Dans la société d’aujourd’hui, que signifie « penser vrai » ?
Sans doute « Il faut tout reprendre dans l’autre sens ».
Grâce à un cerveau surdimensionné, nous sommes la mesure de toutes choses, mais notre objectivité n’est alors que la somme de nos subjectivités humaines. Notre cortex préfrontal permet en effet de synthétiser non seulement notre propre expérience concrète, mais aussi toutes les considérations formulées par d’illustres ancêtres et des parents proches, de doctes ignorants ou des ignorants enseignants, et bien d’autres sources de connaissance qui nous apportent leurs croyances sous forme de vérités. En conséquence, nous avons beaucoup de mal à distinguer le vrai du faux, le mensonge en toute bonne foi et la foi qui trompe, l’apparence de la réalité et la réalité des apparences. Notre appréciation des faits est encore plus troublée aujourd’hui par une situation technicisée où la réalité est simulée, où le virtuel veut se faire l’égal du réel, où la fiction est préférée au documentaire, où toute image est reconstruite. Comme nous portons le monde entier dans notre cortex, comme nous ne pouvons pas complètement faire confiance au regard des autres, toute vérité est relative : nous ne pouvons même pas croire le témoignage de nos propres yeux.
Ce matin-là, je m’étais levé spécialement de bonne heure pour admirer le lever du soleil à l’horizon, plein est. Je sais pour l’avoir observé maintes et maintes fois qu’il se trouvera au zénith à midi, juste au dessus de moi. Le soir je vais le retrouver, sans risque de me tromper, à l’ouest, finissant sa course pour se cacher tout au delà des monts. Tous les jours je peux ainsi contempler la course du soleil tout autour de ma tête, pas de risques métaphysiques, le soleil se déplace toujours de la même façon, rythmant les saisons. Pourtant ce n’est là qu’une apparence de mes sens abusés, ce n’est pas le soleil qui bouge, c’est moi qui tourne tout autour de lui malgré mon sentiment d’immobile enracinement sur la terre. Je pourrais réfléchir des jours et des semaines, et tourner le problème dans tous les sens que je ne pourrais déterminer par moi-même cette réalité non apparente. D’ailleurs, l’humanité toute entière a estimé de visu et ad libitum pendant des millénaires que le soleil se déplaçait tout autour de la terre sans autre conséquence négative qu’une parfaite ignorance des lois de la gravitation. Avec l’avancée de nos connaissances, la vérité stellaire ne réside plus dans un centre dont nous serions le principal protagoniste (anthropocentrisme), mais dans un système qui possède ses propres lois et qui ignore complètement le sens de notre petite existence. Cela change tout, le monde n’est pas fait spécifiquement pour les humains, nous devons complètement changer notre mode de réflexion.
La première fois qu’on a chaussé des lunettes théoriques pour aller au delà d’une vision superficielle date de 1543. Copernic provoque alors une révolution en exposant les fondements d’un système héliocentrique (de « hélios », le soleil) où le soleil – et non plus la terre – est au centre de notre univers. L’astronome ébranle ainsi l’interprétation des Ecritures et son œuvre, bien que de pure supposition, fut quand même mise à l’index. Mais la contestation des apparences poursuit son chemin et ne se satisfait pas de cet interdit ecclésiastique. Galilée (né en 1564) utilisa une lunette astronomique, récemment découverte, pour admirer le relief de la lune et surtout les satellites de Jupiter, démontrant par la même occasion un héliocentrisme beaucoup plus pertinent que le traditionnel anthropocentrisme. Un tribunal de l’Inquisition l’obligea pourtant à se rétracter en 1633 : « Moi, Galileo Galilei, âgé de soixante-dix ans et agenouillé devant vous, éminitentissimes et révérendissimes cardinaux de la république universelle chrétienne, inquisiteurs généraux contre la malice hérétique, ayant devant les yeux les saints et sacré évangiles ; je jure que j’ai toujours cru, que je crois maintenant, et que, Dieu aidant, je croirai à l’avenir tout ce que tient, prêche et enseigne la sainte Eglise catholique et apostolique romaine… J’abjure les écrits et propos, erronés et hérétiques, par lesquels j’ai tenu et cru que le soleil était le centre du monde et immobile, et que la Terre n’était pas le centre et qu’elle se mouvait ». L’individu est ainsi obligé de se conformer à la croyance sociale du moment et l’Eglise catholique n’a réhabilité Galilée qu’en 1992. Pour les gardiens de la foi et des fausses croyances, il faut attendre plus de 350 années pour reconnaître la réalité derrière l’apparence…
