Bi-mensuel BIOSPHERE-INFO n° 341 (16 au 31 décembre 2014)
L'écologie en équation
Beaucoup trop d’analystes présentent la réalité en n’envisageant qu’une de ses facettes alors qu’il y a une interpénétration continue de ses différents éléments. Par exemple on ne peut pas dire que sur une planète au pillage, il y a trop d’automobiles sans tenir compte du nombre d’automobilistes, de l’efficacité énergétique du véhicule et de la disponibilité en pétrole et métaux. Une analyse globale ou systémique a été présentée pour la première fois sous forme de modèle par le rapport du MIT en 1972. De nos jours, on peut aussi s’appuyer pour raisonner sur la formule I = PAT et l’équation de Kaya. Nous sommes loin de l’équation simpliste Y = f (K,L) ou la production Y est fonction du capital K et du travail L sans qu’on se pose la question essentielle de la disponibilité des ressources naturelles.
1/4) les limites de la croissance ou rapport au club de ROME
Le livre présente ses analyses sous forme de graphiques, mais il s’agit simplement de rendre accessible au public la dynamique des systèmes mise au point par le professeur Jay W. Forrester au MIT. Pour examiner la problématique mondiale de l’écosystème, ce modèle d’analyse économétrique des systèmes traite cinq tendances fondamentales : l’industrialisation, la population, l’alimentation, les ressources naturelles non renouvelables et la pollution. L’intérêt de ce modèle est de montrer que les interactions sont permanentes ; on ne peut analyser une variable sans faire référence à l’évolution des autres variables. Ainsi la population plafonne si la nourriture manque, la croissance des investissements implique l’utilisation de ressources naturelles, l’utilisation de ces ressources engendre des déchets polluants et la pollution interfère à la fois avec l’expansion démographique et la production alimentaire.
Il est possible que la généralisation des réacteurs à fusion permette d’accroître considérablement la durée d’utilisation de matériaux fissiles. La possibilité de traiter les minerais à faible teneur et d’exploiter les fonds marins se traduira par la duplication des réserves disponibles. Mais s’il n’y a pas de risque immédiat de pénurie de matières premières, la croissance se trouvera entravée par la pollution. La possession de ressources illimitées ne semble pas devoir être la clé d’une expansion continue.
On peut aussi penser qu’une société humaine ayant à sa discrétion les sources d’énergie pourrait mettre au point des techniques susceptibles d’empêcher la génération des polluants d’origine industrielle. Mais cette élimination totale se heurte à des impératifs économiques. Le coût de l’élimination des polluants croît vertigineusement en fonction du pourcentage éliminé. S’il y a contrôle de la pollution, la population et le produit industriel par tête augmentent au-delà du maximum précédent. L’effondrement du système est dû cette fois au manque de nourriture. Des terres arables sont transformées en zones industrielles ou urbaines, une partie des terres commence à s’éroder à la suite des méthodes de culture intensive. L’ultime limite du potentiel cultivable est atteinte. La population continue de croître, mais les quotas alimentaires individuels diminuent. Le taux de mortalité commence à croître.
La validité de notre modèle réside dans le fait que, quelles que soient les conditions initiales, il y a toujours un point sur le graphique où l’expansion s’arrête et où l’effondrement commence. Partout dans le réseau des interactions existent des délais sur lesquels les techniques les plus élaborées n’ont aucun effet. Les conséquences d’une politique de régulation des naissances ne pourront devenir sensibles qu’avec un retard de l’ordre de 15 à 20 ans. Le cycle de la pollution est très long, pour certains cancérigènes il peut atteindre 20 ans. Le transfert des investissements d’un secteur à l’autre n’est pas une opération instantanée. Dans les systèmes à croissance rapide ou exponentielle, les changements d’orientation doivent intervenir tellement vite que les impacts des changements précédents n’ont pas encore pu être déterminés.
(édition Fayard 1972, Halte à la croissance ? 318 pages, 26 francs)
2/4) la formule I = PAT
Cette formule est beaucoup utilisée par le courant malthusien en France. En effet il s’agit de montret aux natalistes qu’on ne peut envisager un quelconque problème socio-économique ou technique sans faire référence obligatoirement au poids d’une population sur un écosystème.
