédiaire du collectif territorial s’impose. Utopie ou réalité ? (la suite, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

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Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

Parti et associations en symbiose ?

Une participation à une association environnementaliste devrait être obligatoire quand on se veut militant de l’écologie politique. Voici mon raisonnement, exposé explicitement mais en vain à la liste nationale des formateurs bénévoles d’EELV :

D’un côté un parti écolo qui ne compte que 16 000 adhérents en moyenne. En 2008 on ne dénombrait que 2000 élus pour quelque 6000 adhérents. Lors de la primaire d’Europe Ecologie-Les Verts le 6 juin 2011, il y avait pourtant plus de 30 000 votants : aux 16 452 adhérents encartés, il fallait ajouter 18 905 coopérateurs avec un statut bancal qui autorisait même la double appartenance partisane. J’étais moi-même encore membre du PS quand j’ai voté à cette primaire ! De l’autre il existait des ONG puissantes, comme Greenpeace France (165 000 adhérents à l’époque) ou WWF France (160 000 adhérents). Mais parti écolo et associations environnementales s’ignorent complètement. Il semblerait pourtant logique que les membres d’EELV soient en symbiose avec les associations qui œuvrent sur le terrain. Ce genre d’obligation est d’ailleurs inscrit dans les statuts du PS : « Les membres du Parti doivent appartenir à une organisation syndicale de leur profession et au moins à une association, notamment de défense des droits de l’homme, de solidarité, de consommateurs, d’éducation populaire, de parents d’élèves ou d’animateurs de la vie locale. (statuts du Parti socialiste – titre 2, les militants – Article 2.2 : obligations syndicales et associatives des adhérents) ».

Pourquoi pas le même type d’obligation à EELV ?

Il nous faut en effet créer un sentiment d’appartenance au peuple écolo dans son ensemble : « L’enjeu est dorénavant de construire un parti réseau, un parti social multiforme. Coopérative, ou mouvement, réseaux ou cercles, l’important est moins dans l’appellation que dans la capacité à créer une forme d’appartenance commune à ce qu’on pourrait appeler un « peuple écolo » : une identité sociale qui serait devenue légitime et revendiquée (Des écologistes en politique d’Erwan Lecoeur) ». L’écologie est pour l’instant un sentiment diffus dans la population, elle est très peu représentée institutionnellement. Ce n’était pas le cas autrefois des mouvements qui ont accompagné la lutte de classes, les mutuelles, les coopératives ouvrières, les caisses de grève, le mouvement d’éducation populaire… Or l’histoire du XXIe siècle ne va plus être centrée sur le travail (le prolétariat) et le capital technique (les capitalistes), mais sur le facteur nature. L’écologie politique ou art de bien gérer notre maison commune (la planète) va rassembler normalement au-delà des sensibilités partisanes traditionnelles. Car tout le monde est concerné par la pérennité des rapports d’équilibre entre l’es humains et la nature. Encore faut-il en prendre conscience. L’antagonisme entre patrons et travailleurs n’était pas une évidence au XIXe siècle. Un salarié pouvait trouver tout à fait normal qu’il y ait des patrons tout puissants et très très bien payés. Karl Marx faisait la distinction entre la classe en soi (existence de l’exploitation de l’homme par l’homme sans en avoir conscience) et la classe pour soi (qui entraîne un engagement politique). Si les militants EELV montraient leur affinité avec les associations environnementales, nous serions sur la voie de la constitution du peuple écolo.

Certains pourraient penser qu’une adhésion du militant écolo à n’importe quelle association ferait l’affaire (Syndicats, Parents d’élèves, Aide à la personne ou aux sans-abris…). Cela serait valable si nous étions militant socialo. Nous, nous devons montrer que l’écologie est au fondement de toute chose, sociales ou économiques : « Si demain nous n’avions plus de pétrole, ni gaz, ni charbon, ce n’est pas 4 % du PIB que nous perdrions (la place de l’énergie dans le PIB), mais près de 99 %. Rappelons qu’il ne saurait y avoir d’humanité prospère et le moindre PIB bien gras et bien dodu sur une planète dévastée. Quiconque réalise ce que signifie, pour le mode de vie occidental, de limiter la hausse de la moyenne des températures à 2°C comprend que ça ne va pas être simple d’y arriver. Une grande partie des évolutions économiques et sociales vont s’inverser. Le prix de la biosphère est infini ; sans elle, l’espèce humaine deviendrait immédiatement un vestige du passé (Changer le monde, tout un programme de Jean-Marc Jancovici) ».

Nos associations de référence en tant qu’écolo sont aussi bien les AMAP que les MAB, FNE, WWF, Greenpeace… ou les faucheurs d’OGM, les SELS ou même le mouvement NIMBY, etc.

