regard : Jean Baptiste de Lamarck et l’espèce humaine

Voici ce que conjecturais Jean Baptiste de Lamarck (1744-1829) au sujet de l’espèce humaine dans «Philosophie zoologique » ; « Que cette race plus perfectionnée dans ses facultés étant venue par-là à bout de maîtriser les autres se sera emparé à la surface du globe de tous les lieux qui lui conviennent ; Qu’elle en aura chassé les autres races éminentes et dans le cas de leur disputer les biens de la Terre, et qu’elle les aura contraintes de se réfugier dans les lieux qu’elle n’occupe pas ; Que nuisant à la grande multiplication des races qui l’avoisinent par leurs rapports et les tenant reléguées dans les bois ou autres lieux déserts, elle aura arrêté les progrès du perfectionnement de leurs facultés, tandis qu’elle-même, maîtresse de se répandre partout, de se multiplier sans obstacle de la part des autres, et d’y vivre par troupe nombreuses se sera successivement créé des besoins nouveaux qui auront excité son industrie et graduellement ses moyens et ses facultés ; Qu’enfin cette race prééminente ayant acquis une suprématie absolue sur toutes les autres, elle sera parvenue à mettre entre elle et les animaux les plus perfectionnés une différence, et, en quelque sorte une distance considérable. Ainsi, la race de quadrumanes la plus perfectionnée aura pu devenir dominante ; changer ses habitudes par l’empire absolu qu’elle aura pris sur les autres… et borner les plus perfectionnées des autres races à l’état où elles sont parvenues; et amener entre elles et ces dernières des distinctions très remarquables. » (cité par Ivo Rens)

Les Entretiens sur l’écologie que nous propose Ivo Rens montre que l’écologie est ancienne et trouve ses sources tout à la fois dans une démarche scientifique rigoureuse et dans une attitude philosophique profonde prônant le respect, bien loin d’un utilitarisme de court terme. Le livre est organisé en 21 chapitres présentant, sous forme de questions-réponses et dans l’ordre chronologique des parutions, un auteur et l’une de ses œuvres, les raisons de ce choix et les débats qui ont entouré les questions traitées. Il est aussi difficile de résumer un ouvrage ainsi composé de chapitres indépendants que de choisir une de ses parties  pour l’illustrer. Toutes présentent un grand intérêt, que ce soit les textes fondateurs ou ceux plus récents touchant un problème précis comme celui consacré à l’œuvre de Bella et Roger Belbéoch sur Tchernobyl. Les questions proprement scientifiques, celles relevant de l’organisation de la société ou de nos rapports avec la nature y sont traitées à part égales. Les plus habitués aux lectures écologistes seront heureux d’y trouver les grands classiques que sont Georgescu-Roegen, Osborn, Jonas, Ramade ou Meadows (j’aurais volontiers ajouté James Lovelock ou Arne Næss), les plus savants d’y trouver Humboldt ou Vernardsky et bien sûr Darwin. Tous loueront Ivo Rens de s’ouvrir aux travaux plus récents et à la frontière de la philosophie comme ceux de Corine Pelluchon où se trouvent notamment évoquée la question de notre rapport aux animaux. Bref, un ouvrage de culture qui va au cœur du plus important des sujets, celui dont dépend l’avenir de ce qui vit sur notre planète. Puisse ne jamais se réaliser ce qu’exprime si terriblement le titre de l’un des chapitres : Printemps silencieux.

Auteurs et leurs ouvrages présentés dans ce livre : Jean Baptiste de Lamarck (Philosophie zoologique, 1809), Alexander Von Humboldt (Cosmos, 1845-1862), Charles Darwin (De l’origine des espèces, 1859), François Alphonse Fore (Le Léman, Monographie limnologique, 1892-1902) Vladimir Ivanovitch Vernardsky (La Biosphère, 1926), Robert Hainard (Et la nature ? Réflexion d’un peintre, 1943), Fairfield Osborn (La planète au pillage, 1948), Bertrand de Jouvenel (De l’économie politique à l’écologie politique, 1957), Rachel Carson (Printemps silencieux, 1962), Barry Commoner (Quelle science laisserons-nous à nos enfants ? 1966), Donnella et Denis Meadows (Rapport sur les limites à la croissances, 1972), Nicholas Georgescu-Roegen (La décroissance, 1971-1979), François Meyer (La surchauffe de la croissance, essai sur la dynamique de l’évolution, 1974), Philippe Lebreton (L’énergie c’est vous, 1974), Hans Jonas (Le principe de responsabilité, 1979), François Ramade (Les catastrophes écologistes, 1987), Bella et Roger Belbéoch (Tchernobyl, une catastrophe, 1993), Jean-Pierre Dupuy (Pour un catastrophisme éclairé, quand l’impossible est certain, 2002), Jacques Grinevald (La Biosphère de l’anthropocène, 2007), Patrick Blandin (La biodiversité, l’avenir du vivant, 2010), Corinne Pelluchon (Les nourritures, philosophie du corps politique, 2015).

Didier Barthès : Entretiens sur l’écologie avec Ivo Rens