Un projet de la Commission européenne censé « simplifier » la commercialisation des semences au sein de l’Union vient d’être massivement désavoué par le Parlement européen*. Selon Tonio Borg, le commissaire à la santé et à la consommation, le texte visait simplement à harmoniser et à accélérer le processus d’enregistrement des semences sur le catalogue officiel européen, qui recense les quelque 30 000 variétés autorisées à la culture au sein de l’Union. Parallèlement, le projet reconnaissait le droit des agriculteurs à utiliser leurs propres semences (appelées « semences de ferme ») et allègeait les restrictions imposées à la commercialisation des variétés anciennes. « Certains députés ont voté contre parce qu’ils considéraient que le texte faisait trop de concessions à ceux qui défendent les semences de ferme », constate José Bové. Pour s’y retrouver, voici quelques indications relevées dans la littérature sur les semences de ferme :
Silvia Pérez-Vitoria dans Les paysans sont de retour2005
« Traditionnellement, le paysan a pratiqué un travail de sélection de ses plantes en mettant de côté ses meilleures graines. Au XXe siècle, l’émergence des « hybrides » oblige l’agriculteur à acheter à l’industrie les semences qu’il produisait auparavant lui-même. La plupart des aides européennes aux agriculteurs sont conditionnées par l’utilisation de ces semences « améliorées ». Pourtant il s’agit avant tout d’une technique d’expropriation et non d’une amélioration puisque la plante ne conserve pas ses caractéristiques d’une génération à l’autre. Avec l’introduction des semences à haut rendement l’appauvrissement génétique s’est accru au Nord comme au Sud. L’étape suivante est le développement d’OGM par les biotechnologies. Pour les agriculteurs, la dépendance s’accroît puisqu’ils doivent acheter très cher des semences et les produits qui les accompagnent. De plus ils doivent subir régulièrement les contrôles des entreprises qui tiennent à s’assurer qu’ils ne disposent pas des semences à leur guise. »
Dominique Guillet (président fondateur de Kokopelli) dans Solutions locales pour un désordre global (avec Coline Serreau…)2010
« Jusqu’en 1961, les multinationales de l’agrochimie avaient commencé à prendre le contrôle de la chaîne alimentaire, mais pas de la semence. Or la semence, c’est le début de la chaîne alimentaire. Celui qui contrôle la semence contrôle l’humanité. Ils se sont donc donnés un cadre juridique qu’on appelle l’UIPOV (Union internationale pour la protection des obtentions végétales). A partir de ce moment-là, il y a eu une offensive tous azimuts : ils ont racheté un millier de semenciers en l’espace de trente ans et aujourd’hui 5 multinationales contrôlent 75 % de la semence potagère, le numéro un étant Monsanto. Ils ont éradiqué les anciennes variétés qui se reproduisaient chaque année, et les ont remplacées par des hybrides F1, qui génèrent ce qu’on appelle un marché captif, c’est-à-dire que le paysan est obligé de racheter des semences tous les ans, car l’hybride F1 est soit stérile, soit dégénérescent l’année d’après. L’association Kokopelli promeut le jardinage familial. On se bat pour l’autonomie semencière et l’autonomie potagère. »
Claude Bourguignon dans Solutions locales pour un désordre global (avec Coline Serreau…)2010
« Ce que les gens ne savent pas, c’est qu’il y a une entente entre les semenciers et les marchands d’engrais. Prenons l’épeautre, qui est une espèce de blé très rustique qui n’a pas besoin d’engrais. Il a été éliminé du catalogue autorisé des semences parce que, comme il ne nécessite pas d’engrais, on ne peut pas faire de l’argent avec lui. On avait 10 espèces de blé en 1900 avec des centaines de variétés de chaque espèce. Nous n’en avons gardé que deux, une qui fait le blé dur, Tricitum durum, et une qui fait le blé classique, Tricitum aestivum. Autrefois les champs de blé étaient très hauts. Maintenant on sélectionne pour que les blés soient tous à la même hauteur et que la machine puisse les couper correctement. C’est-à-dire que ce n’est pas la machine qui s’adapte à la vie, c’est la vie qui doit s’adapter à la machine. »
Jacques Testard, Agnès Sinaï et Catherine Bourgain dans LABO Planète (où comment 2030 se prépare sans les citoyens) 2010
« Alors que les communautés paysannes sélectionnaient leurs semences depuis le néolithique, la spécialisation des tâches a cantonné l’agriculteur dans un rôle de producteur. Les connaissances se sont retrouvées aux mains d’experts au lieu d’être partagées. En conséquence l’innovation en matière de semences se retrouve avant tout guidée par les enjeux de la compétitivité de l’industrie semencière. Les sélectionneurs se sont fondés sur des variétés homogènes pour augmenter la production. La possibilité d’une valorisation économique par le brevet devient un nouveau critère, et les marchés financiers de nouveaux évaluateurs de recherche.
