Un gouvernement français de tout temps pro-nucléaire

Dans l’enceinte de la centrale nucléaire de Fessenheim, des activistes de Greenpeace ont déployé le 18 mars, sur le couvercle de la cuve du réacteur n°1, une banderole de 400 m2 « Stop risking Europe ». Ils voulaient dénoncer la menace que font peser les centrales vieillissantes en Europe. C’est sans doute un « coup d’éclat qui met en lumière la fragilité de nos installations nucléaires » (communiqué d’EELV), c’est surtout un appel à une répression accrue des anti-nucléaires. Le ministre de l’écologie, Philippe Martin, a annoncé plusieurs mesures, en particulier des sanctions pénales plus lourdes en cas d’intrusion dans les centrales (prison ferme, pouvant peut-être aller jusqu’à cinq ans, et amendes plus conséquentes). Ces amendes concerneraient aussi la personne morale Greenpeace, et plus seulement les militants arrêtés.*

A croire que le ministre de l’écologie est aussi le ministre de l’intérieur et celui de la défense nationale ! Il est vrai que le nucléaire civil est l’enfant du nucléaire militaire. Charles de Gaulle a été à l’Elysée un cancre de l’écologie. Observant en mai 1968 à la télévision les maoïstes, les autogestionnaires, les écologistes barbus et les hippies, le Général n’y verra que « chienlit ». Les mots « nature » et « environnement » ne seront pas mentionnés une seule fois dans les interventions télévisées du président. Il a donc engagé la France dans l’aventure atomique. Dès le 18 octobre 1945, il crée le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). Cet organisme est destiné à poursuivre des « recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie nucléaire dans les domaines de la science, de l’industrie et de la défense nationale ». L’annonce de la conférence de Stockholm en juin 1972 a laissé le président Pompidou de marbre ; la veille de la conférence, une campagne d’essais de la bombe H française avait été lancée sur un atoll polynésien. EDF propose de construire des réacteurs en série. En proie à des douleurs crucifiantes, le président laisse Messmer conduire l’affaire. Le Conseil des ministres avalise une première tranche de 13 réacteurs. Le nucléaire français se passera du feu vert démocratique. Pas un mot de Valéry Giscard d’Estaing sur l’environnement dans les 1370 pages de ses Mémoires. Dès le mois de juin 1975, un conseil des ministres programme, pour les quatre années suivantes, le lancement de 29 réacteurs supplémentaires. Pourtant Giscard n’a jamais vu une centrale nucléaire, il ira à Gravelines seulement en octobre 1979. Ces monstres de puissance sont pilotés par une poignée de techniciens auxquels on fait aveugle confiance, ainsi va la techno-démocratie. Droite et gauche vont la main dans la main, toujours pro-nucléaire et anti-écolo. En 1974 Son affiche de campagne présente François Mitterrand sur un fond de cheminée d’usine et de ligne à haute tension.  Durant sa campagne présidentielle, le terme environnement n’est utilisé qu’une seule fois. Au cours de ces deux septennats, Mitterrand va inaugurer 38 réacteurs sur les 58 en fonctionnement aujourd’hui. Au fond de lui-même, Mitterrand assimile la technologie nucléaire au progrès. Jacques Chirac entre à l’Elysée le 17 mai 1995. Bien qu’il ait été ministre ou Premier ministre pendant 28 ans, de 1967 à 1995, on peine à dénicher une vraie pensée ou une action décisive en matière d’environnement. Dès 1995, Chirac donnait l’ordre de reprendre les essais nucléaires dans le Pacifique ! En 2001, Nicolas Sarkozy n’accorde pas une seule ligne à l’écologie dans « Libre », son autobiographie de 400 pages. Il a par la suite mis le nucléaire « hors-Grenelle de l’environnement ». Sarkozy poursuit la politique de ses prédécesseurs, glorification des centrales nucléaires « civiles » et soutien inconditionnel à « l’assurance-vie » d’une nation que constituerait la dissuasion nucléaire.

Le gouvernement actuel est clairement anti-écolo… comme ses prédécesseurs. Nos présidents élus au suffrage universel, si volontaristes, si constants dans l’effort quand il s’agit de l’atome, n’ont rien fait de semblable dans le domaine de la crise écologique. Pire, réprimer la contestation du nucléaire relève maintenant de la lutte antiterroriste ; pour protéger ses centrales, Ayrault avait confié la confection du nouvel arsenal répressif au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Delphine Batho, ancienne ministre socialiste de l’écologie, a déclaré récemment qu’EDF était le « ministre fantôme de l’énergie ». C’est aussi le ministre fantôme des armées. 

* LE MONDE du 20 mars 2014, La France va renforcer la protection de ses sites nucléaires