Pour sortir du fétichisme consacré au PIB

Aurélie Lalucq : Les tenants de la décroissance nous expliquent la corrélation entre croissance et émissions de gaz à effet de serre (GES). Ils veulent un retour à la bougie ? Les hérauts de la croissance verte nous expliquent le découplage entre émissions de gaz à effet de serre et croissance. Une chimère, croissance et GES vont de pair ! Tentons alors de reposer les termes du débat : un indicateur comme le PIB est fait pour indiquer si les politiques publiques vont dans le bon sens. Or le PIB (Produit intérieur brut) agrège des éléments à la fois positifs et négatifs pour la société. D’où le discours de Robert Kennedy, qui dira du PIB qu’il comptabilise positivement la destruction des forêts, la fabrication d’armes, mais laisse de côté la santé et l’éducation de nos enfants. Mesurant uniquement les flux, le PIB peut nous donner l’illusion de nous enrichir, alors même que nous détruisons notre patrimoine naturel. Il est pourtant devenu un indicateur fétiche auquel nous sommes attachés de manière quasi obsessionnelle. Or l’enjeu, aujourd’hui, n’est plus le développement matériel de nos sociétés mais la rupture, passer du toujours plus au mieux. Nous avons besoin d’indicateurs sociaux et environnementaux mieux à même de guider nos politiques.

Biosphere : On reste sur notre faim, yakafaucon, aucune proposition de la part de cette économiste et députée européenne. Aurélie veut ignorer qu’une alternative au PIB est dans les tuyaux depuis longtemps. En 2005, Gadrey et Jany-Catrice publiaient un livre sur les nouveaux indicateurs de richesse. Il ne faut pas voir dans ce terme de richesse une vision simplement économiste du monde ; on peut en effet évoquer la richesse du langage, une riche idée, une pensée riche de contradictions, un tableau d’une grande richesse de couleurs, un livre riche d’enseignements Ne laissons pas les économistes confisquer à leur profit cette expression. Après cette analyse générale, le livre démarre sur une critique du PIB (simplement égal à la consommation + l’investissement) pour aborder ensuite les indicateurs alternatifs comme l’empreinte écologique, l’IPV (indicateur de progrès véritable) ou l’IBED (indicateur de bien-être véritable).  Ces indicateurs sont par nature complexes, ainsi cette formule : IBED = consommation marchande des ménages + services du travail domestique + dépenses publiques non défensives + formation de capital productif (investissement) – (dépenses privées défensives + coûts des dégradations de l’environnement + dépréciation du capital naturel). Les dépenses défensives sont définies par les dépenses (et la production correspondante) qui servent à réparer les dégâts provoqués par des activités humaines de production ou de consommation. Certains analystes estiment que la moitié des dépenses publiques sont de type défensif, ce qui diminue d’autant le bien-être véritable. La vision de l’évolution historique change d’ailleurs  complètement selon que l’on s’appuie sur le PIB ou sur les indicateurs de développement durable. Ainsi pour le Royaume-Uni, le PIB par habitant augmente constamment entre 1950 et 1990, par contre l’IBED/hab. diminue à partir de 1974 pour se retrouver en 1990 à un niveau quasi-identique à celui de 1950. Le PIB a mis quelques décennies pour s’imposer en tant qu’indicateur principal de la comptabilité nationale, le problème pour la Biosphère est que l’IBED (ou ses équivalents) n’a pas autant de temps pour préparer la nécessaire rupture avec nos modèles actuels de consommation et de production…

En 2008 et 2009, années du plongeon de la croissance avec la crise des subprimes, Nicolas Sarkozy avait chargé une commission, dite « Stiglitz-Sen », de redéfinir des indicateurs de progrès « au-delà du PIB » (produit intérieur brut). Votée à l’unanimité en 2015, une loi « visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques » n’est plus appliquée, et ne l’a d’ailleurs jamais vraiment été. La croissance du PIB reste l’objectif premier des décideurs, elle doit se poursuivre coûte que coûte pour subvenir non seulement aux besoins sociaux individuels et collectifs mais aussi résoudre les problèmes écologiques. Or on sait depuis la fin des années 1960 que le « gâteau du PIB à partager » devient, en grossissant, de plus en plus toxique pour la vie, le climat, la biodiversité, la qualité de l’air, de l’eau, des mers et des sols. Qu’il ne contribue plus au bien-être à partir d’un niveau de richesse économique par habitant correspondant à celui qui était le nôtre il y a un demi- siècle. Qu’il s’est accompagné de l’explosion des inégalités mondiales. Qu’il met le travail sous pression en lui faisant perdre son sens et en provoquant des maladies professionnelles physiques et psychiques. Préférer la quantité de biens et services au détriment de la qualité de l’existence, cela n’a pas de sens. En 2021, la présidentiable Delphine Batho voulait introduire la décroissance maîtrisée dans le débat public. Faute d’avoir redéfini depuis longtemps l’objectif de notre société marchande, c’est une décroissance sauvage qui nous pend au nez.

Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere :

24 mai 2020, Post-covid, remplaçons le PIB par le BNB

9 août 2017, Le PIB s’accroît car l’eau et l’air sont des biens rares !

14 août 2014, Une bonne nouvelle, la croissance du PIB est en panne

23 avril 2014, Le PIB va s’effondrer avec le prochain choc pétrolier

13 août 2013, Journaliste = poser des limites à la croissance du PIB

11 réflexions sur “Pour sortir du fétichisme consacré au PIB”

  1. – « il est plus que temps de nous interroger sur les finalités de notre modèle économique […] l’enjeu, aujourd’hui, n’est plus le développement matériel de nos sociétés mais la rupture, passer du toujours plus au mieux. Nous avons besoin d’indicateurs […]» (Aurore Lalucq)
    – « Le PIB comptabilise positivement la destruction des forêts, la fabrication d’armes, mais laisse de côté la santé et l’éducation de nos enfants.» (Robert Kennedy)
    – « Épousez votre femme de ménage et vous ferez baisser le PIB » (Alfred Sauvy)
    – « Brûlez Paris et vous ferez augmenter le PIB » (?)

    Moi aussi je reste sur ma faim. Les insuffisances et les limites du PIB sont connues depuis longtemps, a fortiori des économistes. Alors s’il n’est pas déjà trop tard… il est plus que temps, grand temps, urgent etc. d’arrêter de nous amuser (abuser) avec ces nouveaux indicateurs.
    Comme dit Biosphère, tout ça est «dans les tuyaux depuis longtemps».

    1. Comment de nouveaux indicateurs pourraient-ils empêcher que les actionnaires et les patrons se focalisent sur les CHIFFRES de la Bourse, leurs bénéfices, leurs profits ?
      Et côté consommateur, sur leurs salaires, prix du gaz, de l’alimentation etc. ?
      L’enjeu est évidemment de passer du toujours plus au mieux, autrement dit une transition écologique et sociale. Oui mais voilà, comment ? Comment évaluer le MIEUX ? Voire le mesurer, le chiffrer… Faudrait-il déjà être capable de le voir.
      – « S’ils (les décroissants) ont raison sur le diagnostic, ils négligent trop la manière dont ce discours peut être perçu. » (Aurore Lalucq)
      Si le discours de la décroissance ne séduit pas les foules, ce n’est certainement pas à cause des décroissants qui ne sauraient pas la vendre. Pour moi le problème à résoudre est bien plus compliqué que ça.

    2. Esprit critique

      Toutefois dès le début Aurore Lalucq dit quelque chose d’intéressant :
      – « notre débat public est incapable de supporter la moindre nuance. Or c’est bien de nuance qu’il va falloir nous armer si nous voulons éviter l’impasse à laquelle nous conduit l’opposition entre croissance verte et décroissance».

      Eh oui. Et encore s’il n’y avait que l’opposition entre écotartuffes et décroissants, hélas nous en sommes loin. Aujourd’hui les oppositions portent sur tout et n’importe quoi, et quel que soit le problème c’est l’impasse. Mais mis à part ce point de détail, si j’ose dire, oh que oui !
      Le débat, la nuance, la juste mesure… je dirais même la réflexion, la décence… tout ça c’est dépassé ! Tiens par exemple, aujourd’hui une crapule, un champion de la magouille, a droit à des obsèques nationales. Misère misère.

