Morceaux choisis :
1/7) Que vos actes soient le reflet de vos paroles
« Salut, je suis Severine Suzuki et je représente l’Organisation des enfants pour la défense de l’environnement. Nous sommes âgés de douze à treize ans et nous essayons de bouger les choses. Je me bats pour mon futur. Perdre son futur n’est pas pareil que perdre les élections ou quelques points à la Bourse. Je suis ici pour parler au nom de toutes les générations futures. Je suis ici pour parler au nom des enfants affamés dont vous n’entendez pas les cris. Je suis ici pour parler au nom des animaux qui meurent en d’innombrables quantités parce qu’ils n’ont pas d’autre endroit où aller. Désormais nous entendons parler d’animaux et de plantes qui s’éteignent, perdus à jamais. Dans ma vie, j’ai rêvé de voir de grands troupeaux sauvages, des jungles, des forêts tropicales pleines d’oiseaux et de papillons. Maintenant je me demande si ces forêts existeront toujours quand mes enfants seront en âge de les contempler. Tout cela se passe sous vos yeux et pourtant vous continuez à vous comporter comme si vous aviez tout le temps pour réagir. Mais vous ne savez pas comment redonner vie au saumon dans les eaux polluées. Vous ne savez pas comment ramener à la vie les animaux disparus, ni les arbres dans les régions désertifiées. Si vous ne savez pas réparer tout ça, s’il vous plaît, arrêtez la casse.
A l’école, même dans un jardin d’enfants, on apprend comment se comporter dans le monde ; vous nous apprenez à ne pas nous battre entre nous, à travailler dur, à respecter les autres, à ne pas blesser d’autres créatures, à partager sans avarice, alors pourquoi faites-vous toutes ces choses que vous nous dites qu’il ne faut pas faire ? N’oubliez pas pourquoi vous assistez à ces conférences et pour qui vous les faites. Nous sommes vos enfants ; vous décidez du monde dans lequel nous allons grandir. Sommes-nous dans vos listes de priorité ? Mon père disait : « Tu es ce que tu fais, pas ce que tu dis. » Bien ! Ce que vous faites me fait pleurer la nuit. Vous nous dites que vous nous aimez ? Je vous mets au défi d’agir de telle sorte que vos actes soient le reflet de vos paroles. Merci. »
(intervention résumée de Severine Suzuki devant l’Assemblée des Nations unies lors du sommet de la Terre en 1992 à Rio de Janeiro)
2/7) le problème, l’ego
Une maxime bouddhiste dit : « Ramène tous les problèmes à un seul, l’ego. » On peut définir l’ego comme une entité fictive à laquelle nous nous identifions et qui nous porte à croire que nous menons une vie autonome, séparée, alors que nous n’existons qu’en interdépendance avec tous les êtres vivants, le monde et l’univers. Nous sommes des tourbillons dans le fleuve de la vie mais, par quelque étrange processus de la pensée, nous croyons jouir d’une existence séparée. Une telle illusion nous pousse à adopter tout un tas de comportements particuliers. Un individu qui se vit comme une entité séparée va naturellement chercher à étendre son territoire, à trouver son bien-être au détriment d’autrui, à détruire ce qui le menace. L’ego connaît d’autant moins de limite à son hypertrophie qu’il se transpose à un niveau collectif. Ce qui vaut pour un individu vaut pour un club de sport, une multinationale, une nation… Il y a par exemple un ego démocrate. Mais avez-vous réfléchi à ce qu’il adviendrait si le principe « un homme, une voix » était réellement appliqué à l’ensemble de la planète ? La première conséquence d’un rééquilibrage des pouvoirs au niveau planétaire serait de mettre fin au pillage du tiers-monde. C’est en cela qu’une véritable démocratie planétaire nous imposerait une remise en cause radicale de nos modes de vie.
In fine, la croissance économique ne mesure rien d’autre que l’expansion de l’ego. Qui, regardant les informations télévisées, pourrait ignorer le cancer qui ronge la planète ? Un petit noyau de très riches d’un côté, un océan de misère de l’autre, la pollution, le climat qui se détraque, les déserts qui s’étendent, la biodiversité menacée… La décroissance bienheureuse à laquelle nous sommes de plus en plus nombreux à aspirer, c’est d’abord la décroissance de l’ego, de ses passions et de ses illusions. Ce développement bienheureux, nous le nommons dans notre tradition bouddhiste : le développement de vertu, c’est-à-dire d’un ego ouvert, coopératif, altruiste. L’expérience immédiate, c’est l’instant où le mental s’ouvre, ou plus aucun filtre de la pensée ne s’intercale entre le monde et vous. Alors vous n’observez plus, ne l’analysez plus, vous faites un avec lui. Et même « un avec » est encore trop. Le véritable sentiment que vous éprouvez est de ne pas exister en tant qu’entité séparée. Vous êtes au-delà de la séparation.