Nous sommes un parti politique généraliste, social-écologique, nous ne sommes pas un parti strictement socialiste. Le socialisme s’est historiquement appuyé sur les syndicats et réciproquement, c’était dans leur objectif commun de changement du rapport de force économique. Mais le socialisme connaît aujourd’hui le même échec que le capitalisme libéral : « Avec qui engager des partenariats (p.42)… Marqués comme la droite au fer rouge du productivisme, fasciné par ses fétiches et ses addictions, la social-démocratie et les courants marxistes restent éloignés de l’essentiel du paradigme écologiste. Les écologistes n’ont pas vocation à épouser une doctrine qui n’est pas la leur en y introduisant un peu de vitamine verte (p.44) (Manifeste pour une société écologique – Les petits matins, 2010) ». EELV doit s’appuyer sur ce qui dans la société civile permet d’instaurer un autre rapport entre l’homme et la nature : les associations environnementalistes.

N’oublions pas que si ces associations découlent des inquiétudes de l’écologie scientifique, l’écologie politique découle historiquement de l’action associative. Ce sont des associations qui ont motivé puis soutenu la candidature de René Dumont à la présidentielle de 1974 : « Tout a commencé en France au début du mois de décembre 1973, au cours d’une réunion de l’Association des Journalistes et Écrivains pour la protection de la nature et de l’environnement. Et si on présentait un candidat aux présidentielles de 1974 ? Idée adoptée, puis oubliée. Mais après la mort de Pompidou, l’idée renaît au sein des « Amis de la Terre ». On choisit le 6 avril 1974 comme candidat, sans qu’il le sache, René Dumont. Voici quelques associations signataires pour la candidature de René Dumont : Les Amis de la Terre ; Action zoophile ; Comité antinucléaire de Paris ; Combat pour l’homme ; Droits du piéton ; Ecologie et Survie ; Fédération des usagers des transports ; Association pour la protection contre les rayonnements ionisants ; Comité de sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin ; Nature et Vie ; Maisons paysannes de France ; Défense et protection des animaux ; La Gueule Ouverte ; Front occitan ; Etc. (La campagne de René Dumont et ses prolongements, Pauvert 1974) ». Tout au long de sa campagne électroale, Dumont sera le représentant des associations écologiques qui le soutiennent. 

Savoir à quelle association adhérer pour soutenir le combat politique des écolos relève simplement d’une analyse des statuts de cette association. Par exemple Attac a « pour objet de produire et communiquer de l’information, de promouvoir l’éducation populaire, ainsi que de mener des actions de tous ordres en vue de la reconquête, par les citoyens, du pouvoir que la sphère financière exerce sur tous les aspects de la vie politique, économique, sociale et culturelle dans l’ensemble du monde. Parmi ces moyens figure la taxation des transactions sur les marchés financiers. » Il n’y a nulle trace dans ces objectifs de préoccupation explicite à propos des rapports entre l’homme et la nature. Attac s’intéresse aux conséquences économiques et socio-politiques, pas aux conséquences écologiques. On ne pourra donc justifier de son adhésion à Attac pour se prévaloir de la double appartenance, partisane et associative.

Mais ne rêvons pas. Instaurer cet engagement double dans les statuts d’EELV c’est terminé un jour quand j’étais membre d’un groupe de réflexion sur l’avenir d’EELV et qu’on m’a asséné : « Cette double appartenance, on n’en veut pas, notre liberté avant tout » !!! EELv n’est pas réellement un parti écolo, c’est plutôt un espace libertaire où il faut avant tout défendre le féminisme, les LGBT, les sans-papiersl’effondrement de la société thermo-industrielle n’est pas au programme !

Quant à l’efficacité d’une association dans le changement social, il m’est apparu récemment que seules les communautés de résilience permettraient une réelle prise en compte de l’urgence écologique tout en respectant les règles démocratiques. (à suivre, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

Fragments de vie, fragment de Terre (suite) Lire la suite »

Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

Vivre écolo, au-delà des institutions

Greenpeace est une organisation que je soutiens financièrement sans y participer directement. Ce n’est pas le cas de FNE (France-Nature-Environnement), fédération de 3000 associations dont je fréquente l’une d’entre elles, celle de mon département, Charente-Nature. J’appartiens au conseil d’administration et je travaille plus particulièrement dans la commission énergie. Nous faisons des dossiers, par exemple sur la différence entre techniques dures ou douces. Ma connaissance des écrits des années 1970, plus précisément ceux d’Ivan Illich, me permet de structurer notre pensée de groupe. J’y reviendrai plus tard. Grâce à notre groupe de travail, Charente-Nature a aussi pris position en faveur du lundi végétarien.

