Ce livre un peu confus qui lustre de temps en temps les souliers du président Sarkozy est cependant écrit par une secrétaire d’Etat à l’écologie qui a été très efficace à ce poste. Nathalie Kosciusko-Morizet a choisi une appartenance politique de droite, mais elle aurait pu aussi bien être chez les Verts ou au Parti socialiste. D’ailleurs le contenu de son livre n’est pas partisan. Il montre que la droite écologiste peut se retrouver avec une gauche écologiste pour dénoncer les méfaits d’une société de croissance qui court au désastre. Ce ne sont pas les différents régimes de propriété des moyens de production qui déterminent les modalités d’exploitation de la nature mais bien la mentalité de ceux qui prennent des décisions importantes. C’est avec sagacité qu’André Gorz avait subsumé l’économie contemporaine capitaliste et socialiste sous un concept plus large, l’industrialisme (le productivisme).
Il y a ceux qui ont conscience des limites et ceux qui croient qu’il n’y a pas de limites.
1/7) présentation de l’auteur par elle-même
Je suis députée de l’Essonne et maire de Longjumeau. La réflexion sur l’avenir est l’objet de cet ouvrage. Nous avons besoin aujourd’hui d’entendre les prophètes, y compris les prophètes de malheur. L’écologie se nourrit de prophéties. Je crains que nous soyons devenus trop peu attentifs aux prophètes. L’action politique est une préparation collective de l’avenir, au sein d’institutions et de communautés qui sont engagées dans un bouleversement mondial dont nous percevons tous la profondeur. Il faut discerner dans les ténèbres le risque de se retrouver, bientôt, perdus et défaits au milieu d’une planète devenue malade et hostile. Une société bien équilibrée devrait pouvoir partager des rêves qui disent à la fois le passé et l’avenir. Nous en sommes loin, nous ne parvenons qu’à échanger quelques cauchemars. Le millénarisme de certains écologistes prend un tour volontiers apocalyptique, dont il est de bon ton de se moquer, mais dont nous savons pourtant qu’il hante une partie croissante de notre imaginaire (notamment de l’imaginaire cinématographique).
Mon arrière-grand-père, André Morizet, sénateur-maire SFIO de Boulogne-Billancourt, avait cherché en son temps à interdire aux usines de cracher leurs fumées aux heures où les enfants des ouvriers allient à l’école ou en sortaient ; il avait été, en 1932, l’auteur de la loi Morizet, la première loi écologique en somme. C’est mon atavisme écologique, en quelque sorte.
2/7) une droite écologiste
On entre en politique, adolescent, pour faire bouger les choses. Lorsque j’en ai éprouvé le besoin, et rien n’a changé depuis, il m’a semblé que le levier du mouvement était à droite, quand la gauche française me paraissait vouée à la répétition vaine de principes dont elle faisait, au mieux, une sorte de vêtement de l’inertie. L’invocation permanente de la justice sociale, du partage, et du « pluriel », tout cela ne n’habillait plus rien, ne disait plus aucune espérance. Mon engagement s’est fait à droite, auprès d’un parti politique qui s’appelait encore le RPR. Il s’est fait avant tout en faveur du mouvement social, de l’initiative, et contre les conservatismes.
J’avoue avoir un goût prononcé pour certains des slogans « rouges » ou « alter » que je découvre sur les murs de la ville : ceux qui appellent au changement, au réveil brutal des opprimés, à la fin du règne du profit. Celui-ci par exemple : « Le monde n’est pas une marchandise », ou cet autre : « Nos vies valent plus que leurs profits ». J’oublie volontairement qui le prononce, mais je m’en souviens, et il me parle, il a du sens. Mais, qu’on le veuille ou non, c’est bien la droite qui a porté en France la législation environnementale, qui lui a donné un principe constitutionnel et qui a organisé la première véritable concertation publique sur l’ensemble de ces enjeux : création en 1971 du ministère de l’environnement par Georges Pompidou, loi Barnier en 1995, Charte de l’environnement en 2005 et « Grenelle de l’environnement » lancé en 2007.
3/7) les résistances socio-politiques aux mesures environnementalistes
Au sein du groupe parlementaire Santé et Environnement, nous avons levé un certain nombre de lièvres : impact sur la santé des pollutions chimiques, des pesticides, des ondes électromagnétique… Chaque fois que nous avons lâché nos lièvres dans l’Assemblée, nous nous sommes heurtés à un lobby.
