Pourquoi l’inéluctable montée des populismes ?

A quelques jours du premier tour de la présidentielle française, on se déchire encore sur la toile à propos des « on » (Ham/Mélench/Macr/Fill). Il s’agit là surtout de politique politicienne et très peu d’écologie politique. Nous rappelons que, pour un bon fonctionnement de la démocratie, personne ne devrait recevoir de consigne de vote avant d’entrer dans l’isoloir. Mieux vaudrait s’interroger sur la tendance qui met en avant des candidats populistes, qu’ils soient de droite ou de gauche. Voici deux textes (résumés) de réflexions qui se complètent :

1) Les guerres du climat d’Harald Welzer (Gallimard 2009)

C’est un livre angoissant car il montre de façon argumentée la violence potentielle contenue dans l’être humain, acculé à des solutions extrêmes quand il se retrouve en situation de péril extrême. L’ère des Lumières pourrait s’achever avec les guerres du climat au XXIe siècle. Il se pourrait qu’un jour le modèle tout entier de la société occidentale, avec toutes ses conquêtes en matière de démocratie, de libertés, de tolérance, de créations artistiques, apparaisse aux yeux d’un historien du XXIIe siècle comme un vestige incongru. Comme les ressources vitales s’épuisent, il y aura de plus en plus d’hommes qui disposeront de moins en moins de bases pour assurer leur survie. Il est évident que cela entraînera des conflits violents entre ceux qui prétendent boire à la même source en train de se tarir, et il est non moins  évident que, dans un proche avenir, on ne pourra plus faire de distinction pertinente entre les réfugiés fuyant la guerre et ceux qui fuient leur environnement. Le XXIe siècle verra non seulement des migrations massives, mais des solutions violentes aux problèmes de réfugiés. Quelle sera la réaction d’un Etat le jour où augmentera le nombre de réfugiés chassés par leur environnement et où ils causeront aux frontières des problèmes massifs de sécurité ? La violence a toujours été une option de l’action humaine. Les hommes changent dans leurs perceptions et leurs valeurs, en même temps que leur environnement et sans s’en rendre  compte : c’est le phénomène des shifting baselines ou lignes de références fluctuantes. En tant que membre d’une société dont les normes changent, on ne remarque pas que ses propres normes sont soumises à ce changement, parce qu’on se maintient constamment en accord avec ceux qui vous entourent. Les êtres humains sont capables de s’ajuster à une vitesse surprenante dans leurs orientations morales, leurs valeurs, leurs identifications. C’est en particulier le cas quand des menaces, ressenties ou réelles, rétrécissent le spectre d’action qui est perçu et paraissent exiger des décisions rapides. Une fois un conflit défini comme opposant des groupes « nous » et « eux » comme des catégories différentes, les solutions de conciliation deviennent impensables, et cela a pour effet que ces conflits sont partis pour durer, en tout cas jusqu’à ce qu’un côté ait vaincu l’autre. Des processus sociaux comme l’holocauste ne doivent pas être compris comme une « rupture de civilisation » ou une « rechute dans la barbarie », mais comme la conséquence logique de tentatives modernes pour établir l’ordre et résoudre les problèmes majeurs ressentis par des sociétés.Comment finira l’affaire du changement climatique ? Pas bien. Ses conséquences marqueront la fin du rationalisme des Lumières et de sa conception de la liberté. A la lumière de l’histoire, il est hautement probable que des êtres humains qui sembleront menacer les  besoins de prospérité des gens bien établis recevront le statut de superflus et mourront en grand nombre ; que ce soit par manque d’eau et de nourriture, que ce soit par une guerre aux frontières, par des guerres civiles ou par des confits entre Etats. Quand des hommes interprètent des problèmes comme menaçants leur propre existence, ils tendent à prendre des solutions radicales, telles qu’ils n’y avaient jamais pensé avant.

2) Une théorie de la régression (LE MONDE du 9-10 avril 2017)

Tout au long des deux décennies qui suivirent l’année 1989, la diffusion des élections libres fut partout synonyme d’inclusion des très divers groupes minoritaires (ethniques, religieux, sexuels) dans la vie publique. Aujourd’hui, les élections servent à consolider l’hégémonie des majorités. Cette grande régression est un véritable « retournement »,  l’opinion publique occidentale, qui était jadis une force progressiste, s’est transformée en force réactionnaire. La période que nous vivons est une déconstruction de la mondialisation. Aucun Etat-nation moderne ne contrôle son économie nationale. L’économie américaine dépend fortement de la Chine ; celle-ci dépend pour son approvisionnement en matières premières de l’extérieur ; tout le monde dépend du pétrole moyen-oriental. C’est  la perte de souveraineté économique qui engendre partout une posture consistant à brandir l’idée de souveraineté culturelle, un « ethno-nationalisme » qui est la marque de fabrique de tous les populismes. La région qui avait été jadis le bastion de la social-démocratie du New Deal, cette vaste région que l’on appelait autrefois la Manufacturing Belt, la “ceinture des usines”, est désormais appelée la Rust Belt, la “ceinture de la rouille”. A force d’être déclassés et surtout livrés à eux-mêmes dans un univers social dévasté, les perdants de la mondialisation sont animés d’un immense ressentiment à l’égard des réfugiés ou des minorités. Le populisme se nourrit à la fois du rejet des grandes vagues migratoires sur leurs sols respectifs, ainsi que des bouleversements induits par la révolution technologique. La technologie promet un monde où les métiers qu’on exerce actuellement auront disparu demain. Passant un temps considérable sur Internet, en y étant affranchis de tout contrôle social, des individus n’ont pas à rendre le moindre compte pour les messages haineux qu’ils y propagent. Le désir de sortir du sentiment d’exclusion conduit à rechercher une contrainte imposée de l’extérieur par une instance autoritaire. Des atteintes sont ainsi constamment portées aux règles en vigueur du langage public civilisé, qui deviennent sources de mobilisation chez ceux “d’en bas”. C’est une manière de se façonner une nouvelle identité, un nouveau sentiment du “nous”. Ce qui unit, c’est la négation de la civilisation au quotidien, au nom d’une civilisation occidentale imaginaire. Afin d’endiguer cette régression mondiale, la gauche doit en finir avec un gauchisme de campus complètement décalé par rapport à la réalité. La gauche devra également en finir avec sa « rhétorique défensive » (des acquis sociaux et de l’Etat-providence).