quelle objectivité ?

De l’objectivité dans les manuels de SES

Le rapport Guesnerie, audit des manuels et programmes de sciences économiques et sociales,  regrette que « les manuels présentent des extraits de presse et documents de grands auteurs sur le même plan ». Ce point de vue m’a fait penser immédiatement à l’analyse de Marcuse en 1964, in La tolérance répressive. Il est vrai que n’importe quelle parole n’est pas équivalente à n’importe quelle parole, encore faudrait-il se rendre compte  en préalable que l’idéologie dominante ne voudrait rencontrer dans les manuels, dans les esprits et dans les comportements que le reflet de l’idéologie dominante. Voici quelques extraits de Marcuse :

 

« A l’intérieur de la démocratie d’abondance, on peut entendre tous les points de vue : le point de vue communiste et le fasciste, celui de la gauche et celui de la droite, celui du Blanc et celui du Noir, celui de ceux qui militent pour l’armement et celui de ceux qui militent contre. En outre dans les médias, l’opinion stupide est traitée avec le même respect que l’opinion intelligente, celui qui est mal informé peut parler aussi longtemps que celui qui est bien informé et la propagande y est mise dans le même sac que l’éducation. Cette tolérance du sens et du non-sens est justifiée par l’argument démocratique selon lequel personne, aucun groupe ni aucun individu, n’est en possession de la vérité et capable de définir ce qui est juste et ce qui est faux, ce qui est bon et ce qui est mauvais. Toutes les opinions contestataires doivent être soumises au « peuple » pour qu’il puisse délibérer et choisir. Le caractère non discriminant de la tolérance libérale était, du moins en théorie, basé sur la proposition selon laquelle les homme étaient (en puissance) des individus qui pouvaient apprendre à écouter, voir et sentir par eux-mêmes et ainsi comprendre quels étaient leurs véritables intérêts. L’argument démocratique implique une condition nécessaire, à savoir que les gens doivent avoir accès à l’information authentique et que leurs délibérations doit être le  résultat d’une pensé autonome se fondant sur cette information authentique.

 

Mais la tolérance universelle devient problématique lorsqu’elle est appliquée à des individus manipulés et endoctrinés qui répètent comme des perroquets, comme si cela venait d’eux, l’opinion de leurs maîtres pour lesquels l’hétéronomie est devenue autonomie. Avec la concentration des pouvoirs économique et politique et avec l’intégration d’opinions opposées dans une société qui utilise la technologie comme un instrument de domination, la contestation réelle reste bloquée. Dans une démocratie organisée sur un mode totalitaire, l’objectivité entretient une attitude mentale tendant à oblitérer la différence entre ce qui est juste et ce qui est erroné. En fait le choix entre des opinions opposées a été fait avant que ne commence la discussion. Il n’a pas été fait par une conspiration, mais juste par « le cours normal des événement », qui n’est que le cours des évènements administrés.

 Comment briser la tyrannie de l’opinion publique et de ceux qui la construisent dans une société close ? Pour rendre les individus capables de devenir autonomes, de trouver par eux-mêmes ce qui est vrai, il faudrait les libérer de l’endoctrinement dominant qu’ils ne reconnaissent même plus comme endoctrinement. La vérité, « toute la vérité », requiert la rupture avec l’apparence des faits. Une partie essentielle de la vérité est de reconnaître dans quelle effrayante mesure l’histoire a été faite par et pour les vainqueurs, c’est-à-dire de reconnaître dans quelle mesure elle est le développement de l’oppression. »