Un technologue face à la procréation médicale assistée

Sur ce blog, nous nous interrogeons aux événements en tant qu’ils relèvent de la nature et de l’écologie. Or toutes nos activités humaines utilisent une quantité plus ou moins grande de ressources terrestres. Par exemple le sommeil et la méditation sont les activités les plus sobres qu’on puisse pratiquer, et donc les plus écologiques. On peut alors classer les techniques selon leur intensité croissante en ressources mesurées en termes d’énergie. C’est une première méthode. Rester au plus simple dans notre demande d’énergie exosomatique, c’est alléger notre trace sur la planète. Médicaliser la procréation nécessite des spécialistes alors que la fonction de reproduction n’a pas normalement besoin de porteur de chandelles.

Deuxième méthode d’appréciation d’une technique, la validité sociale de la division sociale du travail qui rend les choses plus complexes et exige donc toujours plus de prélèvements sur la nature. Il faut savoir choisir. C’est la question « faut-il utiliser des ressources naturelles ici plutôt que là », sachant que dans un système clos comme le nôtre, ce qui est utilisé pour une application technique ne peut plus l’être pour agir ailleurs. La PMA est une technique sophistiquée, connaissant beaucoup d’échecs et possible financièrement seulement dans un pays riche (ou pour les riches des pays pauvres). Il faut lire René Frydman (le « père » d’Amandine, premier bébé-éprouvette français en 1982) qui demandait encore récemment dans une tribune du MONDE toujours plus d’argent pour la PMA. (11.01.2013, Un plan pour la procréation médicalement assistée). La société de croissance nous a trop habitués à dépendre de techno-organisations complexes et à y voir les conditions du progrès alors qu’il faudrait économiser les ressources. De quel type de médecine avons-nous réellement besoin ? C’est une question fondamentale qu’on doit socialement se poser.

On peut aborder aussi une troisième dimension, l’équilibre nécessaire entre une population et son écosystème. Médicaliser la procréation, c’est vouloir pallier à une insuffisance naturelle, la stérilité. Or la démesure de notre empreinte écologique humaine, qui dépasse déjà la capacité de charge de la biosphère, devrait nous inciter à accepter une stérilité, qu’elle soit masculine ou féminine, naturelle ou forcée (couple homosexuel). C’est en ce sens que la  PMA devrait être rejetée dans les pays riches. Pas pour des raisons morales ou religieuses, mais parce que la planète est déjà surpeuplée. Les personnes en capacité de procréer ont mille raisons de ne pas faire d’enfants. Il ne faut donc pas considérer socialement le fait de ne pas avoir d’enfant comme une damnation, mais comme une juste limitation par la nature de notre pouvoir de désirer. Nos citoyens devraient se rendre compte que faire des enfants à n’importe quel prix dans un monde surpeuplé n’est pas un signe de liberté, mais une soumission à la vision traditionnelle qui fait de l’enfant à naître un épanouissement de soi. Pour Simone de Beauvoir, la femme n’est pas vouée à la fécondation et certaines féministes aujourd’hui choisissent la nulliparité même quand elles sont fécondes. Avoir un enfant même si on ne peut pas est-il vraiment un droit quand toute naissance supplémentaire aujourd’hui, particulièrement dans un pays riche, consume la planète en surconsommant ? Nous devrions au contraire assumer politiquement un choix raisonné en limitant le nombre des naissances. Ne pas avoir d’enfant n’est pas plus douloureux et insupportable que ne pas être un séducteur ou un savant, ou un artiste de génie.

Enfin la PMA interfère avec la sélection naturelle. Pour un couple hétérosexuel, la PMA peut avoir des conséquences négatives sur les descendants, par exemple en termes de cancer : on a forcé la nature, notre génétique n’est plus adaptée. Quand il s’agit d’une relation homosexuelle, la PMA pour lesbiennes est un moyen de nier les lois de l’évolution en refusant l’altérité des sexes et donc les mécanismes de l’évolution. Le sexe n’est autre que la production par un organisme de nouvelles versions de lui-même dans lesquelles les gènes disponibles sont redistribués. En permettant au matériau génétique de se recombiner librement, le sexe offre à la sélection naturelle beaucoup plus de variantes que si les organismes continuaient à se reproduire sans lui (les bactéries). S’il faut se mettre à deux pour faire un troisième, c’est justement pour que ce dernier ne soit identique à aucun des premiers. Ce sont les variantes génétiques de la reproduction sexuée qui ont permis la formidable diversité des espèces animales et végétales qui nous entourent aujourd’hui. Alors, pourquoi refuser dans la formation d’un couple la différence sexuée ? Est-ce un problème d’identification à son propre sexe pendant la socialisation primaire ? Est-ce un ostracisme envers le deuxième sexe ? La société peut-elle traiter à égalité des situations inégales et des cas particuliers ?

En définitive, vouloir contourner la sélection naturelle qui a donné la fécondité aux uns et la stérilité à d’autres relève d’une volonté de toute puissance de l’homme, l’hubris, liberté de faire tout et n’importe quoi au nom du « désir individuel » pour le plus grand profit du système capitaliste libéral et de ses spécialistes. En toutes choses, il faut savoir raison garder, c’est-à-dire respecter les limites de la planète. Que les citoyens pratiquent une société moins complexe, plus conviviale parce que plus simple, plus centrée sur nos propres capacités physiques, limitant notre trace sur la planète… à notre avis nous nous en porterons tous mieux.