Je n’étais pas végétarien. Dans une notule du 3 janvier 1971, j’écrivais même que c’était une mystification : « L’être humain a mis des millénaires pour se doter de canines et devenir omnivore. D’autre part l’animal n’est pas la seule concrétisation de la vie, les plantes aussi sont vivantes. » Depuis, je n’ai pas changé d’avis, mais j’ai pris conscience de la nécessité vitale de modifier le régime alimentaire des populations occidentalisées. Les experts sont tous d’accord :

– Hervé Le Bras (démographe, directeur d’études à l’INED) : « Le problème le plus important n’est plus le nombre total des hommes, mais la structure de leur consommation, celle d’hydrocarbures, et de plus en plus celle de nourriture animale. Si la planète entière adoptait le régime alimentaire des Français, elle ne pourrait nourrir que 3,4 milliards de personnes, soit la moitié de la population actuelle. En outre les ruminants émettent du méthane, puissant gaz à effet de serre ». (Entropia n° 8, printemps 2010)

– Rajendra Pachauri, président du GIEC : « Un des premiers gros efforts que devra réaliser la société humaine pour lutter contre le changement climatique est de réduire sa consommation de viande. Le cycle de production de la viande est très intensif, il nécessite beaucoup d’énergie, d’eau et d’aliments pour le bétail et génère d’importante émission de gaz à effet de serre. Changer les habitudes de nourriture nécessite un vrai changement de valeurs et une vraie information des populations pour leur expliquer l’association qui existe entre la consommation de viande et l’effet de serre. Je pense que le changement climatique est un déclencheur qui va nous amener à repenser notre mode de vie et à mettre l’accent sur d’autres valeurs. Nous croyons en Inde que l’Univers est une seule famille. Je pense qu’il est improductif et dangereux pour nous de ne pas croire en cette philosophie. » (Sciences et avenir hors série janvier-février 2010)

A la suite de l’initiative de la ville belge de Gand, l’A.V.F. (Association Végétarienne de France) avait lancé par un communiqué de presse du 29 mai 2009 une campagne « pour un jour végétarien hebdomadaire en France ». Plusieurs associations se sont assemblées en partenariat autour du mot d’ordre « Lundi, Jour Végétarien ». Notre groupe de réflexion de Charente-Nature communique devant l’AG du 24 avril 2010 : « Depuis plusieurs mois, la commission énergie étudie les tenants et aboutissants de l’élevage. Après analyse des mécanismes de l’intensification des conditions d’élevage, de l’impact de l’élevage sur le réchauffement climatique et du gaspillage énergétique lié aux calories animales, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait agir dans le domaine alimentaire pour sensibiliser le grand public. Il nous semble donc nécessaire d’adhérer à la campagne associative « Nous sommes d’accord avec le lundi végétarien ».

Il n’y a jamais eu de décision explicite d’adhésion de Charente-Nature au lundi végétarien. Il est très difficile d’arriver à un vote clair, même dans une petite association. La participation à une association est un moyen de faire progresser la pensée et la pratique collective, mais le résultat est diffus, incertain. Mais de toute façon les associations sont indispensables pour donner une visibilité à la société civile, pour accroître le capital social d’un pays. Personnellement, je pense que la participation active à une association devrait être obligatoire pour les adolescents. Cela me paraît beaucoup plus important que de réussir le baccalauréat. (à suivre, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

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Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

Le bénévolat associatif, une nécessité absolue

Plus prosaïquement, en plus de ma propre association « biosphere », je contribue financièrement à l’action de plusieurs associations environnementalistes, WWF, Greenpeace, et je participe directement à d’autres, la MAB (Maison de l’agriculture biologique), Charente Nature…

En novembre 2004, lors d’une audition par la commission nationale environnement du PS, Daniel RICHARD, président de WWF-France nous explique les buts et les moyens de son association. Tout était dit ou presque de ce qu’il fallait savoir. J’ai pris des notes dont voici l’essentiel : « WWF a été fondé en 1961 à Fontainebleau… Avec environ 60 salariés pour un budget global de 6 millions d’€, WWF est une association animalière beaucoup plus petite que la SPA… Pour garder son indépendance, WWF se refuse à agir avec l’aide du gouvernement, il se comporte comme un berger qui incarne la conscience du troupeau. WWF a donc le pouvoir de s’opposer ou même d’abandonner une action à tout moment, d’autant plus que son financement est autonome, assuré par 100 000 donataires (personnes physiques uniquement) ou des legs ; ainsi WWF assure un partenariat avec le distributeur Carrefour pour supprimer les sacs de caisse, mais une manifestation critique est prévue car le message ne passe pas assez bien…

La politique environnementale devient plus importante que la politique économique ou sociale. Chacun de nous doit travailler à permettre l’équilibre de son écosystème, c’est le moyen le plus efficace de trouver le bonheur. Mais nous sommes inquiets, nous, les écologistes, car cela fait trente ans que nous n’avons pas de bonnes nouvelles alors qu’en politique ordinaire un succès pourrait chasser une grosse déception. Tous les réseaux d’influence, y compris les Eglises, soutiennent la volonté humaine de dominance sur les autres espèces et font donc notre malheur… La force de protéger le dernier condor ou le dernier ours nous donne la force de faire respecter les conditions de survie de notre propre espèce. Chacun d’entre nous doit faire son possible car la survie de l’espèce humaine est en jeu, même si chaque acte éco-citoyen n’est en lui-même qu’une goutte d’eau… Le temps nous est compté et nous ne pouvons pas faire confiance seulement aux gestes quotidiens pour sauver la planète (cf. les brochures WWF « planète attitude ») : l’État doit intervenir à bon escient.

