BIOSPHERE-INFO, L’écologie sans dictature

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BIOSPHERE-INFO n° 368 (1er au 15 avril 2016)

L’extrême droite invente des coupables désignés, boucs émissaires censés expurger leurs fautes et nous délivrer du mal. De l’autre l’écologie politique voudrait s’attaquer aux causes structurelles qui forment cette crise systémique que nous traversons en interrogeant le mode de production lui-même. Complexité contre idées simples, prise en compte de la nature contre naturalisation du social…

L’écologie et le néo-populisme sont les deux candidats pour remplacer les systèmes partisans droite/gauche issus du XIXe siècle. Nous pourrions même avoir la montée d’un « écolo »fascisme…  ou un système démocratiquement renforcé s’il y a vraiment formation d’un peuple écolo.

1/2) La crainte d’un écofascisme pas si écolo que ça

En agrégeant toutes les crises à un niveau inouï, en combinant inégalités des richesses et pénurie des ressources, le drame écologique a une capacité de nuisance sans précédent : celle de nous ramener au pire de l’homme et de la barbarie. D’ici à 2050, la synergie des crises alimentaires, énergétiques, climatiques et démographiques va en effet entraîner une dégradation rapide et brutale du niveau de vie à l’occidentale. Il y aurait toutes les raisons d’être pessimiste.

Je suis convaincu qu’une catastrophe est en gestation, mais je ne partage pas la conviction que les démocraties modernes possèdent les ressorts nécessaires pour la prévenir et l’affronter. Je crains que la métamorphose espérée n’intervienne trop tard pour enrayer la crise écologique, et ne manifeste ses effets que pendant et après la catastrophe, un peu comme le pacifisme n’empêche pas les guerres mais se développe dans leur sillage. En effet toute société cherche à persévérer dans son être. Le marché, en s’efforçant par tous les moyens de poursuivre sa course, mettra l’humanité en péril. Il possède encore de nombreux espaces, de nombreux interstices et il pourra continuer de se déployer. Mais comme nous vivons dans un monde fini, sa saturation globale est inéluctable, et plus on aura déployé d’ingéniosité pour le prolonger, plus les effets différés seront dévastateurs. Il n’y aura pas de planète de rechange. Ou encore, pour dire les choses de façon plus brutale, la saturation se traduira pour l’humanité par une véritable descente aux enfers. Chaque instant qui passe nous éloigne davantage du moment où un autre avenir serait encore possible.

[Bertrand Méheust, la politique de l’oxymore (éditions La Découverte 2009)]

Certes, les contre-tendances vont se développer. Les signes les plus évidents de la destruction de la biosphère conduiront à une désobéissance civique de plus en plus répandue, ainsi qu’à des violences contre le système techno-industriel, et l’inventivité humaine ne manquera pas de trouver quelques remèdes partiels à l’inéluctable détérioration des ressources naturelles. Mais tout cela viendra trop tard. A supposer qu’une partie de l’humanité ait réussi à décélérer, l’inertie du système sera telle que la grande masse des humains continuera à descendre aux enfers.

Comment finira l’affaire du changement climatique ? Pas bien. Ses conséquences marqueront la fin du rationalisme des Lumières et de sa conception de la liberté. Il se pourrait qu’un jour le modèle tout entier de la société occidentale, avec toutes ses conquêtes en matière de démocratie, de libertés, de tolérance, de créations artistiques, apparaisse aux yeux d’un historien du XXIIe siècle comme un vestige incongru. Comme les ressources vitales s’épuisent, il y aura de plus en plus d’hommes qui disposeront de moins en moins de bases pour assurer leur survie. Il est évident que cela entraînera des conflits violents entre ceux qui prétendent boire à la même source en train de se tarir, et il est non moins évident que, dans un proche avenir, on ne pourra plus faire de distinction pertinente entre les réfugiés fuyant la guerre et ceux qui fuient leur environnement. Le XXIe siècle verra non seulement des migrations massives, mais des solutions violentes aux problèmes de réfugiés. La violence a toujours été une option de l’action humaine.

Les hommes changent dans leurs perceptions et leurs valeurs, en même temps que leur environnement et sans s’en rendre compte : c’est le phénomène des shifting baselines. Des processus sociaux comme l’holocauste ne doivent pas être compris comme une « rupture de civilisation » ou une « rechute dans la barbarie », mais comme la conséquence logique de tentatives modernes pour établir l’ordre et résoudre les problèmes majeurs ressentis par des sociétés. Il est des livres qu’on écrit dans l’espoir de se tromper.

