Paul Watson : Earthforce (manuel de l’écoguerrier)

Les meilleurs passages de ce livre de Paul Watson décrivent l’idéal qui motive ce grand défenseur de la biosphère marine : « Nous, humains, ne sommes que d’humbles passagers du vaisseau spatial Terre. Nous passons le plus clair de notre temps à nous divertir. Nous y avons pris tellement d’aise que nous proliférons jusqu’au point de nuire au système terrestre de maintien de la vie. Plus précisément, nous détruisons l’équipage qui assure le fonctionnement du système : les bactéries, les algues, le plancton, les arbres, les plantes, les vers, les abeilles, les mouches et les poissons. Ils sont insignifiants à nos yeux. En réalité ils valent bien plus que nous. Les vers valent bien plus que les êtres humains. Les abeilles et les fourmis, les arbres et les poissons aussi. Pourquoi cela ? Parce que nous avons besoin d’eux pour survivre mais qu’eux n’ont pas besoin de nous. Les mammifères (et les humains en particulier) ne participent que très peu à la maintenance du vaisseau Terre. Un monde sans vers ou sans ne serait-ce qu’une poignée de bactéries serait un monde sans hommes. Un trillion de bactéries vivent à l’intérieur et à la surface de notre corps, pesant à elles toutes près d’un kilo de notre poids. Nous avons besoin d’elles, qui digèrent notre nourriture, fabriquent les vitamines pour nous, nous protègent des bactéries hostiles. Nous pouvons nous demander combien de temps l’humanité pourra survivre dans un vaisseau où des passagers cruels, nous, visent à anéantir l’équipage du vaisseau Terre…

L’écologie est la cause la plus juste et la plus morale, elle représente les intérêts de tous les êtres vivants de la Terre. D’un côté il y a les priorités anthropocentriques à court terme. Nous choisissons d’être du côté de la Terre à long terme. L’écoguerrier est un biocentriste. Il sert la biosphère. La protection et la conservation de la Terre sont la priorité absolue de l’écoguerrier. Vous devez être prêt à tout risquer, y compris votre vie et votre liberté, pour défendre son intégrité sacrée. Vous pouvez y parvenir uniquement si vous croyez véritablement au caractère sacré de la Terre, de la nature et de la vie sauvage. Si les forêts de séquoias sont sacrées, alors nous devons considérer leur destruction comme blasphématoire. Pour un éco-guerrier, un séquoia est plus sacré qu’une icône religieuse, une espèce de papillon plus précieuse que les bijoux de la couronne, et la survie d’une espèce de cactus est plus importante que la conservation des pyramides. Politiquement, il n’y a pas de gauche ni de droite car les conséquences d’une catastrophe écologique globale affectent l’ensemble de l’humanité. Les militants écologistes sont peut-être pénibles et chiants pour les autorités en place aujourd’hui, mais, pour les peuples à venir, nous serons des ancêtres respectés. Les militants écologistes représentent la majorité des humains parce que nous représentons tous ces milliards de personnes qui doivent encore naître dans les dix mille ans à venir et plus. En outre les écologistes représentent les milliards d’individus des dix millions d’espèces également citoyennes de la Terre. »

Parfait, parfait. Mais autant nous avions lu avec passion le précédent livre* sur les idées et l’action de Paul Watson, autant nous avons trouvé sa propre argumentation sur les écoguerriers décevante. Au niveau stratégique, il se prend pour un général à la tête d’une armée conventionnelle : « Organisez une chaîne de commandement. Une seule personne peut en diriger beaucoup. Diriger quelques personnes, c’est en diriger des millions. » Mais il n’a que les troupes de Sea Shepherd ! Où sont les autres champs de bataille avec ses régiments ? Si on prend d’autres champs d’action des écologistes comme le combat contre le futur aéroport de Notre Dame des Landes, il s’agit de tactiques de guérilla et non véritablement de batailles rangées. Plus étonnant, Paul Watson a le culte du chef poussé à son extrême : « Le chef est responsable… Un bon chef sélectionne les militants… Le chef sur le terrain ne doit jamais céder aux demandes de démocratie… La prise de décision appartient au chef… » Les tactiques sont les mêmes que ceux d’une armée conventionnelle, utilisation d’agents infiltrés, d’agents doubles, d’agents pions (pour une mission suicide). Il est même déplaisant de prôner la duperie ; le mensonge serait immoral et la duperie stratégique ! Mais Watson sait aussi que nous ne sommes pas dans un monde de bisounours… De toute façon, c’est un livre à lire.
Earthforce (manuel de l’écoguerrier) selon le Capitaine Paul Watson
Actes sud 2015, domaine du possible, 190 pages, 18 euros
Première version en 1993, Earthforce ! A Guide to Strategy for the Earth Warrior
* Capitaine Watson, entretien avec un pirate de Lamya Essemlali (Glénat, 2012)