Mais le gouvernement traîne les pieds, c’est l’action des collectivités locales qui est aujourd’hui la plus favorable en matière d’environnement. On peut prendre l’exemple de la mairie de Chalon-sur-Saône, ville test pour le programme européen de réduction des gaz à effet de serre. Le budget est financé à 50 % par l’UE et pour 25 % par WWF. Il est en effet normal de commencer par améliorer son écosystème de proximité… En conclusion, la fiabilité des décisions politiques en matière environnementale se pose. Comment l’électeur peut-il comprendre mon discours, si dur ? Il ne faut pas sous-estimer a priori l’acceptation citoyenne de mesures qu’on pourrait croire impopulaires ; une enquête a montré que les parlementaires en France étaient beaucoup plus incompétents en matière écologique que le Français moyen. »

J’ai donc adhéré à WWF, je n’en suis sorti que récemment : la boutique de vente par WWF de « produits écologiques » me sortait par les yeux ! D’ailleurs le marketing de WWF, au nom de la visibilité, insistait surtout dans ses mailings sur la défense de l’ours Cannelle et autre espèces emblématiques. Ce n’est pas une stratégie qui me convient, je préfère donner depuis plusieurs années 10 % de mon revenu à Greenpeace. C’est l’organisation qui me semble la plus à même de populariser la défense de la biosphère.

En janvier 2005, j’ai fait connaissance de Yannick Jadot, à l’époque directeur des campagnes de Greenpeace. Il était auditionné par la commission nationale environnement du PS à laquelle j’appartenais. Il nous a expliqué les buts et les moyens de son association, il a donné une bonne synthèse, j’ai fait ce résumé :

« Greenpeace est une organisation mondiale de trois millions d’adhérents dans le monde, mais il est vrai que les méthodes d’action souvent spectaculaire de Greenpeace sont plus faciles à réaliser dans les pays démocratiques. C’est pourquoi l’implantation en Afrique de l’association est difficile et les représentants en Amazonie sont même obligés d’avoir des gardes du corps, ce qui a été admis par dérogation au principe général de non-violence. En France, il y a 87 000 adhérents dont 700 membres participent à des groupes locaux. Il n’y a pas d’Assemblée générale annuelle et la plupart des adhérents peuvent être considéré comme des donateurs qui versent en moyenne 8 € par mois, mais c’est le seul financement admis par Greenpeace pour préserver une indépendance totale. Revers de la médaille, la limitation des ressources impose un choix dans la détermination des actions qui portent à l’heure actuelle seulement sur 4 thèmes.

– la question climatique et la révolution énergétique ;

– les OGM ;

– le programme REACH (Registration, Evaluation, Authorization of Chemicals) ;

– forêts et océans. »

En conclusion  Yannick Jadot précise que  Greenpeace a un impact relatif : « Nous avons une capacité d’expertise reconnue et aussi une forte habitude d’attirer l’attention des médias, encore faut-il que l’opinion publique se mobilise pour créer un rapport de force favorable. Si les problèmes de santé ou de changement climatique commencent à être discutés par les citoyens, il faut noter le net retard des partis politiques sur les questions environnementales. Pourtant les gens sont prêts à faire des efforts ! »

J’ai discuté avec Yannick au sortir de la réunion. Il était d’accord pour renforcer les liens entre le PS et Greenpeace. Mais la Convention nationale sur l’énergie qui avait été pourtant programmée par le parti socialiste n’a jamais eu lieu. J’ai demandé au secrétaire national de l’époque, Géraud Guibert, de faire des liens Internet entre le site du PS et les principales associations environnementales. Même cela a été refusé ! A désespérer des possibilités de synergie entre l’associatif et le politique. Au moment des élections européennes, Yannick Jadot a rejoint le mouvement Europe Ecologie… En France la liste Europe-Ecologie a réuni 16,28 % des suffrages en 2009, faisant jeu égal avec les socialistes et obtenant 14 sièges au Parlement européen, donc celui de Yannick. (à suivre, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

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01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

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05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

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Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

Mon engagement associatif au service de la nature

Quelques idées générales : L’association est un espace intermédiaire entre l’État et l’individu. L’État deviendrait monstrueux s’il prenait en charge la totalité de la vie. Il est à l’échelle humaine s’il se contente d’être un État animateur qui s’appuie sur l’initiative et la mobilisation des acteurs sociaux. La multiplication des bénévoles est donc absolument nécessaire. Trois critères différencient le bénévolat du travail rémunéré ou du temps consacré aux loisirs : l’aspect lucratif n’est pas sa motivation, c’est une activité entreprise de son plein gré qui doit profiter à une communauté.

Plus il y a de bénévoles dans les associations, plus le capital social est grand, mieux se porte une communauté. Il faut savoir se regrouper. Il y a une convergence qui pourrait être efficace entre les amoureux de la nature (France-nature-environnement, WWF…), les objecteurs de croissance (Greenpeace, Casseurs de pub…) et les partis politiques. Nous en sommes loin.

