refus de l’écologie ?

Le numéro 16 (février 1974) de la Gueule ouverte perd non seulement sous sous-titre « le journal qui annonce la fin du monde », mais aussi son label de « mensuel écologique ». Isabelle, celle qui va devenir rédacteur en chef, commence à justifier ce tournant dans le numéro précédent :

 

« Le gâteau est finalement considérablement moins copieux qu’on ne l’imaginait, par contre les dîneurs sont de plus en plus nombreux. Seuls quelques-uns ont le droit de manier le grand couteau pour tailler et distribuer les parts. Ce sont ces quelques-uns qui gèreront la pénurie, en essayant d’en tirer autant de bénéficies que s’ils avaient géré l’abondance ». On est en train, tout doucement, d’habituer les masses à l’idée de restriction. Ce que les écologues n’étaient pas arrivés à faire entendre en parlant sagesse, à savoir : ralentissement de la consommation folle, les économistes vont l’obtenir. Pour avoir la bagnole, c’est facile, sois raisonnable, roule moins vite, pas tous les jours… Accepte sans broncher que l’électricité soit fournie par des centrales nucléaires, c’est tout simple, tu vois… On va pouvoir nous faire tout avaler, struggle for life, chacun pour soi mais tous pour la Société Moderne. Restriction de ceci, consommation de cela, racisme, délation, polices privées, on peut tout imaginer. On a des références et des souvenirs. Les écologues n’ont pas ouvert leur gueule assez tôt ni assez fort. »

 

Dans son édito du n° 17, Isabelle devient encore plus explicite : « Rédactrice en chef que me voici devenue, je commence par prendre une initiative : suppression du sous-titre mensuel écologique. Prise de distance avec une image débile de l’écologie, celle que donne certains doux farfelus qui prêtent le flanc à toutes les critiques. Erreur de prendre comme postulats de soi-disant règles inscrites dans une Nature mythique. Que d’aucuns passent agréablement (si aucun fascisme ne vient briser leur idylle) leur vie à se conforter en communauté, n’ayant d’autre souci que la pureté de leurs petits intestins ou la contemplation extatique du coucher du soleil sur le mille-pertuis de la dernière colline non polluée qu’ils ont trouvé, si ça les amuse, je n’ai rien contre. Mais je n’ai pas envie de me casser le chose à faire un journal avec leurs états d’âme. (…) Il n’y a pas de réponse politique ou scientifique  toute prête aux questions que pose la crise actuelle de civilisation, il n’y a pas de réponse écologique définissable. Il nous faut chercher dans toutes les directions, un journal écologique devrait éviter la segmentation, sans étiquette. »

 

Isabelle annonçait ainsi la suspension temporaire de l’écologie, elle est en phase avec l’époque. Entre le 1er sommet de la Terre à Stockholm (1972) et le deuxième sommet à Rio de Janeiro (1992), nous avons attendu 20 ans sans rien faire, moi compris. Que de temps perdu pour la sauvegarde de la Biosphère alors que les coups de gueule de Pierre Fournier et des écologues restent toujours d’actualité en 2007, 2008, 2009… 

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