Technique démocratique… ou autoritaire ?

« Pour parler sans ménagement, la thèse que je défends est celle-ci : depuis la fin des temps néolithiques au Moyen-Orient, jusqu’à nos jours, deux techniques ont périodiquement existé côte à côte, l’une autoritaire et l’autre démocratique ; la première émanant du centre du système, extrêmement puissante mais par nature instable, la seconde dirigée par l’homme, relativement faible mais ingénieuse et durable. Si j’ai raison, à moins que nous ne changions radicalement de comportement, le moment est proche où ce qui nous reste de technique démocratique sera totalement supprimé ou remplacé, et ainsi toute autonomie résiduelle sera anéantie ou n’aura d’existence autorisée que dans des stratégies perverses de gouvernement, comme les scrutins nationaux pour élire des dirigeants… déjà choisis dans les pays totalitaires.

Ce que j’appellerais technique démocratique est la méthode de production à échelle réduite, reposant principalement sur la compétence humaine et l’énergie animale mais toujours activement dirigée par l’artisan ou l’agriculteur ; chaque groupe raffinant ses propres talents par le biais des arts et des cérémonies sociales qui lui conviennent, tout en faisant un usage modéré des dons de la nature. Cette technique a des ambitions limitées mais, précisément parce qu’elle exige relativement peu, elle est très facilement adaptable et récupérable. Alors que cette technique démocratique remonte aussi loin que l’usage primitif des outils, la technique autoritaire est une réalisation beaucoup plus récente: elle apparaît à peu près au quatrième millénaire avant notre ère, dans une nouvelle configuration d’invention technique et de contrôle politique centralisé qui a donné naissance au mode de vie que nous pouvons à présent identifier à la « civilisation », sans en faire l’éloge. Sous la nouvelle institution de la royauté, des activités auparavant disséminées, diversifiées, à la mesure de l’homme, furent rassemblées à une échelle monumentale dans une sorte de nouvelle organisation de masse à la fois théologique et technique. Cette technique totalitaire était tolérée, voire souhaitée, malgré sa continuelle propension à détruire, car elle organisait la première économie d’abondance réglementée : notamment d’immenses cultures vivrières qui n’assuraient pas seulement l’alimentation d’une population urbaine nombreuse, mais aussi libérait une importante minorité professionnelle pour des activités militaires, bureaucratiques ou purement religieuses. La technique autoritaire réapparaît aujourd’hui sous une forme habilement perfectionnée et extrêmement renforcée. Ne nous laissons pas abuser plus longtemps. Au moment même où les nations occidentales renversaient l’ancien régime absolutiste, gouverné par un roi autrefois d’essence divine, elles restauraient le même système sous une forme beaucoup plus efficace de leur technique, non moins draconiennes dans l’organisation de l’usine que dans la nouvelle organisation de l’armée. Les inventeurs des bombes atomiques, des fusées spatiales et des ordinateurs sont les bâtisseurs de pyramides de notre temps : leur psychisme est déformé par le même mythe de puissance illimitée, ils se vantent de l’omnipotence, sinon de l’omniscience, que leur garantit leur science, ils sont agités par des obsessions et des pulsions non moins irrationnelles que celles des systèmes absolutistes antérieurs, et en particulier cette notion que le système lui-même doit s’étendre, quel qu’en soit le coût ultime pour la vie.Tels les pharaons de l’âge des pyramides, ces serviteurs du système identifient ses bienfaits à leur propre bien-être ; comme le dieu-roi, leur apologie du système est un acte d’auto-adoration ; et comme le roi encore, ils sont en proie à un besoin irrépressible et irrationnel d’étendre leurs moyens de contrôle et de repousser les limites de leur autorité.

Dans ce Pentagone de la puissance, aucune présence visible ne donne des ordres : contrairement au Dieu de Job, on ne peut pas faire face aux nouvelles divinités, et encore moins s’opposer à elles. La technique actuelle se distingue de celle des systèmes du passé, ouvertement brutaux et absurdes, par un détail particulier qui lui est hautement favorable : elle a accepté le principe démocratique de base en vertu duquel chaque membre de la société est censé profiter de ses bienfaits. Le marché qui nous est proposé se présente comme un généreux pot-de-vin. Quand notre technique autoritaire aura consolidé son pouvoir, grâce à ses nouvelles formes de contrôle des masses, sa panoplie de tranquillisants, de sédatifs et d’aphrodisiaques, comment la démocratie pourrait-elle survivre? C’est une question idiote: la vie elle-même n’y résistera pas, excepté ce que nous en débitera la machine collective. La question que nous devons nous poser n’est pas de savoir ce qui est bon pour la science, et encore moins pour General Motors, Union Carbide, IBM ou le Pentagone, mais c’est de savoir ce qui est bon pour l’homme : non pas l’homme des masses, soumis à la machine et enrégimenté par le système, mais l’homme en tant que personne, libre de se mouvoir dans tous les domaines de la vie. Nous ne pourrons venir à bout de la surabondance des automobiles qui encombrent et détruisent nos villes qu’en redessinant ces villes de façon à favoriser un agent humain plus efficace : le marcheur. Et si l’on considère la naissance et l’accouchement, on voit heureusement régresser la procédure autoritaire, centrée sur la routine hospitalière, en faveur d’un procédé plus humain qui redonne l’initiative à la mère et aux rythmes naturels du corps… »

Lewis Mumford, discours prononcé à New York, le 21 janvier 1963 (extraits)

source : https://www.partage-le.com/2015/05/techniques-autoritaires-et-democratiques-lewis-mumford/

5 réflexions sur “Technique démocratique… ou autoritaire ?”

