Victoire des gilets jaunes, la taxe carbone est morte

Pour lutter contre le réchauffement climatique nous sommes passés du marché à la taxe carbone, demain nous aurons la carte carbone. Dans une tribune*, Christian Brodhag acte l’échec avéré du marché des permis d’émission, compromis boiteux entre décisions des entreprises et quotas de CO2 fixés par l’administration. Aujourd’hui on a voulu fixer le prix du carbone avec une progressivité dans le temps qui donne de la prévisibilité aux investisseurs et aux ménages. Mais ce système a deux défauts fondamentaux. Le concept d’une tarification identique du carbone en tous lieux et pour toutes les familles ne tient pas compte des inégalités sociales. Il est d’autant plus difficile à justifier que des secteurs comme les transports aérien et maritime y échappent. Il faut aussi considérer l’usage de la rente fiscale. Or l’objectif de Macron est de taxer l’environnement pour alléger le coût du travail. Ce raisonnement strictement économique ne peut justifier la captation de la taxe carbone par le budget général de l’État. En effet le gilet jaune ne voit là qu’un impôt supplémentaire et nullement une transition énergétique en œuvre. Mais on ne voit pas précisément ce que Brodhag voudrait faire de l’argent tiré de la taxation de l’essence : « Une approche institutionnelle de la régulation du climat, promouvant des solutions concrètes répondant aux situations réelles, doit être construite avec tous les acteurs, notamment les citoyens…Il faut mobiliser toutes les innovations techniques, sociales et organisationnelles… » Langue de bois sans impact concret sur les consciences.

Par contre la taxe carbone, si elle avait été bien expliquée et mise en œuvre progressivement depuis plusieurs années, aurait permis aux gens de comprendre les fondements biophysiques de leur niveau de vie. Dans son programme lors de la présidentielle 1974, l’écolo René Dumont écrivait : « Le type de société que je propose est une société à basse consommation d’énergie. Cela veut dire que nous luttons par exemple contre la voiture individuelle. Nous demandons l’arrêt de la construction des autoroutes, l’arrêt de la fabrication des automobiles dépassant 4 CV… On peut penser dès à présent à réorienter l’industrie automobile vers la production d’isolants pour logements ou des systèmes d’énergie solaire ou éolienne. » De tels objectifs, confirmés par la hausse constante du carburant, aurait changé les comportements, approché lieux de vie et travail, appris à se passer le plus souvent de la voiture, généralisé le covoiturage et le vélo, etc. Si l’essence était à trois euros aujourd’hui, nous serions vraiment entrés dans une société en lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Ce n’est pas le cas, et les résistances des gilets jaunes à quelques centimes de plus sur le carburant montre que nous sommes collectivement dans un cul-de-sac. L’impasse est d’autant plus tragique que Macron a décidé de supprimer pour une année la taxe carbone mais sans remettre en place le symbolique ISF. Aux yeux des gilets jaunes, tout pour les riches, rien pour l’écologie. La taxe carbone à laquelle ont résisté tous les gouvernements français depuis des années n’est donc plus d’actualité.

Alors que devraient proposer les gilets jaunes à la place de fantasmes comme la démission de Macron ou « les lycées aux lycéens » ? La mise en place d’une carte carbone. Chaque citoyen se verrait doter d’une carte à puce (une de plus !) sur laquelle un crédit de points CO2 serait attribué. Puis en fonction de ses consommations (voyages, transports, chauffage…), des points seraient débités de cette carte, nous apprenant ainsi à surveiller nos propres émissions de gaz à effet de serre. Le calcul de l’allocation reposerait sur un « budget carbone » annuel. Un plan-cadre fixé à (très) long terme – pour les 20 ans à venir – est bâti à partir des réductions d’émissions décidées politiquement avec l’aide des experts du GIEC. Tous les ans, ce montant, converti en unités carbone, est ensuite réparti entre les organisations (industries, hôpitaux, collectivités…) et les résidents du pays, selon la part des ménages dans la consommation d’énergie nationale. Cette méthode de rationnement est effectivement beaucoup plus égalitaire et efficace qu’une taxation à géométrie variable. En France, le rationnement fait presque immédiatement penser aux heures sombres de la Seconde guerre mondiale. Mais si le rationnement a été une période difficile en temps de guerre, il a été aussi l’un des principaux instruments grâce auxquels la démocratie a pu s’organiser pour transcender les souffrances. Le rationnement doit sa mauvaise réputation à son association à l’idée de pénurie… alors qu’il est une réponse à la pénurie, et non sa cause. En fait le rationnement présente deux aspects qui, tout en étant liés, sont bien distincts : d’une part  la garantie d’un minimum de partage, et d’autre part la limitation de ce que les gens sont autorisés à consommer. Beaucoup d’entre nous rejetons le second, mais en temps de pénurie nous exigerons le premier !

* LE MONDE du 8 décembre 2018, « La taxation du carbone n’a pas fait l’objet d’une réelle analyse critique »

2 réflexions sur “Victoire des gilets jaunes, la taxe carbone est morte”

  1. De toute façon cette « taxe carbone » était une énorme hypocrisie. Alors ce n’est pas moi qui vais la pleurer 🙂
    Par contre l’idée de la « carte carbone » mérite d’être explorée. Comme l’idée d’une « carte électricité » et d’une « carte eau » .
    Selon les situations … un quota serait attribué. Au delà, le prix du surplus exploserait. Ainsi les petits-bourgeois reviendraient à un peu plus de sobriété et de simplicité. Au lieu d’avoir « besoin » d’un logement de 150 mètres carrés ils se contenteraient de la moitié. Ces malheureux ne pourraient plus remplir la piscine pour barbotter, ce serait hors de prix. Alors ils la rempliraient de terre, pour y faire pousser des patates.
    Et les gros riches non plus ne pourraient plus remplir leurS, piscineS, à moins qu’ils se contentent d’une petite gonflable. De même ils ne pourraient plus faire le plein de leur(s) yacht(s), il leur faudrait apprendre à faire avec un petit pneumatique.

  2. Concernant les impôts et taxes, la solution est quasiment insoluble, en effet ce sont ceux qui sont propriétaires des robots industriels, robots financiers et robots médiatiques qui siphonnent la quasi-totalité de la richesse mondiale. Gros problèmes, 1- ces robots empêchent des gens de travailler pour obtenir des revenus et subvenir par eux-même à leurs propres besoins 2- les robots sont délocalisables pour échapper à la pression fiscale.
    Non seulement ces robots sont plus performants que des humains ainsi produisant beaucoup plus de richesses que des humains, mais en plus ces robots sont aussi les plus performants pour échapper aux taxes et impôts. Tant qu’il n’y aura pas d’accords internationaux à ce sujet, alors l’humanité sera empêtrée dans des conflits permanents pour accéder aux ressources. D’autant que, les entreprises qui produisent soit des biens alimentaires, soit des vêtements et autres produits manufacturés, bénéficient essentiellement des ressources naturelles gratuites données par l’environnement et qu’elles nous revendent pour y avoir accès.

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