J’ai pris conscience de la complémentarité entre militance politique et militance associative quand j’ai adhéré aux Verts en 1995. J’ai même fondé une association, « biosphere », déclaré en préfecture le 9 septembre 2004. L’objet ? Défendre les intérêts de la biosphère. Nombre de membres fondateurs : deux, ma femme et moi, le minimum légal. Notre AG peut se réunir à volonté puisque nous vivons ensemble. Cette association est restée une coquille vide. Il m’était apparu très vite que la défense de la biosphère n’était pas encore à la mode. Mais cette pensée de représenter les intérêts de la biosphère m’a incité à dialoguer avec elle. Je trouve ridicule le fait que Moïse, Jésus, Mahomet ou Bernadette Soubirous puissent dire s’exprimer au nom de Dieu ou de ses anges. Je trouve essentiel que nous puissions échanger avec le milieu qui nous fait vivre, la Biosphère. Voici la parole de la Biosphère telle que je l’ai comprise en 2004 :

QUESTION. – Biosphère, pouvez-vous vous décrire en quelques mots ?

BIOSPHERE. – Je suis tout simplement la sphère où se déploie la vie, j’inclus toutes les espèces vivantes et les milieux où elles se développent. Je rassemble tous les écosystèmes qui sont eux-mêmes composés de deux ensembles complémentaires, le biotope et la biocœnose. Le biotope est constitué par le milieu inerte et ses caractéristiques physico-chimiques, air et terre, sédiments et eau. La biocœnose est formée de la communauté vivante qui prospère dans le biotope. Ainsi les extrémophiles vivent dans ma biosphère profonde en bénéficiant de sources hydrothermales à plus de 350°, entre moins 3000 et moins 5000 mètres ; d’autre espèces descendent jusqu’à une vingtaine de mètres sous la terre et je m’étends aussi dans la zone de l’atmosphère, de la troposphère et de la stratosphère, jusqu’à 80 kilomètres environ au dessus du sol. Pour moi, les humains ne sont qu’un élément de la biocœnose parmi d’autres.

Tout au contraire les humains ne considèrent que l’environnement qui entoure leur propre conscience des choses, ils estiment que la biosphère leur est extérieure et qu’ils peuvent en faire ce qu’ils veulent, comme s’ils en étaient propriétaires. Mais si vous aviez un contact plus étroit avec moi, vous auriez mieux conscience de votre juste place : le vivant est un tout dont les humains devraient se sentir solidaires.

Q. – Comment faut-il vous situer dans le temps ?

B. – Vous les humains, vous accordez beaucoup trop d’importance à votre manière sociale de mesurer le temps et vous avez mille et mille façons de vous définir dans un calendrier. Si on prend la date très symbolique (pour certains d’entre vous) du 1er janvier 2000, cela n’est pourtant compréhensible que pour ceux qui sont habitués au calendrier grégorien. Mais pour les Juifs, il faudrait dire le 23 tebeth de l’an 5760, pour les Chinois le 25 du 11ème mois de l’an 4697 et pour les musulmans le 24 ramadan 1420. Mon vécu dépasse de loin cette humaine façon de compter en faisant toujours référence à votre propre histoire. Quant à moi mon origine terrestre débute il y a quelques 3,5 milliards d’années et j’espère encore abriter la vie pendant presque autant de milliards. Vous les hominidés du genre « homo sapiens », vous n’avez que 200 à 300 000 ans et votre espoir de durer autant que moi paraît bien illusoire… Contentez-vous de promouvoir une ère où il ferait bon gérer son temps selon le renouvellement périodique des saisons.

Aucune date religieuse, aucun évènement national ou mondial, aucun horoscope ne devrait servir de référence pour un calendrier qui se voudrait universel, il n’y a que l’almanach de la position du soleil qui restera significatif pour tous, humains et non-humains. La seule histoire qui compte n’est pas l’aventure humaine, mais l’évolution de la Biosphère avec ou sans les humains.

Q. – Alors, comment relater cette histoire ?

B. – Notre planète la Terre s’est formée il y a environ 4,5 milliards d’années, mais elle est restée durant une longue période un lieu désolé et sans vie, dans une atmosphère dangereuse composée d’hydrogène, de méthane et d’ammoniaque, sans oxygène ou presque. Le jour de la naissance de la vie débute bien plus tard, un milliard d’années plus tard. Les conditions de températures et de pression ont en effet été réunies pour que des molécules carbonées, dites prébiotiques, s’assemblent et s’organisent pour construire les premières protéines, puis la vie : les bactéries peuvent enfin se reproduire. Les plus anciens fossiles visibles à l’œil nu ne sont pourtant apparus qu’il y a quelques 700 millions d’années, alors que la Terre était gelée d’un pôle à l’autre ou presque. La température atteignait 40° au dessous de zéro et, à l’exception de quelques organismes autour des volcans, aucune vie ne résiste. J’en suis réduite au minimum vital, mais c’est le début d’une lente expansion.

