Résilience, un passage nécessaire par les low tech

 « Quelles techniques pour un changement radical ? Résilience et low tech » . Compte-rendu de l’exposé de Michel Sourrouille* :

« La décroissance sera notre destin, elle sera celle de notre pouvoir d’achat, de notre population… et de nos techniques. L’histoire est en effet cyclique, une croissance exponentielle se termine toujours par une forte récession économique, une crise démographique, l’abandon de certaines techniques. D’une certaine manière, c’est même notre passé qui préfigure notre avenir. Dans ma famille par exemple, nous étions tailleur de père en fils depuis des générations, au moins depuis la révolution française. Nous vivions dans un petit village, Beylongue. Des ciseaux, du fil et une aiguille permettaient de fabriquer des vêtements. Et puis l’urbanisation et l’exode rural ont poussé mon grand-père dans une grande ville où il est resté tailleur sur mesure. Mon père était aussi tailleur, comme d’ailleurs mon oncle. Mais l’industrialisation et le prêt à prêter ont donné un coup d’arrêt à cette stabilité professionnelle continue. J’ai été obligé de devenir un « intellectuel », l’explosion du secteur tertiaire créant l’emploi. Mon frère a mis sur pied le travail à la chaîne dans une fabrique textile, une grosse pile de tissu est coupée instantanément au laser, la fabrication de vêtements s’est délocalisée avec son aide en Tunisie puis au Vietnam. Son usine à Besançon n’avait plus d’ouvriers.

Les emplois disparaissent en France et nos générations présentes sont contemporaines du chômage de masse ; les générations futures redeviendront artisan ou paysan. Retour aux ciseaux, à l’aiguille et au village. En langage moderne, low tech et non plus high tech. L’avenir sera fait de techniques douces, douces à la nature et à l’homme, pratiqué dans un contexte de petite communauté. Nous y reviendrons quand nous parlerons de résilience. Mais d’abord examinons un classement possible des techniques.

1/5) Le dualisme des techniques, douces (low tech) ou dures (high)

                Il ne s’agit pas d’opposer de façon simpliste technophobes contre technophiles, il n’y a jamais retour à l’âge de pierre ou à la bougie. Des auteurs ont présenté un dualisme, techniques acceptables d’un côté, pernicieuses de l’autre :  techniques démocratiques ou autoritaires pour Mumford (1962), outil convivial ou hétéronomes pour Ivan Illich (1973), techniques « enchâssées » et techniques « branchées » pour Teddy Goldsmith et Wolfgang Sax (2001), technologie cloisonnée contre technologie systémique avec Ted Kaczynski (2008). Le  tableau le plus synthétique que je connaisse a été présenté dans un numéro spécial du Nouvel Observateur en juin-juillet 1972, « spécial écologieLa dernière chance de la Terre » 

Société à technologies dures

Communautés à techniques douces

Grands apports d’énergie non renouvelable

Matériaux non recyclés

production industrielle

priorité à la ville

séparé de la nature

limites techniques imposées par l’argent…

Petits apports d’énergie renouvelable

matériaux recyclés

production artisanale

priorité au village

intégrée à la nature

limites techniques imposées par la nature…

                Mais cette approche en deux parties ne dit rien des raisons de l’évolution technologique et de ses limites.

2/5) Techniques et ressources naturelles : l’exemple du  déplacement

Chaque technique correspond à un besoin et nous savons que le mode de satisfaction d’un besoin est une création sociale. Ainsi par exemple du besoin de déplacement. Il peut être minime. Au Moyen Age, 90 % des biens que consommait un paysan étaient produits dans un cercle de cinq kilomètres autour de son habitation ; le paysan restait près de chez lui. Aujourd’hui certains rêvent de populariser le tourisme spatial ; notre société cultive un sentiment de besoins illimités grâce à la profusion actuelle d’énergies fossiles qui met à notre disposition des esclaves mécaniques.

