« Tianxia », l’autre nom de la symbiose écologique

Le concept chinois  » tianxia  » vise à penser le monde comme un tout, supprimant toute idée d’étranger ou d’ennemi. Cela ne peut que faire penser à Emmanuel Macron, de droite, et en même temps de gauche. Mais plus encore à Nicolas Hulot, l’écologie comme au-delà de la droite et de la gauche, au-dessus. Voici du point de vue écologique notre commentaire du philosophe Zhao Tingyang, porte-parole officieux du Parti communiste chinois.

Zhao Tingyang : Tianxia signifie  » tout ce qui existe sous le ciel « . C’est un système inclusif qui tente de penser le monde comme un tout, supprimant même l’idée d’étranger ou d’ennemi. Qu’il s’agisse de la théorie de la lutte des classes de Marx ou du choc des civilisations de Huntington, toutes ces luttes sont étroitement liées au concept d’antagonismes politiques entre ennemis et amis.

Biosphere : Tianxia, c’est en fait la Terre-mère, tout ce qui existe sous le ciel, le fait que tous les citoyens de toute appartenance politique ou géographique ont le même intérêt, vivre en harmonie avec les ressources terrestres et toute la vie sur cette planète.

Zhao Tingyang : Le concept de Tianxia pose comme hypothèse qu’il existe nécessairement des méthodes qui permettraient d’incorporer n’importe quel Autre dans l’ordre de la cœxistence et que même si un tel Autre refusait catégoriquement d’entrer dans le système Tianxia, il existerait nécessairement un mode de coexistence qui préserverait la tranquillité.

Biosphere : Selon la philosophie de l’écologie profonde présentée par Arne Naess, maximiser le contact avec votre opposant est une norme centrale de l’approche gandhienne. Plus votre opposant comprend votre conduite, moins vous aurez de risques qu’il fasse usage de la violence. Vous gagnez au bout du compte quand vous ralliez votre opposant à vos idées et que vous en faites un allié. Si seulement l’opinion publique savait ce que les écologistes défendent, alors la majorité des gens serait de leur côté.

Zhao Tingyang : Tianxia est l’anti-Clausewitz par excellence. La guerre, loin d’être le prolongement de la politique par un autre moyen, comme l’avait défini le stratège prussien, en est l’échec absolu. Le monde d’aujourd’hui, dominé par des Etats-nations, nie l’inclusion du monde et la question de la souveraineté mondiale. Sinon ce serait la fin de la guerre.

Biosphere : La guerre à la planète est accentuée par la défense des intérêts nationaux, « America first » par exemple. Des conférences internationales essayent de réguler nos exactions, entre autre nos émissions de gaz à effet de serre. Les Conférences sur le climat qui se déroulent maintenant depuis plus de 23 ans sont un échec, l’égoïsme des Etats-nations prédomine toujours. Il y aura encore des guerres et beaucoup de réfugiés climatiques.

Zhao Tingyang : Le concept de tianxia est apparu en tant que système institutionnalisé sous la dynastie des Zhou, il y a plus de 3 000 ans. Grâce à de subtils mécanismes de coopération, cette dynastie a su régner sur un vaste empire durant pas moins de huit siècles. Un record.

Biosphere : L’ancien directeur de campagne d’Alain Juppé, Gilles Boyer, écrivait un essai dans lequel il écrivait : « Le président des États-Unis, le Secrétaire général du parti communiste chinois, le Président russe… ont annoncé ce jour la création d’une Organisation mondiale qui aura vocation à réguler tout phénomène économique, social ou environnemental qui, de par ses causes ou ses conséquences, dépasse le cadre des frontières étatiques et ne peut qu’être abordé au niveau mondial dans l’intérêt général de l’Humanité. Ses principaux objectifs seront la maîtrise démographique et la réduction des inégalités, la construction d’une économie mondiale saine, l’entretien de systèmes soutenables en termes de ressources naturelles, de terres, d’énergie, de biodiversité, et enfin la régulation du climat. Face à l’urgence , des mesures s’imposent à tous dès le 1er septembre de cette année, notamment la limitation stricte des naissances à une par femme dans le monde entier, une taxation mondiale sur les gaz à effet de serre, tant pour les entreprises que pour les particuliers, une interdiction de la production et de la consommation de viande rouge, une interdiction de l’abattage des arbres sauf dans les zones strictement délimitées, un couvre-feu mondial à 22h30 pour économiser l’énergie dans les zones non équipées en énergies renouvelables (Un monde pour Stella).» Tianxia en train de se réaliser ?

