pour une décroissance de la recherche scientifique

Les scientifiques sont-ils des extrémistes de la croissance infinie ? La recherche appliquée qui, en fournissant des innovations, est le moteur de la croissance économique est un cas trop facile. Je ne considérerais donc que la recherche fondamentale. Le fonctionnement  normal de la recherche scientifique consiste à accumuler de plus en plus de données. En termes crus, plus un chercheur pollue et épuise les ressources, meilleure peut être son évaluation, et plus important peut-être son financement pour amplifier ses actions destructrices.

Prenons mon domaine de recherche, la phylogénie des espèces. Depuis Darwin, on est passé des données morphologiques nécessitant tout au plus un microscope, à l’analyse des données génomiques : l’utilisation de mes 16 ordinateurs en 2007 a produit 19 tonnes de CO2, leur climatisation au moins 10 tonnes et ma participation à des conférences internationales 15 tonnes. Le récent collisionneur d’hadrons du CERN à Genève consomme autant d’électricité que 500 000 Genevois. Les scientifiques sont des fondamentalistes de la croissance : toujours plus de savoir, toujours plus d’activités de recherche, toujours plus de ressources. L’énorme préférence pour le développement technologique plutôt que pour l’utilisation rationnelle du savoir me semble être un des problèmes majeurs. On connaît déjà la solution à l’obésité, au diabète et aux maladies cardiovasculaires : un meilleur régime alimentaire et plus d’exercice physique. Mais au lieu de modifier les structures sociétales, on investit massivement dans la recherche moléculaire et pharmacologique pour trouver des solutions technologiques. N’est-il pas temps d’arrêter la recherche scientifique ?

On pourrait envisager d’arrêter les recherches les plus demandeuses en ressources ou les moins utiles, mais l’histoire des sciences montre clairement qu’il est impossible de savoir quelle recherche sera révolutionnaire. Je propose donc d’envisager une décroissance de la recherche scientifique couplée à l’élaboration d’une science de la décroissance. Il faudrait changer les critères d’évaluation : minimiser l’utilisation des ressources devrait être un critère primordial et l’innovation ne devrait plus être qu’un critère secondaire. Comme disait Gandhi : « La civilisation ne consiste pas à multiplier les besoins, mais à les limiter volontairement. Il faut un minimum de bien-être et de confort ; mais, passé cette limite, ce qui devrait nous aider devient source de gêne. » Il est impossible de remplacer civilisation par recherche scientifique dans cette citation. Le défi auquel devraient s’atteler les scientifiques est de résoudre ce conflit.

Hervé Philippe (Décroissance versus développement durable, écosociété 2011)

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