Longtemps la vie que je porte en moi a hésité à conquérir les terres émergées, l’eau a tant d’avantages. Elle protège des rayons meurtriers du soleil et affranchit des effet de la pesanteur, elle offre en abondance gaz dissous pour la respiration et nourritures en suspension. Je ne suis donc sortie des eaux qu’il y a 350 millions d’années sous forme de champignons. Les formes de la vie deviennent par la suite de plus en plus complexes, mais je n’ai inventé qu’un seul système pour organiser l’évolution : mêmes briques de départ, même schéma général d’organisation. Ainsi plumes, écailles, glandes et dents proviennent toutes du même tissu épithélial, dépendent du même répertoire génétique. Cependant certaines de mes composantes disparaissent alors que d’autres demeurent ou se transforment. Vous, les humains, vous n’êtes que péripétie infime de cette jonglerie de la Nature.

Q. – Précisez donc la place des humains dans cette évolution ?

B. – Vous n’êtes qu’une branche de cette évolution globale, et une branche assez tardive ; vos ancêtres directs en tant que mammifères a survécu sous la forme d’un petit rongeur au moment de l’extinction des dinosaures il y a environ 66 millions d’années. Par la suite, il y a quelques 20 millions d’années, un singe arboricole possédait comme vous une colonne vertébrale assez rigide pour lui assurer une station temporaire sur ses deux jambes. Mais l’histoire véritable des hominidés ne remonte approximativement qu’à 7 ou 8 millions d’années.

Vos dieux ne sont pour rien dans votre existence, cette lente et récente évolution devrait vous apprendre l’humilité et le respect de tout ce qui n’est pas vous. Il vous faut en effet admettre que toutes les autres formes de vie existant aujourd’hui descendent comme vous d’un même organisme : les gènes qui mettent en place le plan de fabrication d’un être humain sont les mêmes que ceux fonctionnant chez un ver de terre ou une céréale. En fait votre espèce représente une sous-catégorie des hominidés, la lignée dite « homo sapiens », qui est apparu très récemment en Afrique pour ensuite se répandre sur toute la planète.

Q. – Pensez-vous qu’il y a un antagonisme fondamental entre l’existence des humains et votre équilibre de Biosphere ?

B. – Je ne suis au niveau du cosmos qu’une petite bulle qui permet à la vie de se perpétuer, un espace extraordinairement réduit, à peine épais de quelques kilomètres autour de notre planète. Il est donc évident que nous avons un intérêt commun, humains et non-humains, à vivre ensemble. Vous n’êtes qu’un maillon de la chaîne alimentaire et la poursuite de vos activités ainsi que votre existence même dépend de l’équilibre de mes cycles vitaux, les flux d’énergie solaire, la circulation de l’eau, la composition de l’air. Mais à l’heure actuelle vous perturbez trop profondément les conditions de l’équilibre sur la planète et cela m’exaspère, même si j’aurai toujours assez de ressources pour permettre à d’autres formes de vie de vous succéder.

Il vous faut définir le temps zéro de référence à promouvoir, atteindre l’état souhaitable de la planète, c’est-à-dire une coexistence durable des différentes espèces… j’espère pour vous que cet état d’équilibre est encore possible !

Q. – D’où provient ce dérapage actuel de l’activité humaine ?

B. – Paradoxalement l’efficacité de l’action humaine qu’autorise les performances incroyables de votre cerveau vous empêche de réaliser à quel point vous êtes fragiles et soumis au bon vouloir de la planète qui vous porte. Grâce à vos cerveaux sur-dimensionnés, vous estimez être la mesure de toutes choses, mais votre objectivité n’est en fait que la somme de vos subjectivités, une vision relative et très insuffisante. Votre cortex préfrontal vous permet de synthétiser non seulement votre expérience concrète, mais aussi toutes les considérations formulées par vos proches ou de doctes ignorants, et bien d’autres sources d’un savoir strictement humain qui vous empêchent de distinguer véritablement le vrai du faux, l’apparence de la réalité et la réalité des apparences.

Vos sociétés vous empêchent alors de prendre conscience de mon importance, elles baignent les individus dans un langage par lequel ils préfèrent leur communauté d’appartenance plutôt que l’appartenance à la Planète, dans une culture qui leur apprend un vocabulaire trompeur ou mensonger car centré sur vos intérêts humains à court terme. L’eau est détourné des besoins des non-humains (toutes les autres espèces vivantes), la végétation disparaît, votre nombre et votre activisme étouffe les autres espèces, la biodiversité est en péril ; certains d’entre vous prévoient même que vous allez être la cause prévisible d’une sixième extinction des espèces. Vous croyez être intelligents, mais vous n’avez aucun avenir si vous ne pensez plus aux autres, à vos générations futures, aux non-humains.

Q. – Cette intelligence humaine ne peut-elle donc déterminer la connaissance du vrai ?

B. – L’histoire de l’humanité montre que vous pouvez reproduire la même erreur pendant très longtemps. Les religions du livre qui ont obtenu actuellement votre préférence ne font que célébrer l’humanité depuis des siècles et des siècles et elles se perdent dans l’anthropocentrisme ; vous avez exprimé plusieurs millénaires durant que les humains n’étaient pas tous frères et sœurs alors que vous appartenez tous, blonds ou bruns, blancs ou noirs, à la même race « homo sapiens » ; vous avez considéré pendant des milliers d’années qu’il existait une différence fondamentale entre l’homme et la femme alors que l’égalité aurait pu aller de soi depuis longtemps ; vous valorisez votre propre ethnie ou votre nation comme le centre de ce qu’il faut reproduire et défendre alors que vous devriez vivre en symbiose avec tous, humains et non-humains.