  2. Le problème pour sortir volontairement de la logique de Pib et autres logiques économiques actuelles, étant qu’il faille qu’on règle le problèmes des dettes au préalable ! Tant que les gens et les états seront endettés, alors ils voudront du Pib absolument pour pouvoir rembourser ce qu’ils doivent ! Mais aussi les personnes et institutions privés à qui l’on doit de l’argent, voudront absolument du Pib ! Tant qu’un commerçant ou un entrepreneur a des dettes sur le dos, il voudra continuer de produire et vendre le maximum possible de ses produits afin de gagner de l’argent pour rembourser ses dettes, idem pour un salarié qui a fait crédit pour acheter une maison ! Et oui, le Créditisme nous a enfermé dans une cage à écureuil économique ! D’autant que pour acheter les produits de ces commerçants et entrepreneurs, il va falloir faire crédit; alors le système est sans fin !

    1. Autrement dit, il faut que de nouvelles personnes fassent des crédits pour que ceux qui en ont déjà souscrits auparavant puissent rembourser les leurs…. En somme, il faut faire de nouveaux crédits pour rembourser les crédits antérieurs… Bon courage pour la sortie de logique de Pib ! Selon moi, seul l’épuisement des ressources naturelles mettra fin à cette farce ! Et surtout un coup d’arrêt à cette cage à écureuil…

      Aussi, il y a les dépenses publiques, tant qu’on ne baisse pas les dépenses publiques, alors il faut que les gouvernements continuent de souscrire de nouveaux crédits ! Car mine de rien les dépenses publiques font augmenter le Pib ! Et une politique de gauche est incompatible avec l’écologie puisque la gauche veut des hausses constantes de dépenses publiques…

      1. Esprit critique

        Politique de gauche ou de droite… tout dépend déjà de la boussole. La dette, les dettes, ne sont qu’un détail… si j’ose dire. On a dit qu’il fallait (yakafaucon) sortir de cette économie orthodoxe et toi tu persistes à résonner avec ses instruments, ou ses fétiches (argent, crédit, dette etc.) Lorsqu’on n’a plus les moyens de rembourser une dette, celle-ci ne veut plus rien dire. On peut d’ailleurs annuler facilement une dette d’un seul trait de plume. L’argent, le pognon, c’est pareil. Lorsque la monnaie ne vaut plus rien, les billets de banque ne peuvent plus servir qu’à allumer le feu et se torcher dans la cabane au fond du jardin.

        1. Rayer d’un trait de plume ? Mort de rire, comme si c’était sans conséquence dans le réel ! Regarde par exemple, les restaurants pendant le confinement du covid, ils ne pouvaient plus tourner pendant le confinement, du coup c’est le gouvernement qui a emprunté de l’argent pour que les patrons puissent continuer de vivre en tournant à vide ! D’autant que les patrons de restaurants ont eux aussi beaucoup de crédits sur le dos, s’il n’y a pas de rentrée d’argent, c’est le huissier qui passe à la porte. Et même les huissiers dans une telle conjoncture n’ont plus grand chose à saisir puisqu’il n’y aurait aucun racheteur du matériel tant que dure la crise sanitaire…

        2. Avant de rigoler, tu devrais prendre le temps de bien lire, et de réfléchir. Crois-tu que je ne sais pas ce qui se passe quand on est endetté, surendetté, les huissiers etc. ? Mais peut-être n’as-tu jamais entendu parler d’annulations de dettes, publiques ou privées …

        3. Dans notre carcan européen que tu affectionnes tant, on ne peut pas décider seuls de rayer les dettes d’un trait de plume. Bah oui l’Union Européenne n’acceptera jamais ! Alors déjà, tant que Michel veut rester dans l’Union européenne, je considère comme un mensonge ton idée de rayer d’un trait de plume les dettes ! Il faudrait sortir de l’UE pour pouvoir le faire !

        4. Qu’est-ce qui t’autorise à penser que je tiens absolument à y rester ? Sinon, c’est tout ce que t’as trouvé comme yakafaucon pour sortir du fétichisme consacré au PIB ?

        5. Alors non, on ne raye pas d’un trait de plume les crédits ! Surtout vis à vis de créanciers étrangers (comme les Usa, l’Allemagne, la Suisse et le Japon, puisque ce sont les principaux créanciers de la France)

          Parce que si tu me répètes qu’on raye les dettes d’un trait de plume, alors j’espère qu’on enverra le très intelligent Michel l’annoncer aux USA qu’on ne les remboursera pas ! Parce que là j’aimerai bien que tu m’expliques vis à vis des créanciers étrangers comment tu comptes t’y prendre pour rayer d’un trait de plume ?

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