[Harald Welzer, Les guerres du climat (éditions Gallimard, 2009)]

Face au désordre socio-économique croissant, la tentation d’un écofascisme va donc devenir omniprésente, préparée déjà par la montée généralisée des extrêmes droite en France et ailleurs. Les différentes sortes de terrorisme amplifient d’ailleurs la militarisation de nos sociétés. Alors peut-être qu’une dictature au nom de l’écologie serait un moindre mal. Dans un livre « Le Changement », achevé en 1990 mais resté longtemps dans les cartons puis édité en 2013 aux éditions Le pas de côté, Bernard Charbonneau (1910-1996) avait fait un raccourci saisissant de l’ambiguïté de la démocratie de masse qui est en fait orientée par un leader : « Toutes les révolutions commencent dans la classe dirigeante. En Russie soviétique, la fin du régime porte un nom : Gorbatchev. » Il avait développé son analyse dans un livre antérieur.

Un beau jour, le pouvoir sera bien contraint de pratiquer l’écologie. Une prospective sans illusion peut mener à penser que le virage écologique ne sera pas le fait d’une opposition dépourvue de moyens, mais de la bourgeoisie dirigeante, le jour où elle ne pourra plus faire autrement. Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera, et qui après l’abondance géreront la pénurie et la survie. Car ceux-là n’ont aucun préjugé, ils ne croient pas plus au développement qu’à l’écologie : ils ne croient qu’au pouvoir. Pour contrôler les dangers de moyens de plus en plus puissants et fragiles parce que complexes, gérer un espace et des ressources qui s’épuisent, prévoir et maîtriser les réactions humaines qui empêcheraient de le faire, on est obligé de renforcer l’organisation. L’écofascisme a l’avenir pour lui, et il pourrait être aussi bien le fait d’un régime totalitaire de gauche que de droite sous la pression de la nécessité. En effet, les gouvernements seront de plus en plus contraints. Déjà commence à se tisser ce filet de règlements assortis d’amendes et de prison qui protégera la nature contre son exploitation incontrôlée. Que faire d’autre ?

[Le Feu vert (1ère édition 1980, réédition Parangon 2009)]

Le philosophe Hans JONAS (1903-1993) a fait éditer son livre « le principe responsabilité » pour la première fois en 1979, juste au moment du deuxième choc pétrolier. Mais il écrivait avant la chute du mur de Berlin (1989), il se trompait donc lourdement sur l’efficacité d’un système centralisé dont on louait à l’époque les vertus de la planification impérative.

On ne pourra contester à l’homme politique le droit de mettre en jeu l’existence de la nation au profit de l’avenir si vraiment l’extrême est en jeu. Le péril qui menace la communauté devient une puissante impulsion de l’homme de courage à proposer sa candidature et à s’emparer de la responsabilité. Pour appliquer cette nouvelle éthique, un système libertaire serait préférable pour des raisons morales, mais les systèmes moralement bons sont des systèmes précaires ; l’Etat peut seulement être aussi bon que le sont les citoyens. De plus l’homme politique peut supposer idéalement dans sa décision l’accord de ceux pour qui il décide en tant que leur chargé d’affaires, mais des générations futures on ne peut obtenir de facto un accord. Par conséquent « La tyrannie communiste paraît mieux capable de réaliser nos buts inconfortables que le complexe capitaliste-démocratique-libéral ».

Hans Jonas, Le principe responsabilité (1ère édition 1979, éditions du Cerf 1990)

Cette analyse est reprise aujourd’hui en louant les vertus non du système soviétique, mais celui de la Chine maoïste.

Si seulement l’Amérique pouvait être la Chine. Rien qu’une journée ! Les dirigeants chinois possèdent la faculté de couper court à tous les intérêts particuliers, à tous les obstacles bureaucratiques, à toutes les craintes de répercussions électorales, pour simplement décréter des changements radicaux dans les prix, les règlements, les normes, l’éducation et l’infrastructure. C’est un atout de poids quand il s’agit de réaliser un changement aussi considérable qu’une révolution verte, où vous êtes confrontés à des intérêts acquis, enracinés, grassement financés et fortement retranchés, où vous devez motiver des opinions publiques pour qu’elles acceptent des sacrifices (p.442)

Un matin de fin 2007, les commerçants chinois se sont réveillés en apprenant que le Conseil d’Etat venait d’annoncer que tous les supermarchés, toutes les boutiques, auraient interdiction de distribuer gratuitement des sacs en plastique. Et le tour était joué. L’Amérique a entamé en 1973 une procédure de retrait des carburants comportant du plomb, et ce n’est qu’en 1995 que l’on n’a plus vendu sur le sol américain que de l’essence sans plomb. La Chine a décidé d’adopter le sans-plomb en 1998 ; la nouvelle norme a été appliquée partiellement à Pékin en 1999, et, dès 2000, toute l’essence vendue sur le territoire national était sans plomb (p.443).