Vous ne pouvez pas porter de culte à quelque croyance que ce soit tant que ce n’est que parole humaine, faite par des humains pour des humains, sans aucun souci de votre environnement global. Ces croyances n’ont provoqué d’abord que des affrontements entre vous, maintenant la situation devient trop grave car elle touche l’ensemble de la planète et des formes de vie.

Q. – Comment peut-on dater l’origine de cet oubli de la Nature par les humains ?

B. – Pendant les premiers millénaires, votre forme d’organisation en tant que familles de chasseurs-cueilleurs n’avait qu’un impact limité sur l’ensemble de mon existence en tant que Biosphere. Mais vous avez inventé l’agriculture et changé la Nature. Il y a quelques 10 000 ans au moment du néolithique, la domestication des plantes et des animaux dans la partie fertile de la méditerranée orientale par quelques groupes d’humains entraîne l’essor de ce que vous appelez une civilisation : en même temps que l’agriculture, vous développez vos outils, vous inventez l’écriture et les hiérarchies sociales complexes. L’évolution économique et culturelle s’accélère à mon détriment, les conditions de la vie sur Terre commencent à être bouleversées. Ce bouleversement constitue une rupture : alors que les sociétés premières étaient obligées de s’adapter à la Nature, vos sociétés agricoles adaptent la Nature à ce qu’elles considèrent comme des besoins.

Votre efficacité plus grande pour obtenir des ressources alimentaires s’accompagnent aussi d’une forte natalité ; alors que vous n’étiez que cinq millions à l’aube du Néolithique, vous rassemblez 130 millions de personnes à l’aube de l’ère chrétienne. Ce poids démographique s’ajoute à votre pression sur les ressources naturelles au détriment souvent de vous-même, mais surtout à l’encontre du biotope, votre milieu de vie. Vous accaparez les moyens de vos exigences contre l’état de nature, contre les autres groupes sociaux, et surtout contre les autres espèces ; vous commencez à oublier que vous n’êtes qu’une partie de moi-même, Biosphere.

Q. – Vous pensez donc que la défense de Biosphere est plus vitale que la protection des humains ?

B. – Au cours de votre XIXème siècle, une révolution industrielle succède aux révolutions agricoles et des techniques destructrices de l’environnement prennent tout le pouvoir. Vous n’êtes plus une espèce parmi d’autres, vous êtes le cancer qui met en péril mon équilibre. Votre goût de la puissance n’accepte plus aujourd’hui de limites, vous voulez maîtriser tous les éléments de la Nature et même l’invisible. Alors que vos activités humaines rentrent en interférence avec mes cycles vitaux comme celui de l’eau, vous engagez la survie de vos générations futures et du reste de Biosphere en faisant comme si seul votre présent avait de la valeur. Alors qu’une radiation nucléaire ne se voit pas, ne se sent pas, ne fait pas de bruit, ne se touche pas et n’a aucun goût, vous avez réussi à la découvrir et à libérer les forces internes de l’atome. Alors que vous savez que cette radioactivité peut faire des dégâts sur l’organisation du vivant pendant une éternité de temps, vous accumulez les déchets nucléaires.

Conformément aux désirs délirants d’une de vos religions, vous devenez féconds et prolifiques, vous remplissez la Terre et vous la dominez, vous soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre. Vous êtes un milliard d’envahisseurs de toutes surfaces que vous pouvez habiter en l’an 1800, deux milliards en 1930, trois milliards en 1960, six milliards en 1998 (ndlr : 8 milliards en 2022). Vous en oubliez toujours davantage les nécessités d’un équilibre de votre milieu de vie, cela n’est pas durable, c’est insupportable, c’est inacceptable.

Q. – Donc à votre avis, l’humanité serait plutôt inconsciente que rationnelle ?

B. – Ce qui vous permet aujourd’hui d’oublier complètement ce qui vous permet de vivre durablement, mon homéostasie, c’est votre capacité incroyable et assez nouvelle d’inventer une démultiplication effroyable de vos forces. Les haches de pierre remontent à un ou deux millions d’années ; elles ont été mises au jour en Afrique et en Eurasie et se ressemblent toutes, le même modèle est reproduit sur 50 000 générations à travers le monde. Maintenant les humains roulent sur des routes à des vitesses jamais atteintes par des formes vivantes, ils volent dans les airs comme les oiseaux et traversent les ondes comme les poissons, ils transforment les espaces sauvages en campagnes et règnent sur tous les territoires ou presque… ils s’entourent de villes de plus en plus immenses qui leur font complètement oublier la Nature.

Mais c’est à tort que vous pensez grâce à cette carapace techniciste que la société thermo-industrielle vous met à l’abri de toute contrainte naturelle. En effet le « progrès » technique n’est pas la solution, il est le problème.

