Revenu universel de solidarité, le débat

Alain : Le « Biosphère-Info » n° 388 sur l’association « TECHNOlogos » qui lutte contre l’esclavage de la technique et son hégémonie sur la vie humaine met en lumière la nécessité du revenu universel de solidarité que Michel Rocard défendait à la fin de sa vie. Je dois dire que j’ai profondément été choqué par le fait que « biosphere » puisse s’opposer à une telle mesure de survie alors que nous sentons que les algorithmes vont déposséder le plus grand nombre, non seulement de leurs droits et de leurs facultés, mais aussi de leur travail et de la démocratie participative à laquelle nous sommes attachés. N’y a-t-il pas là une « urgence écologique » à mesurer et à définir dans un nouveau contrat social, pour ne laisser personne sur le bord du chemin de la solidarité et de la dignité humaine, en utilisant « le contrat naturel » de notre brillant philosophe aquitain Michel Serres ? Aussi, j’attire votre bienveillante attention sur son article paru dans « Philosophie Magazine » de septembre 2017 qu’il intitule « la dialectique du maître et du robot » où il parle du travail qui peut disparaître et comment nous devons nous y préparer.

Biosphere @ Alain : nos rapports ont toujours été sincères, cela va donc jusqu’à « supporter » qu’on puisse avoir un avis assez opposé sur une question, c’est pas grave. D’autant que le revenu universel n’est qu’une infime partie des problématique contemporaines. Notre position de fond sur toutes les questions qui se posent actuellement, c’est que si l’économique étouffe le social on est déjà perdant, mais si le social étouffe l’écologique on va obligatoirement au désastre. En effet ce sont les ressources de la terre qui nous permettent de manger et acheter toutes les autres bricoles. Or le niveau de vie du Français moyen a déjà besoin de deux ou trois planètes, niveau qu’il est donc impossible de conserver sur la durée. D’où le fait qu’il nous faudra arriver un jour ou l’autre à l’idée de rationnement collectivement décidé, ce qui s’appelle aujourd’hui au niveau individuel « simplicité volontaire ». Toute distribution d’une manne généreusement distribuée par l’État va à l’encontre de cette évolution car cela est synonyme du toujours plus, et pour le revenu « inconditionnel » d’un toujours plus sans aucune contre-partie. L’écologie, c’est le sens des limites, pas la corne d’abondance. Quant aux algorithmes et autres fadaises contemporaines sur la fin du travail, la descente énergétique qui va se révéler brutale car nous n’avons rien fait pour nous y préparer, va faire basculer notre conception de la robotique capitalistique (utilisant beaucoup de capital technique) au travail manuel généralisé. C’est-à-dire qu’on va passer d’une société à énergie exosomatique à une société où il faudra compter sur ses propres forces dans tous les sens du terme.

Quant à Michel Serres, il souffre de dissonance cognitive. Avec « Petite Poucette » (pour la capacité de la jeunesse à envoyer des SMS avec son pouce), il se présente comme un dévot du progrès technique comme il y en a encore partout actuellement. Il croit que « Petite Poucette n’aura pas faim, pas soif, pas froid, sans doute jamais mal, ni même peur de la guerre sous nos latitudes… Et elle vivra cent ans. » Il prolonge les tendance passées de la « révolution techno-industrielle » sans considérer que notre civilisation thermo-industrielle est au bord de la rupture ; nos générations futures connaîtront le sang, la sueur et les larmes. Il croit que la situation actuelle de farniente peut se poursuivre indéfiniment : « La campagne, lieu de dur travail, est devenue un lieu de vacances. Petite Poucette ne connaît que la nature arcadienne, c’est pour elle un terrain de loisirs et de tourisme dont elle doit se préoccuper. » Mais d’un autre côté, et c’est là sa dissonance, Serres est au courant que la planète va mal : « On est entré dans l’ère de l’anthropocène et de l’hominescence, l’homme étant devenu l’acteur majeur du climat, des grands cycles de la nature. Savez-vous que la communauté humaine, aujourd’hui, produit autant de déchets que la Terre émet de sédiments par érosion naturelle… L’avenir de la planète, de l’environnement, du réchauffement climatique… tout est bousculé, menacé. » Entre deux choses contradictoires, le péril d’un côté, le bonheur de l’autre, les humains choisissent généralement la loi du moindre effort, croire encore aux lendemains qui chantent. C’est alors la grande question, pour les parents et les enseignants : que transmettre entre générations, le sens des limites prôné par écologie ou l’illusion qu’on peut tout avoir sans rien faire (le revenu universel) ? Serre prenait l’exemple d’un candidat au concours de l’Ecole normale qui était interrogé sur un texte du XIXe siècle qui parlait de moissons et de labourage. Le malheureux ignorait tout ce vocabulaire ! Il conclut : « Nous ne pouvions pas le sanctionner, c’était un Petit Poucet qui ne connaissait que la ville. » D’autres pédagogues comme nous ont un avis contraire, les pratiques du passé doivent être connues sur le bout des doigts. Il y a maintenant des jeunes qui sortent de classes prestigieuses et ont compris l’avenir : ils se lancent à l’encontre de leurs diplômes dans l’artisanat ou la permaculture car là sera le contenu principal de nos futures études… et de nos revenus d’activité.