[Thomas L.Friedman La Terre perd la boule, trop chaude, trop plate, trop peuplée (1ère édition 2008, Saint-Simon 2009)]

On peut espérer qu’il en soit autrement car toute dictature, même exercée au nom du peuple ou de l’écologie, mène irrémédiablement au désastre : les manipulations des foules ne sont jamais porteurs de bonne nouvelle. Il reste donc à mettre en œuvre ce que Hans Jonas envisageait incidemment : « Naturellement il serait préférable qu’on puisse confier la cause de l’humanité à une conscience authentique qui se propagerait. »

2/2) Une espérance : la formation d’un peuple écolo

Il y a le probable et le possible. Le probable c’est l’effondrement de notre civilisation thermo-industrielle, le possible c’est de faire en sorte que ça se passe le plus en douceur possible. La raison d’espérer, c’est que les citoyens ont pris les devants. Il se forme un peuple citoyen au niveau national et international. Le Documentaire « Demain » qui parcouru la planète pour recenser les initiatives susceptibles de la sauver : oscarisé. Vague de conversion bio en France, plus 17 % des surfaces en un an, 10% des emplois agricoles. Deux millions de spectateurs devant la télé pour Cash investigation sur le danger des produits chimiques. Enercoop submergé de demande d’abonnement. Au niveau international, succès de l’encyclique Laudato Si qui montre un pape François profondément écolo. Lors de la remise du trophée du meilleur acteur aux Oscars 2016, Leonardo DiCaprio rejoint le pape : « The Revenant est un film sur la relation entre les hommes et la nature. Le changement climatique est une réalité, c’est notre défi le plus important. Nous devons soutenir les chefs d’État qui luttent contre les grandes entreprises et les grands pollueurs et qui défendent les peuples indigènes et les milliards de défavorisés que personne n’écoute. Au nom de nos enfants, de nos petits-enfants, je vous remercie pour ce trophée ». Bien entendu, entre la face sombre de l’humanité ou l’intelligence des situations que nous pouvons révéler, nous ne pouvons pas déterminer à l’avance ce qui l’emportera. Leonardo DiCaprio ajoutait : « Cette planète, comme cette victoire et ce film, n’est pas acquise», a-t-il insisté. Paul et Ann Ehrlich répondaient déjà en 2013 à la question  « L’humanité peut-elle éviter un effondrement causé par des famines ? » : « Oui, nous le pouvons malgré le fait que nous estimons nos chances à 10 %. Aussi sombre que cela puisse paraître, nous pensons que pour le bien des générations futures, cela vaut la peine de lutter pour que ces chances passent à 11 %. » Les citoyens et les politiques doivent travailler ensemble avec le même objectif, « L’écologie d’abord ».

Lors de la présidentielle de 1974, il n’y avait pas de parti pour soutenir le candidat René Dumont, seulement un homme de terrain soutenu par des associations : Les Amis de la Terre, Comité antinucléaire de Paris, Droits du piéton, Ecologie et Survie, Association pour la protection contre les rayonnements ionisants, Comité de sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin, Nature et Vie, Défense et protection des animaux, La Gueule Ouverte, etc. Les associations sont indispensables pour donner une visibilité à la société civile, pour accroître le capital social d’un pays, pour préparer l’avenir. La participation active à une association devrait même être conseillée pour les adolescents. Cela paraît beaucoup plus important que de réussir le baccalauréat. Mais voici au niveau environnemental la situation actuelle. D’un côté un parti mal médiatisé, EELV, qui compte de moins en moins d’adhérents, éclaté entre différentes tendances, ne sachant plus où aller. De l’autre des ONG puissantes, comme Greenpeace France (160 000 donateurs) ou WWF France (180 000 adhérents) et innombrables mouvements quand on compte les associations ponctuelles ou spécialisées, les zadistes, et même les Nimby (Not In My BackYard, faites-le loin de chez moi). Ces mouvements divers ne cultivent guère les relations avec l’écologie politique, et vice versa.

Comment rétablir un peu de synergie entre parti et associations ? Une participation à une association environnementaliste pourrait être obligatoire pour les militants de l’écologie politique. Ce genre d’obligation est d’ailleurs inscrit dans les statuts du PS : ses membres « doivent appartenir à une organisation syndicale de leur profession et au moins à une association » (statuts du Parti socialiste – titre 2, les militants – Article 2.2 : obligations syndicales et associatives des adhérents).