Pour une démocratie écologique (Pierre Rosanvallon)

                « Les régimes démocratiques ont du mal à intégrer le souci du long terme dans leur fonctionnement. La difficulté devient préoccupante à l’heure où les questions de l’environnement et du climat obligent à penser en des termes inédits nos obligations vis-à-vis des générations futures. Une sorte de préférence pour le présent semble effectivement marquer l’horizon politique des démocraties. On peut aussi rappeler que les démocraties ont également été stigmatisées pour leur difficulté à gérer promptement des circonstances exceptionnelles, freinées qu’elles sont par la nécessité d’une délibération collective préalable. Entre cette critique décisionniste et la dénonciation du penchant court-termiste, les démocraties ont souvent été décrites comme temporellement dysfonctionnelles. Comment remédier à cette situation ?

Alfred Fouillée proposait en 1910 d’adjoindre à la Chambre des députés représentant le présent un Sénat porte-parole d’une volonté nationale élargie, comme étant composée « encore plus d’hommes à naître que d’homme déjà nés ». Plusieurs propositions ont récemment été formulées dans cet esprit, allant du « parlement des objets » cher à Bruno Latour au « nouveau Sénat » de Dominique Bourg et Kerry Whiteside. Cependant je ne pense pas qu’un bicamérisme soit la voie la plus efficace pour corriger la myopie démocratique. Le danger serait surtout qu’elle soit mécaniquement sous-tendue par les logiques politiciennes existantes. On ne peut en outre imaginer qu’il suffit de mettre sur pied une nouvelle institution pour opérer ce qui devrait constituer une véritable révolution dans la vie des démocraties. Quatre types de mesures pourraient être envisagées pour corriger le biais du court-termisme : introduire des principes écologiques dans l’ordre constitutionnel ; renforcer et étendre la définition patrimoniale de l’Etat : mettre en place une grand « Académie du futur » ; instituer des forums publics mobilisant l’attention et la participation des citoyens. C’est par une telle pluralisation des modalités d’expression du souci du long terme que celui-ci pourrait progressivement être sérieusement défendu.

                Il n’y aura pas de sortie de la myopie démocratique si les citoyens ne sont pas eux-mêmes les défenseurs d’une conscience élargie du monde. »

Extraits d’un texte de Pierre Rosanvallon, Le souci du long terme (2010)

In La pensée écologique – une anthologie (Dominique Bourg et Augustin Fragnière)

Puf 2014, 880 pages, 30 euros