Religion catholique et écologie : comparaison papale

Voici une transcription de Biosphere-Info (16 au 30 septembre 2014), bimensuel auquel vous pouvez vous abonner gratuitement en écrivant à biosphere@ouvaton.org :

Avec les monothéismes issus de la bible, Dieu sort de la matière, exilé dans une transcendance plus ou moins accessible. Le judaïsme a lutté contre les divinités païennes et les cultes qui idolâtraient la nature. Les Eglises ont repris le flambeau. Tout au long de leur histoire, elles ne se sont pas contentées de proclamer l’Evangile dans toutes les cultures en accompagnant la colonisation, elles ont aussi tenté d’éradiquer la pensée animiste, les croyances qui célèbrent les esprits présent dans les sources ou les arbres. Par peur du panthéisme, le christianisme a eu tendance à accentuer l’abîme entre le créé naturel et l’incréé issu de Dieu. Il a coupé le cordon ombilical de l’être humain avec la terre-mère et favorisé l’anthropocentrisme. Au point que la conscience chrétienne n’a jamais considéré comme des « péchés » les atteintes à l’intégrité de la nature et les comportements anti-écologiques. Lynn White imputait en 1967 les racines historiques de notre crise écologique à la vision du monde judéo-chrétienne. Selon la Genèse les êtres humains, seuls de toutes les créatures, furent créés à l’image de Dieu. Il leur fut donc donné d’exercer leur supériorité sur la nature et de l’assujettir. Deux mille ans de mise en œuvre toujours plus efficace de cette vision de la relation homme/nature ont abouti à la fois aux merveilles technologiques et à la crise environnementale du XXe siècle.

Dans son livre, John Baird Callicott estime cependant que dans la genèse biblique il y a trois interprétations des relations entre les humains et la nature. La première, c’est l’homme « despote », qui domine toutes les formes de vie ; c’est la conception traditionnelle, quasiment la seule représentée officiellement jusqu’à récemment. Une deuxième interprétation est cependant possible, c’est l’homme « intendant », gestionnaire de la nature. Le pape François travaille à la rédaction d’une encyclique consacrée à la relation entre l’homme et la nature. Il y a de fortes chances que ce soit cette deuxième vision de la bible qui dominera ; ni l’Ancien, ni le Nouveau Testament ne se sont intéressé à cette question écologique aujourd’hui brûlante. Si le thème de l’encyclique reste « l’écologie de l’humanité », la prépondérance des humains sera privilégiée. La dernière interprétation de la Genèse, l’homme comme « petite partie du grand Tout de la création », n’est pas dans le logiciel des monothéismes alors que des éthiques de la Terre, laïques, commencent  à se diffuser.

                Voici quelques éléments de réflexion centrés sur les porte-paroles de l’Eglise catholique.

1/3) Le pape François

Par le choix de son nom lié au poverello d’Assise, le Pape François a manifesté dès les premiers jours de son pontificat son attention aux plus pauvres et aux plus fragiles. Lors de la messe inaugurale du 19 mars 2013, le pape François a confirmé sa volonté de mettre la défense de la création dans ses priorités. Partant de l’image de Joseph qui a élevé Jésus, il précise la notion de « gardien » qui « concerne tout le monde. C’est le fait de garder la création tout entière, la beauté de la création, comme il nous est dit dans le Livre de la Genèse et comme nous l’a montré saint François d’Assise : c’est le fait d’avoir du respect pour toute créature de Dieu et pour l’environnement dans lequel nous vivons… ».

Deux semaines après son élection, le cardinal Bergoglio avait expliqué pourquoi le nouveau pape avait choisi son nom en hommage à Saint-François d’Assise : « Il (Saint-François) nous enseigne le respect profond de toute la création et de la protection de notre environnement que trop souvent, même si cela est parfois pour le bien, nous exploitons avec avidité, au détriment d’autrui ». A l’occasion de la journée mondiale pour l’environnement en juin 2013, le pape François déclarait : « Chers frères et sœurs, Dieu a confié la création à l’homme et à la femme pour qu’ils la gardent et la cultivent. Cultiver veut dire prendre soin, avec attention, avec passion et dévouement. Parfois nous perdons notre capacité de contempler, de nous émerveiller devant la Création, car nous vivons dans un monde horizontal, qui s’éloigne de Dieu. Or la Création est un don qui nous est fait, que nous devons respecter, et non pas manipuler pour en tirer profit. Mais, « garder et cultiver » concernent aussi les relations entre les hommes. La personne humaine est aujourd’hui sacrifiée aux idoles du profit et de la consommation. Elle est trop souvent rejetée comme si elle était un déchet dont personne ne se préoccupe… Ecologie de l’environnement et écologie humaine vont ensemble. C’est en combattant la culture du rejet et du gaspillage qu’il est possible de devenir attentif à chacun, et de venir en aide aux besoins des plus pauvres. » Dans son adresse sur « l’état du monde » en janvier 2014 devant les diplomates accrédités au Vatican, le Saint-Père avait déclaré : « Dieu pardonne parfois, nous pardonnons parfois, mais lorsque la création est maltraitée, elle ne pardonne jamais ».