- Yves Cochet
Au cours du premier semestre 2013, j'ai participé aux réunions du Conseil national du Débat sur la Transition énergétique (CNDTE, environ 120 personnes) et à celles de son groupe de travail « Sobriété - Efficacité » (environ 40 personnes) représentant les « forces vives » de la France que sont les syndicats de salariés, les employeurs, les ONG environnementales, les associations sociales, les élus locaux, les parlementaires et l'État. Notre groupe de travail était chargé d'examiner tous les aspects d'une politique énergétique sobre et efficace, dans les domaines de l'habitat, de la mobilité, de l'industrie, de l'agriculture et de l'électricité spécifique. Nous devions étudier, analyser, débattre et, bien sûr, proposer des orientations, rédiger des mesures. Plus d'une centaine de ses mesures furent mises sur la table, en provenance de tous les acteurs présents. Toutes furent d'ordre technique, tels des amendements à un projet de loi. Lors d'une des premières réunions du groupe de travail, j'ai tenté, en vain, de placer notre réflexion collective dans un cadre qui prenne en compte les facteurs les plus directs de la consommation d'énergie. Plus précisément, j'ai évoqué l'équation I = PAT, que l'on peut interpréter ainsi dans le domaine de l'énergie : « I » est l'impact des activités humaines sur l'environnement, en l'occurrence la consommation totale d'énergie, « P » représente la population du territoire examiné (le monde, la France...), « A » est la variable « affluence », c'est-à-dire la consommation moyenne d'énergie par personne, et « T » représente l'intensité énergétique de la production de biens et de services pour l'affluence. Bien entendu, des améliorations technologiques de l'efficacité énergétique peuvent réduire l'intensité énergétique représentée par le facteur « T » dans la multiplication qui constitue le second membre de l'équation I = PxAxT. Mais pourquoi se restreindre à ce seul facteur dans une réflexion politique d'ensemble sur l'énergie ? Le Président Hollande lui-même n'affirmait-il pas : « La transition que je vous propose d'engager, n'est pas un programme, n'est pas non plus un choix politique partisan, c'est un projet de société, c'est un modèle de développement, c'est une conception du monde » (14 septembre 2012). A un tel niveau d'ambition, nous nous devions d'être intrépides, de ne pas nous cantonner à la technique (T). Certes, quelques mesures relevant de l'affluence (A) – c’est-à-dire du mode de vie, de la « richesse » – furent envisagées : l'abaissement des vitesses maximales autorisées sur route et en ville, ou bien l'établissement de la semaine de quatre jours de travail. Mais, considérées comme trop audacieuses, elles furent rejetées. Quant au facteur « P » comme population, il ne fut plus question d'en parler.
texte inclus dans la préface du livre Moins nombreux, plus heureux (l’urgence écologique de repenser la démographie)
- Ecopop (écologie et population)
Avec une densité moyenne de 193 habitants par kilomètre carré de la surface productive, la Suisse est un pays très densément peuplé. Le groupe d'écologistes Ecopop a déposé vendredi 2 novembre devant les autorités une initiative en vue d'une "votation" pour limiter l'immigration*. Le but : protéger la nature et limiter le besoin de constructions nouvelles. Le texte "Halte à la surpopulation" propose donc de "limiter l'immigration nette en Suisse", à un taux de 0,2 % par an. La Confédération helvétique comptait fin août quelque 1,8 million d'étrangers, pour 8 millions d'habitants au total dans le pays, soit 3 % de plus qu'en août 2011.
Les arguments sont scientifiques, ils reposent sur la formule mathématique, I = PAT, qui semble irréfutable : l'Impact de l’espèce humaine est déterminée, à Technique donnée, par sa Population et par ses Affluences (Activités, niveau de vie). Pour réduire les impacts I, il est donc nécessaire d’agir sur l’efficacité technique T, l’Affluence (réduire le nombre d’unités de production ou de consommation par personne) et la population P (réduire le taux de natalité). Sauf à trouver immédiatement des solutions techniques extraordinaires, la décroissance matérielle devrait, sur un territoire dont on a dépassé la capacité de charge, s’accompagner d’une politique démographique qui agit tant sur la fécondité que sur les flux migratoires.
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2012/11/03/ecopop-limiter-limmigration-pour-proteger-la-nature/
3/4) l’équation de KAYA
Comprendre l'équation de Kaya est primordial pour penser l'avenir. Il s’agit d’avoir une perception dynamique des rapports entre les différentes composantes de l’écosystème. Cette équation porte le nom de l’économiste japonais Yoichi Kaya ; il propose cette représentation dans son ouvrage Environment, Energy, and Economy : strategies for sustainability paru en 1993. Elle illustre et met en relation l’influence et le poids de l’activité humaine en termes d’émission direct de gaz à effet de serre, sans considérer par ailleurs l’impact de la déforestation ou le fait qu’un océan qui se réchauffe absorbera moins de Co2. En d'autres termes, elle traduit les flux d’émissions de gaz à effet de serre.