Le dénominateur commun entre écologie et spiritualité, c’est l’harmonie. Mais ce qui me semble essentiel dans la pratique spirituelle, c’est la notion d’incorporation. L’esprit surnaturel, c’est ça qui a tout foutu en l’air, le théisme qui a envoyé notre esprit, notre nature humaine, dans l’abstraction céleste d’un dieu surnaturel, créateur ou cause première du monde. L’illusion, c’est l’esprit tel qu’il est perçu en Occident : une abstraction coupée de la nature.
(propos résumés du Lama Denys Rinpoché)
3/7) de la déesse mère à dieu le père
Avec la fin de la glaciation, autour de treize mille ans avant J.-C., le monde change totalement de physionomie. Une véritable révolution des symboles s’opère alors à la faveur d’une plus grande facilité de vie due au changement climatique. Alors qu’au paléolithique les hommes se vivaient sur le même plan que les autres espèces, on perçoit désormais une volonté de se représenter au-dessus : on peut y voir une déclaration d’indépendance vis-à-vis de la nature. Voilà qu’au fil de l’évolution, cet être pétri de croyances se met à labourer la terre du soc de la charrue. Cultiver signifie ouvrir le ventre de la terre. C’est une forme d’inceste à l’égard de la terre mère dont on déchire la chair pour la féconder. C’est insupportable. Donc, ou vous arrêtez, ou vous transformez votre regard sur le monde. La question du symbole est indissociable de l’histoire de l’humanité. Dans le Croissant fertile du Moyen Orient propice au développement de l’agriculture, on a choisi de déchirer le ventre de la terre en la désacralisant ; pour ce faire, on a projeté dans le ciel les divinités et on leur a demandé l’autorisation de poursuivre le labeur. Et le ciel a répondu : « Fructifie, multiplie, emplie la terre, soumets-là… » A partir de là, fin de la Déesse mère et commencement de Dieu le père. C’est dans les sociétés expansionnistes que vont apparaître en premier les images de dieux masculins, souvent vénérés d’ailleurs comme chefs de guerre. Tant que l’homme se vivait comme enfant de la terre, ses divinités sont féminines puisque ce sont les femmes qui portent la vie en elles.
Ce passage progressif d’une spiritualité immanente à une spiritualité transcendante va s’étaler sur une dizaine de millénaires. L’appropriation par les prêtres de ces mythes où s’expriment les valeurs d’une société sera une forme de prise de pouvoir : dans l’incapacité de lire les récits, le peuple n’aura dès lors d’autre choix que de s’en remettre à leur médiation. De tout temps, le clergé fut lié aux classes dirigeantes et tira sa puissance du fait que ses membres étaient quasiment les seuls à savoir lire et écrire. Il semble qu’une des caractéristiques du processus historique soit cette superposition des niveaux de médiation que nous n’avons cessés d’intercaler entre le monde et nous. Déjà le langage avait tendance à nous en éloigner ; avec l’écriture, on franchit une étape supplémentaire. Le monde s’est vidé de ses symboles. Cela ne veut pas dire que la fonction symbolique n’existe plus. Le spot aujourd’hui est une religion comme une autre, avec ses temples, ses fidèles, ses prêtres, ses officiants, ses grand-messes. La forme n’a pas changé mais le fond a disparu, quand on regarde dedans on n’y voit que du vide.
(propos résumés d’Eveline Grieder)
4/7) Nous réconcilier avec nous-même
Ce n’est ni par la technologie, ni en verdissant nos programmes économiques et politiques que nous parviendrons à nous en sortir. Nous avons besoin d’une approche beaucoup plus radicale, nous avons besoin de changer de paradigme. La modernité s’est construite sur l’idée que l’être humain est « séparé » de la nature, qu’il en est le maître et peut en user comme bon lui semble. Quand on aborde les problèmes de manière non plus fragmentée mais globale, on s’aperçoit que les racines de la crise se trouvent tout autant au cœur du mode de développement mis en œuvre par la civilisation occidentale qu’à l’intérieur même de chacun de nous. Avec la phrase de Descartes, « Je pense donc je suis », c’est comme si toute la connaissance de l’univers se trouvait réduite à une seule fonction (mentale et rationnelle) au détriment des autres (intuitive, sensorielle, symbolique, spirituelle). De plus, avec le développement du monothéisme en Occident, nous sommes passés d’un divin à la fois transcendant et immanent à une pure abstraction : dieu s’exile de la matière pour régner dans les cieux. Dès lors, la nature et le cosmos cessent d’être habités. La nature se trouve réduite à une fonction de décor, d’environnement, de stock de ressources. La troisième caractéristique de l’ère moderne est la volonté de tout maîtriser. En conséquence, malgré toutes les informations dont nous disposons sur les désastres écologiques, nous sommes incapables d’opérer un véritable changement d’attitude.
