Pédagogie de la catastrophe n’est pas catastrophisme

En avril 2006, un référent d’un lycée a eu cet échange de courriel à propos du contenu de l’EEDD (Education à l’environnement et au développement durable) qui pose le problème catastrophisme… ou pédagogie de la catastrophe ?

– Courriel initial du référent aux autres correspondants EEDD de la région : « Comme je suis un adepte de la pédagogie de la catastrophe (pour que ce ne soit pas la catastrophe qui serve de pédagogie), je me permets de vous envoyer les statistiques suivantes à utiliser sans modération (Statistiques tirées du livre de Jancovici et Grandjean, « Le plein s’il vous plaît ! » au Seuil) »

– Un autre correspondant : « Tout à fait d’accord avec votre remarque. Je pense que nous oublions que l’éducation n’est pas un but en soi et qu’elle est requise soit par un ordre social, soit par une tradition, soit par une organisation politique comme l’Etat, etc. Aujourd’hui nous découvrons que l’exigence d’éducation vient de l’environnement (de la catastrophe qui le menace). »

– Une tentative de prise en main de la responsable académique EEDD : « La notion de « pédagogie de la catastrophe » est totalement contraire à la circulaire de juillet 2004 (consultable sur le site académique : www.ac-poitiers.fr/daac rubrique EEDD) dont je vous remets un extrait ci-dessous) : « L’éducation à l’environnement pour un développement durable doit être une composante importante de la formation initiale des élèves, dès leur plus jeune âge et tout au long de leur scolarité, pour leur permettre d’acquérir des connaissances et des méthodes nécessaires pour se situer dans leur environnement et y agir de manière responsable. La prise de conscience des questions environnementales, économiques, socioculturelles doit, sans catastrophisme mais avec lucidité, les aider à mieux percevoir l’interdépendance des sociétés humaines avec l’ensemble du système planétaire et la nécessité pour tous d’adopter des comportements propices à la gestion durable de celui-ci ainsi qu’au développement d’une solidarité mondiale. »

– Réponse du référent local à la responsable académique : Bien reçu tes précisons sur le catastrophisme. A mon sens, ce n’est pas faire du catastrophisme (termes du texte officiel) que de montrer la réalité aux jeunes que nous éduquons (épuisement des ressources fossiles, choc climatique, stress hydrique, perte de biodiversité… sans compter le poids des dettes que nous léguons en France aux générations futures).C’est pourquoi je continue de penser (avec des connaissances très précises sur la question, pas seulement environnementales, mais aussi économiques, sociales et politiques) que malheureusement la catastrophe va bientôt sonner à notre porte parce que nous aurons été trop mou pour envisager notre avenir proche et lointain.

– Dernier courriel de la responsable académique : « Le terme de « pédagogie de la catastrophe » me semble trop fort et peu adapté. Je suis comme toi globalement inquiète sur l’avenir  mais  le catastrophisme ne peut, selon moi convenir pour les enfants ou même les jeunes à qui nous laissons un monde difficile, ce n’est pas à eux de porter ce fardeau que nous n’avons su assumer; alors pédagogiquement, pour moi, il ne s’agit pas de masquer les choses mais de voir aussi le verre à moitié plein. Leur avenir professionnel est déjà tellement sombre… »

3 réflexions sur “Pédagogie de la catastrophe n’est pas catastrophisme”

  1. J’éprouve moi-même une immense difficulté dans l’éducation de mes enfants. Je pousse très fort mon fils ainé de 15 ans –qui a un « profil scientifique », mais qui est plutôt paresseux – à l’effort et à la réussite scolaire. PAS dans l’optique de « la réussite scolaire est la clé de la réussite sociale » (qu’est-ce que cela voudra encore dire dans le futur ?), mais dans la mesure où il demeurera, à mon sens, que la capacité de penser, et une culture et des compétences scientifiques seront des clés indispensables pour demain (j’ai par ailleurs le sentiment que les scientifiques, ingénieurs, sont souvent aujourdhui parmi ceux qui perçoivent et appréhendent le plus facilement et justement les problèmes de finitude des ressources et de dégradation de notre environnement).

    J’ai par ailleurs expliqué longuement à mon fils les questions de dépletion énergétique, de l’effet de serre du CO2, etc … J’ai parfois peur, en l’ayant « éveillé » à la réalité, de le pousser dans une forme de désespoir (il est par ailleurs peu disposé à la décroissance, c’est un technophile né et baignant dans la fascination de la modernité, des machines, du numérique, du spatial). Ma génération (X) criait « no future » tandis que nos parents vivaient dans un paradigme croissanciste (« travaille à l’école et tu auras un meilleur niveau de vie que nous ») ; et aujourd’hui c’est moi qui doit expliquer à mon fils que la civilisation actuelle c’est « no future ».

    Il a d’ailleurs réalisé un exposé sur l’énergie en binôme avec un copain, et leur présentation était assez remarquable : ces 2 gamins expliquaient que notre monde était massivement consommateur de ressources fossiles indispensables à son mode de vie énergivore, et que ces ressources allaient vers la dépletion. L’exposé n’explicitait pas de conclusion de ce constat.

    Il faut noter que cet exposé, préparé sur powerpoint, n’a jamais été présenté en classe, comme cela était prévu. Selon la prof de SVT qui leur avait donné ce sujet, on manquait de temps.

    J’ai peur pour nos enfants soumis à de fortes dissonances cognitives qui pourraient être dévastratices sur leur psychisme.

  2. L’éducation est une culture, un appel à l’intelligence et à la curiosité. C’est une grande perversion de la voir comme un outil au service d’une « efficacité » dépendant de la bien-pensance du moment.
    Il faut dire les choses comme elles sont ou au moins comme on est persuadé qu’elles sont. Si l’on pense que l’humanité va vers la catastrophe, il faut le dire et non se préoccuper de savoir si cela sera classé par certains dans le catastrophisme ou pas.
    Pour ma part, comme Franck Fenner ou Cavanna et désormais beaucoup d’autres, je suis certain que la catastrophe est inéluctable, il est trop tard. Nous allons vers des drames : souffrances, effondrement de la biodiversité, pollution généralisée. Les partisans de l’oxymorien « développement durable » auront aussi leur part de responsabilité pour nous avoir fait croire à l’impossible. Le repli que nous allons subir sera énorme, mais le véritable échec est que nous l’aurons subi quand nous aurions pu l’organiser.

  3. La responsable académique voit le verre encore à moitié plein? J’ai beau écarquiller les yeux, je vois plutôt un verre bu cul-sec par sa génération et la précédente…

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