CO2 = (CO2 :KWh) x (KWh : dollars) x (dollars : Population) x Population
On y trouve d'abord le contenu carbone d’une unité d’énergie, ensuite la quantité d’énergie requise à la création d’une unité monétaire, puis la richesse par personne et finalement la taille de la population. Le premier terme de l'équation appelle à réduire les émissions de carbone dans notre production d'énergie. L'indicateur suivant reflète la quantité d’énergie nécessaire à la création d’une unité monétaire : il illustre alors le volume d’énergie requis pour la confection d’un produit ou l’accomplissement d'un service. Imaginer un monde ou la création de valeur monétaire n’est pas uniquement le reflet d’une transformation qui fait appel à une source d’énergie relève du casse tête. Exemple ? Les jardiniers à la pioche ou bien encore les coiffeurs à ciseaux. Que vient faire le pouvoir d’achat (dollars : Population) dans une histoire d’émission de gaz à effet de serre ? Il s'agit de faire face à la réalité : au niveau mondial, une augmentation globale de la richesse par habitant aura mécaniquement - considérant les autres paramètres constants - une conséquence à la hausse sur les émissions de gaz à effet de serre. L'équation de KAYA nous amène donc a repenser jusqu'au partage des richesses. C'est finalement un phénomène fréquemment observé, que celui des personnes aux revenues élevées, sont en mesure d'accéder à une variété d'activité et un certain confort qui leur confie une empreinte écologique au dessus de la moyenne.
Les questions d’éthique viennent aussi à la rencontre du dernier paramètre de l’équation, la population. Dennis Meadows a des mots difficiles à entendre dans sa compréhension de ce paramètre : « Il n'y a que deux manières de réduire la croissance de l'humanité : la réduction du taux de natalité ou l'accroissement du taux de mortalité. Laquelle préféreriez-vous ? » Récemment, cette interrogation a été abordée dans un essai collaboratif coordonné par Michel Sourrouille, Moins nombreux, plus heureux (l’urgence écologique de repenser la démographie) dont le titre évocateur laisse supposer la position de l'auteur sur cette question au centre de toute réflexion écologique. Parmi les professeurs, chercheurs on y trouve l'atypique Théophile de Giraud écrivain anti-nataliste dont une intervention (1:16:00) peut-être trouvé suivant ce lien, et l'ancien député européen Yves Cochet qui avait proposé de réduire les allocations familiales à partir du troisième enfant.
Pour être plus complète, la question démographique devrait être abordée au cas par cas quand on regarde le caractère hétérogène de la puissance énergétique disponible -donc indirectement des émissions de gaz à effet de serre- dans le monde.Le Quatari moyen dissipe 30kW, l'Américain 10kW, l'Européen 5kW, le Chinois 2kW, L'indien 0,5kW et le Sénégalais 0,3kW.Spécifiquement pour les émissions de gaz à effet de serre, le cabinet Carbone 4 a créé une application permettant de mettre en pratique l'équation Kaya. Elle permet de supposer l'évolution de la Terre dans un futur plus ou moins lointain en contrôlant l’évolution de chaque ratio. Comme on le voit, chaque facteur est dépendant de la totalité de l'équation et une hypertrophie de l'un des facteurs ne peut être équilibrée que par une diminution radicale d'un autre facteur. Si la population globale de la Terre augmente à raison de 5 % par an, la résilience n'est possible qu'en diminuant à -5 % le PIB par personne par an, l'énergie par PIB de -2 % par an et le contenu Co2 de l'énergie à -1 % par an. D'autres configurations sont possibles, mais toutes impliquent des sacrifices.
Nous l'aurons compris, une discussion point par point n’a de sens que pour sensibiliser la population à une compréhension précise du problème. Chaque paramètre ayant son importance, il faut considérer chacun des facteurs pour atteindre l’objectif de réduction globale d’émission de gaz à effet de serre.
Source : http://lecentiemesinge.blog.lemonde.fr/2014/11/30/kaya/
(L’équation de KAYA, une approche globale des émissions de CO2 liées aux activités humaines)
4/4) Y = f(KL)
L’équation de l’économie conventionnelle Y = f (K,L) où la production Y est fonction du capital K, du travail L et d’un solde appelé « progrès technique » est simpliste. On ne se pose pas la question essentielle de la disponibilité des ressources naturelles, c’est une équation hors sol. Le sujet du bac ES (économique et social) en juin 2014 était bien intitulé « Les facteurs travail et capital sont-ils les seules sources de la croissance économique ? ». Mais il fallait que les élèves dissertent sur la « productivité générale des facteurs » sans jamais envisager les limites de la biosphère !
Pour en savoir plus, Bac SES 2014, thuriféraire de la croissance libérale !