Mais baser le besoin de déplacement sur le slogan « plus loin, plus souvent et plus vite » se heurte aux limites de la biosphère. Toute mobilité nécessite de l’énergie et nous allons connaître la descente énergétique avec la fin des énergies fossiles. De plus tout moyen de déplacement autre que la marche ou le cheval nécessite aussi des métaux. Or il existe un mouvement cumulatif entre énergie et métaux, ce qu’a bien montré Philippe Bihouix : « Les métaux, toujours moins concentrés, requièrent plus d’énergie, tandis que la production d’énergie, toujours moins accessible, requiert plus de pétrole. Le peak oil sera donc vraisemblablement accompagné d’un peak everything (pic de tout). »

Nous pouvons donc classer les méthodes de déplacement de celle qui rend la personne le plus autonome possible (la marche) à celles qui dépendent d’une organisation industrielle poussée à l’extrême et nécessitant énergie et métaux. 

marche

cheval

vélo

train

TGV

Voiture

Avion

Fusée

Physique (musc.

physique

Phys + matériel

matériel

Nucléaire ?

Agrocarburants ?

Kérosène !

Comme nous allons connaître le pic de tout, la disponibilité en ressources naturelles étant fortement reliée à la mise en œuvre de l’énergie fossile, il y aura forcément limitation des déplacements. Le soi-disant progrès technique nous a fait passer de la gauche du tableau à la droite, le mouvement ira de la droite vers la gauche dans un avenir relativement proche. Le paradigme actuel du déplacement motorisé va s’inverser, les plus lourds que l’air resteront cloués au sol, la voiture individuelle disparaîtra, le mot d’ordre de nos besoins deviendra « moins loin, moins souvent, moins vite ». Les mouvements anti-aéroport, anti-autoroutes ou anti-LGV (ligne à grande vitesse) préfigurent  cette évolution. Bien entendu cela ne dit rien du niveau des inégalités acceptables. La marche était ignorée autrefois par l’aristocratie avec la chaise à porteur et le privilège d’aller à cheval. On peut aussi se faire transporter par cyclopousse ou s’installer en classe de première dans un train. Etre écologiste, c’est être aussi partisan de la sobriété partagée.

3/5) Techniques et complexité

                Outre le problème de l’approvisionnement en énergie et métaux, la durabilité des techniques connaît une autre limite. Par exemple, plus une technique de déplacement est sophistiquée, plus elle s’accompagne d’une complexité croissante. Il y a allongement du détour de production, c’est-à-dire utilisation d’un capital technique de plus en plus imposant, et division extrême du travail social avec intervention de spécialistes, ingénieurs, réseau commercial… Or plus une structure est complexe, plus elle est fragile.

Joseph Tainter a bien analysé le mécanisme dans son livre de  1988 l’effondrement des sociétés complexes  (traduction française en 2013) :  « Les populations humaines font d’abord usage des sources de nutrition, d’énergie et de matières premières qui sont les plus faciles à obtenir, extraire, transformer et distribuer. Lorsque de telles ressources ne sont plus suffisantes, l’exploitation se tourne vers celles qui sont plus coûteuses alors qu’elles ne génèrent pas de meilleur rendement. Les organisations socio-politiques nécessitent un investissement accru, simplement pour préserver le statu quo. Cet investissement se présente sous des formes telles que l’inflation bureaucratique, l’accroissement de la spécialisation, l’augmentation des coûts du contrôle intérieur et de la défense extérieure. Toutes ces augmentations doivent être supportées en prélevant des sommes plus élevées sur la population sans lui conférer d’avantages supplémentaires. Le rendement marginal dans la complexité se dégrade proportionnellement, d’abord progressivement, puis avec une force accélérée. Divers segments de la population accroissent une résistance active ou passive, ou tente ouvertement de faire sécession. A ce stade, une société complexe atteint la phase où elle devient de plus en plus vulnérable à l’effondrement. »

Bien d’autres auteurs depuis le rapport au Club de Rome en 1972 prédisent l’effondrement de la civilisation thermo-industrielle. Ils s’appuient sur les réalités biophysiques et des considérations socio-économiques systémiques, ce qui paraît un meilleur raisonnement que miser sur l’amoncellement de papier-monnaie et l’innovation future… qu’on ne connaît pas encore mais qui arriverait à point nommé.

