Quelle démocratie en situation d’urgence écologique ?

L’urgence écologique serait-elle incompatible avec la démocratie, lente dans son fonctionnement ? Les problèmes à long terme sont toujours masqués par les problématiques de court terme. C’est notre croyance individualiste en la possibilité à déterminer nous-mêmes les sociétés politiques indépendamment de la nature qui fait que nous avons du mal à passer à une écologie politique, à considérer l’urgence écologique, parce que nous continuons de faire comme si les politiques n’étaient que des artifices consistant à poser les rapports de gouvernement entre les hommes.*

Actuellement, c’est une certaine perception du temps occidental – devenu une référence mondiale – qui est proposée, reposant sur le principe essentiel que celui-ci n’a pas de limites et, qui plus est, qu’il peut être soumis à nos intentions, puisqu’il nous permettra d’améliorer, sans cesse, le confort humain et ses conditions de vie. Les ruptures sont ponctuelles, provisoires. Nos capacités techniques, sur lesquelles nous projetons nos espérances de toujours plus de bien-être, permettront de les dépasser. La « modernité » constitue un vaste processus d’homogénéisation , le social et l’économique est ajusté aux normes de la rationalité instrumentale. La mondialisation actuelle ne fait que poursuivre et amplifier cette homogénéisation, cet homme unidimensionnel (Marcuse) que façonne peu à peu le modèle productiviste et consumériste. La démocratie continue à proposer ce modèle de l’individualisme consumériste, qui n’est en rien compatible, à court terme comme à long terme, avec les enjeux de justice sociale et de respect de la biosphère. L’abandon par le gouvernement Sarkozy de la taxe carbone est un signe évident d’une impossibilité des élites politiques à prendre en compte l’enjeu écologique dans la hiérarchie des décisions. Paradoxalement, il est d’autres domaines où la réactivité des responsables politiques est plus vive. Leur capacité à réagir à la crise financière contribue à valoriser la fonction politique et à montrer que les ressources financières peuvent être mobilisées lorsque le personnel dirigeant estime que cela est nécessaire, pour la survie du système financier. L’écologie politique a, dès le début de son existence, mis en avant la violence faite à la nature. Elle a dénoncé l’amnésie culturelle et politique de la modernité face aux exactions commises en son nom. L’urgence est désormais avérée et non plus prophétisée. Désormais, nous sommes face à la nécessité de gérer les conséquences de ces quarante années perdues depuis 1974 (candidature de l’écologiste René Dumont à la présidentielle) à dénier la pertinence du constat. L’écologie politique doit envisager une contraction démocratique, résultant d’une réduction du temps qu’il nous reste pour produire des solutions au cumul des urgences naturelles et sociales. Cette contraction démocratique résulte d’une quadruple contrainte. La contrainte temporelle : nous sommes face à un ultimatum que nous ne pouvons continuer à nier. Elles concernent ensuite la contrainte exogène, « on ne négocie pas avec la nature  (Y. Cochet)» . Nous devons aussi faire face à une contrainte égalitaire, qui redessine les relations entre humains et non-humains. Enfin, il y a contrainte sociale : le rationnement devient une condition nécessaire du partage dans un monde fini (la carte carbone, le revenu maximum autorisé…). Le long terme révèle un décalage fondamental entre le court-termisme de la politique et la réalité matérielle des phénomènes écologiques (dérèglement climatique, pénuries énergétiques, épuisement des ressources, sixième extinction de la biodiversité, empoisonnement de l’environnement…) et sociaux (explosion des inégalités sociales, développement de la surveillance généralisée…).
L
a réduction du délai pour réagir amène à s’interroger sur la compatibilité des modèles décisionnels dans une démocratie avec les contraintes environnementales qui vont accroître les tensions sociales. Cela peut conduire à l’adoption de règles restrictives à l’autonomie politique des individus. Ce qui caractérise la démocratie – la possibilité de se construire, librement, un destin individuel et collectif – se trouve ainsi de plus en plus limité. L’idée de finitude s’est installée comme l’un des leitmotivs angoissants des mouvements écologistes. Il ne reste plus qu’à évaluer le délai restant à nos sociétés avant d’atteindre la phase ultime de la désagrégation. Les communautés scientifiques multiplient les appels à une action désormais considérée comme extrêmement urgente : chaque sommet mondial sur le climat est maintenant qualifié de « sommet de la dernière chance ». L’urgence nous imposera des situations de façon non négociable. On doit faire face à la limitation des choix qu’imposent de plus en plus la crise écologique. Selon l’image de Luc Semal, il s’agit du sablier des choix, si l’on considère que chaque sortie de secours est un grain de sable qui tombe à son tour irréversiblement dans l’impossible, tandis que de moins en moins de solutions demeurent encore envisageable. À vouloir maintenir une relation déséquilibrée entre nos besoins de ressources fossiles et la capacité de la Terre à les mettre à disposition, nous entrerons dans une récession économique. Des seuils d’irréversibilité géologiques ont été dépassés sans que nous nous en rendions réellement compte. Nous devrons gérer un enchaînement de conséquences. Comment dès lors conserver notre maîtrise des processus de décision sans sombrer dans l’utilisation de méthodes totalitaires ? Anders témoigne qu’il est aisé de se résoudre à détruire une partie de l’humanité dès lors que cette solution apparaît comme justifiable pour notre propre survie. Il n’aura fallu que huit années aux nazis pour mettre en place des « politiques » jusque-là inconcevables, rappelle Arendt… En état d’urgence écologique, le capitalisme va être contraint d’adopter des mesures contraignantes. Le catastrophisme est une préparation à la soumission anticipée aux états d’exception, l’acception des disciplines à venir, l’adhésion à la puissance bureaucratique qui prétend, par la contrainte, assurer la survie collective. Plus nous reportons les décisions à prendre, plus nous serons dans la gestion de crise… ce qui n’est pas très propice à un partage équitable des ressources.**