Dès la conception de la Charte de l’environnement, en étant ensuite le rapporteur du texte de loi devant l’Assemblée, puis orateur de mon groupe au congrès, j’ai porté ces questions devant les sénateurs et les députés. Je me suis heurté à des réticences qui tiennent beaucoup à un difficile rapport au savoir scientifique. C’est l’inscription du principe de précaution dans la Constitution qui a suscité le plus de heurts et qui a été perçue par certains de mes pairs comme une véritable agression. L’opposition de gauche avait refusé de prendre part au vote, les mœurs partisanes avaient repris leurs droits. Quelques députés socialistes avaient toutefois voté pour le texte, en dépit des consignes ; je leur avais rendu publiquement hommage. Il m’a semblé important, traitant l’écologie, de passer outre aux clivages. Et puisque je ne vous cache rien, lorsque je croise Alain Lipietz ou Daniel Cohn-Bendit, je les embrasse.
Le mur de l’ordre établi repose aussi sur des intérêts : politiques, industriels, commerciaux. . Je me suis aperçu qu’il était épuisant de vouloir renverser la mauvaise foi ou l’indifférence. La foi scientiste fait aussi des miracles, puisqu’elle permet de passer outre au temps de la recherche et au débat afin de permettre aux investisseurs de rentrer au plus vite dans leurs frais. La conversion écologique n’aura pourtant lieu que si l’industrie se réforme, que si les entreprises s’y engagent. Et la recherche ne récoltera jamais que ce qu’on lui a donné à semer. Lorsque le débat public porte sur les OGM, les experts qui sont sollicités, et qui sont en réalité ceux-là même qui fabriquent ces organismes, sont bien sûr favorables à leur développement.
Il me semble aussi que la conception du progrès, linéaire et unique, nous bride collectivement. C’est ce qu’a fait valoir, par exemple, Alain Gras en expliquant que les choix de développement qu’avait pu faire notre civilisation étaient justement des choix, entre différentes possibilités. Nous avons privilégié au XIXe siècle l’élément feu, en optant pour les techniques (et les énergies) qui utilisent la chaleur, là où le privilège eût pu être accordé à d’autres éléments.
4/7) validité de la prophétie de malheur
L’écologie est animée du goût du savoir et de la vérité, elle est on ne peut plus légitime lorsqu’elle dit que notre situation planétaire est grave, menaçante. Elle l’est encore lorsqu’elle dit que cette situation peut sembler à bien des égards désespérée. Et je crois même qu’elle est pertinente lorsqu’elle contribue à l’inquiétude publique, qu’elle réveille les consciences en insistant sur l’ampleur gigantesque des risques environnementaux et du réchauffement climatique. Il faut affecter les imaginaires collectifs, leur faire apercevoir les migrations prochaines et désormais inéluctables qui conduiront des millions d’entre nous à abandonner des villes et des régions gagnées par la hausse du niveau des mers, il faut dessiner cela, le pire, le dépeindre avec vivacité, sans fard, sans hésitation. Le prophète écologiste est un prophète à qui son public fait défaut ; on en oublie trop vite la folie de tous ceux aux oreilles desquels le tocsin sonne depuis des années sans qu’ils aient rien changé de leurs habitudes.
Nous avons un gros échec à digérer, celui de notre mode de vie. Nous devons nous résoudre à avaler la nécessité d’un changement profond de nos modes de production et de consommation. Cette conversion, nous ne pourrons l’accomplir que collectivement, et elle ne pourra s’imposer que partagée.
5/7) l’impact entropique des riches
Comment limiter au mieux notre impact entropique ? Cette question n’est en rien simplement écologique ; elle me paraît tout aussi pertinente en termes sociaux ou politiques. J’ai la conviction que nous nous laissons aller à la tentation du désordre, en dépensant une énergie folle à chercher l’ordre. Prenons l’exemple de la répartition des richesses, réduite à sa plus simple expression énergétique. Lorsque les riches sont trop riches, l’adage est vérifié, ils ne savent pas quoi faire de leur argent. Le monde qu’ils créent de toute pièce est une sorte de parc d’attractions, un immense Eurodisney. En réalité, ce qui se construit là est plus entropique encore que ne le serait un désordre social passager. Les riches trop riches achètent à Dubaï ou ailleurs une presqu’île de paix sociale, où règne un ordre artificiel qui accélère à une vitesse prodigieuse l’érosion des ressources naturelles. La valeur ajoutée pour l’humanité dans tout cela ? Rien. Nada. Nitchevo.