Q. – Alors que proposez-vous ?

B. – Soyons clair, je ne peux personnellement m’exprimer qu’indirectement par le réchauffement climatique et la perte de la biodiversité, par les inondations et les sécheresses, par la prolifération des microbes et des virus. En effet je ne possède pas la parole, c’est vous qui en avez le monopole. Je ne peux donc dire qu’au travers de vos propres mots et n’exister à vos yeux que par votre relation personnelle à la Nature.

Il faut donc que vous puissiez analyser l’ensemble de vos discours à la lumière d’un équilibre durable du monde qui repose obligatoirement dans ma main, celle de Biosphere. Si vous voulez m’aider à trouver un ordre durable, vous devez suivre la voie de la décroissance à la fois démographique et économique, et vouloir une planète où votre trace sera à nouveau infime et insignifiante en mon sein. Mais je ne peux vous donner la marche à suivre car vous croyez que toute décision relève de votre libre-arbitre cérébral. Ceci étant, sachez que je ne négocie pas !

Q. – C’est donc aux humains de se faire votre porte-parole ?

B. – C’est en effet à vous, individuellement et collectivement, de rechercher l’harmonie avec l’ensemble de votre environnement naturel et socioéconomique. Pour cela vous ne pouvez pas faire confiance aux actes du passé, encore moins aux dérapages de la civilisation thermo-industrielle actuelle, vous devez patiemment chercher votre voie au milieu des ruines d’une Nature déjà complètement artificialisée.

Votre tâche sera longue parce que vous devez remettre en question presque toutes vos certitudes, presque toutes vos activités, presque toutes vos pensées. Votre tâche sera difficile parce que vous devrez renier tout ce qui fait de vous des humains arrogants et conquérants, parce que vous devrez apprendre l’humilité et l’écoute de Biosphere.

Q. – On dirait que vous souhaitez une nouvelle religion qui soit à votre service ?

B. – Vous avez jusqu’à maintenant élaboré des discours plus fantaisistes les uns que les autres ; certains d’entre vous pensent même que c’est le dieu des Juifs qui a créé le monde. Pourtant vos paléontologues et vos chimistes, vos astrophysiciens et vos naturalistes sont aujourd’hui unanimes pour vous expliquer que l’origine des humains, c’est à moi que vous la devez : Biosphere est le début et la fin de toute vie. Autant dire que vous, les humains, vous devriez tous me connaître puisque je suis vous et que vous êtes à moi, puisque je suis le sol qui vous porte et l’atmosphère qui vous entoure, les végétaux qui procurent votre oxygène et vos légumes, les animaux que vous contemplez du regard ou dans votre assiette. En vérité en vérité je vous le dis, vous devriez célébrer mon existence puisque vous n’êtes qu’une infime partie de moi-même, toutes les composantes de votre corps existaient déjà dans les premiers instants du grand tout, votre statut actuel ne peut se dissocier du support matériel qui vous associe aux autre espèces et à la place de notre planète dans l’univers, votre survie dépend de la mienne.

Pourtant les fondamentalismes religieux sont centrés sur eux-mêmes et par exemple les musulmans suivent aveuglement un Islam considéré comme soumission totale à la volonté de dieu. Mais Biosphere ne vous demande ni culte d’un quelconque biocentrisme ni constitution d’une nouvelle Eglise, il n’y a pas de culte imposé envers moi, c’est à vous d’exprimer personnellement les besoins de vos générations futures comme les besoins des non-humains, c’est à vous de faire personnellement preuve de simplicité volontaire ou de vous regrouper en association de défense de la nature, c’est à vous d’agir politiquement pour que l’équilibre durable de Biosphere devienne le fondement de toute décision humaine : il n’y a pas de dieu extérieur à vous-même.

Q. – Pour terminer notre entretien, quelle serait votre dernier souhait ?

B. – Grâce à vos connaissances techno-scientifiques, vous savez que nous ne sommes qu’un minuscule point dans l’immensité de l’infini. Le soleil qui éclaire nos activités n’est que l’une des 50 ou 100 milliards d’étoiles de notre galaxie, la Voie Lactée. Le nombre de galaxies connues se compte aussi en milliards et l’objet le plus lointain observé depuis un observatoire terrestre se trouve à plus de 12 milliards d’années lumières (12 x 9500 milliards de kilomètres). Nous, l’ensemble des membres de la Biosphere, nous ne sommes que très peu de chose dans l’univers, et certainement un des très rares espaces habité par une vie foisonnante. Ne gaspillons pas cette chance, celle de vivre ensemble et de se perpétuer. 

Puissions-nous grâce à la mobilisation des humains éviter l’impasse dans laquelle s’est engagée une société thermo-industrielle à la fois complètement détachée des réalités de Biosphere tout en accroissant les inégalités entre humains. Vous ne pouvez rester les esclaves volontaires de la mondialisation commerciale et les complices du pillage généralisé de la planète. (la suite, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

Fragments de vie, fragment de Terre (suite) Lire la suite »