  1. En découvrant cette thèse, celui qui sait que nos démocraties n’en ont que le nom, qu’elles ne sont que des trompe-couillons, celui qui par exemple a lu « Une étrange dictature » de Viviane Forrester (2000), celui là se dit que cette thèse ne lui apprend pas grand chose de nouveau et qu’elle n’a finalement pas grand intérêt. Or il s’agit là de l’extrait d’un discours prononcé le 21 janvier 1963 à New-York, par un des plus grands spécialistes en histoire des sciences et des techniques, Lewis Mumford.
    On peut toujours essayer d’analyser les effets, les conséquences, de tel ou tel discours, parfois qualifié d’historique, de telle théorie ou de tel évènement etc. Ce qu’on peut déjà dire, c’est que du simple fait qu’ils sont à l’opposé du discours ambiant de l’époque, ces discours de Lewis Mumford, de Viviane Forrester et de tant d’autres, auront déjà eu comme effets immédiats de faire hérisser quelques poils. Et par conséquent d’influencer, plus ou moins, les idées des uns et des autres. Et donc les actes qui vont avec. Quoi qu’il en soit, 56 ans après ce discours de Mumford, il faudrait être aveugle ou alors de très mauvaise foi, pour ne pas reconnaître qu’il avait raison. La seule question qui vaille reste bien «de savoir ce qui est bon pour l’homme ». L’homme tel que le pensait Mumfort et tant d’autres, autrement dit peut-être, l’Homme avec un grand H.
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    Jean-Louis Barrault (1910-1994) a dit : « La dictature, c’est ferme ta gueule; la démocratie, c’est cause toujours. Et cette tirade a été largement reprise. En effet, c’est à peu près ça, mis à part qu’on ne sait plus ce qu’est la véritable démocratie. De là on en arrive à penser que les deux c’est kif-kif bourricot, et on pense comme un bourricot. Misère, misère !
    Et alors on se dit , et on dit : « Alors rien de mieux qu’un bon coup de Marine Le Pen pour se faire entendre et puis c’est tout ! »
    Cela fait penser à l’abruti qui s’agace sur un truc qui ne marche pas comme il voudrait, et qui dans un excès de rage lui fiche un « bon coup » de pompe ou de masse et le casse. Comme si après ça il allait être plus avancé. Misère misère !

  2. Une dictature c’est ferme ta gueule !
    Une démocratie c’est cause toujours !

    Dans les deux cas, l’opinion de la population, le gouvernement n’en a rien à foutre…

    Alors rien de mieux qu’un bon coup de Marine Le Pen pour se faire entendre et puis c’est tout !

    1. Malheureux , MLP est une gauchiste de première , elle parle des muzz comme de ses frères français (elle a été avocate de réfugiés une fois admise au barreau )
      Le programme du RN est un programme de la sainte farce : il admet encore l’ entrée de 10000 étrangers en France , il ne mentionne pas l’ indispensable remigration des criminels et chômeurs étrangers ou naturalisés , il ne mentionne pas la fin du regroupement familial , il ne reprend aucune mesure de type malthusien (chiffre optimal de population , limitation des AF et autres avantages sociaux et fiscaux
      Je n’ ai pas plus de sympathie pour la (trop) belle Marion mais il est vrai que je suis identitaire (la branche la plus dure de la droite(sic) !

      1. Dans l’idéal, ce serait de rétablir la monarchie en France, car de toute façon la république est islam-compatible dans tous les partis… Même le LR, d’ailleurs il y a eu plus de migrants sous Sarkozy que sous Jospin c’est dire !

        Alors pour les élections qui proposes-tu ?

      2. –  » MLP est une gauchiste de première « .
        Après tout pourquoi pas. En fait ça dépend tout simplement de ce qu’on entend par « gauchiste ». C’est comme pour un cercle et un carré, une vessie une lanterne quoi. Au diable les dictionnaires, comme on sait aujourd’hui tout est permis, tout se vaut, c’est celui qui a le plus de gueule qui a raison, etc. etc. Misère misère !

        « À force de répétitions et à l’aide d’une bonne connaissance du psychisme des personnes concernées, il devrait être tout à fait possible de prouver » que « MLP est une gauchiste de première ». Et que d’une vessie jaillira la Lumière. Misère, misère !

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