Pour le 1er de l’an 2014, la nature prend une place importante dans le discours urbi et orbi du pape François : «  La famille humaine a reçu en commun un don du Créateur : la nature. La vision chrétienne de la création comporte un jugement positif sur la licéité des interventions sur la nature pour en tirer bénéfice, à condition d’agir de manière responsable, c’est-à-dire en en reconnaissant la “grammaire”qui est inscrite en elle, et en utilisant sagement les ressources au bénéfice de tous, respectant la beauté, la finalité et l’utilité de chaque être vivant et de sa fonction dans l’écosystème. Bref, la nature est à notre disposition, et nous sommes appelés à l’administrer de manière responsable. Par contre, nous sommes souvent guidés par l’avidité, par l’orgueil de dominer, de posséder, de manipuler, de tirer profit ; nous ne gardons pas la nature, nous ne la respectons pas, nous ne la considérons pas comme un don gratuit dont nous devons prendre soin et mettre au service des frères, y compris les générations futures (…) En ce sens, je voudrais rappeler à tous cette nécessaire destination universelle des biens qui est un des principes cardinaux de la doctrine sociale de l’Église. Respecter ce principe est la condition essentielle pour permettre un efficace et équitable accès à ces biens essentiels et premiers dont tout homme a besoin et a droit. »

Dans ce passage, il y a reconnaissance de certaines lois de la nature (la “grammaire”qui est inscrite en elle) et un léger tournant vers le biocentrisme (respect de la fonction de chaque être vivant dans l’écosystème). Donc quelques petites références au message de François d’Assise. Mais il y a surtout une conclusion/soutien à ceux qui ouvrent la voie de la simplicité volontaire : « Il y a une dernière manière de promouvoir la fraternité – et ainsi de vaincre la pauvreté – qui doit être à la base de toutes les autres. C’est le détachement de celui qui choisit d’adopter des styles de vie sobres et basés sur l’essentiel, de celui qui, partageant ses propres richesses, réussit ainsi à faire l’expérience de la communion fraternelle avec les autres. Cela est fondamental pour suivre Jésus Christ et être vraiment des chrétiens. »

Ainsi le pape François paraît bien plus écologiste que ses prédécesseurs. Cependant l’Eglise reste fondamentalement nataliste, ce qui est en contradiction avec l’écologie puisque la croissance exponentielle de la population humaine entraîne la dégradation profonde de la biosphère. Après celui de 1980, un synode sur la famille aura lieu en octobre 2014. Il est intitulé « Les défis pastoraux de la famille dans le cadre de l’évangélisation » et veut aborder la « vraie vie » familiale des fidèles de l’Église dans le monde actuel. Sous l’égide du pape François, on a proposé un questionnaire à tous les croyants. Parmi les 39 questions posées dans le document préparatoire, la question posée est de type clairement nataliste : « Comment promouvoir une mentalité plus ouverte envers la natalité ? Comment favoriser la croissance des naissances ? » Cette « interrogation » révèle la permanence des positions de l’Eglise… à l’antipode des considérations de capacité de charge de la planète. Dans le texte préliminaire, l’Eglise rappelait les fondements théologiques du mariage catholique, notamment l’indissolubilité ou le devoir de procréer !

2/3) Le pape Benoît XVI

Benoît XVI n’est pas un pape « vert ». Benoît XVI est resté quasiment inaudible sur le réchauffement climatique, la sixième extinction des espèces, la stérilisation des sols, etc. Il dénonçait en décembre 2007 dans son message de Noël l’exploitation de la planète : « paix et écologie dans le message de Noël du pape ». En fait, juste une petite phrase du pape peut appuyer cette assertion : « Dans le monde, le nombre des migrants, des réfugiés, des déplacés, va toujours croissant, à cause aussi des catastrophes naturelles, qui sont souvent la conséquence de préoccupants désastres écologiques. » Pas de quoi changer la face du monde et dénoncer les innombrables dommages environnementaux causés par l’homme.

Dans son message Urbi et Orbi du 25 décembre 2009, le Pape n’était toujours pas écolo : « Autour de la crèche de Bethléem, tout se passe dans la simplicité et dans la discrétion, selon le style par lequel Dieu opère. » Mais le pape n’en dit pas plus. Avec Benoît 16 la papauté était sur le déclin, encore imprégné d’une théologie d’un autre âge.Ppour lui, nul besoin d’électricité et de fuel, la parole est toujours éthérée : « Laissons la lumière de ce jour (de Noël) se répandre partout : qu’elle entre dans nos cœurs, qu’elle éclaire et réchauffe nos maisons. » Les marchands du Temple peuvent continuer à sévir le jour de Noël et tout le reste du temps, ce n’est pas le problème de ce pape.

