La crise est là, systémique. On la croit parfois seulement financière, sociale ou écologique, mais elle est totale. L’université, le monde de l’éducation et de la santé sont touchés. Les mondes agricoles, les villes, nos lieux d’habitation le sont aussi. Faut-il continuer à répéter ce que tout le monde sait désormais alors que rien ne bouge, le cap politique restant le même, droit sur les récifs ? Peut-on sortir de cet état d ’immobilisme, d’incapacité à prendre la mesure et les mesures pour faire face aux dangers présents ?
1/5) En quoi consiste l’écologie politique (Jean-Paul Deléage)
En ce début du XXIe siècle, l’humanité s’est engagée dans une trajectoire littéralement suicidaire. Derrière l’effondrement des fondamentaux de la biosphère se profilent un déclin économique sans précédent historique et, plus grave, une régression sociale et une déstabilisation géopolitique explosives. Chaque épisode de cette course au chaos social et écologique ferme une nouvelle possibilité d’issue démocratique selon le processus que Bruno Villalba désigne comme la « contraction démocratique ». Le problème n’est rien d’autre que la question de la démocratie et du pouvoir.
Le capital a résolu la difficulté en éliminant le pouvoir des producteurs directs dans et sur la production. La prise en compte des contraintes écologiques se traduit par une extension de la logique du marché et le cynisme de nos maîtres se montre sans pudeurs dans les méthodes du greenwashing. Shell affiche ainsi l’image d’une raffinerie dont les cheminées crachent un léger nuage de fleurs multicolores. Quant à l’hebdomadaire boursier Investir, il suggère à ses lecteurs de gagner avec des « valeurs vertes » grâce à un panel de sept titres dont EDF, Veolia et Rhodia, ex-champion de France des rejets industriels polluants.
L’écologie politique ne trouvera dans l’écologie scientifique que des réponses précises concernant l’état de la planète, mais aucun source d’inspiration politique, aucune panoplie d’un quelconque slogan mobilisateur pour le changement social. Le moment est venu de se conformer à l’injonction de Marx selon laquelle il ne s’agit plus seulement de comprendre le monde, mais de le transformer.
(NDLR : cet article laisse sur sa fin, c’est comme s’il n’y avait aucun projet défini pour l’écologie politique !)
2/5) L’écologie politique face à la contraction démocratique (Bruno Villalba)
René Dumont supposait en 1974 que nous disposions d’une duré suffisante pour empêcher l’installation de la catastrophe ; à condition d’accepter très rapidement la situation et d’agir tout aussi prestement. Désormais, nous sommes face à la nécessité de gérer les conséquences de ces quarante années perdues. L’urgence est désormais avérée et non plus prophétisée. L’écologie politique doit alors tenir comte d’une contraction démocratique, résultant d’une réduction du temps qu’il nous reste pour produire des solutions adaptées à l’enjeu du cumul des urgences naturelles et sociales. Des seuils d’irréversibilité ont été dépassés sans que nous nous en rendions réellement compte. A vouloir maintenir une relation déséquilibrée entre nos besoins de ressources fossiles et la capacité de la Terre à les produire, nous entrons dans une récession économique. Le temps nous est compté. L’urgence nous imposera des situations de façon non négociable. Le développement durable est basé sur le principe d’une négociation permanente entre acteurs, alors que nous devons décider en urgence sur des sujets dont le champ de négociation est limité. On ne négocie pas avec la nature. Notre capacité à imaginer des solutions sera de plus en plus saturée par la brutalité des situations que nous devrons affronter. Plus nous reportons les décisions, plus nous serons dans la gestion de crise… ce qui n’est pas très propice à un partage équitable des ressources.
Comment conserver notre maîtrise des processus de décision sans sombrer dans l’utilisation de méthodes totalitaires ? Il est aisé de se résoudre à détruire une partie de l’humanité dès lors que cette solution apparaît comme justifiable pour notre propre survie. Il n’aura fallu que huit années aux nazis pour mettre en place des « politiques » jusque là inconcevables, rappelle Hanna Arendt. Quelles sont alors les valeurs fondamentales à préserver, en restant fidèles aux idéaux démocratiques ? S’il vous reste peu de temps pour choisir, vous vous concentrez sur l’essentiel et sur ce qui fait vraiment sens. Paradoxalement, la situation écologique aboutit à un statut d’égalité face aux évolutions de la biosphère. Nous serons confrontés à une similarité des conditions face aux conséquences climatiques ou à la perte de biodiversité. Nous serons dans l’impossibilité de construire des ghettos préservés (en tout cas pas durablement). Mais cela révélera un peu plus les inégalités et leurs structures profondes, notamment dans la possibilité offerte de pouvoir faire face aux aléas écologiques. Paradoxalement encore, la capacité des responsables politiques à réagir à la crise financière montre que les ressources politiques peuvent être mobilisées lorsque le personnel dirigeant estime que cela est nécessaire.
La contraction démocratique équivaut au processus de réduction de l’enjeu démocratique à l’affirmation de valeurs procédurales, au détriment des objectifs d’émancipation et d’égalité du projet démocratique. Cela peut conduire à l’adoption, sur un territoire, de règles restrictives à l’autonomie politique des individus, au nom même de leur liberté, afin de répondre aux injonctions de la sécurité, corollaire du maintien de la compétition économique internationale. Le rationnement devient une condition nécessaire du partage dans un monde fini (carte carbone, revenu maximal autorisé…).
