Pourquoi s’inquiéter de l’effondrement annoncé ?

Il devient de plus en plus difficile pour certains spécialistes (scientifiques, ingénieurs et, plus récemment, ceux qui travaillent dans la finance) d’imaginer un scénario qui ne culmine pas en effondrement. D’autres (hommes d’affaires, politiciens, économistes, psychosociologues, éducateurs) trouvent de telles réflexions trop négatives. Le contraste entre ces deux groupes révèle deux modes de pensée radicalement différents. Le premier est habitué à raisonner en quantités physiques mesurables et en principes (théorie des systèmes, thermodynamique, etc.). Il examine des faits. Pour le second groupe, la société demeure à la fois le sujet et l’objet ; il voit comme accessoires les considérations et principes physiques, qu’il n’a généralement pas été formé à comprendre et qu’il considère comme affaire d’opinion. Selon lui, le sujet de l’effondrement est circonscrit à ses effets directs et immédiats sur la société, non la réalité à long terme de cet effondrement ; vu sous cet angle, un tel sujet semble trop négatif, dérangeant, anxiogène, défaitiste – plutôt qu’encourageant et stimulant. Il y a cependant un point d’accord très fort entre ces deux types de spécialistes : tous deux se rejoignent a priori sur le fait que ressasser le sujet de l’effondrement n’est pas propice à l’avancement de leur carrière ! Les seules personnes qui soient capables de discuter ouvertement d’effondrement sont des spécialistes à la retraite ou des professeurs titulaires qui ne dépendent pas de subventions. A un niveau plus personnel, la thèse de l’effondrement peut être corrosive pour le mariage et la vie de famille. L’épouse peut désirer passer des vacances sous les Tropiques en hiver ou effectuer des achats dans les boutiques à la mode. Elle en arrive à se demander si elle a épousé le bon individu. Or il y a des situations où ce stéréotype est inversé et où la femme prend conscience de la « chute finale » à venir, tandis que le mari choisit de demeurer dans le déni.

Ainsi, espérer de la plupart des gens qu’ils entreprennent des démarches significative pour réagir à l’effondrement annoncé en tant qu’individu ou famille s’avère être une demande passablement excessive. L’inertie sociale pesant de tout son poids, beaucoup d’entre nous sont prédisposés à ne pas vouloir comprendre que la catastrophe est inévitable. C’est particulièrement probant dans le cas de gens occupant des positions de pouvoir, parce qu’ils ne se réjouissent pas vraiment d’imaginer un avenir qui n’envisage pas de place pour eux. Nos comportements sociaux sont ataviques et produisent, bien trop souvent, de la médiocrité et du conformisme. Il semble donc plus raisonnable de s’attendre à ce que la complexité sociale soit démolie de la façon ordinaire, vite et bien, plutôt que démantelée graduellement et délibérément (….)

Ce livre* remet en question ce que signifie « être correctement socialisé ». Il remet aussi en question ce que signifie « être financièrement en sécurité ». Il remet en question ce qui signifie « participer à l’économie » : faire des affaires avec des étrangers est-il une si merveilleuse idée ? Il remet en question ce qui signifie « être patriote » : un drapeau, un hymne et quelques mythes de la création d’une nation sont-ils suffisants pour vous dire qui sont les vôtres, ceux qui sont prêt à mourir pour vous autant que vous pour eux ? Il remet en question ce qui signifie « être humain » : vous avez rencontré les Iks pour qui la survie à tout prix peut être un destin pire que la mort. Mais l’effondrement n’est pas un scénario de cauchemar à éviter à tout prix, c’est simplement une part des flux et reflux normaux de l’histoire humaine. Si suffisamment d’idées de ce livre résonnent en vous, vous vous retrouverez peut-être à développer une sorte d’identité post-effondrement, comme l’identité interne des gitans. Les choses deviendront vraiment intéressantes si jamais vous croisez quelqu’un qui sait ce que vous savez et qui est sur la même longueur d’onde… mais la confiance se bâtit sur des actions, pas sur des paroles. Quoi qu’il en soit, soyons clair sur un point : il vaudrait mieux qu’il y ait une vie après l’effondrement économique à venir, pour vous comme pour moi !

* Les cinq stades de l’effondrement selon Dmitry Orlov (éditions Le Retour aux Sources 2016, 448 pages pour 21 euros)

7 réflexions sur “Pourquoi s’inquiéter de l’effondrement annoncé ?”

  1. « A un niveau plus personnel, la thèse de l’effondrement peut être corrosive pour le mariage et la vie de famille. L’épouse peut désirer passer des vacances sous les Tropiques en hiver ou effectuer des achats dans les boutiques à la mode. »

    Cela est peu de chose, il y a bien plus difficile, et plus lourd de conséquences : l’épouse peut désirer mettre au monde des enfants. Et c’est un désir bien plus prégnant ! C’est d’ailleurs la finalité de son choix d’être épouse. Elle a choisi celui qu’elle pense raisonnablement faire un père satisfaisant, elle suit la ligne dictée par sa nature. Elle doit accomplir sa fonction.

    L’homme, lui, cherche une compagne. Il a naïvement cru que la contraception était (pour ce que le concerne lui) la solution au problème de l’effondrement.

  2. la décomposition du mot est beaucoup plus significatives si on l’écrit comme çà :
    CON, SOT, MATEUR [de pub] !
    en adéquation parfaite avec le bourrage de crâne depuis des décennies,n’est ce pas !?

  3. @Didier Barthès
    Je rejoins ce que vous dites-là . Ce découplage dont vous parlez je l’appelle  » déni de réalité « .
    Et ce déni vient aggraver l’inertie… or le temps nous est compté.
    Hélas ce problème ne concerne pas que les responsables politiques, mais chacun de nous. Plus ou moins certes.

  4. Ce découplage entre un raisonnement sur la physique qui sert de base incontournable à tout le reste et un raisonnement sur la seule économie comme si celle-ci elle vivait de façon éthérée au dessus et indépendamment des contraintes matérielles du monde est un vrai problème. C’est lui sans doute qui explique la surdité de tant de responsables politiques aux menaces grandissantes.

  5. C’est bien vrai, ça !!! Pourquoi s’inquiéter … puisque jusque là tout va bien ?
    Puisque les vacances sous les Tropiques en hiver n’ont jamais été aussi abordables.
    Vive le low-cost ! et ne regardons pas ce qui se passe dans les coulisses !
    Aujourd’hui c’est la fête pour les cons-ommateurs.
    Aujourd’hui c’est le Black Friday ! Profitons-en ! Faisons-nous PLAISIR !
    Puisque nous le VALONS bien ! C’est l’Oréal qui nous le dit : « puisque je le vaux bien ! »

    (ironie… à prendre au second degré… évidemment.)

    1. Note de la rédaction : « Black Friday » désigne le lendemain du repas de Thanksgiving, un grand jour de soldes pour lancer la saison des achats aux États-Unis. Comme le dit si bien Michel, « aujourd’hui c’est la fête pour les CONS-ommateurs ». Nous n’avions pas besoin de Trump pour avoir déjà une société sans foi ni loi (à part celle des marchands).

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