Si nous voulons que tout le monde puisse subsister de manière décente, il nous revient de nous débarrasser d’une bonne partie du superflu. Il n’existe rien de plus joyeux et de plus libérateur que les idées de décroissance et de simplicité volontaire. Nous avons aussi un énorme travail à réaliser à la reconquête de notre corps. Celui-ci est une interface privilégiée avec la nature, le lieu où nous pouvons prendre conscience que le cosmos tout entier, minéral, végétal, animal, est en nous autant que nous sommes en lui. Nous sommes des êtres hors sol, hors-corps. Le jour où nous réussirons à articuler la pensée complexe, née de la science contemporaine, avec notre corps profond, nous pourrons nous attendre à de sacrées révolutions. Ce sont par mes pensées et mes actes d’aujourd’hui que j’ensemence le monde à venir et prépare la réalité de demain.
(propos résumés de Michel Maxime Egger)
5/7) l’illusion dualiste
Il s’agit pour nous de faire le deuil des croyances sur lesquelles notre civilisation est bâtie, à commencer par l’illusion dualiste. Cette illusion prend corps dans notre histoire avec les Grecs, Platon sépare l’âme du corps. A la première, il attribue le monde magnifique des Idées, au second le monde vulgaire du concret. Pour Spinoza au contraire, il y a une troisième sorte de connaissance, intuitive, qui va au-delà de la raison sans la mépriser pour autant et qui est la connaissance béatifique de la Nature, et donc de Dieu, ces deux concepts n’étant pas dissociables à ses yeux. Cette hypothèse n’a jamais été explorée par les trois religions du livre, celle que Dieu et la nature sont un seul et même être. C’est pourtant l’attitude qu’on enseigne dans les disciplines orientales de la méditation et du lâcher-prise, et qui rejoint l’injonction de Spinoza quand il dit : laissez donc Dieu devenir Dieu à travers vous. Chaque individu de la nature est à la fois naturé et naturant, c’est-à-dire effet et cause, ou encore : nous ne sommes que les relais singuliers et éphémères du mouvement universel et permanent de la nature.
Savez-vous que Spinoza a été banni de la synagogue d’Amsterdam et qu’il est également considéré comme hérétique par les chrétiens et les musulmans ! Qu’a-t-il bien pu dire qui fasse l’unanimité des trois religions du Livre contre lui ? Il a dit que la racine la plus profonde de la servitude humaine se trouve dans ce préjugé que la Création est une séparation, parce qu’alors toute réunification ne peut être que le fruit d’une médiation. Et l’intermédiaire, c’est toujours un clergé. Mais si Dieu est la Nature et si donc la Nature est Dieu, il n’y a pas de séparation et aucune raison d’instaurer une médiation. Par conséquent, toutes les hiérarchies ecclésiastiques sont des usurpations de pouvoir. On peut comprendre qu’il ne se soit pas fait que des amis parmi les hiérarques. Mais c’est à ce prix que l’on sort de la servitude.
(propos résumés de Jean-François Malherbe)
6/7) nouvelle plaies d’Egypte
Quand Soljenitsyne a quitté la Russie après des années de goulag, il a déclaré en arrivant aux Etats-Unis : « Je quitte une folie et j’en retrouve une autre. » Le capitalisme est le règne de l’individualisme, qui n’est qu’une pâle caricature du Un. A l’inverse, le marxisme est le règne du multiple ayant sacrifié le Un : toute personne ne se trouvant pas dans la ligne du Parti était exclue. Un peu plus d’une décennie après l’effondrement du marxisme, j’ai vécu la chute des tours de Manhattan le 11 septembre 2001 comme le signe annonciateur de l’effondrement du capitalisme. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas d’une punition, nous traversons une épreuve qui précède une naissance fantastique. Nous entrons dans ce que j’appelle « les plaies d’Egypte pour notre temps actuel ». Nous allons passer des épreuves très dures jusqu’à ce que nous prenions conscience que nous les générons, et qu’elles nous renvoient à la nécessité de nous transformer totalement. Au risque de notre destruction ! Comme un père de famille prévient son enfant que la flamme de la bougie brûle. Mais l’enfant doit aller s’y brûler s’il veut comprendre. Et quand il se brûle, ce n’est pas une punition qu’il reçoit du père, c’est l‘étape qu’il devait franchir pour accéder à la compréhension.
