Tuerie de poissons, pathocentrisme, biocentrisme, etc

En  1497, longeant les côtes de Terre-Neuve, le navigateur vénitien Giovanni Caboto signala dans son journal que les morues étaient si nombreuses qu’elles bloquaient son vaisseau. Cinq siècles plus tard, pour cause de surpêche, 90  % des morues, ou cabillauds, ont disparu. Le massacre des animaux marins, dont l’habitat couvre 71  % de notre planète, est inouï. Si, chaque année, nous tuons 64  milliards de vertébrés terrestres pour les manger, nous exterminons entre 970 et 2 740  milliards de vertébrés marins. Et cette estimation ne tient pas compte des poissons que les pêcheurs rejettent à la mer, ils représenteraient entre 10  % et 40  % du tonnage. Le pire du pire est que nous nous en fichons. Nous n’éprouvons aucune empathie à l’égard de ces créatures si peu anthropomorphes, dont nous n’entendons pas les cris de détresse. Pourtant, même s’ils sont dépourvus de néocortex, les poissons ressentent la douleur. La plupart sont des animaux sociaux qui aiment jouer, communiquer… L’article* du journaliste Frédéric Joignot conclut : La vraie question concernant les animaux n’est pas  » peuvent-ils raisonner ?  » ou  » peuvent-ils parler ? « , mais  » peuvent-ils souffrir ? Cela pose la question éthique : dès qu’un être vivant souffre, nous, les humains, devrions ne pas le permettre.

Ce pathocentrisme, très répandu même chez les antispécistes, est restrictif. Il relève d’un anthropocentrisme indigné par la souffrance animale. L’essentiel est au-delà. D’après la revue Science, la totalité des grandes espèces auront disparu en  2050. La question n’est plus d’épargner ou aménager la mort de ceux qui peuvent souffrir. La question de fond devient : A-t-on le droit d’éradiquer une espèce animale ou végétale ? Pourquoi ne pas considérer l’épanouissement d’un arbre comme bon en lui-même, indépendamment de l’usage que peuvent en faire l’espèce humaine ? Le philosophe américain Paul Taylor soutient que toute chose vivante « poursuit son propre bien à sa propre manière, unique ». Une fois que nous saisissons cela, nous pouvons considérer toutes les choses vivantes comme nous-mêmes et, de ce fait, « nous sommes prêts à attribuer la même valeur à leur existence qu’à la nôtre ». En d’autres termes, Paul Taylor considère que tout être vivant est un centre-téléologique-de-vie. Il s’agit d’un biocentrisme. La défense la plus vivante d’une éthique étendant ses limites à tous les êtres vivants a été formulée par Albert Schweitzer : « La vraie philosophie doit avoir comme point de départ la conviction la plus immédiate de la conscience, à savoir Je suis une vie qui veut vivre, entouré de vie qui veut vivre. L’éthique consiste donc à me faire éprouver par moi-même la nécessité d’apporter le même respect de la vie à tout le vouloir-vivre qui m’entoure autant qu’au mien. C’est là le principe fondamental de la morale qui doit s’imposer nécessairement à la pensée. Un homme réellement moral n’arrache pas étourdiment des feuilles aux arbres ni des fleurs à leur tige, il fait attention à ne pas écraser inutilement des insectes et n’endommage pas les cristaux de glace qui miroitent au soleil. »

Pour Virginie Maris, le biocentrisme  comme le pathocentrisme, s’ils remettent en cause l’anthropocentrisme, restent cependant tributaires d’une approche individualiste de la considérabilité morale. Or la protection de la biodiversité s’intéresse surtout à des entités supra-individuelles, comme les espèces ou les écosystèmes. Le bien de l’espèce ne coïncide pas nécessairement avec celui des individus qui la composent et ne se réduit pas à la somme des biens individuels. Le fait d’être affectés par une maladie, par exemple, est néfaste pour les organismes malades, mais peut profiter à l’espèce dans son ensemble, en permettant la sélection des génotypes les plus résistants. Les tenants de l’écocentrisme, comme Homes Rolston III ou J.Baird Callicott, invitent à prendre en compte dans la délibération morale ces entités globales. Elles ont, comme les êtres vivants, un bien propre qu’il est possible de promouvoir ou d’entraver par nos actions, et qui devrait donc nous imposer certaines obligations morales. En tant qu’espèce homo sapiens, nous sommes de nouveaux arrivants, pénétrant dans une demeure qui a été le lieu d’habitation des autres pendant des centaines de millions d’années, une demeure que nous devons apprendre à partager avec les autres habitants. Mais revenons sur terre. Pêcher plus de poissons que ce que permet leur taux de reproduction, c’est se tirer une balle dans la tête aux yeux des générations futures.

* LE MONDE idées du 20 janvier 2018, Les poissons suppliciés en silence

12 réflexions sur “Tuerie de poissons, pathocentrisme, biocentrisme, etc”

  1. Virginie Maris croit que les écosystèmes existent pour de vrai et qu’ils ne sont pas de simples constructions intellectuelles pour saisir l’écologie. Elle va jusqu’à avancer que les êtres vivants en dépendent. Pauvre philosophie de la soumission.