A l’opposé des techniques d’uniformisation qui dominent aujourd’hui la recherche en agronomie, ce sont des approches holistiques qu’il faut mobiliser ; penser des innovations pour accompagner les évolutions spontanées du vivant ; penser une agriculture qui s’appuie sur les processus de l’écosystème ; adopter la démarche fondatrice de l’écologie, qui consiste à tenir compte de l’ensemble des interactions qui lient les êtres vivants entre eux et avec leur milieu de vie. Il n’y a pas de raison d’opposer une bonne diversité sauvage et une mauvaises biodiversité cultivée. La diversité est une caractéristique du vivant. Elle signe sa capacité d’adaptation et de récupération après un traumatisme, autrement dit sa résilience. Autrefois, comme il n’existe pas deux terroirs identiques, des centaines voire des milliers de variétés étaient utilisées. La création en 2003 du réseau Semences paysannes remet les paysans au cœur du processus d’innovation végétale. Il est temps de faire un meilleur usage des rayons solaires et de l’azote terrestre. »
Vandana Shiva dans Victoires d’une Indienne contre le pillage de la biodiversité 2011
Les lois qui favorisent le monopole de l’industrie sur les graines sont comparables au monopole sur le sel dénoncé par le Mahatma Gandhi ; celui-ci avait déclenché le Salt Satyagraha, une lutte non violente basée sur la désobéissance civile. Satyagraha, l’étreinte de la vérité. Vandana va lancer à son tour la Bija Satyagraha, une « désobéissance des graines ». Quels que soient les accords internationaux que signerait l’Inde, les paysans devraient continuer à conserver et reproduire leurs semences comme ils l’avaient toujours fait.
Vandana Shiva fonda l’association Navdanya qui signifie en hindi « les neuf graines » ou « le don renouvelé ». En 1995, Vandana Shiva achète une sorte de « désert toxique » sur lequel devait s’implanter Navdanya. La culture des semences allait remplacer la monoculture d’eucalyptus et de canne à sucre qui avaient rendu infertile le sol. Outre les centaines de variétés de millets, de céréales, de graines oléagineuses, de légumes ou encore de plantes médicinales, l’association a réuni plus de 250 variétés de riz et 75 de blé. De 8 hectares, la surface du site était passée à 18 hectares et les effectifs avaient atteint 20 personnes. Sous l’impulsion de Satish Kumar, on ajoute en 2002 une université de la Terre, appelée Bija Vidyapeeth (« école de la graine » en hindi). La gestion de l’eau, la vie des sols, la cuisine écologique figuraient parmi les programmes proposés, tout comme la non-violence, la souveraineté alimentaire ou l’art de l’activisme.
* LE MONDE du 13 mars 2014, Le Parlement européen, théâtre de la guerre des semences agricoles
L’Ariège veut sauver ses plants de tomates rustiques
En résumé : Sur un marché de l’Ariège, un agent du Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS) signale à quelques petits maraîchers venus vendre leurs plants de tomates et autres légumes qu’ils n’ont pas le droit de commercialiser les plantes non inscrites au catalogue officiel des espèces et variétés végétales. Depuis 1962, le GNIS a une délégation des pouvoirs publics pour certifier les semences et plants, contrôler leur qualité et organiser le marché. Un des maraîchers contrôlés à Lavelanet : « Le contrôleur m’a expliqué qu’il fallait que je puisse justifier par des factures l’origine des semences que j’utilise et leur inscription au catalogue. C’est complètement à côté de la plaque. Le catalogue, je ne l’ai jamais consulté et je ne vois pas à quel titre je devrais prendre ma carte du GNIS. » Un autre : « Je ne vois pas quel est l’enjeu sanitaire, quelle menace on peut représenter… Il me semble qu’on devrait plutôt encourager les gens comme moi qui continuent de cultiver ces variétés anciennes qui appartiennent à tout le monde. »
(LE MONDE du 13 mars 2014)