Aujourd’hui nos satellites confirment tous les jours la révolution copernicienne, cette découverte de la libre pensée. Si presque tous les lycéens occidentaux pensent dorénavant que la Terre tourne depuis la nuit des temps autour du soleil sans y réfléchir davantage, ils le croient cependant en contradiction d’une simple observation de leur part : il est toujours plus facile de croire ce que tout le monde croit déjà savoir. Si la certitude religieuse d’un dieu extérieur aux humains qui fabriquerait un univers à notre seule convenance s’effondre pour un certain nombre d’entre les humains, la plupart pense encore que les croyances de leur ethnie particulière reste le seul centre de leur univers. L’analyse de l’évolution de la pensée montre que nous passons d’une certitude à une autre certitude grâce à une remise en question fondamentale des apparences. Ce passage de l’apparence à d’autres réalités est extrêmement difficile, il devient cependant de plus en plus urgent à accomplir : les réalités du futur se cachent en effet derrière les apparences du présent, et cet avenir est sombre si nous n’y prenons garde. Longtemps, alors que nos yeux se contentaient de la lumière pour voir l’univers, notre imaginaire se limitait à la répétition des mythes ancestraux. Nous nous sommes alors affrontés pendant des générations et des générations au nom d’une pseudo-vérité clanique ou religieuse ; la nature contemplait impassible le nombre de nos morts.
Puis nous avons inventé l’agriculture et changé la nature. Dès le néolithique, l’humanité ne se contente plus de ses rivalités sociales, elle prend à témoin la planète et commence à détériorer son environnement. L’évolution s’accélère et des techniques destructrices prennent aujourd’hui tout le pouvoir. Alors qu’une radiation nucléaire ne se voit pas, ne se sent pas, ne fait pas de bruit, ne se touche pas et n’a aucun goût, nous avons réussi à libérer les forces de l’atome. Alors que nous savons que la radioactivité peut faire beaucoup de dégât pendant une éternité de notre temps, cela ne nous empêche pas d’accumuler les déchets nucléaires car nous raisonnons encore au travers de nos propres yeux et de l’environnement immédiat. Alors que nos connaissances sont maintenant immenses, nous aggravons à la fois nos conflits sociaux et les déséquilibres de la nature à cause de notre cécité théorique et de la myopie du marché imposé par l’idéologie libérale. Alors que nos activités humaines rentrent en interférence avec les cycles vitaux de la biosphère et engagent aussi la survie des générations futures, nous faisons comme si seul l’instant présent avait de la valeur. Comme l’animal qui se contente de son environnement immédiat, nous préférons la plupart du temps nous satisfaire d’un absolu dans un espace restreint, avec un état d’esprit limité par nos sens abusés et conditionné par la société du moment. Contrairement à l’animal cependant, nous pouvons percevoir que notre vision humaine n’est que construction sociale, que tout est relatif et compliqué, que l’apparence n’est pas gage de réalité.
Dans chacun de nos cortex réside de multiples certitudes qui ne sont que les apparences de notre réalité immédiate et nos désaccords résultent trop souvent d’une perception trop simple de la réalité. Mais nous pouvons tous ensemble essayer de déchiffrer ces apparences pour changer la réalité ; grâce à des lunettes conceptuelles plus performantes, peut-être pourrions-nous percevoir le monde tel qu’il faudrait le voir (s’améliorer)…
Conclusion du Dictionnaire des apparences de Michel Sourrouille
https://biosphere.ouvaton.org/blog/michel-sourrouille-son-dictionnaire-des-apparences/
Aller au-delà des apparences …
Ne serait-ce pas là, par hasard… ce que nous enseignait il y a 2400 ans un certain Platon ?
Platon, Socrate… combien de jeunes (et moins jeunes) français les connaissent ?
– » Il n’est pas exagéré de dire que Socrate, ce philosophe athénien du Ve siècle avant notre ère, a laissé une empreinte indélébile sur la philosophie occidentale. Aujourd’hui, alors que nous naviguons dans une époque de rapidité numérique et de changements constants, revisiter la pensée socratique peut sembler pertinent voire essentiel. Pourquoi ? Parce que Socrate, avec sa quête inlassable de vérité et sa méthode de questionnement, offre une boussole dans notre mer de désinformations et de complexités modernes. » (Le retour en force de Socrate : Comment la philosophie ancienne éclaire notre modernité – madissertation.fr )