  2. Bonsoir Invite2018
    Vous n’êtes pas plus spécialiste des végétaux que moi, toutefois j’ai une petite expérience en la matière. Il m’est arrivé de déterrer une plante (ex. un pied de tomate) et de la replanter… eh bien miracle, la plante a ressuscité. Mais je crois plutôt qu’elle n’était pas du tout morte, en tous cas elle m’a fait de belles tomates. Il m’est arrivé aussi de couper des branches (pas des arbres) et de les remettre en terre, eh bien elles sont devenues de beaux arbustes. Mieux vaut donc en rester là, profitez-en pour relire ce que j’ai écrit ce qui nous évitera de dire des bêtises.

  3. Bonsoir @Michel C.

    1/

    Coupez un arbre n’ayant toujours pas atteint sa taille mature, puis ressoudez-le ensuite au sol.

    Ce même arbre reprendra-t-il sa croissance en taille? Non, car il est mort.

    C’est le même principe avec la carotte et avec le choux.

    Quant au pied de tomate, qui le mange? Je mange les tomates, mais je ne me suis jamais essayé(e) à manger le pied de tomate, et je ne tenterai pas l’expérience.

    2/

    Comme vous sous-entendez, on ne peut pas ne pas tuer du tout (survie oblige), on ne peut que limiter fortement les massacres.

    Et végétaliser l’alimentation contribue à limiter les dégâts. En effet, pour nourrir le bétail, on tue énormément de végétaux.

    D’ailleurs, nous les êtres humains avons un besoin vital de consommer beaucoup d’aliments végétaux, mais nôtre organisme nous permet de ne consommer que très peu d’aliments d’origine animale. Nous devrons augmenter notre consommation personnelle de fruits et légumes, mais nous pouvons diviser par cent notre consommation de poissons, viandes, œufs et lait.

    3/

    Se préoccuper du bien-être des êtres vivants du règne végétal est à la base quelque chose de noble.

    Mais il est impératif que ni à relativiser les oppressions que subissent les animaux ni à remettre en cause l’utilité ou la pertinence du véganisme ni à remettre en cause l’absolue nécessité de très fortement réduire la production d’aliments d’origine animale ce quelque chose ne serve!

    La carotte que nous mangeons doit mourir (question de survie), mais nous pouvons épargner le poisson et l’arbre que la déforestation menace. Dire cela n’est pas faire un quelconque « deux poids deux mesures » en défaveur de la carotte.

  4. La réflexion que suscite cet article dépasse le cadre des massacres de poissons. On parle ici de pathocentrisme, de biocentrisme, donc de morale.
    Il est maintenant évident que les animaux les plus évolués ressentent la douleur, ainsi que bon nombre d’émotions. Les études scientifiques qui le prouvent ne peuvent absolument pas être contredites. Au stade de nos connaissances nous ne devrions plus accepter la maltraitance animale actuelle, que ce soit dans les élevages ou dans les abattoirs. Nul besoin d’être végé ou végan pour s’indigner de ces tristes réalités et les condamner. Il s’agit bien ici d’une affaire morale morale, il s’agit de cette vieille histoire du bien et du mal, et la douleur nul doute que ça fait mal.
    Si les poissons peuvent ressentir la douleur, alors notre morale devrait nous dicter de nous comporter avec eux comme nous devrions le faire avec un chien, une vache, un humain. Et il en est de même avec le reste du vivant, donc avec les végétaux.

    Seulement, à nous poser toutes ces questions nous nous heurtons à un sacré dilemme. Pour vivre nous avons absolument besoin de manger. Si la carotte souffre et que je le sais, alors comment vais-je pouvoir survivre, et en même temps être en paix avec ma petite conscience ? Qu’on me dise déjà comment faire pour la faire souffrir le moins possible.
    Personnellement ça m’arrangerait très bien qu’on me démontre par a + b qu’il est absolument impossible que la carotte puisse ressentir la douleur. Seulement je crains de devoir attendre longtemps les réponses à mes questions. Et en attendant, me voilà bien embêté. Ou pas.

    Invite2018, qui s’y connait, nous affirme que du moment où la carotte a été arrachée du sol, elle est morte. Ceci aurait pu me rassurer, mais je me dis, la carotte peut-être mais qu’en est-il des choux et des pieds de tomates ? Peut-être Invite2018 n’a t-il jamais planté de choux ni de pieds de tomates. Maintenant, qu’un spécialiste avéré ou autoproclamé me dise qu’on tue la carotte en l’arrachant et en lui coupant ses fanes, là je me dis pourquoi pas. Alors il suffirait de l’arracher et de la séparer du reste, le plus proprement et le plus humainement possible, et ainsi je pourrais l’éplucher comme bon me semble, en faisant durer le plaisir. Mais bon, toutes ces élucubrations ne m’avancent à rien, et en plus je commence à avoir la dalle.

