Quelle démocratie pour une société écologisée ?

L’épisode des « gilets jaunes » en France ainsi que l’exubérance d’autres mouvements dans divers pays marquent la fin du système habituel de représentativité politique. L’éditorial du MONDE* dénonce la stratégie du désordre que poursuivent les plus radicaux des GJ. Mais il fait confiance au « grand débat national » qui va s’ouvrir mi-janvier et dont on sait déjà qu’il va s’enliser dans les sables mouvants des conciliabules sans conséquences. Place alors à l’horizontalité ? L’évolution technique (Web, microblogage, twitter, etc) a entraîné la disparition des corps intermédiaires en libérant l’expression individuelle. Avec l’avènement des réseaux sociaux, chacun se donne le droit d’exprimer son propre point de vue, mais il n’y a plus de cohérence. En termes informatique**, il faut alors réaliser un « algorithme de compression », qui transforme une grande quantité d’informations – la liste exhaustive des revendications des manifestants – en une petite – sa synthèse. Les GJ, par leur refus de représentants, refusent de construire cette synthèse et le gouvernement, en faisant une proposition à 10 milliards d’euros, ne pouvait de toute façon satisfaire des exigences toujours renouvelées et disparates. La démocratie représentative est déconsidérée alors que l’urgence écologique demanderait une action politique à la fois forte et consensuelle. Politiquement il n’y a plus d’algorithmes de compression (de synthèse) possibles. Comme l’écrit un commentateur sur lemonde.fr, « Quand l’un lève la tête, les autres lui tombent dessus. Alors ils se coagulent en cliques autour d’un fort ou d’une forte en gueule pour subsister ». Le terme ultime du manque de synthèse, c’est tout le pouvoir à un Trump qui gouverne par tweets au nom du peuple.

Il faut donc instituer un nouveau pouvoir qui pourrait se caractériser par sa capacité à tenir un discours complexe, celui de l’écologie en interrelations avec l’économique et le social. Comme tout citoyen a normalement pour but la sauvegarde de la planète pour lui et les générations futures, il est par définition un écologiste. Avec des objectifs commun, un grand récit collectif peut alors définir un mode de gouvernement capable d’interagir avec l’action de chaque citoyen. On sait déjà que ce paradigme reposera sur la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, la sobriété partagée, la maîtrise de la fécondité humaine, une agriculture respectueuse des cycles vitaux, la relocalisation des activités, etc. Reste à mettre en place les supports pour populariser un nouvel art de vivre ensemble. Dans « Nicolas Hulot, la brûlure du pouvoir », un livre en librairie depuis le 4 octobre 2018, Michel Sourrouille présente ces avancées institutionnelles qui permettraient à tous les citoyens ordinaires de se sentir officiellement représentés sans avoir besoin de rechercher à la sauvette un improbable porte-parole qui pourrait assez vite prendre la figure du potentat. On peut penser à deux formes de délibération démocratique, les conférences de consensus et la Chambre du futur.

Conférences de consensus : Sur une thématique particulière, par exemple la taxe carbone, un comité d’organisation constitue un panel représentatif de la population ordinaire, c’est-à-dire non expert de la question étudiée. Les membres sont tirés au sort. Il faut lutter contre l’hyper-spécialisation contemporaine qui transforme les  individus en serviteurs d’une structure, par exemple une entreprise, un syndicat, un parti politique, etc. Il y a ensuite formation poussée de ce groupe de citoyen, avec audition d’experts, pas seulement scientifiques, mais aussi associatifs ou concernés. De cet apprentissage doit résulter la recherche par le groupe de la meilleure décision à prendre. A toutes les étapes de cette réflexion collective, la transparence sera requise grâce à la vidéo et à la publicité de la procédure. La démocratie aurait même tout à gagner à enfermer ce panel de citoyens entre quatre murs pour en faire une émission de télé-réalité qui, pour une fois, servirait à quelque chose. La démocratie en acte, c’est faire confiance aux citoyens ordinaires pour comprendre les discours contradictoires des experts et en tirer des conclusions d’intérêt général. La conférence aboutirait à un consensus public. Plutôt qu’un grand débat national fourre-tout, organisons des conférences de consensus sur tous les thèmes chauds de l’urgence écologique et sociale.

Chambre du futur : cette réforme institutionnelle était annoncée le 5 juillet 2017 par Macron : le Conseil économique, social et environnemental (CESE) deviendrait une « Chambre du futur ». C’est la Fondation pour la nature et l’homme (FNH), ex-Fondation Nicolas Hulot, qui proposait antérieurement cette instance améliorée. Ce CESE nouvelle formule devrait être une véritable assemblée du long terme ayant le pouvoir d’imposer, dans la fabrication de la loi, la prise en compte des évolutions climatiques et écologiques. Pour la FNH, cette assemblée aurait même un pouvoir d’initiative spéciale sur les grands projets liés aux questions de long terme et un « droit de veto suspensif » vis-à-vis de projets de loi adoptés mais pas encore promulgués. Ce droit de veto contraindrait le Parlement à revoir sa copie. Dans le projet de la FNH, la Chambre du Futur serait composée de « deux collèges tirés au sort: un collège de scientifiques et de personnes reconnues pour leurs compétences environnementales et un collège de citoyens ». Aux côtés de cette « assemblée du long terme », des scientifiques assureraient une « veille scientifique ». EELV devrait avoir là un motif de satisfaction puisque ce serait la reprise de la proposition 56 du programme de Yannick Jadot pour la présidentielle 2017 : « Faire évoluer le mandat et la composition du Conseil économique, social et environnemental pour en faire une troisième chambre, aux côtés de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui aurait un droit de veto suspensif sur toute mesure législative qui mettrait en cause le long terme. »

* LE MONDE du 8 janvier 2019, Gilets jaunes : la violence ou le débat

** LE MONDE du 9 janvier 2019, L’algorithme manquant des « gilets jaunes »

3 réflexions sur “Quelle démocratie pour une société écologisée ?”