La guerre a changé. Demain elle aura pour mobile le contrôle des ressources et des énergies, mais aussi l’éloignement des populations les plus pauvres, dont on cherchera à freiner l’exode par la force. Les guerres seront alors menées pour préserver les frontières et contenir chacun chez soi, pour que les périphéries du monde restent sur les bords, avec leur lot de misère. Ce seront des guerres d’abandon. Nous aurons à nous battre pour éloigner de nous tous ceux que la misère conduit à nos portes, à ériger des murs, les enceintes de l’Europe. A moins… à moins que nous ne comprenions la nécessité d’une coopération internationale susceptible de favoriser un codéveloppement commun, durable.
6/7) les leçons de la crise
La crise que nous traversons doit nous servir de leçon. Elle dit la faillite d’un modèle de développement : celui de l’augmentation indéfinie de la quantité produite et consommée, celui encore d’une production inattentive au partage comme à la préservation des ressources. Certains acteurs ont pu penser que la sortie de crise se ferait en reconduisant à l’identique le modèle de croissance qui vient d’être frappé de plein fouet. Ils ont tort.
Les voies du capital sont un peu celles du poulet : là où il devrait être investi au cœur des productions et des services, il parcourt une longue chaîne d’intermédiaires et s’éloigne sans cesse du travail, pourtant sa vraie destination. Ce sont ces distances, celles que crée la multiplication des intermédiaires, que nous devons réduire, au profit de parcours beaucoup plus directs comme les Amap (association pour le maintien d’une agriculture paysanne). De nouvelles monnaies sont les héritières d’une tradition communautaire, qui se développe particulièrement en temps de crise économique et qui a pu donner naissance aux Lets (Local Exchange Tip System) canadien et au SEL français (Système d’échange local). La réponse politique la plus raisonnable est celle d’une réduction des distances parcourues par le capital.
Nous nous sommes perdus dans la quantité et l’accumulation. La tentation est grande de cultiver son envers et d’en appeler à la privation, en faisant la promotion, par exemple, de la « décroissance ». Je crois plutôt à la sobriété. C’est une vertu ancienne, dont le caractère peut paraître suranné, mais qui sera l’un des traits de notre avenir. C’est exactement cela que nous recherchons aujourd’hui lorsque nous privilégions le naturel, après des années de culte de l’artifice, lorsque nous voulons réduire les distances et permettre à nos vies comme à nos activités de fréquenter des échelles réduites, celles du local.
7/7) Quelle conclusion retirer de ce livre ?
L’écologie est-elle de droite ou de gauche ? La sarkozyste NKM écrit ci-dessus : « Il m’a semblé important, traitant l’écologie, de passer outre aux clivages politiques. » La sarkozyste Chantal Jouanno (secrétaire d’Etat à l’écologie, remplaçante de NKM) « partage les mêmes valeurs que les Verts » (en titre dans Le Figaro 26-27 septembre 2009). Chantal Jouanno l’assure : « Je suis une écologiste convaincue. Je partage avec les Verts les mêmes valeurs, même si nous ne sommes pas forcément d’accord sur les moyens ! ».
Notons aussi que le parti écologiste des Verts a fait son entrée en politique sous le slogan : « Ni gauche, ni droite ! » et que son amarrage au Parti socialiste ne date que de 1997. Notons enfin que depuis les années 1970, le parti socialiste n’a véritablement jamais été présent sur les différents fronts de la lutte environnementaliste et a laissé aux Verts la sous-traitance de cette problématique. Si nous avons eu des ministres de l’environnement de gauche, comme Ségolène Royal (1992-1993) ou Dominique Voynet (1997-2001), la droite a eu aussi ses ministres compétents en matière environnementale comme Corinne Lepage ou Serge Lepeltier. Le véritable obstacle en matière environnementale ne repose donc pas sur la dichotomie droite/gauche. Elle repose sur une contradiction qui s’insère au cœur de chaque individu : « Au sein des démocraties, la difficulté viendrait plutôt de la résistance farouche de la majorité des populations à la remise en cause de leur mode de vie, considéré comme un acquis dans le cadre d'un progrès à sens unique, perçu comme un droit. » (Hubert Védrine, Le débat, Janvier-Février 2005, n °133)
Pour conclure avec Philippe Frémeaux : « L'écologie de droite ne doit pas être hostile à la croissance, elle doit compter prioritairement sur la technique pour résoudre les problèmes de l'humanité et laisser à chacun, au nom de la liberté, la possibilité de polluer autant qu'il le souhaite, moyennant quelques taxes supplémentaires... Bref, une écologie qui ne doit surtout pas faire peur au CAC 40 ni remettre en cause, sinon à la marge, les situations acquises et les modes de production et de consommation qui nous conduisent droit dans le mur. Les masques tombent. » (édito dans le numéro d'Alternatives Economiques, novembre 2009)