Pour en savoir plus :

* https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/philosophie-de-lecologie-24-la-democratie-est-elle-a-la-hauteur-de-lurgence-ecologique

** https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique1-2010-2-page-95.htm

3 réflexions sur “Quelle démocratie en situation d’urgence écologique ?”

  1. ATTENTION, tous les blogs hébergés par lemonde.fr seront fermés à partir du 6 juin 2019.
    LE MONDE ne nous a donné aucune explication sur le pourquoi de cette fermeture générale…
    Ce BLOG.BIOSPHERE sera donc transféré chez un autre hébergeur, nous y travaillons…
    Bien à vous, fidèles lecteurs…

  2. Entre NOTRE urgence écologique et LEUR urgence financière, ils gagneront sans aucun doute maintenant…
    [… à moins de leur couper la tête, héhé ! (GRRRR… )]

  3. – « Le catastrophisme est une préparation à la soumission anticipée aux états d’exception, l’acception des disciplines à venir, l’adhésion à la puissance bureaucratique qui prétend, par la contrainte, assurer la survie collective. »

    Nous savons que nous vivons dans un monde de fous, nous pouvons pointer et accuser ceci ou cela, nous y défouler ou nous en moquer autant qu’on voudra, mais le comble serait d’en arriver à souhaiter une véritable dictature. En arriver à demander des bâtons pour se faire battre en dirait long sur la nature de ce mal qui nous ronge. Bien sûr, en considérant ici que le sado-masochisme soit un mal. En tous cas le cerveau humain est une bien curieuse machine. (« Le bug humain » de Sébastien Bohler, février 2019 aux éditions Robert Laffont)

    https://www.youtube.com/watch?v=GPMSADqi3A8

    Beaucoup de choses sont incompatibles avec l’écologie, et bien plus encore aujourd’hui avec l’URGENCE écologique. La liste serait longue si nous la voulions exhaustive : la publicité, l’obsolescence programmée, la mode, les sports mécaniques, la compétition en général, le tourisme, les débilités télévisuelles, l’agriculture intensive, tout un tas d’industries etc. etc. Pratiquement tout ce sur quoi repose le Système est incompatible avec l’écologie. Le Capitalisme, le libéralisme, l’usure (l’intérêt sur l’argent), la bourse, la croissance bien sûr… mais aussi tout ce qui promeut l’individualisme, la domination, et même le sacro-saint mérite qui en réalité n’est qu’un mythe parmi tant d’autres. (« Parce que je le vaux bien ! »)

    Et donc, nous pouvons en effet nous poser la question quant à la démocratie. En considérant là encore qu’elle ait un jour réellement existé. Une véritable démocratie et non pas un semblant ou une illusion de démocratie, comme aujourd’hui. Une véritable démocratie avec un peuple de vrais citoyens,
    autrement dit des individus libres, responsables, éclairés, et non pas une bande de cons-ommateurs infantilisés accros à l’avoir et au paraître, toujours plus. Une véritable démocratie avec une véritable élite (digne d’être élu, le meilleur) pour nous représenter, nous diriger, et non pas une bande d’arrivistes voire d’affairistes et/ou de marionnettes de l’oligarchie.

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