3/5) La décroissance est-elle la solution à la crise ? (Serge Latouche)
La gauche social-démocrate, communiste, trotskiste qui s’est engouffrée dans la trappe du compromis keynésien-fordiste, s’est laissée séduire par le mythe de la tarte qui grossit indéfiniment. Ayant indexé la solidarité sur la croissance, elle a choisi de collaborer à sa réalisation, donc à l’accumulation capitaliste. Cette solution de facilité permet d’améliorer les parts de tous à moindre frais, plutôt que de se battre avec acharnement pour partager un gâteau immuable. La croissance, c’est ce qui a permis au capitalisme de ne pas affronter le problème de fond du partage et de la justice. Cette croissance devient toxique pour deux raisons : d’une part elle grossit en polluant et en détruisant notre écosystème, d’autre part elle le fait au détriment des millions de petites tartes que les gens produisaient pour eux-mêmes localement avec leurs propres moyens. Le volume de la tarte a certes augmenté considérablement, mais cette croissance s’est faite au détriment de la planète, des générations futures et des peuples du tiers monde.
Le président du Sénégal, Abdoulaye Wade, interrogé sur la crise financière, est parti d’un grand éclat de rire. Il n’a pas à se tracasser pour trouver des milliards pour sauver les banques africaines. Que pourrait-il d’ailleurs arriver de mieux aux habitants des pays pauvres que de voir leur PIB baisser ? La hausse de leur PIB ne mesure rien d’autre que l’accroissement de l’hémorragie. Plus le PIB augmente, plus la nature est détruite, les hommes aliénés, les systèmes de solidarités démantelés, les savoir-faire ancestraux oubliés. Décroître pour les habitants des pays pauvres signifierait donc préserver leur capital naturel, quitter les usines à sueur pour renouer avec l’agriculture vivrière et l’artisanat, reprendre en main leur destinée commune. Que disparaisse tous les apports de la civilisation, il en résultera une complète désorganisation d’une économie qui se sous-développe ainsi qu’une désorganisation du pouvoir qui prospère sur le sous-développement, mais aucun effet fâcheux pour l’immense majorité de la population, au moins dans les pays où celle-ci est essentiellement composée de paysans. Une chose est sûre, les Africains n’auront pas à mettre la main à la poche pour sauver leur industrie automobile.
Mais une économie capitaliste pourrait encore fonctionner avec une grande rareté des ressources naturelles, dérèglement climatique, effondrement de la biodiversité, etc. Dans une économie de pénurie, la consommation diminuera en substance tandis que sa valeur continuera d’augmenter. Le capitalisme retrouverait sa logique de ses origines, croître aux dépens de la société. Depuis 1750, la richesse des entreprises anglaises s’est nourrie de la destruction de l’artisanat et de la paysannerie anglais et plus encore indiens. Les statistiques nous trompent en n’enregistrant que la croissance marchande sans tenir compte des destructions énormes de la sphère vernaculaire. Vers 1850, la masse globale produite s’est accrue considération aux dépens du patrimoine naturel. Selon le vice-ministre chinois de l’environnement, on peut évaluer à 10 à 12 % du PIB la destruction annuelle des écosystèmes, soit exactement l’équivalent du taux de croissance !
Pour se libérer de l’obsession de croissance, nous avons proposé de formuler la rupture en huit R : Réévaluer, Reconceptualiser, Restructurer, Relocaliser, Redistribuer, Réduire, Réutiliser, Recycler. Ces huit objectifs interdépendants ont été retenus parce qu’ils nous paraissaient susceptibles d’enclencher une dynamique de décroissance sereine, conviviale et soutenable. Le deuxième niveau, celui de la mise en œuvre suppose une insertion dans le contexte :
- Retrouver une empreinte écologique soutenable ;
- Réduire les transports en internalisant les coûts par des écotaxes appropriées ;
- Relocaliser les activités ;
- Restaurer l’agriculture paysanne ;
- Réaffecter les gains de productivité en réduction du temps de travail et en création d’emploi ;
- Relancer la production de biens relationnels ;
- Réduire le gaspillage d’énergie d’un facteur 4 ;
- Restreindre fortement l’espace publicitaire ;
- Réorienter la recherche technoscientifique ;
- Se réapproprier l’argent.
La principale difficulté pour réaliser ce programme tient au fait que, en nous enrichissant matériellement, la croissance économique nous a beaucoup appauvris humainement. Nous avons perdu cette capacité de nous tirer d’affaire par nous-mêmes qui faisait la puissance des pauvres et plus encore les solidarités sur lesquelles pouvaient compter les membres des sociétés traditionnelles. Il nous faut réapprendre à être autonomes et tout faire pour que la récession ne soit pas l’antichambre du chaos ou d’un écofascisme odieux.
4/5) quelques citations (pessimistes)
- Chaque société se perpétue en produisant les individus conformes qui lui permettent de persévérer dans son être.
- Les écolo-sceptiques sont les chiens de garde de la société instituée et mènent des actions de désinformation et de propagande.
- Une dépendance puis un enfermement est créé par la diffusion de divers objets techniques comme l’automobile, l’avion, le train, la télévision, l’ordinateur et le téléphone portable. Les sociétés se sont ré-institutionnalisées à partir de ces objets.
- Ce n’est pas avec des pots catalytiques qu’on redressera vraiment la situation.
- Les individus doivent œuvrer à la fois pour le changement politique et pour le changement des mœurs.
- Rien aujourd’hui ne laisse entrevoir la naissance d’un mouvement collectif vers plus d’autonomie et de prudence. Le destin tragique dont on a peine à imaginer la forme est inévitable.
5/5) une citation optimiste
- Je me dis cependant que la visée d’autonomie et de liberté consiste à critiquer et dénoncer, par voie écrite, orale ou gestuelle, l’état de chose existant, quand bien même cela se révélerait finalement vain.