sans énergie fossile, seulement 2 milliards d’humains

 Les deux tiers de la population sur Terre sont aujourd’hui en vie grâce au pétrole. C’est-à-dire qu’ils sont en vie grâce à la production industrielle de nourriture, aux installations sanitaires et à la médecine moderne, tout ceci reposant sur du pétrole. Sans pétrole, nous ne pourrions plus maintenir notre niveau de population ou notre niveau de vie. Sans la technologie pour faire face à la déplétion des ressources, le coût de l’énergie et des autres ressources prendront des parts de plus en plus importantes de notre richesse. Il y aura dès lors moins d’argent pour l’éducation, les infrastructures, la consommation…

Si le système de transports tombe en panne, à cause d’un manque d’énergie ou de finances, les villes n’auront plus de nourriture. Nous perdrions le plus gros de notre système médecine industrialisée. Une maladie comme l’appendicite, qui nous considérons insignifiante, serait à nouveau une cause horrible de mortalité. Nous dépendrions à nouveau directement de l’énergie solaire, et la plupart d’entre nous seraient paysans. Mais il n’y a pas assez de terres disponibles pour que chacun puisse les cultiver. Dans une économie de subsistance, l’instruction ne serait à nouveau accessible qu’aux plus riches. Les structures sociales ressembleraient à celles du Moyen Age. Il n’y aurait pas de démocratie, sauf peut-être dans quelques localités. En quelques années, peut-être 3 ou 4 milliards de gens mourraient. La population mondiale chuterait finalement à 2 milliards, contre 7 milliards aujourd’hui. L’espérance de vie tomberait à environ 40 ans.

Seulement quelques personnes se préparent à de telles perspectives. La plupart d’entre nous ne croit pas qu’un effondrement de notre civilisation est susceptible d’arriver. Sinon, nous aurions déjà besoin d’un permis pour avoir un enfant. Les humains n’ont pas évolué jusqu’à avoir la capacité de réfléchir sur de larges échelles, de temps ou d’espace. Chacun de nous a été socialisé selon les modes de pensée propres à une culture spécifique ; nous pensons que notre manière actuelle de vivre est normale, bien qu’elle soit en fait une aberration dans l’histoire humaine. Ce futur difficile va pourtant nous apparaître, que nous le voulions ou non. Nous sommes tous soumis aux lois de la physique et de l’économie.

Extraits de l’interview de Joseph Tainter par le mensuel La Décroissance (octobre 2013)

Son livre de référence, L’effondrement des sociétés complexes, publié en 1988 en anglais, est enfin publié en français (éditions Le retour aux sources – 196 pages, 26 euros)