Zhao Tingyang : En théorie, les droits de l’homme sont des principes universels, mais ces droits ne doivent pas s’imposer comme supérieurs aux devoirs. Nous pourrions posséder un crédit de droits que nous conserverions tant que nous respecterions nos devoirs. Dans une telle construction, je privilégie les devoirs par rapport aux droits

Biosphere : Gilles Boyer poursuivait : « Ces mesures peuvent sembler autoritaires et brutales. Elles nous sont imposées par notre laisser-aller collectif depuis des décennies. Toues ont en commun la recherche de l’intérêt général du genre humain. Leur application sera assurée par une force de police, reconnaissables par leurs casques verts, et qui auront tout pouvoir pour signaler et réprimer les manquements constatés. La Déclaration universelle des droits de l’Homme sera refondée pour y inclure des devoirs. » Déjà la Charte française de l’environnement donnait une place prépondérante aux devoirs.

Zhao Tingyang : Les droits de l’homme provoquent un déséquilibre entre le droit des criminels et celui des victimes en minorant ce dernier.

Biosphere : On ne peut que penser à l’abolition de la peine de mort pour des raisons « humanistes ». Dans son livre « On ne naît pas écolo, on le devient », Michel Sourrouille rappelle ces propos d’un expert en énergie, Jean-Marc Jancovici : « Entretenir une population en prison, c’est utiliser de la nourriture, des ressources et de l’énergie pour le bénéfice d’improductifs mis au ban de la société. Jusqu’à une époque somme toutes assez récente, on ne s’encombrait pas de ces bouches à nourrir : le sort commun de l’assassin était la mort dans des délais assez rapides. Il est évident que, en univers énergétiquement contraint, ces mauvais souvenirs risquent de redevenir d’actualité. »

Zhao Tingyang : Certains oublient que la démocratie n’est qu’une mesure technique pour déterminer un choix public et ne constitue pas une valeur.

Biosphere : L’écologiste Arne Naess avait été invité par l’UNESCO en 1948 à diriger un projet scientifique sur la controverse entre l’Est et l’Ouest à propos de la définition de la démocratie. C’était au début de la guerre froide. Les Soviétiques disaient « Nous sommes démocrates parce que, en vertu de l’usage établi par la Révolution française, la démocratie signifiait la prise du pouvoir par les défavorisés et les opprimés« . Et l’Ouest disait : « Non, cela n’a rien à voir avec la démocratie. La démocratie, c’est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, dans lequel tous sont équitablement représentés. » J’ai préparé un questionnaire auprès de 400 personnes, en leur demandant ce que la démocratie signifiait pour eux. Les réponses ont révélé toute l’imprécision et l’ambiguïté de l’un des termes centraux de notre temps. Nous devrions apprendre que nous nous contentons le plus souvent d’employer des mots creux. Un slogan comme « Démocratie » est en réalité un soporifique. C’est tellement pénible de réfléchir, tellement pénible d’accorder de l’attention aux choses, d’approfondir. (Arne Naess, Vers l’écologie profonde avec David Rothenberg)

Zhao Tingyang : Je mets en doute l’individualisme méthodologique qui domine la philosophie occidentale et qui cherche à justifier l’Etat à partir des individus considérés comme des êtres atomisés, rationnels et égoïstes