4/5) Généralisation du raisonnement

Avec ces critères d’intensité énergétique et de complexité, on peut aborder tous les domaines où l’emprise technologique se fait sentir, y compris s’aventurer dans le domaine de la bioéthique : une procréation hétérosexuelle directe, c’est mieux que le verre (pour le sperme) et la paille (pour la fécondation), c’est largement préférable à une procréation médicalement assistée, c’est infiniment plus acceptable qu’une DPI (diagnostic préimplantatoire, pratiqué sur les embryons fécondés in vitro), le plus détestable étant la futuriste ectogénèse avec utérus artificiel, même si c’est désiré au nom de « l’émancipation de la femme » (Henri Atlan). La médicalisation totale de notre existence, depuis la fécondation jusqu’à l’acharnement thérapeutique en fin de vie en passant par la technicisation des mécanismes  naturels de l’accouchement nous a habitué à une existence d’assistés. Le passage à une autre forme de société, à techniques simples et douces, ne sera pas une mince affaire.

Voici d’autres domaines de réflexion, avec classement de l’approprié à l’inacceptable :

– Energie humaine > solaire passif > éolien > hydroélectrique > bois > biomasse > photovoltaïque > agrocarburants > Gaz > pétrole > charbon > nucléaire

– Maison non chauffée > bois > Géothermique > gaz > électricité > fuel > charbon

– Bouche à oreille > téléphone fixe collectif > téléphone fixe au foyer  > téléphone mobile > mobile 3G > nouvelle génération

– Radio  > cinéma (collectif) > télévision noir et blanc (individualisée) > télévision couleur analogique > passage au numérique

5/5) Résilience des techniques, résilience communautaire

                Il nous faut maintenant aborder le volet final de cet exposé, la résilience, la capacité de résister aux chocs énergétiques et climatiques, ce que Rob Hopkins appelle les jumeaux de l’hydrocarbure. Son raisonnement est simple : « Une technologie va nous sauver, une forme radicalement nouvelle de stockage du gaz carbonique, bon marché et efficace. Elle a pour nom : laisser les carburants fossiles sous la terre. » Pour approcher de ce résultat, il faut mettre en œuvre l’autonomie alimentaire et énergétique la plus grande possible. Cela ne peut advenir qu’au niveau de petites communautés. Cette relocalisation des activités s’accompagnera nécessairement d’une relocalisation des techniques. Il faudra user d’instruments techniques simples, produits et réparés sur place. Avec un forgeron et un atelier de tissage, vous obtiendrez des ciseaux, du fil et des vêtements locaux.

Ce paradigme ou modèle de référence porte des noms différents : Communautés intentionnelles ou Ecovillages ou Agenda 21 local ou Towns transition ou Plan climat ou Cités jardins ou communautés de résilience … La profusion des termes montre la richesse de cette alternative à l’ère des combustibles fossiles et de la technologie triomphante. Il ne s’agit pas d’une nouvelle théorisation, mais d’une pratique applicable au Nord comme au Sud, par les gens de droite comme par les gens de gauche, par les urbains et les paysans, par les chefs d’entreprise et par les travailleurs.

Nous n’aborderons pas le problème des seuils : quelle est la taille optimale d’une communauté humaine et la complexité appropriée de sa technique ? La réponse appartiendra à chaque communauté, on ne peut vivre de la même façon dans un climat tempéré, dans des étendues glacées ou dans un désert. Mais le mécanisme sera le même, une régression de l’emploi des techniques modernes. Comme disait le Sheikh Rashid ben Saïd al-Maktoum, émir de Dubaï : « Mon grand-père se déplaçait en chameau. Mon père conduisait une voiture. Je vole en jet privé. Mes fils conduiront des voitures. Mes petits-fils se déplaceront en chameau. » 