Pourtant dix mouvements catholiques avaient lancé fin 2005 un appel pour « vivre Noël autrement ». Ils avaient diffusé une affichette avec le slogan : « Noël, bonne nouvelle pour la Terre » puisque « Jésus nous offre un monde nouveau, sans caddies pleins de cadeaux qui comblent les armoires et les décharges. » Ils mentionnaient un texte de Jean Paul II publié en 1990 et consacré à la protection de l’environnement : « La société actuelle ne trouvera pas de solution au problème écologique si elle ne révise pas sérieusement son style de vie. »

3/3) Le pape Jean Paul II

En janvier 1990, le pape Jean-Paul II semblait sensible au respect de la planète dans son Message pour la journée de la paix : « La théologie, la philosophie et la science s’accordent dans une conception de l’univers en harmonie, c’est-à-dire d’un vrai cosmos, pourvu d’une intégrité propre et d’un équilibre interne dynamique. Cet ordre doit être respecté, l’humanité est appelée à l’explorer avec une grande prudence et à en faire ensuite usage en sauvegardant son intégrité. On ne peut négliger la valeur esthétique de la création. Le contact avec la nature est par lui-même profondément régénérateur, de même que la contemplation de sa splendeur donne paix et sérénité. Les chrétiens savent que leurs devoirs à l’intérieur de la création et leurs devoirs à l’égard de la nature font partie intégrante de leur foi. »

 Il n’empêche que son point de vue relevait fondamentalement d’une conception anthropocentrique car il indiquait par ailleurs : « Au nom d’une conception inspirée par l’écocentrisme et le biocentrisme, on propose d’éliminer la différence ontologique et axiologique entre l’homme et les autres êtres vivants, considérant la biosphère comme une unité biotique de valeur indifférenciée. On en arrive ainsi à éliminer la responsabilité supérieure de l’homme au profit d’une considération égalitariste de la dignité de tous les êtres vivants. Mais l’équilibre de l’écosystème et la défense d’un environnement salubre ont justement besoin de la responsabilité de l’homme. La technologie qui infecte peut aussi désinfecter, la production qui accumule peut distribuer équitablement. » (Discours de Jean-Paul II au Congrès Environnement et Santé, 24 mars 1997)

Le pape Jean Paul II est plus connu pour son populationnisme que par son écologisme : « La pression de la population est très souvent citée comme une des causes majeures de la destruction des forêts tropicales. Quoi qu’il en soit, il est essentiel d’établir que l’expansion démographique n’est pas seulement un problème de statistiques ; c’est une question profondément morale. En condamner les pressions, y compris économiques, auxquelles les gens sont soumis, spécialement dans les pays les plus pauvres, pour qu’ils acceptent des programmes de contrôle des naissances, l’Eglise soutient inlassablement la liberté des couples de décider du nombre de leurs enfants selon la loi morale et leur foi religieuse. » (Discours du 18 mai 1990 à l’Académie pontificale des sciences)

Jean-Paul II a fait semblant d’écouter les gémissements de la Création. Il est vrai que rien ne prépare les papes à s’intéresser à l’écologie puisqu’il ont une vision qui peut se résumer par cette phrase : « Faits à l’image et à la ressemblance de Dieu, Adam et Eve doivent soumettre la terre (Genèse 1,28) ».

CONCLUSION

Laissons la parole à Nicolas Hulot, envoyé spécial du président François Hollande pour la protection de la planète :

« Tous les ingrédients sont aujourd’hui réunis pour que la conférence de Paris de 2015, où doit être signé le premier accord mondial engageant tous les pays contre le réchauffement, soit un échec… Nous sommes passés en l’espace de vingt-cinq ans d’une forme d’indifférence à une forme d’impuissance… Peut-être les autorités religieuses pourront rappeler les politiques à la raison… L’homme est-il là pour dominer la nature, comme l’affirment certains textes ?Il est fondamental que les Eglises, et l’Eglise catholique en particulier, clarifient la responsabilité de l’homme vis-à-vis de la «Création», pour reprendre le langage des croyants… Les Eglises peuvent-elles rester inaudibles alors que l’œuvre de la Création est en train de se déliter sous leurs yeux ?… Après avoir étudié les textes religieux pour préparer ma visite au Vatican, j’ai réalisé que l’Eglise catholique n’évoquait pas le changement climatique. Or, comme vous le savez, les choses mal nommées n’existent pas. Le sentiment est plutôt donné que les événements extrêmes actuels sont à mettre au registre des catastrophes naturelles. Il est donc important que l’Eglise précise clairement les choses…

(LE MONDE du 5 février 2014, « Les Eglises peuvent provoquer un sursaut de conscience face à la crise climatique »)

1 réflexion sur “Religion catholique et écologie : comparaison papale”

  1. Ce texte est vraiment intéressant et novateur: en effet pour beaucoup de militants écolos ou de gauche, le catholicisme n’est qu’une ringardise voire un fascisme. J’écouterai dorénavant, plus attentivement les propos du pape!
    Effectivement, celui-ci est beaucoup plus écologiste que François d’Assise lui-même qui n’aimait les autres créatures que par anthropomorphisme: frère loup et frère oiseau pour être acceptés devaient se soumettre aux devoirs chrétiens!
    Reste la question de la natalité. Puissent certains évêques africains, conscients des désastres courus par leur continent, lui souffler l’inspiration!…mais le chemin sera long, je suppose.

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