3 réflexions sur “Un technologue face à la procréation médicale assistée”

  1. La position d’Alain Lipietz sur la PMA
    Si les Verts (avant EELV) étaient en général contre la GPA, pour les raisons classiques du risque de marchandisation du ventre des femmes (totalement indépendantes du débat sur l’homoparentalité), ils/elles n’avaient pas de position législative contre la PMA, sauf un appel en général à la prudence sur toute hyper-médicalisation (critiques lancées entre autres par Jacques Testart , précurseur de la Fécondation In Vitro et aujourd’hui beaucoup plus prudent vis-à-vis du recours à la technique ).
    Sur le fond, je pense que la difficulté vient d’une dissymétrie introduite par l’ordre du juridique dans une question qui relève du biologique, et de la lutte des citoyen-ne-s pour s’émanciper du « destin » biologique. Nous sommes pour l’égalité juridique des parentalités, homo et hétéro. Or la loi actuelle ouvre la PMA aux couples stériles. Donc, chez les hétéros, aux couples dont un membre est stérile. Mais chez les homos, tous les couples sont par définition stériles, même si aucun des deux membres ne l’est !! D’où l’impression que « l’égalité » donne un droit général aux homos que les hétéros n’ont pas… Ben c’est comme ça : la loi n’égalisera jamais ce que la biologie rend différent (même entre hétéro d’ailleurs). Autant voter une loi pour l’égalité de taille…
    En réalité les vrais débats sont :
    1.  » Faut-il interdire quelque chose de physiquement ou psychologiquement dangereux pour soi-même ? « . La réponse est en général : non (je rentre de vacances sportives…). Mais c’est la responsabilité des pouvoirs publics (et pas seulement d’eux) de « mettre en garde », et d’organiser la sécurité maximale pour celles/ceux qui veulent avoir recours « quand même » au don de sperme avec excitation ovarienne, à la FIVET etc. En sachant que la souffrance de certains couples devant l’absence d’enfant peut aussi les amener, « rationnellement », à prendre des risques pour leur santé, et qu’on ne voit pas au nom de quoi les en empêcher.
    2.  » Faut-il changer la loi sur la PMA » ? Oui, probablement, en distinguant explicitement parentalité et engendrement (accès de l’enfant à la connaissance de ses origines), et cette réforme est indépendante de l’orientation sexuelle des parents.
    3.  » Faut-il rembourser – par la Sécu — toutes les aspirations des individus ? » La question du remboursement par la sécu est une vraie question, mais attention que si l’on commence, par les temps qui courent, à poser les actes médicaux en termes de droits – à l’enfant, à la beauté, etc – et à leur opposer l’équilibre de la sécu, on va dévider une sacré pelote ! Faut-il soigner les cancers au dessus de l’âge de l’espérance de vie moyenne ? Faut il réparer les becs de lièvre ? etc. Il n’y a pas que les risques d’eugénisme !
    Je pense que la société doit admettre qu’elle proportionne les droits « à » (c’est à dire ceux que la collectivité garantit à ses membres, en les remboursant ou en les subventionnant, comme le logement ou l’éducation) à ses moyens, et donc doit ouvrir sur ces sujets des débats publics et évolutifs. Je ne serais pas choqué que la société reconnaisse un jour le « droit à l’enfant », mais je ne suis pas sûr que le recours à l’hypermédicalisation soit la bonne méthode, ni que nous en ayons actuellement les moyens.
    Il me semble plus important d’insister sur la possibilité pour les hommes et les femmes de se « réaliser » (y compris dans son besoin d’affection) même sans enfant biologique. (Sans compter que pour le moment, dans un couple homo, la science ne peut offrir la descendance biologique qu’à un seul parent à la fois… Mais qui sait, demain, on saura peut être FIVeter entre deux femmes…) Dans la réalité, et de tout temps, les « arrangements » entre amis et parents relevant de la gestation (ou de la de la fécondation) pour autrui ont toujours existé : arrangements « à l’avance » allant jusqu’au maquillage d’accouchement, ou arrangement « après coup » relevant au fond de l’adoption. Ici, nous parlons d’institutions, avec ce que cela implique de marché, de contrôles, de droits explicites, etc.
    http://lipietz.net/?breve478

  2. Excellente analyse et très juste évocation de notre éloignement des lois de la nature.
    Je voudrais aussi ajouter le risque des étapes suivantes.
    Au nom de cet égalitarisme féroce qui veut permettre à tous d’avoir les mêmes droits indépendamment des conditions physiques, nous aurons demain,(si la technologie le permet) des célibataires qui réclameront leur reproduction par clonage. Et au nom de quoi la leur refuserait-on ?
    Nous mettons là le doigt dans un engrenage que l’espèce humaine, qui a déja cessé de se soumettre à la sélection naturelle, pourrait un jour payer très cher.
    La bien pensance du moment ne devrait pas devenir notre unique guide de comportement.

  3. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d’éthique :
    « La loi encadre actuellement l’AMP [autre appellation de la PMA] de manière précise. Seuls les couples constitués d’un homme et d’une femme, que des raisons médicales empêchent de concevoir un enfant, ne peuvent y avoir accès. La médecine doit-elle se limiter à prévenir et traiter des maladies, ou devrait-elle aussi répondre à des demandes sociétales ? »

    Si on en croit l’Organisation mondiale de la santé, la santé est définie comme un « état de bien-être physique, psychique et social ». La santé c’est alors plus que l’absence de maladie, le bien-être est en effet une donnée psychologique, on peut alors justifier tout et n’importe quoi. Il faut accepter ce que la nature a fait de nous. Tu aurais voulu être grande et mince pour parader sur un podium. Ce n’est pas le cas… il faut t’en satisfaire ! De toute façon, la stérilité est-elle une maladie ?

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