Biosphere : Quand Boudon privilégie l’individualisme méthodologique (vive le libéralisme) alors que Bourdieu met en évidence la contrainte sociale (à mort le conditionnement), il y a un biais. La réalité sociale est faite de l’interaction constante entre l’individu et le collectif, c’est le mécanisme de l’interaction spéculaire. Le consensus à une époque ne sera pas le même à une autre époque, tout dépend des processus d’identification mis en œuvre. Toutes les « sciences » humaines comme la sociologie, l’économie ou la politique s’intéressent à une réalité mouvante dont les constructions un jour peuvent être déconstruites un autre jour. Mais l’écologie s’intéresse à la durabilité des rapports entre les humains et la biosphère, c’est pourquoi cela devrait devenir le point de ralliement de toutes les consciences en devenir.

Zhao Tingyang : L’Occident est devenu une des natures de la Chine. En conséquence de quoi, l’Occident est devenu un problème inhérent à la Chine et non plus simplement un problème extérieur.

Biosphere : La croissance chinois à marche forcé atteint ses limites, principalement aujourd’hui à cause des pollutions qu’elle entraîne. Mais la société civile et ses manifestants peuvent-ils faire contre-poids à un régime dictatorial où un seul homme peut faire ce qu’il veut ? En général ce type de dirigeant cherche plutôt des boucs émissaires plutôt que d’affronter directement les problèmes… Il y a une forte probabilité que ni le  » tianxia « , ni la Terre-mère ne constituent des concepts à la portée de Xi Jinping, sauf que certains propos de Zhao Tingyang confortent son pouvoir. La Chine pourrait être appelée à créer un nouvel ordre mondial fondé dans l’esprit de Tianxia, et elle le fera peut-être… dès que son nationalisme lui permettra d’accumuler assez de puissance.

source : LE MONDE idées du 24 mars 2018, Zhao Tingyang, l‘utopie inclusive

1 réflexion sur “« Tianxia », l’autre nom de la symbiose écologique”

  1. Zhao Tingyang n’a rien inventé et il n’est pas le seul à porter ce courant de pensée, le tianxiaïsme.

    – « Tianxia, retour en force d’un concept oublié. »
    http://www.laviedesidees.fr/Tianxia-retour-en-force-d-un.html

    – « Tianxia est chargée de polysémie et d’histoire. Utilisé par tous les courants de pensée chinois depuis Laozi (VIe siècle av. J.-C.) et Confucius (551-479 av. J.-C.) »

    S’inspirer des vieux penseurs et des vieux sages ne devrait pas nous faire de mal, mais encore faut-il ne pas leur faire dire n’importe quoi. Et pour cela faut-il déjà comprendre parfaitement leur pensée. Or de nos jours, comme dit Biosphère… « C’est tellement pénible de réfléchir» … Alors nous comprendrons pourquoi nous laissons volontiers cette tache à ceux qui aiment se faire mal à la tête. D’autre part, du simple fait de son histoire et de sa culture, je me demande si un occidental est disposé à comprendre Confucius aussi bien que Platon, et vice versa. Enfin nous savons ce que nous sommes capables de faire à partir de vieux écrits, comment nous sommes capables de les traduire et de les interpréter. Et ce n’est pas le fait qu’ils soient écrits en hébreux, en grec ancien, en latin, en arabe, en chinois etc. qui y change grand chose.
    On dit que Tianxia serait « une position à la fois conservatrice et avant-gardiste »… et c’est vrai que ça nous fait déjà penser au « et en même temps » macronien. Il est curieux par exemple de voir que le tianxiaïsme s’oppose par principe à tous les nationalismes, et en même temps que ses actuels adeptes semblent faire exception pour le nationalisme chinois. Bref je pense que les Chinois n’ont pas fini de nous surprendre et que ce n’est certainement pas pour rien que la Chine s’est depuis très longtemps appelée l’Empire du Milieu.

Les commentaires sont fermés.