  1. Les vraies raisons du départ de Chantal Jouanno
    La question de son salaire n’est qu’un aspect du problème. Dans sa décision du 17 décembre à propos du grand débat national, la CNDP indiquait que « la poursuite de cette mission jusqu’à la rédaction du rapport final suppose un engagement du gouvernement à respecter pour ce débat public les principes fondamentaux de la Commission nationale du débat public ». Ces principes sont : la transparence, la neutralité, l’indépendance, la reddition des comptes. Tout ceci vise à garantir la crédibilité des débats menés par la Commission, qui revendique l’autonomie, notamment dans la synthèse rédigée à la fin du débat.
    Or l’Élysée s’est montré peu coopératif. Mme Jouanno attendait une lettre de la présidence de la République formalisant l’engagement à respecter l’indépendance de la commission dans le pilotage du débat et manifestant un engagement clair que les résultats seraient pris en compte. Faute de ces engagements clairs, et alors que le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a déclaré sur Europe 1, « Il ne s’agit pas que le débat conduise à détricoter tout ce qui a été voulu par les Français », Mme Jouanno a préféré renoncer à piloter le débat. Elle risquait fort d’être instrumentalisé par M. Macron, ce qui aurait durablement nui à l’image d’indépendance qu’elle veut donner à la CNDP.
    https://reporterre.net/Les-vraies-raisons-du-depart-de-Chantal-Jouanno?fbclid=IwAR01hwv3AfYJBIdeIKKKPiFISgjHOn_dDfu6MgaCjni3WtFumawpe8mvfMI

  2. @ jaen yves
    Non, en ce qui me concerne je ne suis toujours pas convaincu par la démocratie directe, ni par ces RIC ni par ces « débats » dont il ne sortira rien.

    Pourquoi ? Parce que nous sommes dans une situation inextricable. Nous ne sommes pas en démocratie et ceci depuis longtemps (en considérant que nous l’ayons été un jour), il n’ y a pas de citoyens mais seulement des consommateurs. Et pas n’importe quel type de cons ommateurs. Nous sommes dans une ochlocratie, le pire des régimes politiques selon Polybe.

    Pendant longtemps ceux qui gouvernent le monde ont trouvé un intérêt à maintenir une illusion de démocratie. Pour cela ils s’appliquaient à formater les esprits (« La fabrication du consentement » Chomsky), de tous côtés ils mesuraient cette fameuse Opinion (sondages), ce qui d’une part leur permettait d’adapter leurs discours, afin de la façonner dans leur sens évidemment, et d’autre part ce qui permettait au pékin moyen de s’étalonner. Les minoritaires à contre-courant n’ayant plus qu’à se ranger, à déposer les armes, puisqu’après tout à quoi bon ? Les tenants de l’Ordre Etabli pouvaient donc dormir tranquilles. L’erreur qu’ils ont commise a été de croire que tout ça durerait des siècles et des siècles, que c’était « la fin de l’histoire ».

    Et aujourd’hui tout ça a atteint ses limites. Aujourd’hui c’est la foule qui gouverne (ochlocratie) autrement dit plus personne. La foule, le Gros Animal comme disait Platon, veut tout et n’importe quoi. On ne peut même pas dire qu’elle et responsable puisqu’on l’a habituée comme ça. On nous a dit que tout était possible, qu’il fallait bien se faire plaisir, « parce que je vaux bien » et patati et patata. Au stade où nous en sommes, celui du grand n’importe quoi, nous voulons une chose et en même temps son contraire, il ne faut donc pas s’étonner que Macron ait fait recette avec ce slogan.

    Résultat, tout le monde est planté. Les « dirigeants » vont bien sûr continuer à nous enfumer, à nous vendre des vessies pour des lanternes, un certain temps (tant qu’ils pourront)… sauf que plus personne ne les croit. Bref, ça sent la fin.

  3. Bonjour
    Il ne s’agit pas de supprimer la démocratie représentative, mais de la compléter avec le RIC.Les suisses ont par initiative citoyenne voté :la sortie du nucléaire, le fret ferroviaire obligatoire pour les poids lourds,la fin de l’abatage rituel des animaux,l’abolition de la peine de mort en 1938 etc.. Une initiative est en cours pour supprimer tous les produits chimiques de synthèse ds l’agriculture.
    D voynet l’avait mis ds sa campagne présidentielle. Alors toujours pas convaincu par la démocratie directe ?
    Signez la pétition :http://www.article3.fr/ Près de 300 000 ont signé.

Les commentaires sont fermés.