Je suis très pessimiste pour les années à venir, parce que je pense que nous n’avons pas encore atteint les limites de l’absurde et que bien des événements dramatiques sont encore devant nous. Mais je ne doute pas qu’une résurrection s’annonce. Quant à ce que sera le nouveau paradigme, je ne le sais pas plus que vous. Je doute fort qu’il s’établisse sur les rapports de force qui régissent aujourd’hui le monde.
(propos résumés d’Annick de Souzenelle)
7/7) la planète est notre jardin
Toutes les énergies qui s’expriment dans un écosystème contribuent à tisser un maillage d’une grande complexité. Nous ne sommes qu’aux premiers balbutiements de la redécouverte de la nature, si familière à nos ancêtres, et qui nous est devenue totalement hermétique. Comment pouvons-nous nous installer au cœur de la diversité sans trop la déranger ? Il suffit d’un geste malheureux pour l’enrayer et alors cela devient tout de suite infernal. Dès que vous endommagez un maillon de la chaîne écologique, vous devez lui substituer un processus artificiel que va venir altérer le comportement d’autres maillons auxquels vous allez devoir substituer de nouveaux processus artificiels. Et ça, c’est l’enfer, parce qu’une fois la machine en marche, il devient très difficile de l’arrêter. Le drame de l’homme moderne tient à ce que son intelligence, à bien des égards prodigieuse, se trouve déconnectée de sa conscience. Voilà un être qui s’imagine supérieur aux autres espèces et qui n’a de cesse de fabriquer, de transformer sans prendre le temps de s’interroger sur les conséquences de ses actes. Ni la taupe, ni aucun autre animal ne s’attaquent ainsi à leur biotope. Non seulement nous souillons notre nid mais nous détruisons l’une après l’autre toutes nos sources de nourriture. Il est ahurissant que nous n’ayons pas encore réussi à poser en termes clairs - à un niveau collectif, j’entends, donc politique – le problème de notre dépendance à la nature. En termes d’adaptation au milieu et d’économies de moyens, le monde végétal, seul capable de fabriquer sa nourriture directement à partir de l’énergie solaire, nous est de toute évidence supérieur. Nous dépendons totalement de l’environnement qui nous procure tout ce que nous mangeons, portons et ce sous quoi nous nous abritons. La nature en revanche peut aisément se passer de nous.
La façon dont nous pensons le monde à une conséquence immédiate sur la manière dont nous nous en occupons. Un des évènements les plus profonds du XXe siècle fut l’évènement de l’écologie. C’est un ébranlement de toute la pensée monothéiste. Fini le temps où nous pouvions nous permettre de regarder le monde du « dessus », créés à l’image d’un Dieu Unique régnant dans les cieux et nous ayant donné mission de dominer sur la nature. L’écologie nous ramène à une vision beaucoup plus terre à terre et nous replace à équivalence avec le reste du vivant. Ce bouleversement de nos croyances nous rapproche beaucoup plus des polythéismes et de l’animisme que des monothéismes encore dominants pour l’heure sur la planète. D’où les résistances profondes à l’écologie. Le moment me semble pourtant idéal pour fonder un nouveau projet politique autour de l’idée que nous sommes tous des passagers de la Terre et que si nous voulons poursuivre notre voyage, nous devons en devenir les jardiniers.
La civilisation occidentale, qui étend désormais son influence sur l’ensemble de la planète, s’imagine qu’elle peut tout planifier alors que nous sommes au mieux capable de nous adapter. Les jardiniers le savent bien qui découvrent chaque matin en visitant leur potager toutes ces choses imprévues qui s’y sont produites durant la nuit et auxquelles ils vont devoir s’adapter. C’est à ce type d’attitude que je fais référence quand je parle du « jardin planétaire » : la vie est enclose sur la planète comme à l’intérieur d’un jardin. Soit nous continuons à en faire un champ de bataille, soit nous décidons de le cultiver avec humilité et le respect que nous devons aux forces de vie qui s’y expriment. Rien n’est plus important à mes yeux que de nous réconcilier avec la nature.
(propos résumés de Gilles Clément)
(Flammarion)