se nourrir, un luxe ?

 C’est une interview à lire sans respirer tellement elle coupe le souffle (LeMonde du 3.04.2008) : M. de Schutter prédit « la fin de la nourriture à bas prix ». Le nouveau rapporteur de l’ONU sur le droit à l’alimentation attaque à la fois la Banque mondiale (qui finance des éléphants blancs dans les pays pauvres), le FMI (le gendarme financier qui taxe les pays pauvres), l’OCDE (le club des pays riches qui exploite les pays pauvres). « On paye vingt années d’erreurs », affirme-t-il à juste titre. Il faut dire que les années 1980 ont été marquées par le tournant libéral (la liberté pour les chefs d’entreprises) : libre-échange généralisé, y compris en faisant en sorte que les pays pauvres remplacent leurs cultures vivrières par des cultures d’exportation, investissements tous azimuts sauf dans l’agriculture… Mais je ressens quand même un malaise après avoir lu cette interview. Pas un mot de Schutter sur la démographie humaine. Il préconise une aide financière plutôt que des cargos de blé, mais tout humain raisonnable porterait aussitôt quelques regards sur la population. Ressources alimentaires et niveau de population sont en effet deux éléments indissociables.

 Sur la gouvernance démographique, ce n’est plus vingt ans d’erreurs que l’on paye, c’est cinquante ans. Voici en 1971le diagnostic de Paul Ehrlich dans son livre La bombe P (P pour population) : « Lorsque des cellules vivantes prolifèrent sans contrôle, il y a cancer ; l’explosion démographique c’est la multiplication sans contrôle des êtres humains. Si nous ne soignons que les symptômes du cancer, le malade peut en être soulagé quelques temps : mais tôt ou tard il mourra, souvent après d’atroces souffrances. Tel sera le destin d’un monde atteint d’explosion démographique si les symptômes seuls sont traités. Nous devons reconvertir nos efforts et tenter l’ablation du cancer. Cette opération demandera de nombreuses décisions qui sembleront brutales et sans pitié. La douleur pourra être intense. Mais la maladie a fait de tels progrès que seule la chirurgie la plus énergique pourra désormais  sauver le malade. »

 De même en 1972 ces avertissements de B.Ward et R.Dubos dans leur livre Nous n’avons qu’une terre : « Il est clair qu’un désastre écologique nous menace. Dans ces conditions, nous allons peut-être nous trouver acculés à des solutions sans nuance : pas d’expansion économique ou tout pour l’expansion économique, un taux de croissance de la population réduit à zéro ou une croissance familiale sans aucunes contraintes, pas d’économie de marché ou pas de planification. Si nous prenons modèle, à l’occasion de ce débat, sur les systèmes écologiques, nous nous rendrons compte qu’on peut parvenir à un équilibre non par une seule solution, mais par la combinaison d’une grande variété de solutions partielles qui ne donneront pas de réponses définitives ; la Biosphère est trop dynamique pour qu’on puisse y établir rien de définitif. »