  5. Il st vrai que « complotiste n’est pas le meilleur terme que j’eusse pu utiliser. Ce que je voulais dire, c’est que les scientifiques qui prétende qu’éplucher fait souffrir est à mettre dans le même sac que le fait que le docteur Joyeux prétende que l’allaitement puisse remplacer la vaccination.

    Supposons que la carotte soit elle-même une plante. Arracher le végétal de son sol, c’est comme décapiter le mammifère, donc la carotte arrachée est morte.

    Dès lors, quand le citoyen lambda épluche la carotte, cette dernière n’est plus qu’un cadavre et donc ne souffre pas.

  6. Invite2018
    Ainsi vous ne savez pas comment il faut l’appeler… la carotte est tout simplement une plante. Et ce que nous en mangeons (certains mangent aussi les fanes, pas moi) en est tout simplement la racine.
    Ainsi ce que je raconte serait basé sur des études de complotistes … on en apprend tous les jours.

  7. Les végétaux peuvent peut-être souffrir, mais la carotte n’est pas elle-même un être vivant. La carotte est le fruit du pied de carottes (je ne sais comment il faut l’appelez), qui lui est une plante, un être vivant du règne végétal.

    Peut-être les plantes souffrent-elles, mais ce qui n’est pas vivant ne peut pas souffrir. Les études que vous avez lues sont des études de complotismes qui soutiennent également la théorie de l’existence des reptiliens.

  8. Bonjour Didier Barthès.
    Même si sur ce sujet mon imagination est en butée (j’ai du mal en effet à me mettre à la place d’un poisson, d’un cloporte ou d’une amibe) toutefois je vous rejoins. Je me dis, soit les poissons ressentent la douleur, soit ils ne la ressentent pas. S’ils la ressentent, alors il n’y a aucun intérêt à les faire souffrir inutilement, à moins bien sûr de faire partie de ces malades qui prennent du plaisir dans la douleur des autres, qu’ils soient humains ou animaux. Partant de là, qui de mieux placés que les spécialistes (scientifiques) pour nous le dire ? Or il se trouve que les scientifiques ne disent pas tous la même chose sur ce point. Idem en ce qui concerne la douleur des carottes. Alors une question se pose :
    – « Comment tous ces scientifiques, en supposant qu’ils ne servent aucun intérêt particulier, en arrivent à des conclusions aussi différentes ? La réponse est toute simple : la douleur ne se mesure pas (encore), elle se vit. »

    http://www.monsieurrenard.fr/les-poissons-ressentent-ils-la-douleur/

    Ceci dit, j’adhère totalement à la conclusion (« l’essentiel ») de cet article :
    –  » L’histoire récente montre que la prudence à l’égard des phénomènes encore mal compris doit prédominer. Mais en acceptant que les poissons puissent ressentir la douleur, il faut considérer les manières avec lesquelles ils sont traitées, ce qui n’est pas du goût de ceux qui profitent de leur exploitation. »

    J’accepte donc que les poissons puissent ressentir la douleur. Ce n’est pas impossible. Partant de là je m’applique avec les truites. Et je fais de même quand j’épluche les carottes.

  9. Didier Barthès

    J’ai bien du mal à imaginer qu’un animal doté d’une certaine complexité puisse ne pas souffrir, la douleur est une nécessité pour avertir l’organisme, il n’y a aucune raison que les poissons ne la ressentent pas quand ils sont écrasés dans les filets ou en train d’étouffer à l’air libre

  10. Sur la question de savoir si les poissons ressentent ou pas la douleur, les spécialistes ne sont pas unanimes. Déjà il revient de faire une différence entre souffrance et douleur. La question reste donc en suspend et chacun reste libre de croire ce qu’il veut, ou ce qu’il peut. Etant pêcheur à la ligne, je vous avoue que ça m’arrange bien de me dire que je ne fais aucun mal à cette jolie truite que je m’empresse de remettre à l’eau.
    Récemment de nouvelles études ont révélé que les végétaux également ressentiraient la douleur, et que les carottes souffrent quand on les épluche. Non non, ce n’est pas une blague ! En tous cas moi je n’en sais rien, mais ce que je sais c’est que les végés ne sont pas contents d’apprendre ça.
    Le jour où notre compassion atteindra les formes de vie les plus élémentaires, je pense que nous aurons touché le fond.
    En attendant, nos connaissances devraient déjà nous permettre de comprendre notre intérêt à respecter le monde du vivant, sans pour autant sombrer dans le grand n’importe quoi. Et surtout elles devraient nous permettre de mettre un terme à tous ces pillages. Force est de constater qu’il n’en est rien.

  11. « Lorsque l’homme aura coupé le dernier arbre, pollué la dernière goutte d’eau, tué le dernier animal et pêché le dernier poisson, alors, il se rendra compte que l’argent n’est pas comestible »

    Vous pensez vraiment qu un type de civilisation qui à engendré Goulag et autres camps d exterminations est capable d ouvrir les yeux …

    Le pire c est que depui plus de 500 ans nous exportons nous imposons notre système de prédateurs névrosés

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