Conclusion : Une conférence sur notre avenir probable ne peut s’achever sans avoir défini quelques moyens d’action. Au niveau individuel, on peut toujours résister à l’emprise de la technique : refuser le portable, la télévision, la carte bancaire, la voiture, etc. A chacun de faire preuve de simplicité volontaire, de montrer l’exemple, de faire des émules. Bien entendu  si nous en avons le courage et le temps, nous pouvons aussi faire œuvre collective, entrer dans une association comme TECHNOlogos, créer un mouvement néo-luddite, agir dans un mouvement écologiste…

L’essentiel est de faire mentir la loi de Gabor : « Tout ce qui est techniquement possible sera nécessairement réalisé ». L’autre manière d’exprimer l’inéluctabilité supposée du soi-disant progrès technique est encore plus détestable : « Tout ce qui est techniquement faisable se fera, que sa réalisation soit jugée moralement bonne ou condamnable ». Il nous faut au contraire redonner de la morale à notre comportement d’utilisateur de techniques, et vivre la convivialité directe les uns avec les autres plutôt que d’utiliser des substituts techniques à notre capacité relationnelle. »

* article paru initialement sur le site JNE, ci-dessus avec l’autorisation de l’auteur, Michel Sourrouille (membre de JNE)

(exposé tenu lors des 2ème assises de Technologos : Techniques, croissance et décroissance à Paris le 13 septembre 2014)

3 réflexions sur “Résilience, un passage nécessaire par les low tech”

  1. Pour rebondir sur mon commentaire, s’il est sur que les anciens vivaient en autarcie, il y avait néanmoins des marchés, depuis longtemps il y avait une économie monde. Réduite à des besoins de luxes, et pour les gens riches et les seigneurs, toute un commerce de produits exotiques. tissus, épices, vins, etc.
    Mais de nos jours, ces produits sont pour tous. De telle sorte qu’on délaisse les produits et producteurs locaux. Plus, on consomme des surgelés, des conserves, des « biens » venus de tous les continents, d’où cette incroyable dépense et somme de travaux nécessaires à cette économie des flux qui génère une richesse en proportion des flux. Ce brassage profite à leur détenteurs, et dans une moindre mesure à ceux qui les servent. Ça en fait du monde …
    remarquez , la Terre nourricière est partout généreuse, mais si effectivement vous ne pouvez troquer ce qu’elle vous donne, puisque ces produits de la nature sont périssables, c’est presque comme si elle ne nous donnait rien , et donc, elle est considérée comme source de pauvreté . On en perd la richesse et l’abondance naturelle. Tout cela à cause de liens, de relations humaines faussées. De pauvreté réelle dans notre humanité. Là, même si la planète nous donnait mille fois plus nous finirions dans le même état pitoyable. Ce qui se vérifie, dans les sphères les plus riches , ils en ont jamais assez pour pouvoir accroitre leur pouvoir et leur fortune … en guerre les unes face aux autres. la guerre économique paraissant douce, elle tue à petits feux les peuples. Ironie des mots, et illusion , j’ai lu le mot de « transport doux » … c’est le comble …. on nous fait croire que le ferroutage coutera moins cher que les poids lourds, mais dites pourquoi les prix des billets de train est prohibitif pour les passagers comparé à celui des usagers en auto ?
    On risque de retomber dans des problèmes insolubles en ferroutant les mêmes masse de marchandises .

  2. Comme vous dites, pour communiquer on pourrait nous greffer des puces, et lecteurs de puces afin d’être branchés, en réseau … on aurait une télépathie directe, en cliquant sur « j’aime « …
    bref, on serait des accessoires aux robots , aux serveurs qui font quelque part dans le cloud .

  3. Comme vous dites, pour communiquer on pourrait nous greffer des puces, et lecteurs de puces afin d’être branchés, en réseau … on aurait une télépathie directe, en cliquant sur « j’aime « …
    bref, on serait des accessoires aux robots , aux serveurs qui font quelque part dans le cloud .

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